« C’est par le biais de l’Homme américain que j’ai découvert le cœur de l’Amérique. »
Par Jean De Lattre De Tassigny,
Texte datant de 1951, alors que Jean De Lattre De Tassigny exerçait à Saigon les doubles fonctions, de haut-commissaire et de commandant en chef en Indochine, un exemple sans précédent. Sa fierté était grande d’avoir eu sous ses ordres à la première armée française, au cours de la Seconde Guerre mondiale, plus de cent mille soldats venus des Etats-Unis.
Il n’y a pas, il ne peut pas y avoir de concurrence sur le plan culturel parce qu’il n’y a pas de propriété dans le domaine de l’Esprit. La fécondité de la culture française vient précisément de ce qu’elle n’a jamais appartenu à la France comme un bien propre, de ce qu’elle « a toujours regardé l’Univers comme son domaine ». De même que mon pays est né des invasions et de l’union de plusieurs races venues se mélanger sur le Finistère de l’Occident, de même naquit sa civilisation d’une greffe heureuse du noble plant gréco-latin sur la tige de jeunes peuples barbares ; et plus tard les graines, au hasard des vents, sont allées sur d’autres continents semer des moissons nouvelles. La France s’est trouvée ainsi présente, bien au-delà des limites de son territoire et même de sa langue, associée aux habitudes de pensée, aux modes de vie, aux rêves de beaucoup d’hommes…
Parmi nos titres de fierté nul ne nous tient plus à cœur que d’avoir pu jouer un rôle dans la constitution de la nation américaine. Et la civilisation de ce peuple, en même temps qu’elle témoigne d’un puissant génie original, a la vertu de démontrer magnifiquement à nos yeux de rendre sensible à notre cœur comme un grand motif d’espérance la vitalité sans cesse renaissante de l’Occident.
Bien sûr il arrive parfois aux riverains de la Loire, de l’Arno, du Rhin ou du Tage, de ne pas reconnaître leurs traits de famille sur le visage de leurs neveux d’Amérique, des bords du Potomac ou du Missouri. Il arrive que les grandes orgues électriques du Nouveau Monde n’aient pas le même timbre que le « clavecin bien tempéré » de la vieille Europe. Mais nous savons que ces différences sont naturelles et salutaires. Nous savons surtout que nos ressemblances sont plus profondes et que les variations de nos cultures s’inscrivent sur un même thème fondamental : l’Humanisme, l’organisation de l’Etat et du monde pour le développement de l’Homme, sa libération, sa plénitude.
Notre culture méditerranéenne et atlantique a pour fonction propre de mettre à la disposition des générations nouvelles les sentiments, les idées, les instruments inventés au cours des siècles. Qu’il s’agisse des valeurs chrétiennes qui sont le cœur vivant de notre humanisme ou de la connaissance de l’univers ou des progrès de la technique, le but est toujours d’aider l’Homme à enrichir son essence, à trouver sa vérité.
Si nous faisons une telle place à 1′ « information », si nous lui donnons ce nom même qu’elle porte, c’est que nous pensons que l’esprit humain, naturellement plastique, peut accueillir « au-dedans » de lui-même la vérité, qu’il sait en prendre pour ainsi dire la « forme ». Nous croyons que c’est la vérité qui forme l’esprit, de même que c’est l’erreur qui le déforme, et nous croyons que cette vérité, une fois répandue, finit toujours par être reconnue.
Cependant nous ne pouvons plus partager l’optimisme des philosophes du XVIIIe siècle, ni nous imaginer que le progrès intellectuel entraîne fatalement avec lui progrès moral comme progrès matériel. L’histoire récente nous a appris la rémanence terrible de l’inhumain, les propagandes nous ont rappelé les puissances multiples du mensonge. Et nous avons découvert tout le prix de notre civilisation en éprouvant sa fragilité.
Il y a, dans le monde moderne, tant de forces coalisées contre l’Homme y compris celles qu’il a déclenchées et qui lui échappent que le destin des hommes et de l’Humanisme repose finalement plus sur la vertu du courage que sur la simple connaissance. L’effort vers la vérité implique déjà en lui-même un acte de courage, il suppose toujours, pour être efficace, que l’homme soit resté libre en face des « puissances trompeuses ». Cette liberté doit toujours, de plus en plus, se conquérir, elle doit sans cesse se défendre.
Ainsi la culture sonne aujourd’hui comme un appel aux armes, car elle donne aux hommes des raisons de vivre, de vivre libres et par conséquent des raisons et le devoir de se battre contre la servitude.
© 01.10.2024