PRIX CHARLEMAGNE 2018, LE RÉVEIL DU COUPLE FRANCO-ALLEMAND ?
Explication de texte
A près deux à trois jours de salves de cocoricos, la remise du prix Charlemagne à Emmanuel Macron à Aix-laChapelle le 10 mai 2018 est sortie de nos radars audiovisuels. Pourtant, au-delà d’un entre-soi stéréotypé, elle a peut-être marqué un tournant annonçant le réveil du couple franco-allemand et le retour imminent de l’Allemagne dans l’animation de la politique européenne. Ceci à un moment où, plus désunie que jamais, bousculée par les oppositions à l’intérieur, en butte à des vicissitudes transatlantiques, l’Union européenne (UE) est déboussolée.
Au premier anniversaire de la gouvernance Macron, et à un an des prochaines élections européennes, ce rendez-vous a donné lieu à un face à face et une confrontation des idées entre les deux membres représentant le couple franco-allemand, sensé donner un nouvel élan à l’UE après dix-sept mois de péripéties politiques et de somnolence.
En effet, le couple a perdu François Hollande le 1er décembre 2016 lors de son retrait de la course aux présidentielles de 2017. Il a, alors, fallu attendre ces élections et la mise en place du nouveau gouvernement en France, puis, les élections allemandes de septembre 2017… qui ont donné au CDU (Chrétiens démocrates) une victoire « étriquée », avec 33 % des suffrages, et en ont accordé 12 % à l’AfD (parti populiste antiimmigration). Après une tentative avortée et d’âpres négociations avec le SPD (Sociaux démocrates), une « grande coalition » a été constituée au début mars 2018. Angela Merkel a été élue chancelière le 14 mars et a pu former un nouveau gouvernement.
L’engourdissement de l’UE est aussi dû aux montées des mécontentements, des nationalismes, des séparatismes, des mouvements dits populistes, d’extrême-droite, antisystème et/ou anti-immigration en Europe, ainsi que des « laissés pour compte » de la mondialisation. L’euroscepticisme a gagné du terrain, l’européisme béat est ébranlé dans ses certitudes. Les doutes se sont propagés, même chez des Nordiques. Plus d’intégration, de convergence, ou plus de respect des souverainetés nationales, poursuite ou non des élargissements, Europe à plusieurs vitesses, rigueur ou dépense publique, insécurité et terrorisme, crises et guerres au Moyen-Orient, défense, alliances … ? Avec beaucoup de points de vue différents et de divisions sur ces questions, l’UE est déboussolée.
L’Europe a été au cœur du « programme » présidentiel de Macron. Pas moins de trente-quatre mesures avaient été répertoriées sur touteleurope.eu, en avril 2017 (1), tandis que lemonde.fr avait relevé quatre-vingts « initiatives » pour « refonder l’Europe ». Lors de son « monologue » d’une heure et demie à la Sorbonne en septembre 2017, il avait « levé le voile sur ses intentions » (2) et présenté « le catalogue des mesures qu’il préconise, véritable programme électoral européen… » (3). Dans son « grand oral » européen à Strasbourg le 17 avril 2018 (après les frappes des trois « Alliés » en Syrie, et tandis que son projet de loi « asile et immigration » faisait polémique), Macron avait actualisé et renouvelé en partie sa panoplie, toujours pléthorique, de préconisations et de mesures (4).
Dans le discours de Macron à Aix, véritable plaidoyer pro domo, ponctué par des répétitions appuyées de mots clés, et hérissé de petites piques contre l’Allemagne, on lit surtout : - des invitations, à ne pas avoir peur, à bousculer les traités, à réformer en profondeur, à renoncer aux hégémonies et laisser à la France une place dans le leadership de l’Europe, à plus de solidarité, à ne plus céder au fétichisme des excédents budgétaires et commerciaux ; - des appels, à l’unité, face aux divisions, à la souveraineté européenne, à la défense de l’État de droit (la législation de l’UE), à la convergence économique, fiscale et sociale, à un « multilatéralisme international fort ». Il a renouvelé ses demandes en faveur d’un budget européen beaucoup plus ambitieux, d’une zone euro plus intégrée dotée d’un budget propre. À une Europe dont les décisions dépendent de l’accord unanime » de ses vingt-sept membres, il a redit préférer une Europe à plusieurs vitesses, un cercle plus intégré, à quelques-uns… qui ouvriraient la voie aux autres.
Précédant le discours de remerciement de Macron, la laudatio de Merkel a été conciliante, élogieuse pour le récipiendaire, dont elle a mis en avant les discours engagés sur l’Europe… qui ont largement motivé l’attribution au président français du prix Charlemagne.
La chancelière a mis l’accent sur la crise de la relation transatlantique, la guerre et les menaces au Moyen-Orient, sur la nécessité pour l’Europe de prendre son destin en main, « il s’agit d’une question de guerre et de paix », et de trouver une solution politique en Syrie.
Elle a prôné la recherche du meilleur équilibre entre souveraineté nationale et intégration. Avec une certaine réserve à l’égard de plus d’intégration. Elle a plaidé pour la liberté de circulation et contre les murs, « qui ne vont pas aider à résoudre le problème ». Elle a rappelé les priorités allemandes que constituent la politique d’asile et d’immigration et le rattrapage des retards technologiques, dans l’intelligence artificielle, en particulier.
Concernant l’UE et l’avenir de la zone euro (qu’elle voudrait plus compétitive), elle n’a pas fait de concessions. Reconnaissant que les négociations avec la France étaient difficiles, elle a promis des progrès sur l’union bancaire et les marchés de capitaux et a renvoyé aux propositions que le gouvernement allemand présentera d’ici juin.
On peut regretter que les orateurs ne soient pas exprimés sur la criminalité « ordinaire » et le terrorisme islamique, qui minent l’Europe. « N’ayons pas peur », ils feront partie des « incontournables » d’ici mai 2019.
À la fin de son allocution, Macron a déclaré qu’il fallait un choix ambitieux pour l’Europe et une vision à trente ans. Sans se hasarder à dire un seul mot sur sa vision de l’Europe future dans « l’environnement mondial ». Avant même trente ans, des bouleversements « géostratégiques » considérables interviendront, qui feront de l’Asie le centre de gravité dominant, probablement sans partage, de la planète. N’est-il pas temps d’ouvrir les yeux et, s’agissant de « souveraineté européenne », de prendre conscience des menaces principales auxquelles elle sera exposée ? Cela conduirait peut-être à regarder les ÉtatsUnis et la Russie autrement... et ne pas donner aux « grands marchés » et aux accords commerciaux la primauté, sinon l’exclusivité, dans l’orientation des choix stratégiques de l’UE.
Parler de convergence ou d’harmonisation économique, fiscale, sociale ne présente pas d’intérêt si l’on ne peut indiquer vers quelle(s) destination(s) on se dirigerait. Ce qui est loin d’être évident. Nous le verrons ci-après, en abordant aussi les questions relatives à la crédibilité de la France. Et nous pourrons constater que l’Allemagne ne semble pas plus isolée que la France parmi les pays Européens.
Les discours de Macron plaisent à certains européistes. Mais, jusque-là, malgré ses multiples démarches (il a rencontré en tête à tête presque tous les chefs d’État et de gouvernement de l’Union) ils n’ont pas vu de concrétisations notables. Et tant que la France restera parmi les « mauvais élèves » européens en matière de déficit public, d’endettement, de compétitivité, de croissance, de chômage… et que ses « réformes » n’auront pas fourni de résultats visibles par nos « partenaires », notre président manquera de crédibilité et aura beaucoup de mal à être jugé capable de sortir l’Europe, dominée par l’Allemagne et dirigée par la bureaucratie technocrate bruxelloise, de l’ornière du doute et de l’indécision… conservatrices. Quant au « cercle plus intégré à quelques-uns », quels pays vertueux d’Europe désireraient que la France en fasse partie ? Parlons plutôt de coopération entre états souverains.
La crise « transatlantique », ainsi que celle, institutionnelle et politique, en Italie mobilisent, à juste titre, les regards aujourd’hui. Mais, peu d’attention et de considération sont accordées à l’Europe de l’est par nos dirigeants et nos médias « mainstream », dont un des sports favoris est de casser du sucre sur le dos des « renégats », la Pologne et la Hongrie. Pourtant, ça bouge à l’est. Sous l’égide du groupe de Viségrad (Hongrie, Pologne, République tchèque, Slovaquie), dont les idées trouvent écho en Roumanie, dans les Balkans et en Autriche, une nouvelle union régionale émerge et s’enracine. Elle rejette « la vision libérale-libertaire, immigrationiste, laïque et mondialiste » de l’UE, qu’elle veut réformer [elle aussi !]. Elle affiche ses mots-clefs : « Dieu, la patrie, la famille, la sécurité, le travail, l’honneur, le bon sens, la souveraineté, la liberté ». Sur cette désunion européenne de plus, l’UE ne pourra pas rester les bras croisés, car elle touche déjà plus de quatre-vingt-dix millions de personnes, et la « contagion » se poursuit.
D’ici les élections européennes, le couple franco-allemand va donc devoir cogiter ferme. Il aura fort à faire pour « recoller les morceaux » et trouver une « ligne directrice » pouvant rassembler une majorité de citoyens européens derrière son étendard… pour continuer à fredonner l’Ode à la joie et non une marche funèbre en mai 2019. A condition, d’abord, que les chefs français et allemands arrivent à se mettre d’accord. Sur quoi ?
Quel discours à vraiment tenu macron à Aix-la-Chapelle ?
Non, Macron n’a pas été sacré Charlemagne le 10 mai 2018. Pas encore. Il a été la soixante-huitième des « personnalités remarquables » qui a reçu le prix international Charlemagne d’Aix-la-Chapelle, fondé en 1949 (5). La mairie d’Aix-la-Chapelle avait annoncé sa décision le 8 décembre 2017, précisant qu’Emmanuel Macron avait été choisi en raison « de sa vision d’une nouvelle Europe et de la refondation du projet européen, d’une nouvelle souveraineté européenne et d’une restructuration de la coopération des peuples et des nations. Emmanuel Macron est un précurseur courageux du renouvellement du rêve européen ».
Des médias français cocardiers dithyrambiques !
Aussitôt, nos médias ont informé notre bon peuple que son président était le plus jeune lauréat de ce prix prestigieux qui avait déjà récompensé « les pères fondateurs » Jean Monnet, Robert Schuman, Winston Churchill, les « résistants anticommunistes » d’Europe centrale Vaclav Havel et Donald Tusk, ainsi que les « artisans infatigables » Jacques Delors et Jean Claude Junker (6).
Cinq mois plus tard, lors du « sacre » du lauréat Macron, des médias se sont empressés de le hisser jusqu’aux niveaux de Monnet, Churchill, Simone Veil, Mitterrand et du pape François. J’ai même lu ce « témoignage » poignant : « Ceux qui l’écoutaient semblaient amplis de béatitude, buvaient du petit lait » [!!!] … et encore : « Les médias allemands sont fascinés par ce président » (7). Nous verrons que cette « béatification » est toute relative.
Le 10 mai, actu.orange.fr a titré « Macron met la pression sur Merkel pour réformer l’Europe » (8) et insisté sur les critiques adressées à l’Allemagne, ainsi que sur des piques destinées à faire bouger la chancelière.
« Emmanuel Macron : médaillé, il tacle Angela Merkel ! », a affiché Public le 11 mai (9). « Accompagné de sa femme, Brigitte, Emmanuel Macron a réussi à faire la leçon à la chancelière dans son discours de remerciement ! ». Le rédacteur de l’article a retenu que Macron a appelé l’Allemagne à se réveiller pour que l’Europe soit plus forte, plus unie, d’une part, et que l’Allemagne doit payer, et se montrer plus solidaire, d’autre part.
La veille, lemonde.fr (10) avait mis en exergue « Les quatre ‘’commandements’’ d’Emmanuel Macron pour l’Europe » : « N’attendons pas », « n’ayons pas peur », « ne soyons pas faibles », « ne soyons pas divisés ». Macron a aussi invité l’Allemagne à « prendre des risques » et à en finir avec ses « fétiches »… pour relancer l’UE et aussi pour la renforcer face à la montée des périls au Moyen-Orient, face aux États-Unis de Trump.
Sus à Trump, donc, qui vient de se retirer de l’accord sur le nucléaire iranien, qui s’est déclaré plus restrictif sur son engagement dans l’OTAN pour la défense de l’Europe, et qui menace de taxer l’acier et l’aluminium européens. Ce même Trump, auquel Macron n’a pas caché son indéfectible amitié (allégeance, pour certains observateurs) lors de sa très médiatisée visite d’État aux États-Unis du 23 au 25 avril. Le couple présidentiel avait été « chaleureusement accueilli » par Donald, dans une ambiance « résolument décontractée », selon lexpress.fr. Ce Trump avec lequel Mrs May et Macron ont lancé les frappes contre la Syrie le 14 avril. Afin de pacifier un peu plus le Moyen-Orient ?
Un plaidoyer pro-domo de Macron juste un peu provocateur
Les (brefs) articles cocardiers de ces médias pointent quelques points notables du discours de Macron, mais ne le résument que très partiellement et reflètent mal l’ambiance solennelle, « diplomatique » de la cérémonie de remise du prix, qui n’autorisait que d’éventuelles touches « à fleurets mouchetés » dans les allocutions des deux membres du couple francoallemand. En fait, si notre président n’a pu s’empêcher d’adresser quelques critiques au pays hôte, il a surtout plaidé pour sa cause et cherché à obtenir la compréhension et le soutien de l’Allemagne, sans lequel des propositions auxquelles il ne semble pas avoir renoncées risquent fort de rester lettres (ou paroles) mortes.
Macron a commencé son discours (11) par un retour sur les soixante-dix ans de paix dont ont bénéficié de nombreux pays grâce à l’UE [un « must » européiste], avant de révéler son « rêve carolingien », « celui d’une unité voulue, d’une concorde conquise sur les différences et d’une vaste communauté marchant dans la même direction ».
Puis, dans un exposé structuré autour de ses « quatre commandements », il a développé ces « impératifs », en faisant pas mal de « pédagogie », devant un auditoire pourtant averti. Peut-être pour mieux se faire entendre ou comprendre [?], il a recouru à de multiples répétitions de « mots clés », et prononcé des condamnations sévères à l’encontre d’alternatives et de positions ne correspondant pas à ses choix.
. Le premier impératif, « ne soyons pas faibles et ne subissons pas » a été un appel insistant à l’unité et à « la souveraineté européenne, celle qui doit nous conduire, celle qui doit nous conduire à faire de l’Europe une puissance géopolitique, commerciale, climatique, économique, alimentaire, diplomatique propre ». Pour décider des règles auxquelles obéissent nos sociétés, notre économie et nos vies privées, l’usage de nos données personnelles, pour décider de nos choix climatiques, commerciaux, numériques, de ceux concernant « l’environnement de paix et des grands équilibres géopolitiques dans lequel nous voulons vivre », etc.
Macron a employé neuf fois les mots souveraineté, souverain ou souveraine. Etait-ce suffisant pour convaincre un auditoire de convaincus ? Il n’a pas prononcé les mots intégration et fédéralisme, ni précisé ici sa vision de la cohabitation entre « sa » souveraineté européenne et les souverainetés nationales.
Il a fait quelques propositions « concrètes » : « aller vers un prix plancher du carbone, mettre là aussi une taxe à nos frontières… », et a parlé de « politique commune de sécurité à nos frontières, d’harmonisation de nos droits… ».
Il a affirmé sa foi dans « un multilatéralisme international » fort, dont les Européens seraient les dépositaires.
« Et si nous acceptons que d’autres grandes puissances y compris alliées, y compris amies… se mettent à décider pour nous, notre diplomatie, notre sécurité parfois en faisant courir les pires risques, alors nous ne sommes plus souverains et nous ne pouvons plus crédiblement regarder nos opinions publiques, nos peuples en leur disant : nous allons décider pour vous, venez voter et venez choisir ». Cette phrase, qui clôt le chapitre sur la souveraineté européenne illustre la rhétorique et la pensée macroniennes. Le début, si d’autres puissances décident pour nous, nous ne sommes pas souverains, est « indiscutable ». La fin, avec « nous allons décider pour vous, venez voter… », montre une compréhension de la démocratie participative que nous commençons à bien connaître en France.
. Le deuxième impératif, « ne nous divisons pas », est une condamnation de la tentation, « dans cette période trouble du repli sur soi, du nationalisme », avec des références au Brexit, aux dernières élections en Italie, à celles de Hongrie et de Pologne. Il oppose un [sempiternel] « repli sur soi » frileux, un nationalisme, à la souveraineté européenne. Il voit des divisions, présentes et passées, partout. Il répète ici 5 fois le mot « division » et 3 fois « nationalisme ». Il ne parle pas du « populisme », en vogue, pas forcément « nationaliste ». « Emphatique », il va jusqu’à dire « Les barbelés réapparaissent partout à travers l’Europe, y compris dans les esprits… ».
Réformer l’Europe est un objectif majeur pour lui. Non pas dans le seul intérêt de la France, mais, comme l’Allemagne, dans celui de l’Europe elle-même. Et Macron s’est évertué à persuader ses hôtes de sa légitimité et de la crédibilité retrouvée de la France… grâce à ses réformes. « Mais réveillez-vous ! La France a changé, elle n’est plus la même et c’est le choix du peuple français qui a eu, il y a un an maintenant presque jour pour jour, un choix clair à faire dont je suis le dépositaire et rien de plus. Mais la France a fait ses réformes tant et tant attendues ; elle continuera de les faire. Elle s’est redressée… ». Là, Macron, expert en autopromotion, anticipe un peu.
Pour lui, l’Europe « ne peut plus fonctionner sur des hégémonies successives. Elle ne peut se bâtir que sur une solidarité constante ». Sur ces sujets, le mot « hégémonie » revient 3 fois et « solidarité », 6 fois. En réalité, cela fait longtemps que la France n’est plus en mesure d’être « hégémonique » et de relayer l’Allemagne dans le leadership économique et institutionnel de l’UE. Mais, maintenant, « elle est prête à prendre sa part de responsabilités ».
Et Macron reprend ici sa plaidoirie pour un budget européen beaucoup plus ambitieux, la défense de l’État de droit, la défense d’une convergence économique, fiscale, sociale, ainsi que pour une zone euro plus forte, plus intégrée, avec un budget propre… « le seul moyen de permettre à tous les États qui souhaitent aller de l’avant, d’aller en cette direction ».
. Le troisième commandement, presque papal, se veut rassurant et encourageant, « n’ayons pas peur, n’ayons pas peur du monde dans lequel nous vivons, n’ayons pas peur de nos principes, n’ayons pas peur de ce que nous sommes et ne le trahissons pas ». Ce leitmotiv, « ne pas avoir peur », sera répété 9 fois de plus dans l’exposé de cet impératif. Macron y insiste sur la nécessité de se battre pour la culture européenne. Il revient sur l’exigence de ne rien céder sur « l’État de droit » européen et ses règles. Sur celle de « continuer à porter ce multilatéralisme fort », et de croire, comme lui, à « la capacité de l’Europe à porter les règles pour le monde entier… ».
Il invite à « ne pas avoir peur parfois de nos propres fétiches », « de bousculer nos traités et les changer ». Il se dit prêt à dire qu’il faut réformer en profondeur pour baisser la dépense publique et davantage respecter la norme. Mais [donnantdonnant ?], « de la même façon en Allemagne, il ne peut y avoir un fétichisme perpétuel pour les excédents budgétaires et commerciaux parce qu’ils sont toujours faits aux dépens de certains autres ». Il reprend ici un reproche à l’Allemagne qui fait florès dans des pays déficitaires d’Europe, ainsi qu’aux ÉtatsUnis.
. Son quatrième impératif est « n’attendons pas »… parce qu’avec le choix de l’Europe, c’est en même temps le choix de l’Occident qui sera fait. Après avoir rappelé son penchant occidental, Macron revient sur celui en faveur d’une UE à plusieurs vitesses. Pour avoir la possibilité de faire « des choix clairs, d’avancer vers une Europe, peut-être à quelques-uns pour un temps, peut-être par un cercle plus intégré parce qu’elle a toujours avancé ainsi et c’est une porte ouverte… ». Car il ne croit ni à « un club de quelques-uns », ni à une Europe à vingt-sept ou plus qui doit attendre que ses membres « soient tous d’accord absolument sur tout ». On aura compris qu’entre ces deux voies extrêmes, il n’y a pas de meilleur choix que le sien. Il ajoute que le choix de l’Europe ne pourrait continuer à être « le choix du seul dénominateur commun, le choix du moindre risque, le choix du plus petit pas à la dernière minute, non ! ». Il faut un choix ambitieux et une vision à trente ans pour nos citoyens qui ont besoin d’un cap, parce que les nationalistes sont clairs [?], les démagogues sont clairs [??], parce que les peurs sont claires [???].
Pour terminer, après avoir souligné que l’Europe [UE] est une utopie qui existe, Macron a prié ses amis de tenir ses quatre impératifs, d’avoir cette force d’âme de vouloir cette Europe et de dessiner ensemble les trente ans d’Europe qui sont devant nous.
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Commentaire « géostratégique » : L’union entre des pays [souverains] d’Europe, et pas seulement, est vitale face aux nouveaux géants « émergents », asiatiques, en particulier. Et avoir une vision à trente ans est très ambitieux dans un monde qui va connaître des bouleversements dans les rapports de puissance, politique et économique, notamment. Une étude de Pricewaterhouse-Coopers de février 2017 intitulée « Le monde en 2050. Vision à long terme : comment l’ordre économique mondial va-t-il changer d’ici 2050 ? » (12) fournit des prévisions que nos dirigeants devraient avoir présentes à l’esprit. À cette échéance, le Centre de gravité de l’économie mondiale se sera déplacé vers l’Est et le Pacifique, de plus en plus loin de l’Europe et de l’Atlantique. Seuls les États-Unis (PIB de 34.100 milliards de dollars) feront partie des 5 premières puissances économiques mondiales, derrière la Chine (PIB de 49.900 Mds $), et devant l’Inde (28.000 Mds $), suivie d’assez loin par l’Indonésie (7.300 Mds) et le Japon (6.800 Mds). Dans les quinze premières puissances, ne resteraient que 3 européennes : l’Allemagne (6.100 Mds), 7e, derrière le Brésil, puis le Royaume-Uni, 9e, derrière le Mexique, et la France (4.700 Mds), 11e, derrière la Russie. Cette dernière peut s’inquiéter de la montée en flèche des puissances de ses voisins géants beaucoup plus peuplés et des menaces « démographiques » chinoises qui pèsent sur son « far-east ». Son intérêt est de s’entendre avec « l’Europe », comme c’est l’intérêt de l’Europe d’associer la Russie à ses projets. Pour De Gaulle, « le visionnaire », l’Europe allait « de l’Atlantique à l’Oural ». Pour l’Europe, il serait bon d’avoir un allié au territoire immense, qui s’étend jusqu’à Vladivostok. Que leur président soit un Bush, un Obama ou un Trump, desserrer les liens avec les États-Unis et laisser s’éloigner nos « alliés » occidentaux serait une hérésie à courte vue.
De telles perspectives et questions géostratégiques sont totalement absentes du discours de Macron, comme de celui de Merkel. Tous deux ont aussi évité de parler du vieillissement de nos populations, des problèmes sociaux démographiques, avec leurs impacts politiques, associés à des décennies d’immigration soutenue, même massive pour certains qui dénoncent un « grand remplacement ».
Ils n’ont pas abordé la question de l’insécurité croissante, ni de la nécessaire « solidarité » et coordination efficace pour lutter contre l’ennemi déclaré Daech et ceux qui nous font la guerre à l’intérieur de l’Europe. En réalité, s’il y a des peurs, c’est surtout du « terrorisme islamique », plus précisément que de « l’Islam radical ».
Au moins pour ces raisons, pas mal d’Européens pourraient trouver « incomplets » ou « lacunaires » ces discours… si ceux-ci étaient effectivement portés à leur connaissance autrement que par de brèves sélections de « morceaux choisis » plus ou moins aguicheurs.
« Vu d’Allemagne. Prix Charlemagne : une récompense européenne prématurée pour Macron ? »
C’est le titre d’un bref article de courrierinternational.com du 11 mai (13) qui a le mérite, rare en France, de citer des réactions de trois grands médias allemands. Le Süddeutsche Zeitung observe avec satisfaction que l’Europe revit grâce à ses différences, « le chef d’État français n’est pas un partenaire facile pour Berlin… et c’est très bien comme ça ». Avec un meilleur équilibre, un nouvel élan est donné à la relation franco-allemande.
Der Spiegel (14) et Die Welt sont plus dubitatifs et font un parallèle entre Macron et Obama, qui a été « récompensé du prix Nobel de la paix [le 10 décembre 2009, un peu moins d’un an après son accession à la présidence, le 20 janvier 2009], et qui a ensuite amèrement déçu beaucoup de monde ».
Macron est aussi salué pour ses discours et son intérêt pour la politique allemande. Mais pour Der Spiegel, la quasi-totalité des réformes qu’il propose « s’inspirent de l’exemple allemand », [cf. réformes Schröder de 2003 à 2005].
Retour de l’Allemagne dans l’animation de la politique de l’UE ?
Nos médias : discrets et sélectifs sur la « laudatio » de Merkel
Il est consternant de devoir se rendre sur des sites germaniques pour trouver le texte complet du discours de Merkel. Nos médias n’en ont montré que des bribes. Deux sujets principaux ont, à juste titre, retenu leur attention :
- La crise de la relation transatlantique, la guerre et les menaces au Moyen-Orient, qui ont constitué le point d’orgue de son intervention. Pour Merkel, la politique étrangère européenne « n’en est qu’à ses débuts car les conflits se jouent à nos portes et les États-Unis ne vont pas nous protéger. L’UE doit prendre son destin en main. Il s’agit d’une question de guerre ou de paix. J’appelle toutes les parties prenantes à faire preuve de retenue » + « Nous devons renforcer nos efforts pour trouver une solution politique à la Syrie ».
Il est vrai que le retrait de Trump de l’accord nucléaire iranien, les frappes israéliennes contre les sites militaires iraniens en Syrie, la répression sanglante des manifestants palestiniens à Gaza et le transfert de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem ne vont pas refroidir le chaudron du Moyen-Orient. Et, dans son discours (15), Merkel a souligné que « la Syrie n’est pas juste quelque part. Elle est limitrophe des États de l’UE tels que Chypre ».
- Le renforcement et l’avenir de la zone euro : Pour lemonde.fr (10), même si elle a loué le « charme » et la « capacité » de Macron à enthousiasmer les citoyens européens, la chancelière n’a offert aucune ouverture, notamment sur un budget pour l’eurozone, insistant au contraire sur les priorités allemandes : la migration, la transformation digitale. Sur l’eurozone, les discussions sont « difficiles mais nous allons faire des progrès
sur l’union bancaire et les marchés de capitaux » a cependant promis la chancelière.
Pour actu.orange.fr (8), la chancelière a aussi reconnu que le sujet de l’avenir de la zone euro était controversé avec la France. « Oui, nous avons des discussions difficiles » a-t-elle dit. « Nous avons des cultures politiques et des manières d’approcher les sujets européens différentes » a-t-elle commenté fort diplomatiquement. Tout en se disant favorable à rendre la zone euro « plus résistante face aux crises ».
Un discours de Merkel consistant, conciliant et aimable pour Macron
Conformément aux usages, la « laudatio » prononcée par Angela Merkel a été élogieuse. Avec application, elle a multiplié les références aux discours engagés du lauréat sur l’Europe (15) : - le discours devant le Parlement européen à Strasbourg le 17 avril 2018, Macron avait répété qu’il appartenait à la génération actuelle de continuer à façonner l’Europe selon sa propre inspiration. Il avait appelé à résister aux nationalismes rétrogrades bornés et à ne pas céder à la tentation de l’autoritarisme [une autocritique ?] ; - le discours d’Athènes du 7 septembre 2017 sur l’importance de renforcer la démocratie européenne ; - le discours de la Sorbonne du 26 septembre 2017 pour une Europe souveraine, unie, démocratique. Un discours montrant que Macron avait été amené à « placer le renouveau de l’Union européenne au cœur de sa politique ». Et « nous partageons la conviction de la France que nous avons besoin d’un nouveau départ en Europe ». Merkel s’est même souvenue du discours prononcé par Macron à la foire aux livres de Francfort en octobre 2017, où il avait « exposé sa compréhension de l’Identité culturelle de l’Europe.
Pas besoin de lire entre les lignes ! Ce sont avant tout ces déclarations répétées avec ferveur de sa flamme européenne qui ont valu à Macron l’attribution du prix. Explication complémentaire possible : le rétablissement d’un meilleur équilibre entre les lauréats au sein du « couple francoallemand ». La dernière personnalité politique française ayant reçu le prix a été Valéry Giscard d’Estaing en 2003. Un haut fonctionnaire, Jean-Claude Trichet, alors président de la BCE, l’a reçu en 2011. Du côté Allemand, après Roman Herzog, ex président de la RFA, lauréat en 1997, Angela Merkel, en 2008, Wolfgang Schäuble, en 2012, et Martin Schultz, en 2015 ont obtenu ce prix.
À propos « d’une stratégie européenne en matière d’innovation et d’investissement », elle a surtout insisté sur la nécessité « de rattraper notre retard que ce soit dans le domaine de l’intelligence artificielle, où l’Allemagne et la France travailleront en étroite collaboration, ou en ce qui concerne les innovations de rupture [?] ».
En ce qui concerne la politique d’asile et d’immigration, elle a rappelé que « la liberté de circulation est la base du marché unique ». « L’Europe des savants, l’Europe des sciences, est antérieure aux traités de Rome ». Celle des commerçants, des compagnons, des pèlerins aussi. Sans eux, « l’intégration politique et économique européenne aurait été impossible. Les différences ne nous divisent pas, mais nous rassemblent encore et encore ». Elle a plaidé pour « un système commun, qui doit être basé sur le principe de solidarité, juste et capable de résister aux crises ».
Elle a aussi défendu l’Union économique et monétaire, admis que des progrès étaient possibles, et a annoncé : « Nous avons l’intention de présenter des solutions d’ici juin. Et nous le ferons ».
Convergence dans l’UE et crédibilité de la France
L’irrespect des critères de convergence, source de divisions au sein de l’UE.
En ce qui concerne le respect du seuil de 3 % du PIB pour le déficit public, à la fin 2017 : - seule l’Espagne (3,1 %) et la France, avec un taux de 2,6 %, sont en procédure de déficit excessif ; - 16 pays membres sont dans le peloton des déficitaires en dessous du seuil de 3 %. L’Italie est à 2,3 %, et la Belgique est descendue à 1,1 % ; - deux groupes de pays sont « exemplaires », à l’équilibre ou en excédent budgétaire : les « Nordiques », avec le Danemark (+ 1 %), la Finlande, la Suède (+1,3 %), les Pays-Bas (+1,1 %) et l’Allemagne (+ 1,7 %), d’un côté, et des pays de l’est, de l’autre, la République tchèque, la Slovaquie, la Lituanie et la Bulgarie. Avec un excédent de + 0,8 % du PIB (et + 4 % hors service de la dette), la Grèce a fait mieux que l’objectif fixé par l’UE et le FMI qui la contrôlent.
Encore considéré par trop de dirigeants européens comme un « moteur » indispensable de la croissance, le fléau du surendettement, sévit dans l’UE. Chez 16 pays membres sur les 28, la dette publique est supérieure au seuil fixé à 60 % du PIB. Depuis belle lurette, cette limite ne semble prise très au sérieux ni par les « délinquants », ni par la Commission de Bruxelles. En fin d’année 2017, les 5 pays les plus gravement surendettés sont la Grèce (avec un taux de 178,6 %), l’Italie (131,8 %), le Portugal (125,7 %), la Belgique (103,1%) et la France (97 %). En dessous, entre 60% et 80 %, se côtoient 6 pays de la « vieille Europe », l’Allemagne (64 %), la Finlande, l’Autriche, le Royaume-Uni, l’Irlande et l’Espagne, ainsi que 3 pays de l’Est, la Hongrie, la Slovénie et la Croatie. Parmi les bons élèves, entre 40 % et 60 %, se trouvent 3 Nordiques, la Suède, le Danemark et les Pays-Bas, avec 3 pays de l’Est, la Pologne, la Slovaquie et la Lettonie. Avec la principauté du Luxembourg, les pays les plus rigoureux d’Europe, endettés en dessous de 40 % de leur PIB sont 5 pays de l’est, l’Estonie, la Lituanie, la République Tchèque, la Roumanie et la Bulgarie.
À mon avis, les critères de convergence sont inopérants notamment parce l’acceptation pour des durées indéterminées de déficits publics, même s’ils sont inférieurs à 3 % du PIB, est en contradiction (pas seulement apparente) avec la volonté présumée de tenir en laisse l’endettement des pays. Dans un article du 25 mai intitulé « Les excédents allemands n’expliquent pas nos déficits publics », l’Institut Economique Molinari (16) explique, d’ailleurs, que cette « marge de manœuvre » de 3 % (associée à celle des 60 % pour la dette) avait été introduite afin de permettre aux déficits « contracycliques » de se développer pendant les périodes de crise afin de favoriser la reprise économique. Les déficits étaient sensés servir de « stabilisateurs économiques » temporairement, et non comme moteurs permanents de la croissance, ainsi qu’ils l’ont été en France et des pays du sud. Il rappelle que les critères de Maastricht ont été proposés et soutenus par notre « plus haute administration ». Il est critique envers le discours de Macron d’Aix-la-Chapelle, où celui-ci a invité la chancelière allemande à se défaire d’un « fétichisme perpétuel pour les excédents », « accréditant en creux l’idée d’une Allemagne isolée »… et se montrant ambigu quant à la nécessité de réduire les déficits publics. Non, les excédents budgétaires et commerciaux de l’Allemagne (et ceux des Nordiques) ne sont pas faits au détriment « d’autres pays ». « Ce sophisme, contreproductif au regard du travail de pédagogie à faire en France est inutilement clivant vis-à-vis des voisins dont nous sommes dépendants. Nous avons en permanence besoin d’eux en tant qu’acheteurs de notre dette publique »
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En outre, une partie des difficultés « commerciales » des pays les plus « faibles » à l’intérieur de la zone euro provient de la fixation, à sa naissance, de taux de parités fixes entre les monnaies des pays membres. Le mark allemand, en particulier, a alors été « sous-évalué ». Le franc français, la lire italienne, la peseta espagnole… ont été surévaluées. C’est un des problèmes majeurs de l’euro, que nombre d’économistes ont exposé (que j’ai abordé dans des articles) à plusieurs reprises… et qu’il ne faut pas oublier, nier ou ignorer, si l’on entend réformer avec lucidité.
L’Allemagne n’est pas si « isolée » et, qui attend des leçons de « la France » ?
Les groupes de pays les plus « disciplinés », respectueux de ces critères de convergence, sont les pays nordiques et les pays de l’est, plus récemment entrés dans l’Union (et moins contaminés), plus pauvres que la plupart des pays de l’ouest (on ne prête qu’aux riches ?), avec une autre « culture » vis-à-vis de la dépendance qu’implique l’endettement, et sans doute plus prudents et/ou réservés quant à leur avenir dans l’UE. Par leurs gouvernances, ces deux groupes (plus de 15 pays au total) se distinguent nettement des pays du sud, de la France et de la Belgique, plus « laxistes » à leurs yeux. Pourquoi auraient-ils la même vision que Macron sur l’unité et la solidarité en Europe, si les efforts de « rigueur » et de compétitivité ne sont pas également partagés.
Pour le moment, la France, est mal placée pour donner des leçons. Si elle a « réussi » à restreindre le déficit budgétaire à 2,6 % du PIB en 2017, c’est au prix d’une forte majoration de la fiscalité, qui fait de notre pays un contrexemple, et non grâce à la réduction de la dépense publique. La dette publique de la France continue d’augmenter et frise maintenant les 100 % du montant du PIB. Signe d’une compétitivité insuffisante, notre balance commerciale est déficitaire. Et, si, dans le sillage de la croissance mondiale, la France a repris quelques couleurs en 2017, sa croissance est restée inférieure à celles de la zone euro et de l’UE. Le taux de chômage est remonté à 9,2 % à fin mars 2018, tandis qu’il descend résolument dans de nombreux pays européens, s’approchant chez certains de la « zone de plein emploi ». Il est de 3,4 % en Allemagne, de 3,9% aux Pays-Bas et de 4,4 % au Royaume-Uni (17).
Quant à la gestion publique sous Macron, l’article d’irefeurope.org du 29 mai intitulé « Budget de l’État : promenade au bord du gouffre » (18) est très édifiant. Selon Eurostat, le ratio des dépenses publiques rapportées au PIB de la France est le plus élevé d’Europe en 2017 : 10 points de plus que la moyenne de l’UE et 12 points de plus que l’Allemagne. Pire, « ce dérapage s’aggrave en 2018 », et, d’après l’Institut, le ratio irait vers les 56 %. De son côté, la Cour des comptes « est très sévère sur les conditions d’élaboration et de gestion du budget ». Elle pointe notamment des sous-évaluations manifestes de crédits, la faiblesse du pilotage… et, plus encore,la hausse continue des dépenses. Ce sont de rudes coups à la crédibilité de la France et de son président.
Les dirigeants des pays européens ne sont pas aveugles, et on peut comprendre : - que la perspective de dépenses publiques supplémentaires des États par la majoration « ambitieuse » du budget de l’UE et par la création d’un budget propre de la zone euro soulèvent des réticences, pas seulement en Allemagne ; - que vouloir ajouter aux dettes de chacun des États une dette substantielle de l’UE ou de la zone euro n’est pas du goût de tous, et notamment des pays qui en seraient les garants, Allemagne et pays du nord en tête ; - que des réserves se manifestent à l’égard de l’Union bancaire et que celle-ci piétine.
Brandir la convergence sans en préciser la destination ne sert à rien
Quant à l’idée d’une convergence économique, fiscale, sociale, ce n’est pas une nouveauté. Elle a été écrite en lettres majuscules dans le traité de Maastricht avec les « critères de convergence », précisément. Ceux que des pays, « fondateurs » ou non, de la vieille Europe ne respectent pas. En outre, comme chaque fois que l’harmonisation dans ces domaines est brandie, personne n’est capable ou désireux d’expliquer clairement vers quelle(s) destination(s) « on » voudrait faire « converger » tant de pays aux gouvernances si diverses, aux dimensions économiques et aux niveaux de vie si hétérogènes. Irréaliste, utopique ? Trop compliqué, et conflictuel, de toutes façons ! Veut-on aller vers une fiscalité pour tous les pays membres supérieure à 40 % du PIB, associée à un étatisme (fédéral) renforcé, par exemple ? Ou, au contraire, vers une fiscalité à l’anglaise ou à l’américaine, bien plus légère, et une vision nettement plus libérale de la société, sans doute plus cohérente avec la globalisation en cours ? En matière d’harmonisation, le souci majeur des dirigeants de l’UE que nous avons pu entrevoir est celui de limiter les « concurrences déloyales » à l’intérieur du Grand marché unique, et, dans une moindre mesure, dans les échanges commerciaux avec les « partenaires » envers lesquels l’UE prend des engagements dans les très nombreux traités bi et multilatéraux qu’elle ne cesse de signer. Multilatéralisme oblige ! Alors, plutôt que de continuer à brandir une convergence sans destination, mieux vaut proposer des mesures concrètes allant dans le « bon sens ».
Attention, avec le groupe de Visegrad, ça bouge à l’Est
Les yeux de nos médias et de nos dirigeants sont braqués sur (et contre) les avancées des populistes et des opposants au « système » en Europe de l’ouest, sur le Brexit, et maintenant sur l’Italie, dont la crise, ouverte par le président européiste, affole les marchés financiers et fait chuter nos bourses.
Quant aux pays de l’Europe de l’est, lorsque notre président ne s’y rend pas en visite, nos médias leur prêtent généralement une attention « distraite ». À deux exceptions près, la Pologne et la
Hongrie, gouvernées par des « conservateurs anti européens », politiquement isolés, dont il faut vilipender l’indocilité, l’hostilité à l’immigration et les actes « condamnables ». Aussi, sur ses 41 déplacements à l’étranger, et ses visites à 28 pays entre le 15 mai 2017 et le 10 mai 2018, dont 3 en Europe de l’est (Estonie, Roumanie et Bulgarie), Macron a soigneusement évité de poser le pied chez ces deux trublions et leurs deux acolytes du groupe de Višegrad, aussi appelé V4
Višegrad est une cité historique située sur le Danube à proximité de Budapest. Le groupe qui a pris son nom a été créé en 1991 par la Pologne, la Hongrie et la Tchécoslovaquie (qui s’est ensuite scindée en République tchèque et Slovaquie). Entrant dans le « monde libre », ces pays ont décidé de s’allier et de se soutenir mutuellement. Après leur adhésion à l’OTAN en 1999, et en 2004 pour la Slovaquie [une priorité pour les pays de l’est à l’époque], l’UE leur a ouvert ses portes en 2004. Le V4 est resté plus ou moins en sommeil jusqu’à 2015. Il s’est alors réveillé avec la crise des migrants sur « la route des Balkans ». Il s’est mobilisé pour aider la Hongrie à protéger sa frontière avec la Serbie et à surveiller la barrière de barbelés érigée sous l’autorité du premier ministre hongrois, « national-conservateur et populiste », Victor Orban, qui est aussi le leader charismatique et très populaire du groupe.
Le 27 janvier 2018, un court article d’euronews.com a titré : « Le groupe de Visegrad rejette l’idée d’une Europe fédérale » (19). On y lisait que les quatre pays rejetaient l’idée de Bruxelles de la fixation de quotas pour l’accueil des réfugiés. Ils voulaient résoudre leurs problèmes démographiques non par l’immigration, mais par des politiques familiales. Malgré la menace de voir l’octroi des fonds européens conditionné « au respect de l’État de Droit » !!! En fait, après 10 ans d’appartenance à l’UE, « ce soulèvement » des membres du V4 vient aussi de leur déception à l’égard de celle-ci et de ses dirigeants, qui les traiteraient souvent comme des pays « de second ordre ». Les orientations et les valeurs affichées par l’UE sont de plus en plus éloignées des leurs, comme l’a expliqué breizh-info.com le 18 février 2018 dans un article intitulé « A 27 ans, le groupe de Viségrad est plus fort que jamais » (20), auquel je me réfère surtout ici. Parlant de la ligne directrice du groupe, Victor Orban a précisé : « Nous avons des mots-clefs qui nous relient : Dieu, la patrie, la famille, la sécurité, le travail, l’honneur, le bon sens, la souveraineté, la liberté ». Cela fait évidemment beaucoup de différences avec les mots-clés de l’UE, dont le V4 rejette « la vision libérale-libertaire, immigrationiste, laïque et mondialiste ». Le V4 veut réformer l’UE, « dépolitiser la Commission européenne » et augmenter le pouvoir décisionnel « collégial » des chefs de gouvernement des pays membres. « Junker [président de la Commission de Bruxelles] doit se résigner à négocier avec le V4 », qui a « réussi à s’imposer comme un acteur politique majeur en Europe, porteur d’idées avec lesquelles il faut composer ».
Forts de leurs succès économiques et politiques, de concert, les dirigeants des quatre pays se sont engagés dans la promotion d’une politique de cohésion régionale et d’évolution vers plus
d’indépendance. Ils se sont rencontrés en janvier pour discuter de la création d’une Banque régionale de développement. Depuis 2015, ils apportent de l’aide aux pays des Balkans, et en particulier à la Bulgarie, à la Macédoine et à la Serbie. Acteurs d’influence dans les Balkans, où ils souhaitent consolider la paix, ils soutiennent aussi l’élargissement de l’UE aux pays des Balkans occidentaux. Et, le 6 février 2018, la Commission européenne a mentionné 2025 comme « date indicative d’adhésion » de la Serbie et du Monténégro (qui a déjà ouvert 30 chapitres sur les 35 règlementaires). Une info plutôt bien accueillie au Parlement européen (21).
Parenthèse : A propos des élargissements [puisqu’il est jugé inutile de nous en informer], des négociations sont en cours depuis des années avec deux autres candidats « officiels », l’Albanie et la Macédoine, tandis que deux candidats « potentiels » sont en liste d’attente, la Bosnie-Herzégovine et le Kosovo. Quant à la Turquie, en négociation d’adhésion depuis octobre 2005, elle a ouvert 12 chapitres… et ne sait toujours pas si les portes de l’UE s’ouvriront un jour devant elle. Nous non plus ! Outre cette entente qui se développe avec les pays des Balkans, des rapprochements sont observés avec la Roumanie et avec l’Autriche. « L’Autriche avec le groupe de Viségrad » a-ton pu lire le 6 février sur euroliberte.com. Victor Orban était alors reçu à Vienne par le chancelier « conservateur » autrichien Sebastian Kurg, son ministre des Affaires étrangères et l’Archevêque de Vienne (22). L’article a fait état d’idées partagées sur l’immigration, sur la nécessité de revenir aux « fondamentaux » de l’UE et au respect des identités nationales. Il a indiqué que l’Autriche souhaitait être un pont entre le V4 et l’ouest du continent.
En baisse depuis le début des années 1990, la population du V4 est tout de même de 64 millions d’habitants. Si on ajoute la Roumanie et l’Autriche, avec ces sympathisants, nous sommes proches de 92 millions… sans compter les pays des Balkans… ni la Bavière, dont le leader politique, est « un allié affiché » de Victor Orban. Il n’est donc pas recommandé de continuer à ignorer les « attentes » européennes de ces « récalcitrants ». Dernier témoignage (dans le présent article) sur l’indiscipline de la Pologne : « La Pologne achète des hélicoptères à Sikorsky », un avionneur américain, et « Le gouvernement polonais a mis au ban Airbus Helicopters de la Pologne ». Ce sont les titres de deux articles de mai de latribune.fr (23) qui, à eux seuls, résument la mésaventure d’Airbus en Pologne, son courroux. Le groupe a déposé une plainte devant la justice polonaise et informé la Commission de Bruxelles de cet agissement jugé inéquitable. Affaire à suivre (ou non), donc.
Sources et références :
(1) « Présidentielle : Emmanuel Macron pour la réaffirmation de l’Europe », touteleurope.eu/actualite/presidentielle-emmanuel…, le 12/04/2017 -
(2) « Le plan de Macron pour l’Europe résumé en dix points », lefigaro.fr/ politique/le-scan/2017/09/26/25001-201709… -
(3) « Discours de la Sorbonne : Macron ne propose pas une Europe fédérale, mais c’est tout comme », huffingtonpost.fr/2017/ 09/26/discours… -
(4) « Défense de la démocratie, budget, réfugiés…, le grand oral européen d’Emmanuel Macron à Strasbourg », lemonde.fr/emmanuelmacron/article/2018/04/207/mac… + « Ce qu’il faut retenir du discours d’Emmanuel Macron sur l’Europe à Strasbourg », sudouest.fr/201/04/17/ce-qu-il-faut… -
(5) « Prix international Charlemagne d’Aix-laChapelle », Wikipédia -
(6) « Europe ; le prix Charlema-gne récompense Emmanuel Macron - Europe », rfi.fr/europe/20171209-europe-prix… -
(7) « Comme Winston Churchill, Jean Monnet, Simone Veil… » , facebook.com/Europe1/101557669884540620, le 10/05/ 2018 -
(8) « Macron met la pression sur Merkel pour réformer l’Europe », actu.orange.fr/France/macron-met…, le 10/05/2018 -
(9) « Emmanuel Macron : médaillé devant Brigitte, il tacle Angela Merkel ! », public.fr/Toutes-les-photos/Emmanuel, le 11/05/2018 -
(10) « Les quatre ‘’commandements’’ d’Emmanuel Macron pour l’Europe », lemonde.fr/europe/article/2018/05/10/les-quatre… -
(11) « Transcription du discours du Président de la République, Emmanuel Macron lors de la cérémonie de remise du Prix Charlemagne à Aix-la- Chapelle », elysee.fr/declarations/article/transcription, le 11/05/2018 -
(12) « The World in 2050. The long view : how will the global economic order change by 2050 ? », PricewaterhouseCoopers, 02/2017 -
(13) « Vu d’Allemagne. Prix Charlemagne : une récompense européenne prématurée pour Macron ? », courrierinternational.com/article/vu-d-Allemagne…, le 11/05/2018 (14) « Merkel sur la situation au Moyen-Orient » (traduction de Spiegel online, 10 mai 2018 -
(15) « Discours de la chancelière fédérale Angéla Merkel… à Aix-la-Chapelle le 10 mai 2018 » (traduction), bundesregierung.de/Content/EN/Reden/2018/2018-0510-merkel-kar -
(16) « Les excédents allemands n’expliquent pas nos déficits publics », contrepoints.org/2018/05/25/316691-les-excedents… -
(17) « Banlieues : Macron ‘’insulte’’ les étatistes et désole les libéraux », contrepoints.org/2018/05/26/316743-banlieues… -
(18) « Budget de l’État : promenade au bord du gouffre », fr.irefeurope.org/Publications/Articles/article/Budget…, le 29/05/208 -
(19) « Le groupe de Viségrad rejette l’idée d’une Europe fédérale », fr.euronews.com/2018/01/27/le groupe… -
(20) « À 27 ans, le groupe de Viségrad est plus fort que jamais », breizh-info.com/2018/02/18/89462/a-27-ans… -
(21) « Balkans occidentaux, prochaine étape de élargissements », europarl, le 31/01/2018 -
(22) « L’Autriche avec le groupe de Viségrad », euroliberté.com/geopolitique/Autriche-groupe-de-visegrad…, le 06/02/2018 -
(23) « La Pologne achète des hélicoptères à Sikorsky sans passer par un appel d’offres », latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique…, le 09/05/2018 + « Le Gouvernement polonais a mis hors ban Airbus Helicopters… », la tribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique…, le 17/05/2018.