Le désert d’Arabie, caillouteux, pierreux, s’étend à perte de vue. Le
lieu de notre expédition est un plateau vaste, découpé, dont les bords escarpés
et rocheux sont nimbés d’une brume bleutée. Il a pour nom Edge of the World, le
bout du monde. À plus d’une centaine de kilomètres de Riyad, la pureté de l’air
fait oublier les pollutions urbaines. Nous contemplons, immobiles, nous
laissant envahir par la beauté du spectacle, le bleu du ciel, les nervures d’un
sol dont la grisaille dorée par le soleil se parsème de cailloux au noir
d’ébène et d’autres aux couleurs de sable.
Soudain le silence et l’immobilité de l’air sont rompus par l’écho d’une explosion forte, lointaine, assourdie. Nous nous interrogeons. La réponse arrive peu de temps après. L’ambassade de France dont nous sommes les invités s’inquiète et nous informe. Un missile vient d’être tiré par les rebelles Houthi du Yemen sur le palais royal Yamana à Riyad. Après avoir parcouru des centaines de kilomètres, il a été intercepté et détruit en vol par les batteries antimissiles, en bordure de la capitale. Ces batteries, nous les avions remarqués aux abords de l’aéroport en quittant Riyad sur la route qui nous conduisait vers le désert. Route qui ensuite devient une piste où seules des 4 x 4 permettent de franchir les oueds et s’arracher du sol pour vaincre les escarpements. Les batteries sont des « Patriot ». Lors de notre passage, elles étaient survolées à basse altitude par des « Black Hawks », des hélicoptères d’assaut. Lorsque l’ambassade nous renseigne et demande que nous retournions aussitôt à Riyad, l’Edge of the world, fait figure aujourd’hui de précipice.
Le monde des périls
« L’Arabie heureuse » des orientalistes est devenue l’épicentre des périls. Elle est prise en étau entre l’Iran chiite et Daesch, sunite, qui fait de la monarchie wahabite un objectif prioritaire. Configuration qui se broche sur une révolution sociétale conduite au pas de charge et au nerf de bœuf par M.B.S., le prince Mohamed ben Salman, investi par son père des pleins pouvoirs. C’est le prince qui a voulu la guerre au Yemen. Elle est ravageuse, ruineuse et meurtrière. Le budget s’épuise. Pour remplir les caisses, M.B.S. s’en prend à la corruption. Elle est endémique, Usant de la raison ou du prétexte, M.B.S. a fait arrêter de nombreux membres de la famille royale. En regagnant le soir le quartier diplomatique où nous résidions, nous passons devant le Ritz Carlton. L’hôtel le plus luxueux de Riyad est une immense bâtisse. Dans la nuit toutes les lumières sont allumées. Entouré de hauts murs, l’édifice ressemble davantage à une caserne qu’à un hôtel. Aujourd’hui il est devenu une prison. De luxe, certes, mais prison quand même. Lors de notre séjour quelques autres princes y avaient rejoint des détenus. Sans qu’on le proclame, des religieux sont également incarcérés. Où ? On l’ignore. Ceux-là le sont pour s’opposer aux exigences de M.B.S. désireux de libéraliser le wahabisme. En autorisant l’ouverture de cinémas (qu’on est en train de construire) et l’autorisation pour les femmes de conduire. Une révolution dans le royaume. Les Muttawah, la police religieuse, se voit tenue en laisse. Elle qui, il n’y a pas si longtemps, avait battu l’ambassadeur du Portugal pour avoir participé à une soirée fine. Ces réformes trouvent un accueil favorable auprès d’une partie large de la population. Dans plusieurs restaurants où nous nous sommes rendus, on peut voir de séoudiennes revêtues toujours, comme toutes les femmes séoudiennes ou non, de leur abaya mais dévoilées. Impensable il y a quelques années. Par contre M.B.S. adresse de mauvais signaux pour accompagner sa politique de réformes. Il exige des sacrifices financiers et lui-même s’achète un yacht somptueux, le château de Louveciennes en France et un tableau (le plus cher du monde) de Léonard de Vinci. Quant au développement économique du pays, il passe par des voies peu orthodoxes. M.B.S. entreprend la création d’une vaste zone commerciale avec l’Égypte, la Jordanie et un troisième larron dont le nom ne se prononce pas mais qui s’appelle Israël. Des contacts secrets ont été entrepris. L’Iran est devenu la source de tous les périls et l’ennemi prioritaire.
Macron et M.B.S.
La rencontre entre M.B.S. et Emmanuel Macron a été tendue. Lorsque le président français a fait savoir qu’il se rendrait aussi à Téhéran, son interlocuteur lui a rétorqué qu’une entreprise française qui ferait affaire avec l’Iran trouverait porte close en Arabie. Macron ne s’est pas laissé démonté.« jamais on ne m’a parlé sur ce ton, avec une telle brutalité » M.B.S. a parlé ensuite de gastronomie pour détendre l’atmosphère. Mais que sera la suite, on l’ignore. L’Arabie doit renouveler sa flotte de la mer Rouge. Une partie est d’origine française. Elle pourrait bien désormais n’être qu’américaine. Obama était détesté pour ses « avancées » iraniennes. Trump a été accueilli avec enthousiasme. Dès son arrivée, un contrat militaire de 140 milliards de dollars a été conclu. Les relations personnelles avec Trump et les siens sont au zénith. Et l’aide de la C.I.A. permet de déjouer tous ces temps-ci
des attentats fomentés par Daesch. Autant de composantes qui rassemblées constituent les marqueurs d’un embrasement généralisé au Proche-Orient. Les missiles Houthi, en fait iraniens, en direction du palais royal, les pressions séoudiennes sur le Liban avec l’enfermement du Premier ministre « libéré » par la France, l’ambassade U.S. transférée à Jérusalem sont l’image d’une spirale et d’un engrenage. Peut-on l’arrêter ou cela équivaut-il à l’impossible c’est-à-dire à arrêter le temps ?
De Gaulle - Fayçal
L’Académie à Riyad
L’Académie du Gaullisme était à l’honneur à la mi-décembre à Riyad. C’est en ma qualité de président que l’ambassade de France m’avait convié et associé à la commémoration de la rencontre à Paris entre le Général de Gaulle et le roi Fayçal le 2 juin 1967. Rencontre un peu oubliée mais d’importance. Elle eut lieu trois jours avant la guerre préventive déclenchée par Israël. Le Général n’avait pas été entendu lorsqu’il avait réaffirmé que la France tenait Israël pour un fait accompli et garantirait son existence mais qu’il décernerait le carton rouge à celui qui entrerait en guerre. Ce fut l’État hébreu « peuple d’élite, peuple sûr de lui et dominateur » dont le Général prévoyait que devenu conquérant on lui imputerait la « tension déplorable » qui résulterait d’une guerre en Orient.
« C’est pourquoi d’ailleurs la Ve République s’était dégagée vis-à-vis d’Israël des liens spéciaux et très étroits que le régime précédent avait noués avec cet État… » Le monde arabe en avait su gré au Général. L’ambassadeur de France à Riyad, François Gouyette, un des grands arabisants du Quai entouré d’une équipe précieuse et compétente a mis les petits plats dans les grands pour évoquer la rencontre de Paris et raviver ainsi les relations franco-séoudiennes. Sous l’égide du professeur Philippe Pétriat de la Sorbonne, un historien et diplomate séoudien, Faisal Almedjfel, proche de la famille royale ainsi que moi-même étions conviés à jouer notre partition. Le privilège de l’âge, si tant est que cela en soit un, me permettait d’apporter des « éclats d’Histoire ». Peu de temps après la rencontre de Paris, invité en Arabie, j’y fus reçu en audience par le roi Fayçal. C’était au lendemain de mai 68 et le roi me confia son inquiétude de voir le Général pris dans ce tourbillon. Au fil des souvenirs je fis part de l’admiration pour le Général confiée par Ben Gourion malgré leur dissentiment politique. Et pour conclure comment Yasser Arafat, rencontré au soir de sa vie, isolé, prisonnier à la Mouquatta, devant moi, avait déboutonné son col de chemise pour retirer une petite croix de Lorraine qui ne le quittait pas et portait comme un talisman. Nous prîmes la parole devant le prince Turki bin Fayçal, le huitième fils du roi Fayçal, directeur de la fondation qui porte son nom. Dans le même temps une exposition rassemblant les rares témoignages de la rencontre de Paris fut inaugurée. Ce fut pour le service culturel de l’ambassade un petit exploit de les retrouver dans les archives. En tout point une réussite.