208 riou - Académie du Gaullisme

La Lettre du 18 JUIN Vingt- sixième année – n° 208 – juin 2018
                                   Dîners-débats de l’Académie du Gaullisme
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208 riou

par Jean-Pierre RIOU
Chronique d’un suicide collectif

Quand le sage montre la lune, l’idiot regarde le doigt

L’équilibre mondial est sous tendu par une guerre sans merci, celle de l’accès à l’énergie.
C’est d’elle que dépend la mainmise sur tout le reste.
En ruinant son système électrique, l’occident ne semble pas avoir pris la mesure des conséquences.

Le billard à 3 bandes
Le billard à 3 bandes est un sport de précision qui consiste à viser une direction totalement étrangère à l’objectif recherché et demande d’intégrer le savant calcul de la trajectoire qui permettra d’atteindre la cible après 3 changements de direction du projectile, en l’occurrence, une boule de billard.
Il s’agit du sport de référence des maîtres ès géostratégie qui peuvent ainsi se permettre de faire appel à l’opinion pour cautionner la direction du tir.
Voire à l’idiot utile pour servir ses desseins.

La guerre du gaz
Dans l’actualité récente, un tyran devait quitter la Syrie.
Les plus perspicaces auront compris que l’acheminement de la production du plus gros gisement de gaz au monde, le gisement iranien de South Pars, n’y était pas totalement étranger.

L’entreprise TOTAL, qui avait pu en négocier, en 1999 et 2000, la majorité de l’exploitation, a été attaquée pour corruption par la justice. Elle a pu clore la procédure américaine  en versant la somme de 398 millions de dollars.

Les récentes sanctions américaines contre l’Iran, au prétexte d’un manquement aux accords nucléaires, auront fini par avoir raison des prétentions de TOTAL sur ce fabuleux gisement, en raison de la menace U.S de le priver de tout financement en cas de violation de ces sanctions, sanctions providentielles en regard des intérêts gaziers américains.

La guerre du gaz est en effet sans merci, 35 ans après l’accident d’avion qui a coûté la vie au président de la Compagnie italienne d’hydrocarbures (ENI) Enrico Matteï, les soupçons d’attentat sont devenus des certitudes.
Les conditions suspectes de l’accident d’avion de Christophe de Margerie, PDG de TOTAL, ont d’ailleurs fait couler beaucoup d’encre.

L’axe germano russe
En butte aux pressions américaines, le projet de gazoduc Nord Stream 2, qui évite l’Ukraine, assurerait à l’Allemagne un partenariat privilégié avec la Russie.
Ce projet est porté par l’ancien chancelier allemand G. Schroeder, devenu aujourd’hui président du conseil d’administration de la compagnie pétrolière russe Rosneft.

On se souvient que celui-ci avait surpris tout le monde en se reconvertissant dans le gaz russe, avec son vice chancelier J. Fischer, dès le lendemain de sa défaite politique, après que ses réformes aient d’ailleurs embelli  l’avenir gaz, à travers le plan de sortie du nucléaire allemand et la promotion d’énergies intermittentes dont le faible taux de charge assure la dépendance aux centrales d’appoint.
G. Schroeder fut l’une des 3 seules personnes qui ont été honorées d’une poignée de main, lors de la dernière investiture de V. Poutine, indiquant en même temps l’importance de son rôle.

Nord stream 2, la cristallisation de toutes les tensions
Ce projet de gazoduc entraîne l’unanimité contre lui, aussi bien de la part de la Commission européenne, qui déplore la dépendance ainsi renforcée de l’Europe à la politique de V. Poutine, que des États-Unis, qui souhaiteraient à la fois nous vendre leur gaz de schiste et éviter un rapprochement avec Moscou. Il est également combattu par des pays tels que l’Ukraine ou la Pologne que ce projet évincerait et qui appellent les États-Unis à appliquer des sanctions contre lui.

L’institut polonais PISM vient tout juste de reprocher à la Commission européenne de céder aux prétentions allemandes et au renforcement de l’axe Moscou Berlin qui menace l’indépendance énergétique. Ce reproche a même entraîné un incident diplomatique après que le directeur de PISM, Sławomir Dębski, se soit vu signifier un refus d’entrer en Russie.

Car l’enjeu est d’importance pour la Russie, mais aussi pour l ’Allemagne qui se prépare, en effet, à tenir les vannes du gaz européen  à horizon 2035.

(Source rapport EWI « Options for Gas Supply Diversification for the EU and Germany in the next Two Decades”)

Selon ce rapport EWI, la construction de Nord Stream 2 permettrait à l’Allemagne de devenir exportateur net de gaz vers la République tchèque, l’Autriche, la Suisse, la France, la Belgique et les Pays-Bas.

Un parc nucléaire qui fait de l’ombre
Mais la France dispose encore d’un double avantage sur ses voisins grâce à son parc nucléaire :
-          Une moindre dépendance énergétique, avec 46% contre 61,9% en Allemagne selon la Commission européenne , car les coûts des importations d’uranium sont suffisamment marginaux (1,14€/MWh) pour ne pas devoir entrer dans son calcul,
-          une absence d’émission de CO2 qui place notre économie à l’abri de l’évolution de la taxe carbone.

L’enjeu de cette taxe carbone
Un relèvement significatif de celle-ci est inacceptable pour l’Allemagne, du moins tant que la production électrique française reste à 75 % nucléaire, en raison de l’avantage considérable que celle-ci lui confèrerait.
Le rapport franco allemand Agora Iddri « L‘Energiewende et la transition énergétique à l’horizon 2030 » mentionne, en effet, p 91 :
« L’évolution du parc de production nucléaire en France influera sur la rentabilité du parc à charbon en Allemagne. Le nucléaire a un coût marginal plus faible que le charbon, si bien que sa production peut se substituer à celle des centrales à charbon lorsque qu’il reste des capacités d’interconnexion disponibles. À l’inverse, si des capacités nucléaires sont retirées du mix français, la compétitivité des centrales à charbon maintenues dans le système en Allemagne est améliorée ».
Ce rapport confirme plus loin :
« Dans le cas d’une baisse de capacités nu­cléaires à 40 GW, le surplus producteur des capacités charbon et lignite résiduelles est augmenté de respec­tivement 18 et 23 €/kW par an par rapport au scéna­rio haut nucléaire. »

Quand on veut tuer son chien …
La réduction de notre production nucléaire sera immanquablement compensée par une augmentation de celle du gaz.
Les mirages d’un providentiel stockage de l’énergie non pilotable des éoliennes notamment sous forme de gaz (P2G) nous masquent d’autant plus efficacement les enjeux du rapport de force avec l’Allemagne que l’Office franco allemand pour la transition énergétique (OFATE) tient ses bureaux dans les locaux même de notre ministère de l’écologie solidaire.
Et que des organismes allemands, tels que la fondation H. Böll financent des sondages permettant de montrer aux français qu’ils sont opposés au nucléaire.
La maxime reste donc pertinente quand il s’agit de tuer le chien des autres.

La dépendance de demain
C’est de la maîtrise de l’énergie que dépendra l’échiquier politique de demain.
L’axe germano-russe y a déjà placé ses pièces maitresses.  
Russie Iran Qatar détiennent la majorité des ressources en gaz de la planète, et représentent une véritable « Troïka du gaz » dont les sanctions américaines ne parviennent pas à entamer les liens.
Les dernières sanctions américaines en date, contre l’Iran, au prétexte de manquement sur l’accord nucléaire, auront du moins permis d’évincer TOTAL, là où la justice avait échoué.

La récente mondialisation du marché du gaz, permise par les progrès de son transport maritime sous sa forme liquéfiée (GNL), bouleverse la donne de l’énergie, et permet notamment aux États-Unis, désormais exportateurs nets, non seulement de déboucher sur des marchés lointains, mais d’asseoir leur influence, notamment vers l’Europe.
Cette facilité de transport vers les besoins colossaux des pays émergents laisse également augurer de grandes tensions sur le marché du gaz, exacerbées par les prévisions d’épuisement de ses réserves.

Les idiots utiles
On se doute que l’enjeu géostratégique est tel dans le domaine de l’énergie que tous les moyens sont bons pour parvenir à ses fins. L’infiltration des oppositions locales fait naturellement partie de l’arsenal.
Et les candidats sont nombreux pour la mission d’idiot utile.
On se rappelle les confessions du député écologiste suisse qui avait tiré au lance roquettes sur la centrale de Superphénix grâce à une arme aimablement fournie par les services secrets du bloc de l’Est : « En fait, eux, nous et les services secrets du bloc de l’Est qui les finançaient et les entraînaient, nous avions un objectif commun: affaiblir le complexe militaro-industriel auquel Malville appartenait. Ils nous ont donc finalement fait ce cadeau ».
Lequel « cadeau » a contribué à tuer dans l’œuf les velléités d’indépendance énergétique de la France que la surgénération aurait permise, tandis que c’est désormais la Russie qui domine cette technologie, ayant récemment obtenu le prix de la meilleure centrale au monde pour son BN 800 qui reprend celle de Superphénix.


L’indépendance énergétique, cible de tous les coups
Les dessous de la perte de contrôle des turbines nucléaires par la France lors de la vente d’Alstom à l’américain General Electric évoquent également la face cachée de cette lutte d’influence.
Et si les mouvements d’opposition peuvent être manipulés par des causes qui leur sont étrangères, cela n’exclut pas qu’ils puissent en tirer profit.

Malgré l’évocation d’un monde enfin solidaire autour de causes communes que sont le bien être de tous et de l’écologie, ce combat pour la maîtrise du secteur de l’énergie est violent, c’est celui pour le pouvoir.

Mais dans ce jeu de dupes, le gagnant reste celui qui a un coup d’avance sur l’échiquier, celui qui a anticipé la trajectoire de la boule de billard jusqu’à la fin de sa course.

La dernière bande
On pouvait deviner qu’une réduction de l’énergie nucléaire et  l’essor des énergies intermittentes feraient la place belle au gaz.
Il était également facile de prévoir que l’injection croissante d’électricité intermittente subventionnée ruinerait les producteurs d’électricité non subventionnés. C’était annoncé, c’est désormais une dramatique réalité européenne, EDF s’en tirant d’ailleurs plutôt mieux que certains tentent de le faire croire en abusant du syllogisme :
EDF est nucléaire, EDF est malade, DONC le nucléaire rend malade.
La situation, plus grave encore, des autres énergéticiens européens confirme une tout autre réalité



Le coup de grâce venu d’ailleurs
Ce que tout le monde n’avait peut-être pas perçu, c’était le risque inhérent à la ruine d’un secteur stratégique mais désormais libéralisé.
L’offre publique d’achat (OPA) de Energias de Portugal par la Chine doit ouvrir les yeux sur la direction que prend désormais la boule après avoir touché la 3ème bande. Car ce n'est rien moins que la prise de contrôle de la politique européenne, par le biais de son secteur de l’énergie, qui se trouve désormais dans l’axe de sa course, et son énergie en est suffisante pour pulvériser les défenses.

L’arroseur arrosé
La Chine a bénéficié du transfert de technologie et du financement des pays dits « développés » (annexe B du protocole de Kyoto) en captant la majorité des projets de « développement propre » (Clean Development mechanism  ou CDM), avec notamment plus de 300 projets éoliens financés pour la seule Mongolie intérieure.
Les  unités de réduction d’émission (URE) générées par ces projets permettant en fait aux occidentaux de continuer à polluer chez eux à moindre coût, comme le constate avec cynisme le China Institute, dans son rapport sur le sujet, p 7.

Mais ces projets ont permis à la Chine de devenir le 1er constructeur mondial d’éoliennes et de panneaux photovoltaïques dont elle inonde désormais le monde entier. Avec les mêmes conséquences délétères sur tous les systèmes électriques sous perfusion d’intermittence subventionnée.
L’OPA chinoise sur Energias de Portugal fait craindre qu’il ne reste plus désormais à la Chine qu’à en ramasser les morceaux. Et d’en faire le bras armé de ses nouvelles routes de la soie si elle prenait le contrôle du secteur de l’énergie occidental.

Rendez vous en terre inconnue
Les énergies renouvelables, qui étaient un moyen pour parvenir au triple objectif de réduire l’impact environnemental, renforcer la sécurité d’approvisionnement tout en maîtrisant les coûts, se sont révélées parfaitement inefficaces dans chacun des objectifs qui leur étaient assignés.

Mais plutôt que de scruter dans la direction de ses objectifs, afin d’en anticiper les effets, la politique énergétique européenne, confondant objectifs et moyens, se focalise désormais sur le seul niveau de développement des énergies renouvelables, se contentant ainsi de contempler le doigt qui devait montrer le chemin.
Mais comme il est désormais difficile d’évoquer l’un ou l’autre des objectifs originels, dans lesquels elles ont échoué, on se fie aux nécessaires ruptures technologiques qui permettraient de trouver un intérêt aux énergies électriques intermittentes que sont éolien et photovoltaïque.

En raison de l’ampleur des difficultés à restructurer l’ensemble de notre parc électrique, N. Hulot nous appelle désormais à rêver et nous donne rendez vous en terre inconnue à travers la déclaration que grâce à cette politique « Nous sommes à l’aube d’une révolution dont on ne connaît pas encore le point d’atterrissage ».

Nul doute que d’autres le connaissent déjà pour nous
© 10.06.2018
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