Hommage à l’amiral Philippe De Gaulle
par Claude Jacquemart,
Figure de la Seconde Guerre mondiale, Philippe de Gaulle est mort. Il a passé la moitié de sa vie à défendre et perpétuer la mémoire de son père, le général de Gaulle. Il avait 102 ans.
Voici donc la fin d'un des plus grands hommes de France et d'un père qui m'a souvent donné l'impression qu'il aurait aussi bien sacrifié son fils que lui-même à son destin historique. » Le général de Gaulle l'appelait « mon cher vieux garçon ». Les irrévérencieux l'avaient baptisé « Sosthène », on ne sait trop pourquoi. L'amiral Philippe de Gaulle, qui avait hérité de son père la haute taille, la mine distante et certaines attitudes, avait fait carrière dans son ombre (mais non grâce à lui). Avant de s'instituer, à sa mort, le gardien de sa mémoire et de son œuvre, puis d'entrer en politique par la porte du Sénat. Philippe de Gaulle est mort à l’âge de 102 ans à Paris. « Il est mort dans la nuit de mardi à mercredi à l'Institution nationale des Invalides dont il était pensionnaire depuis deux ans », a précisé son fils Yves de Gaulle.
Philippe de Gaulle était né en 1921 dans une famille où l'on cultivait au plus haut point le sens des valeurs traditionnelles et de la nation. Travail, effort, respect de soi comme des autres et notamment des parents : tels étaient les maîtres mots. « Il fallait toujours aller vers le meilleur, faire mieux que les autres », confiera-t-il. Son père souhaitait l'orienter vers la diplomatie. Le jeune Philippe, lui, rêvait de la carrière militaire : « À douze ans, je connaissais l'essentiel des batailles napoléoniennes. »
Inspecteur général de la Marine
La guerre va décider de tout. Alors que son père, général de brigade à titre temporaire et sous-secrétaire d'État à la guerre, décide en juin 1940 de franchir le Rubicon et de rejoindre Londres, Philippe se trouve avec sa famille à Carantec, en Bretagne. À leur tour, ils partent en bateau pour l'Angleterre (ils croyaient d'abord aller retrouver le Général en Afrique du Nord) et débarquent le 18 juin à Falmouth. Ils apprendront le lendemain par la presse britannique que le général de Gaulle a lancé, sur les ondes de la BBC, un appel destiné à devenir à jamais mémorable.
Philippe, qui n'a que dix-neuf ans, s'engage tout naturellement dans les Forces françaises libres et commence par ramasser les douilles des obus sur le Courbet, vieux croiseur français transformé par les Anglais en plate-forme de DCA. Puis il se retrouve à l'École navale que la France libre a mise hâtivement en place à Portsmouth. C'est donc dans la marine qu'il combattra. Il combat dans l'Atlantique, il combat dans la Manche. Un jour, sa vedette lance-torpilles est prise à partie par quatre dragueurs de mines allemands. Trois de ses quatre moteurs en flammes, Philippe de Gaulle parvient à se réfugier dans la brume le long des côtes françaises. Les Allemands, à la radio, se réjouiront trop vite d'avoir coulé le fils du général français qui les nargue depuis Londres.
À la veille du débarquement allié en Normandie, le jeune officier rejoint les fusiliers marins de la IIe division blindée du général Leclerc. À ce titre, lors de la libération de Paris, il reçoit lui-même la reddition des troupes allemandes occupant le Palais Bourbon. Il a alors 23 ans « Personne parmi les officiers allemands ne m'a demandé mon nom » confiera-t-il. Ce n'est qu'en novembre 2019 que l'Assemblée nationale lui rendra hommage pour cette action d'une haute valeur symbolique. Philippe de Gaulle poursuit vers l'est avec la IIe DB, jusqu'à la capitulation de l'ennemi. Il dira plus tard, sans forfanterie : « Je suis, parmi les fils de chefs d'État – soviets compris – celui qui s'est le plus battu.» Il sortira de ce conflit avec la croix de guerre, trois citations et le grade d'enseigne de vaisseau de 1re classe. Mais sans être admis dans l'ordre des Compagnons de la Libération, le Général se refusant à décorer son propre fils.
Prendre du champ et menacer de partir
La suite, c'est une carrière classique. Philippe de Gaulle sert en Indochine, au Maroc, en Algérie, gravit un à un les échelons de la hiérarchie pour aboutir en 1980, deux ans avant la retraite, au grade d'amiral et au poste d'inspecteur général de la Marine. De politique, devoir de réserve oblige, il ne saurait évidemment être question, du moins officiellement, car il n'est pas donné à tout le monde d'être le fils du général de Gaulle et de le côtoyer régulièrement dans son intimité.
Le hasard fait ainsi que Philippe de Gaulle se trouve en permission à Paris au plus fort de la crise de 1968. Le dimanche 26 mai, venu déjeuner à l'Élysée, il conseille à son père, comme il le racontera dans ses Mémoires accessoires (1), de prendre du champ et de menacer de partir. Le lendemain soir, le père et le fils reprennent la conversation. Une nouvelle fois, Philippe de Gaulle, qui ne craint pas, selon ses dires, d'affirmer au Général qu'à terme, son règne est fini, lui conseille de s'éloigner et lui propose d'aller s'installer à Brest sur un croiseur ou un porte-avions, qui lui offriront toutes les possibilités de communication et de déplacement. Le Général rejette cette perspective, mais confirme qu'il a effectivement l'intention de sortir de la « chaudière ». Il en sortira pour aller rencontrer le général Massu à Baden-Baden, où Philippe le rejoint avec sa famille. Et où il reste provisoirement, sur l'ordre de son père, quand celui-ci, revigoré par sa rencontre avec le chef des forces françaises en Allemagne, repart afin de reprendre les choses en main à Paris.
Pas pour très longtemps : moins d'un an plus tard, après l'échec de son ultime référendum, le Général démissionne. Et en novembre 1970, il meurt. Cette mort arrache à Philippe de Gaulle une réflexion douce-amère : « Voici donc la fin d'un des plus grands hommes de France et d'un père qui m'a souvent donné l'impression qu'il aurait aussi bien sacrifié son fils que lui-même à son destin historique. »
En tout cas, cette disparition fait de Philippe de Gaulle le chef de la famille du fondateur de la Ve République et, d'une certaine manière, son héritier spirituel. Une mission qu'il va prendre très au sérieux, veillant jalousement sur l'héritage matériel de son père (la propriété haut-marnaise de Colombey, dont la gestion sera confiée en 1979 à l'institut Charles-de-Gaulle) et plus encore sur son œuvre littéraire, dont il partage d'ailleurs les droits d'auteur avec sa sœur, Élisabeth De Boissieu. Parmi les tâches qu'il s'assigne en tant que gardien de la flamme : la publication chez Plon, sous le titre Lettres, notes et carnets, de tous les documents inédits de son père. Une entreprise pharaonique !
Heureusement, de ce point de vue, la retraite, en décembre 1982, le libère. Elle le dégage aussi d'une obligation de réserve dont il n'était sorti que pour soutenir la candidature à l'Élysée de Jacques Chaban-Delmas en 1974 et de Jacques Chirac en 1981. Ce qui va lui permettre de dire désormais en public tout le mal qu'il disait en privé de François Mitterrand, détesté par le Général et néanmoins devenu président de la République, comme du socialisme qu'il incarne. Dès le 18 juin 1981, d'ailleurs, il a refusé de participer, comme son beau-frère le général De Boissieu, à la traditionnelle cérémonie du souvenir au Mont-Valérien en compagnie du nouveau chef de l'État.
« Le sens moral de la nation »
En 1986, enfin, Philippe de Gaulle entre officiellement en politique en se faisant élire sénateur de Paris sur une liste conduite par un ancien premier ministre de son père, Maurice Couve de Murville. Au Palais du Luxembourg, où il choisit de s'occuper des problèmes de défense, il adopte volontairement un profil bas. Ce qui ne l'empêche pas, en 1988, de soutenir une fois de plus la candidature de Jacques Chirac à la présidence de la République, ni de s'opposer en 1991 à l'intervention militaire française contre l'Irak, ni de déclarer en 1992 son hostilité au traité de Maastricht.
(1) Les Mémoires accessoires ont été publiés chez Plon en 1997 (tome I) et 2000 (tome II).
(2) De Gaulle Mon père (avec Michel Tauriac), Plon 2003 et 2004.
© 01.04.2023