« L’humain, ce n’est pas par ses gènes mais par son cerveau qu’il est unique. »
Dans toute la société française neuf personnes sur dix sont démotivées, comment utiliser les outils offerts par les neurosciences. Il y a une révolution à inventer, ne pas être dogmatique, « en abandonnant la méthode Dolto depuis trente ans, le voile est soulevé » pour Pierre-Marie Lledo. On ne motive pas les gens mais on leur fait confiance pour acquérir de nouvelles connaissances.
À côté de la sociologie, une partie des neurosciences a récemment ambitionné d’éclairer le fonctionnement social en prenant pour point de départ l’analyse du cerveau. Certains chercheurs développent l’idée « qu’on peut mieux expliquer le lien social à partir de ses bases neurobiologiques naturelles qu’en partant d’un point de vue sociologique. » Peut-on faire travailler notre cerveau sans risque ?
Sélection, élimination, prédation
Comment se façonne le cerveau ? A notre naissance, nous ne sommes pas finis, on va nous porter secours, l’humain va inventer le partage et l’empathie, dispositif intellectuel qui se met à la place de l’autre, on voit que quelqu’un reçoit un cadeau, les mêmes systèmes s’activent. L’empathie est un sentiment moral « décisif car il commande la distinction soi/autrui, la présence ou l’absence d’altruisme, la confiance et le mensonge, la capacité à prendre des décisions » selon l’analyse du
sociologue Alain Ehrenberg pour qui ce serait aussi une erreur d’assimiler la relation sociale à un ressenti intérieur. Rien ne permet de se mettre réellement à la place de quelqu’un. Le deuil, la maladie et la souffrance restent des épreuves à vivre en solitaire.
La dimension humaine du cerveau est une dimension sociale
Partager et apprendre, est-ce que l’épouillage et le commérage seraient les raisons fondamentales de la naissance du langage humain ? Pourquoi les hommes parlent-ils ? Selon l’anthropologue Robin Dunbar : « Pour échanger des informations, transmettre des messages. » Le dominant sera celui qui demande et témoigne à l’autre. Selon Pierre-Marie Lledo : « On pensait au cerveau de la mère, non, en réalité, c’est l’enfant qui entend d’autres enfants crier, la mère est la spécificité qu’il y a appartenance. » Il ajoute : « C’est l’aventure que nous offre le digital, les formes sont exacerbées par le digital. » Pierre-Marie Lledo nous donne à titre d’exemple : « Quand on veut savoir de quelle manière changer une courroie, on est dans la quintessence grâce au digital. »
À travers les réseaux sociaux, c’est la culture du doute, la segmentation de la pensée, le danger de ne plus être assez ouvert. Alors, le digital, où ça nous mène ? Où va l’humanité dans cette identité de plus en plus sociale ?
L’algorithme, mais de quoi parle-t-on en réalité, que cache ce terme mis à toutes les sauces, un peu comme une mode. À travers le « Temps des algorithmes », un des auteurs Serge Abiteboul nous explique qu’un algorithme, c’est extrêmement simple : « comme quand nous suivons une recette de cuisine, un algorithme, c’est une séquence d’instructions utilisée pour résoudre un problème. L’avantage est qu’une fois qu’on sait résoudre le problème avec un algorithme, la transmission de cet algorithme va permettre de ne pas avoir à inventer une solution à chaque fois.» Selon Gilles Dowek l’autre co-auteur de cet ouvrage.
« La vraie révolution, ce n’est pas les nouveaux algorithmes, c’est qu’on a des machines pour les exécuter. Après avoir été capable de les expliquer entre nous, on est capable de les expliquer à un ordinateur, pour lui dire ce qu’il faut faire. »
En dehors de la matière, il n’y a point de salut. La conscience représente 15 % de notre activité mentale. « On ne fait bien que ce qu’on aime. Ni la science ni la conscience ne modèlent un grand cuisinier » écrivait Colette. Mais qu’est-ce que la conscience ? La question ne se pose plus seulement philosophiquement, elle intéresse désormais les neuroscientifiques qui la cherchent dans les profondeurs du cerveau. La conscience n’est pas un phénomène unitaire, la conscience est à plusieurs niveaux que les neuroscientifiques essaient de décrire : « la conscience primaire qui caractérise un organisme éveillé tandis que la conscience réflexive implique la capacité à orienter volontairement son attention vers une stimulation et programmer une séquence d’actions pour remplir un objectif immédiat. La conscience de soi enfin constitue le niveau le plus complexe. Elle permet de se considérer comme un individu doté d’une identité, d’une personnalité, d’une histoire. » Chacun de ces trois niveaux dépend du développement de certaines zones cérébrales.
Le propre de l’humain est d’utiliser son libre arbitre
La dimension du désir n’existe que chez l’humain pour Sénèque. « Stimulation mentale, navette qui nous porte vers le futur, il existe de la résilience qui trouve des vertus à l’échec, le désir c’est le libre arbitre, l’épanouissement optimisé dans la quête de nouvelles compétences » observe Pierre-Marie Lledo.
Dans Les Confessions de saint Augustin « Il y a trois temps : « le présent du passé, le présent du présent, le présent du futur. Le présent du passé, c’est la mémoire, le présent du présent, c’est l’intuition directe ; le présent de l’avenir, c’est l’attente. » « Le présent du futur est le propre de l’humain, un équilibre entre désir et plaisir, le désir protège de l’addiction » souligne Pierre-Marie Lledo.
L’anthropologie de l’altérité sur le cerveau social partage avec la philosophie et la sociologie bien des interrogations sur l’homme et les sociétés. L’humanité s’est levée depuis que l’on a maîtrisé la peur. On a besoin d’autrui, pour penser autrui, on se construit par la confrontation à autrui. On cherche le regard de l’autre désapprobateur ou pas.
Si nous partageons une même architecture du cerveau, l’impact de l’éducation est cérébralement décisif selon le chercheur Stanislas Dehaene se décrivant lui-même comme un décrypteur de notre territoire neuronal travaillant à démontrer l’existence d’un patrimoine cérébral commun à l’humanité.
« La lecture est l’aliment de l’esprit », écrivait Sénèque, « le cerveau se nourrit du changement, aujourd’hui la seule constante, c’est le changement » conclut Pierre-Marie Lledo.