SANS DOUTE MOINS QUE CE QU’ESPÉRAIENT LES FRANÇAIS
Pour la directrice du FMI, ce 31 décembre, « la reprise économique est plus forte et mieux partagée » dans le monde. Christine Lagarde invite donc les pays à en profiter pour se désendetter et mener des réformes en profondeur. En ce qui concerne la France, elle salue le « calendrier » d’Emmanuel Macron, qu’elle semble regarder avec les yeux de Chimène (le calendrier), comme nous le verrons ci-après. Elle estime que « la réalisation de réformes structurelles importantes doit constituer pour la France un gage de crédibilité afin d’engager ensuite un dialogue de fond sur la modification des institutions européennes ou aller plus loin dans l’intégration » (1). C’est une façon courtoise de dire qu’il est bon de faire ses preuves en France avant de prétendre conduire les réformes de l’Union européenne (UE). Mme Merkel ne la contredira sans doute pas.
La première partie du présent document est consacrée à un rapide examen de ce qui peut nous attendre en 2018 et les années suivantes, après une croissance en fin 2017 un peu plus élevée que prévu plaçant notre pays dans une dynamique favorable pour aborder l’avenir… à court terme. Hélas, les hausses de la fiscalité, avec leurs impacts sur les prix et les pouvoirs d’achat risquent fort de contrecarrer cette tendance et de ralentir la croissance, tandis que la réduction espérée par tous du chômage ne serait que marginale.
En matière d’emploi et de chômage, la « stratégie » de l’Exécutif est basée sur l’instauration de la « flexi-sécurité » à la scandinave. Le point sur la question fait l’objet ici de la deuxième partie.
Le volet « flexibilité » a été ouvert au pas de charge avec les cinq ordonnances sur la réforme du Code du travail. La progression n’est, cependant, pas aussi « pépère » et rapide qu’escompté. Une sixième, complémentaire et rectificatrice d’erreurs, dite « ordonnance balai », qui vient d’être arrêtée en Conseil des ministres, risque de ranimer des ardeurs combattantes. Une septième, sur le travail détaché, est à l’étude. De l’animation est donc encore à prévoir en 2018 sur cette réforme qui comporte encore des indéterminations et s’avère plus complexe qu’imaginé.
Quant au volet « sécurité », qui comprend les « réformes » de l’assurance chômage, de l’apprentissage et de la formation professionnelle (FP), ses premiers pas ont connu des obstacles, financiers, notamment, des changements de caps et des reculs. Ses aboutissements sont encore incertains et les durées des tractations auxquelles il donnera lieu semblent difficiles à prévoir avec précision. Le « calendrier de l’avant » ne tient plus. L’introduction de la sécurité aura beaucoup de retard sur la flexibilité. Les éventuels impacts des réformes de la formation professionnelle et de l’apprentissage ne seront à attendre qu’à moyen terme. Ces réformes ne seront pas des armes fatales contre le chômage en 2018, et peut-être même en 2019.
Dans une troisième partie, je rappelle des critiques exprimées dans mon dernier article sur la faiblesse du « Grand Plan d’Investissement », de 57 milliards d’euros (Mds €), qui ne peut pas prétendre constituer un accélérateur de la croissance et de l’emploi. À cette fin, l’Exécutif compte (trop) sur les cadeaux faits aux « riches » détenteurs de valeurs mobilières et sur des « investisseurs » nationaux et étrangers… qui auront du mal à « digérer » les sur-taxations des bénéfices imposées de 2012 à 2017 et encore en fin 2017.
Le « numérique » se propage en France (comme ailleurs) depuis des années. Sans que notre économie en soit plus prospère et notre croissance plus soutenue. Malgré cela, maintenant, l’addiction au « tout numérique » sévit parmi nos gouvernants. Un tout numérique totalitaire qui nous envahit, que cela nous rende service ou provoque, chez certains, des « désagréments », des difficultés, dont l’origine est souvent d’ordre « technique ». Il est inacceptable que soient soumises à ses obligations, à sa dictature, les personnes âgées et/ou handicapées, ainsi que les autres qui ne réunissent pas les aptitudes et les moyens, financiers, notamment, pour « entrer dans l’ère du numérique ».
Le TN n’étant pas la panacée, dans une Europe et un monde où la concurrence est la règle, il serait nettement préférable que les préoccupations et les efforts portent, plus sobrement et prioritairement, sur la compétitivité et l’abaissement des coûts.
1 - Le cocktail fiscal de Macron : un frein réel à la croissance en 2018 ?
Un quinquennat plein de promesses pour la France, selon le FMI
Bonne année 2018… pour la croissance mondiale, qui devrait « s’accélérer », montant de + 3,6 % en 2017 à + 3,7 % en 2018, selon les prévisions de novembre du Fond monétaire international. Mais, cela ne va pas forcément durer. Pour les années suivantes, la circonspection est de rigueur. Beaucoup d’inconnues ! Et des menaces de ruptures liées, notamment, à l’endettement excessif de trop d’États, de banques et de grandes entreprises. Cela ne retient pourtant pas le FMI d’afficher des prévisions de croissance mondiale d’au moins + 3,7 % par an de 2019 à 2022. Ceci, malgré les ralentissements attendus de la croissance aux États-Unis, de + 2,3 % en 2018 à + 1,7 % en 2022, en Chine, de + 6,5 % en 2018 à + 5,8 % en 2022, ainsi que dans l’Union européenne, de + 2,3 % en 2017 à + 1,7 en 2022 (2).
Les principaux soutiens de la croissance mondiale pendant le quinquennat se trouveraient dans des pays émergents et en développement, en Inde, en Afrique au Sud du Sahara, ainsi qu’au Brésil et au Mexique, en particulier. Dès 2018, l’Inde deviendra probablement la cinquième puissance mondiale, passant devant la France et le Royaume-Uni (3).
Par contre, dans nos enviés pays d’Europe du nord, entre 2017 et 2022, le taux de croissance des PIB chuterait de + 3,1 % à + 1,8 % en Suède, de + 3,1% à + 1,8% aux Pays-Bas, et de + 2,1 % à + 1,2 seulement en Allemagne. Une faiblesse, qui serait en partie d’origine démographique, semble-t-il, pour cette dernière.
Dans cet environnement plutôt « dépressif », la France serait presque un ilot de prospérité où le PIB croîtrait au rythme devenu inhabituel de + 1,8 % à + 1,9 % pendant tout le quinquennat. Ce serait un retournement de situation historique… difficile à expliquer.
Hardi, le FMI a aussi inscrit une baisse continue de notre taux de chômage, de 9,5 % en 2017 à 9,1 % en 2018, 8,7 % en 2018… et 7,8 % en 2022. Très curieusement, cependant, ses prévisions du nombre total d’emplois s’arrêtent en 2018, avec 25,418 millions (Mi) d’emplois, contre 25,293 Mi en 2017, soit + 125.000 emplois (+ 0,5 %). Comment à été calculé le nombre de chômeurs après 2018 ? Mystère !
Les « prévisions » du FMI comportent aussi des évolutions très vertueuses des dépenses publiques (- 8 % d’ici 2022), des recettes publiques (- 4,2 %) et, consécutivement, du déficit public, qui baisserait de 3 % du PIB en 2017 à 0,8 % en 2022. La dette publique brute serait ramenée à 1.900 milliards (Mds) €… et notre incorrigible déficit des échanges extérieurs, de 1,1 % du PIB en 2017, serait réduit à 0,05 % du PIB à la fin du quinquennat. Malgré les ralentissements attendus des PIB et, par conséquent, des demandes intérieures chez nos plus gros clients. Malgré la nécessité pour eux de redoubler de compétitivité pour exporter davantage et importer moins.
On est en droit de se demander si d’aussi belles « prévisions » pour la France ne résulteraient pas de la quantification par Mme Lagarde et ses experts d’objectifs (ou de vœux) que nos gouvernants ont pu exprimer, en se gardant, d’ailleurs, « prudemment » de les dater et de les chiffrer ?
« La BCE se montre confiante pour l’avenir » (4), mais prolonge sa politique monétaire
Pour la Banque centrale européenne, « la croissance s’accélère » dans la zone euro. C’est pourquoi elle a revu ses prévisions à la hausse, les portant à + 2,4 % en 2017, + 2,3 % en 2018 et + 1,9 % en 2019. Il s’agit donc d’une « accélération » en 2017, annonciatrice d’un ralentissement de la croissance. La magie du verbe !
Son patron, Mario Draghi, se flatte d’avoir contribué à ce succès grâce à sa politique monétaire. Il entend maintenir la forte pression sur les taux d’intérêt et poursuivre le rachat d’obligations (« quantitative easing ») à raison de 30 Mds € par mois jusqu’à septembre 2018, voire au-delà si cela s’avère nécessaire. Il estime donc probablement que sans ces « béquilles », la zone euro aura davantage de difficulté à avancer. Il regrette que l’inflation se limite à 1,5 % en 2017, nettement en dessous de l’objectif de 2 %, et qu’aucune accélération ne soit prévue au cours des deux années à venir. Sauf en France, peut-être ?
Plus de réserve de la part de l’OCDE, de l’INSEE et d’économistes français
Pour l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), la croissance mondiale ne serait « que » de + 3,6 % en 2019. Dans la zone euro, l’Allemagne continuerait de profiter d’un taux de change réel très favorable par rapport à ses voisins concurrents et d’une productivité supérieure aux leurs. Le taux de croissance du PIB de l’Allemagne serait de + 2,5 % en 2017, de + 2,3 % en 2018 et de + 1,9 % en 2019. Il resterait ainsi plus élevé que celui de la France, que l’OCDE a estimé à + 1,8 % en 2017 ainsi qu’en 2018, et à 1,7 % en 2019 (5). Il n’est pas impossible que de telles prévisions, plus « tendancielles », se révèlent aussi plus réalistes que celles du FMI.
Selon l’analyse « conjoncturelle » approfondie de l’INSEE de décembre, la croissance française en 2017 dépassera les prévisions antérieures, atteignant + 1,9 %. Sur de bons rails, elle pourrait conserver ce rythme au moins au premier trimestre de 2018, tirée par la demande intérieure, essentiellement des entreprises, par une demande mondiale en expansion, ainsi que par la remontée des revenus agricoles et la « reprise » du tourisme international.
Pour les experts de l’INSEE, la croissance en 2018 sera tributaire de la façon dont les ménages réagiront à la hausse de la fiscalité en début d’année (écologie, tabac et majoration de la CSG), qui s’accompagnera du retour de l’inflation. Ces facteurs pousseront à la baisse le pouvoir d’achat des ménages. Une baisse chiffrée à au moins - 0,7 % au premier trimestre et à - 0,3 % sur l’ensemble de l’année (5). Ces estimations, qui semblent « modestes », tiennent-elles réellement compte de toutes les hausses de prix annoncées pour le début de l’année qui frapperont les consommateurs ? Celles des prix du fuel, de + 7,6 centimes par litre (+ 10 %), et de l’essence, de + 3,84 cent/l, du gaz naturel (+ 6,9 % en moyenne), ainsi que de l’électricité, du timbre vert et de l’éco pli, de + 9,6 %, du rouge, de + 11,8 %, du prix de la journée d’hospitalisation, de 18 à 20 €, de la consultation du généraliste, passé de 23 à 25 € en mai 2017, des tarifs des mutuelles santé, de celles des assurances auto (que les incendies de plus de mille voitures au réveillon du nouvel an ne feront pas, baisser) et habitations, des tarifs bancaires, des PV de stationnement, etc.
En attendant les baisses plus tardives de la taxe d’habitation, des cotisations sociales salariales chômage et maladie, les ménages réduiront-ils leurs dépenses ou puiseront-ils dans leur épargne ? Ces experts s’attendent à un « fléchissement » de l’investissement des ménages, les ventes de logements neufs ne progressant plus depuis le début de l’année 2017. On peut aussi penser que les mesures hostiles aux acquéreurs potentiels de logements décidées (cf. dans mon article précédent : « 8 - Coup de torchon sur l’immobilier et les propriétaires) ne soutiendront pas l’investissement immobilier ».
Il est douteux, en outre, que la sur-taxation illicite des bénéfices des sociétés de 2012 à 2017 pour un montant total de 10 Mds €, et celle, abrupte, de près de 5 Mds infligée en fin 2017 à plusieurs centaines de « grosses » entreprises, constituent, aux yeux des investisseurs français et étrangers, des preuves tangibles de la stabilité, de la rigueur, de la justice et de la modération de la fiscalité française. C’est très regrettable !
À la notable différence du FMI, l’INSEE ne prévoit qu’une réduction très faible du taux de chômage, de - 0,1 % sur un an, qui ramènerait le taux très regardé à 9,4 % à la mi-2018 (6). La modestie de ce recul serait en partie due à la chute brutale du nombre des emplois aidés, de 459.000 en 2016, à 280.000 en 2017 et à 200.000 en 2018 (7).
« Bercy et l’INSEE s’écharpent sur l’impact des mesures fiscales en 2018 » a pu titrer lefigaro.fr le 21 décembre (8). En effet, alors que le Gouvernement a annoncé une baisse des prélèvements obligatoires (impôts et cotisations sociales) en 2018, l’INSEE prévoit une augmentation que ses experts ont chiffrée à 4,5 milliards d’euros (Mds €). Et il n’est pas dans les habitudes de l’Institut de faire vainement de la résistance.
Pour l’économiste Serge Federbusch, avec ses mesures fiscales, « Macron plombe la croissance » (5). Il freine le dynamisme de l’économie observé par l’INSEE. Il ralentit la croissance, qui reste à la merci d’une possible appréciation de l’euro, d’une hausse des prix des hydrocarbures ainsi que de la remontée (attendue) des taux d’intérêt. Sans revenir sur la fragilité du système financier.
2 - Introduction de la flexi-sécurité : un parcours hésitant et erratique
Volet flexibilité : encore des corrections et des ordonnances supplémentaires en vue
On peut se demander comment les experts de l’INSEE (et les autres) ont pu évaluer et chiffrer les impacts des changements de comportements des entreprises et des travailleurs qui résulteront de l’application des cinq ordonnances sur la réforme du Code du travail prises hâtivement en septembre 2017, ainsi que de la sixième, dite « ordonnance balai », destinée à corriger, à compléter et à préciser les cinq précédentes. Adoptée en Conseil des ministres le 20 décembre, elle en précèderait une septième, sur le travail détaché, en cours de préparation au ministère du Travail pour être prise avant le 15 mars 2018 (9).
Malgré le recours aux ordonnances, le parcours suivi par le volet « flexibilité » est hésitant, incertain, erratique et plus long que ce qui était annoncé. Les « débats », les tensions et les manifestations ne sont pas terminés. D’autant que la sixième ordonnance comprend des dispositions qui porteraient encore davantage atteinte aux « droits fondamentaux des travailleurs », dénoncées par des syndicats et des députés de La France Insoumise (LFI).
Volet sécurité : retard à l’allumage, mise en route contrariée et poussive
« Assurance-chômage : le gouvernement réduit ses promesses » (10).
C’est le titre d’un article du 13 décembre, qui fait le point sur l’avancement de la réforme, les difficultés vécues et les nombreux sujets, souvent conflictuels, à négocier avec les partenaires sociaux (huit organisations syndicales et patronales ont été sélectionnées) en un temps record pour parvenir à un accord fin janvier 2018. Une gageure !
On se souvient que le projet initial de l’Exécutif visait à instituer une assurance-chômage (AC) quasiment universelle, gratuite, ouverte aux indépendants (professions libérales, commerçants, artisans, autoentrepreneurs, chefs d’entreprises non-salariés…) ainsi qu’aux salariés démissionnaires. L’État (les contribuables) devait prendre en charge cet élan de générosité. Notamment à l’aide des recettes provenant de la majoration de la CSG de + 1,7 %. Mais le risque est grand de voir une flopée de démissionnaires « profiter » de l’aubaine et le nombre de chômeurs à indemniser s’envoler. L’effet sur la « courbe du chômage » serait désastreux. En outre, les comptes de l’AC de 2016 montrent un déficit annuel de 4 Mds € et une dette accumulée de 29,8 Mds €. « Un casse-tête pour l’exécutif qui ne peut faire autrement qu’édulcorer les promesses de campagne d’Emmanuel Macron… ». « Aussi, tout l’enjeu consiste-t-il à restreindre au maximum le champ des possibles de cette réforme, sans pour autant en perdre l’esprit global » (10). Et le faire accepter par les partenaires sociaux. En arrière marche ! Avec de la pédagogie, donc !
Parmi les questions « délicates » sur lesquelles il conviendrait de s’entendre d’urgence, figurent : - l’abandon (espéré par le patronat) du système de bonus-malus sur les cotisations patronales imaginé par l’Exécutif pour décourager les contrats courts, réduire la précarité (et nourrir le « choc de simplification »); - la détermination de conditions plus ou moins restrictives d’indemnisation (statut, ancienneté, durée et montant des allocations…) de tout ou partie des 3 millions d’indépendants (volontaires ?), en évitant de majorer les cotisations chômage ; - mêmes questions pour l’indemnisation des salariés démissionnaires ; - le choix des sanctions à infliger aux demandeurs d’emploi qui ne recherchaient pas d’emploi ou refuseraient des offres « raisonnables » ; - la redistribution des rôles dans la gouvernance de l’AC, avec la mainmise partielle, voire (pourquoi pas ?) totale, de l’État sur celle-ci.
Vu le menu proposé, il faudra beaucoup de persuasion de l’Exécutif, ainsi que de compréhension et de souplesse de la part des syndicats (et de leurs bases) pour que le calendrier soit respecté. Et, en tout état de cause, lorsque la réforme de l’AC sera mise en application, il est peu probable qu’elle fasse baisser le chômage. Au contraire ?
Formation professionnelle (FP) : une « concertation » très encadrée
La « feuille de route » présentée par Edouard Philippe le 25 octobre prévoyait l’ouverture de discussions avec les Régions, d’un côté, et, d’un autre, avec les partenaires sociaux à partir de la mi-novembre. Parmi les objectifs de la réforme, étaient mis en exergue ceux de « doter tous les actifs de la capacité de se former de façon autonome, qui ne dépende pas d’un intermédiaire quel qu’il soit »… de « libérer les salariés de la complexité du système de formation professionnelle pour leur permettre, de façon indépendante, de construire leur parcours professionnel grâce aux outils du numérique, d’être acteur et non pas seulement sujet de la formation » (11).
Cette volonté « novatrice », remarquée, ne ressort pas aussi fortement dans le « document d’orientation » remis aux partenaires sociaux le 15 novembre. Celui-ci fixe les objectifs de la réforme retenus par l’Exécutif pour entrer dans l’ère de transformation qualifiée « d’économie de la connaissance » : « investir massivement dans les compétences, donner à chacun la liberté de choisir et la capacité de construire son parcours professionnel et protéger les plus vulnérables » (12).
Pour ce qui est des compétences, l’Exécutif compte sur les entreprises. Les parcours individuels relèveront d’abord de l’État
et des partenaires sociaux. Pour ce qui concerne les plus vulnérables, l’État et, plus encore, les Régions devront être au premier rang.
Plus concrètement, il s’agit, en particulier, de « former, en plus du rythme de croisière des dernières années, un million de demandeurs d’emploi de longue durée et un million de jeunes sans qualification ». La formation des demandeurs d’emplois relève des régions et est en partie financée par des cotisations sociales, à concurrence de 700 à 800 millions €.
Les participants ont été invités à se pencher sur plusieurs sujets, au nombre desquels : - le renforcement du compte personnel de formation (CPF), son unité de mesure (le comptage en heures est critiqué), son montant garanti… ; - l’évolution des métiers, celles des besoins futurs en emplois et qualifications ; - les contributions à venir des partenaires sociaux au financement de la formation professionnelle, que l’Exécutif aurait fixée à 1,5 Md € en 2019, et qui aurait « pour vocation à évoluer en fonction du nombre de demandeurs d’emploi » ; - la simplification des plans de formation des entreprises, de leur adaptation au numérique, ainsi qu’aux besoins spécifiques des TPE et des PME ; - l’accompagnement individuel dans l’élaboration du projet professionnel, un véritable droit pour chacun.
Les participants ont jusqu’à fin janvier pour boucler « leurs » propositions. Un peu juste pour un travail sérieux ?
Apprentissage : « concertation » crispée et déjà un clash entre l’État et les Régions
Le coût annuel de l’apprentissage, 8,2 Mds €, est financé par l’État, à hauteur de 2 Mds €, par les Régions et par les entreprises. Ces dernières paient la « taxe d’apprentissage » (0,68 % de leur masse salariale), qui est attribuée à raison de 51 % aux Régions, de 23 % à de grandes écoles et universités, et de 26 % aux centres de formation d’apprentissage (CFA). Ces centres sont le plus souvent gérés par les branches professionnelles sous tutelle pédagogique du ministère de l’Education ou du ministère en charge de l’Agriculture.
Le nombre d’apprentis en formation, de 412.300 au total en fin 2016, a baissé depuis 2008 dans le secondaire pour se réduire à 259.800, tandis qu’il a augmenté dans le supérieur pour atteindre 152.500. Or, comme d’autres, le Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Cereq) a observé que les taux chômage étaient nettement plus faibles chez les jeunes ayant bénéficié d’une formation en alternance que chez ceux ayant eu une formation « classique » (13). Alors qu’il y aurait 16 % d’apprentis chez les 15-24 ans en Allemagne, la France n’en compte que 5 % (14). Et « 1,3 millions de jeunes » sont sans emploi, sans qualification, sans formation.
C’est « une aberration économique », « un gâchis humain », a martelé la ministre du Travail Mme Pénicaud, en appelant à une « révolution copernicienne », le 10 octobre, lors du lancement de la concertation entre les acteurs concernés (organisations syndicales, patronales, conseils régionaux, chambres consulaires…) devant nourrir la réforme. L’objectif est de relancer l’apprentissage et d’en faire « une voie d’excellence », grâce à la mobilisation de tous, ont entendu les membres des quatre groupes de travail constitués pour s’atteler à la tâche et rendre leurs copies au début de février 2018. Il s’agit de lever les nombreux freins qui minent le système. Et « les entreprises doivent pouvoir davantage piloter l’offre de formation »… sans aller jusqu’à confier la gouvernance du système aux branches professionnelles (15). Ce qui serait considéré comme un « casus belli » par les Régions.
« Apprentissage : les régions claquent la porte de la concertation », puis « Apprentissage : bras de fer entre l’État et les Régions » a-t-on pu lire sur le Net entre le 21 et le 24 décembre, pendant que les médias grand public braquaient avec obstination les micros et les projecteurs sur les détails des mangeailles, des festivités, des cadeaux et des autres dépenses « record » qui allaient faire de Noël un véritable événement… presque sans rapport avec la commémoration de la naissance du Christ.
Il apparait que l’Exécutif tient les Régions, qui pilotent le système depuis 1983, pour suffisamment responsables du déclin de l’apprentissage pour décider de leur retirer le pilotage et le transférer aux entreprises, en même temps que le montant de la taxe professionnelle (1,6 Mds €) qui est attribuée aux Régions. Pour le gouvernement, le marché doit réguler le dispositif, en finançant des formations là où il y a des besoins (14). Une pierre de plus dans le jardin des Régions (après les coupes budgétaires et la réforme de la taxe d’habitation). Pour l’association Régions de France, c’est « une privatisation ». Elle a aussitôt décidé de se retirer des « concertations » en cours. Des élus régionaux ont décidé de suspendre leurs investissements en faveur de l’apprentissage. De leur côté, les syndicats de travailleurs avaient dénoncé des rencontres qui tournent à la « réunionite » (13).
En fait, selon l’article de jdd.fr du 24 décembre, le ministère du Travail voudrait aller nettement plus loin, donner aux branches la maîtrise des contrats de professionnalisation ainsi que de ceux d’apprentissage, et instaurer un « financement au contrat ». Les branches décideraient des ouvertures et des fermetures de classes, ainsi que des prix des contrats. Ne resterait aux Régions que la gestion du bâti, comme pour les lycées professionnels. Les Régions n’apprécient, évidemment, pas.
Après les vœux présidentiels et les festivités de fin d’année, les « concertations » devront donc reprendre en janvier, de préférence sur des bases plus explicites. La FP et l’apprentissage étant toujours traités séparément ?
Emploi, chômage : peu à attendre en 2018 des réformes de la FP et de l’apprentissage
Il paraît difficile d’attendre à court terme des impacts décisifs de réformes de la FP et de l’apprentissage. Par contre, il est possible que les nombreuses personnes supplémentaires en recherche d’emploi qui « entreront » en formation ou en apprentissage fassent baisser temporairement le taux de chômage. Pour cela, il faudra attendre que l’Exécutif, les Régions et les partenaires sociaux se soient mis d’accord sur l’essentiel des changements à introduire, puis que le projet de loi « visant à la création de nouvelles protections professionnelles » soit définitivement adopté. En octobre, le gouvernement, optimiste, tablait sur la fin de l’été 2018. Pour une application au 1er janvier 2019 ?
D’après Macron lui-même, les réformes sociales lancées la première année du quinquennat mettront de 18 à 24 mois pour produire leurs résultats (16).
3 - Investissement public faiblard - Addiction au « tout numérique totalitaire »
Dans mon précédent article j’avais déploré l’absence de stratégie industrielle et montré la faiblesse du Grand plan d’investissement (GPI) de 57 Mds €, soit de l’ordre de 1 % de la dépense publique totale du quinquennat. 57 Mds pour essayer de créer 300.000 emplois, au coût moyen de 190.000 €. Un montant de dépenses, dont on peut rappeler ici qu’il comprend 15 Mds pour « édifier une société de compétence » et « investir massivement dans les compétences des Français ». Nous avons entraperçu ci-dessus les ressorts qu’apporterait la réalisation des réformes de la FP et de l’apprentissage à cette édification. Edifiant ! Des grands mots pour des moyens encore indéfinis et très modestes.
Une partie des 20 Mds prévus pour « accélérer la transition écologique » seront consacrés à augmenter de 70 % la capacité de production d’énergies renouvelables. La question n’est pas ici de contester l’utilité de défendre la planète contre le réchauffement ! Mais planter des flopées d’éoliennes sur terre ou en mer et installer des panneaux solaires tous azimuts, des
sources d’énergie intermittentes utilisant des matériels à fort contenu en importation, est coûteux et économiquement non rentable.
9 Mds sont inscrits pour « Construire l’État de l’âge du numérique », les administrations et les services de santé devant en être les « bénéficiaires ». Jusqu’ici, la propagation du numérique n’a pas abouti à la réduction des effectifs et des coûts dans la Fonction publique. Je suis dubitatif sur l’impact à attendre de cet « investissement ».
Dans le privé, le numérique détruit plus d’emplois qu’il n’en crée. La réduction des coûts qu’il est sensé engendrer est une clé de son succès. Il déplace une partie du travail et des dépenses de traitement de l’information de l’entreprise « émettrice » vers l’entreprise ou le ménage destinataire. Il restreint l’accès à l’information de ménages qui ne sont pas en mesure de répondre à ses exigences : posséder un ordinateur, un « smartphone » et une connexion Internet haut débit en état de marche, disposer d’une imprimante, être un virtuose dans la gestion des mots de passe, dans la navigation dans les comptes « personnels », etc. Trois exemples concrets : - la banque chez laquelle j’ai un compte d’épargne évolutif ne me communique aucun relevé annuel de situation (intérêts versés, prélèvements, encours…). Il faut aller chercher sur son site dans un compte personnel « protégé » une info limitée à l’encours ; - sur nos cinq caisses de retraite, une seule nous communique un relevé annuel des prestations reçues, des prélèvements… Cela n’empêche pas ces caisses de transmettre ces infos au fisc… ce qui nous permet d’avoir une info tronquée (à déchiffrer) sur nos feuilles de déclaration de revenus pré-remplies au printemps suivant ; - notre taxe d’habitation dépassant, 2.000 €, « la loi rend obligatoire le règlement de cette somme par paiement en ligne ou par prélèvement à l’échéance ». Même chose pour le paiement de la taxe foncière. Ceci, malgré nos âges avancés (connus de la Direction des Impôts), puisqu’ensemble nous totalisons plus de cent soixante ans. Absurde !
Cela fait belle lurette que nous sommes plongés dans le numérique. Et cela n’a pas « boosté » la croissance en France. Il n’est pas indispensable que nous y soyons plongés corps et âme et il n’est pas acceptable que nous y soyons soumis pour tout contre notre volonté… et quelles que soient nos « aptitudes ». Il
est incompréhensible que, malgré les protestations, les personnes âgées (de plus de soixante-dix ans, en particulier) et handicapées ne soient pas autorisées à échapper à cette dictature. Non au Tout numérique totalitaire ! Nos gouvernants victimes d’addiction doivent se soigner et renoncer à accélérer une évolution qui va déjà assez vite sans eux… et qui n’est pas dépourvue de risques, comme le montrent les cyber-attaques géantes dont nos médias grand public nous parlent très peu. Il est dangereux que notre société et notre économie soient trop dépendants du numérique et, de ce fait, vulnérables.
L’Exécutif compte beaucoup sur les riches et sur les multinationales pour investir et relancer la croissance. Il n’apparait pas évident que ses « messages » discordants et en partie contradictoires aient les effets stimulants escomptés. L’évolution récente de notre indice « phare », le CAC, ne révèle pas un fol enthousiasme de la part des « investisseurs ». De 5.382, le 8 mai, il a baissé jusqu’à 5.032 au 29 août, puis est remonté jusqu’à 5.518 au 3 novembre, pour descendre à 5.313 le 29 décembre, dernier jour de cotation de l’année.
Les « investisseurs » semblent avoir des doutes. Et ils ne sont pas les seuls !
Sources et références
(1) Lagarde : « La reprise économique est plus forte et mieux partagée », lefigaro.fr/conjoncture/2017/12/31/20002…
(2) IMF World economic outlook, november 2017.
(3) « Puissance économique : la France dépassée par l’Inde dès 2018 ? Source : Centre for Economics and Business Research lefigaro.fr/conjoncture/2017/12/26/20002-2017…
(4) « La BCE se montre confiante pour l’avenir », lefigaro.fr/conjoncture/ 2017/12/14/20002…
(5) « Macron plombe la croissance ! », contrepoints.org/2017/12/22/385946-macron…
(6) « Croissance, investissement, emploi : la France aborde 2018 avec dynamisme », lefigaro.fr/conjoncture/2017/12/19/20002…
(7) « Emmanuel Macron sur les contrats aidés : Que ceux qui les défendent les prennent ! », europe1.fr/politique/emmanuel… , le 14/11/2017 + « Contrats aidés : les secteurs les plus touchés par les suppressions », lesechos.fr/05/09/2017.
(8) « Bercy et l’INSEE s’écharpent sur l’impact des mesures fiscales en 2018 », lefigaro.fr/impots/2017/12/21/05003…
(9) « Code du travail : une sixième « ordonnance balai » adoptée », lesechos.fr/economie-France/social/030105…, le 20/12/2017.
(10) « Assurance-chômage : le gouvernement réduit ses promesses », lefigaro.fr/social/2017/12/13/20011-2017…
(11) « Formation, apprentissage : une réforme pour la fin de l’été 2018 », lemoniteur.fr/article/formation-apprentissage… , le 26/10/2017.
(12) « Formation professionnelle : ce que contient le document d’orientation », lesechos.fr/economie-France/social/030877047600-formation… , le 15/11/2017.
(13) « Les clefs de la réforme de l’apprentissage », lesechos.fr/economie-France/dossiers/03085191…, le 22/12/2017.
(14) « Apprentissage : les régions claquent la porte de la concertation », lesechos.fr/economie-France/social-030105461…, le 21/12/2017. + « Apprentissage : bras de fer entre l’État et les Régions », lejdd.fr/politique/apprentissage-bras… , le 24/12/2017.
(15) « La concertation sur la réforme de l’apprentissage lancée dans un climat crispé », lemonde.fr/politique/article/2017/11/10/la-concertation…
(16) « Le chômage va-t-il reculer en 2018 ? », lefigaro.fr/conjoncture/2018/01/01/20002…