Chomard 213
..
par Victor CHOMARD
Des illusions sur le scrutin proportionnel
Chaque élection est l’occasion pour les « anti-systèmes », alliés aux centrismes consensuels, de dire tout le mal qu’ils pensent du mode de scrutin majoritaire et de réclamer au moins un scrutin mixte. Cette solution miracle aurait pour vertu immédiate de réconcilier les Français avec la politique, et d’assurer un pluralisme politique conséquent dans les assemblées.
Rappelons qu’il n’existe pas de mode de scrutin idéal, chacun ayant ses avantages et inconvénients, adaptés aux traditions nationales et aux systèmes politiques. Si la France a parfois utilisé le proportionnel pour l’élection de l’Assemblée nationale (1885-1889 ; 1919-1928 ; 1945-1958 ; 1986-1988), notre pays a le plus souvent opté pour le scrutin uninominal au nom d’une double exigence : l’apparition sans ambiguïté d’une majorité pouvant former un gouvernement, et l’ancrage des élus dans la population.
Première idée reçue.
On peut penser que la projection des scores obtenus par les partis politiques sur le nombre total de sièges à pourvoir permette le plus parfait pluralisme des idées. Mais c’est d’abord faire fi du nombre total de sièges (une vraie proportionnelle n’a de sens que sur un grand nombre de députés), et de la façon de les attribuer (sur une circonscription nationale ou départementale). C’est aussi ne pas prendre en compte les systèmes politiques et traditions nationales. Contrairement à une idée largement répandue, la France est actuellement le pays qui, en Europe, a le plus de formations politiques représentées à la chambre basse, 23, alors même qu’elle est élue au scrutin majoritaire. En 1986, seule année d’élections législatives au scrutin proportionnel sous la Vème République, une quinzaine de partis siégeaient. Sur quatorze autres pays étudiés, les Pays-Bas arrivent second avec 13 partis. Viennent ensuite l’Espagne, l’Italie, l’Irlande et la Suisse entre 11 et 12. Les autres (Pologne, Allemagne, Portugal, Grèce, Hongrie, Danemark, Finlande, Norvège et Royaume-Uni) sont entre 6 et 9. Tous ces pays, sauf quatre, utilisent le scrutin proportionnel intégral.
La proportionnelle n’est pas forcément synonyme de pluralisme, puisqu’elle oblige à créer de larges coalitions qui absorbent les petites formations ou les candidats marginaux. En revanche, il est vrai qu’avec la proportionnelle les équilibres sont redistribués puisque aucune majorité absolue ne peut exister (sauf prime majoritaire) et qu’il y a moins de différences de poids entre les groupes politiques.
Deuxième idée reçue.
Il est de bon ton d’affirmer que l’abstention aux élections législatives (55% en juin 2017, un record), est causée par le scrutin majoritaire. Là encore, l’observation des dernières élections de nos voisins européens démontre le contraire. La France a le plus faible taux de participation législative d’Europe, mais le Royaume-Uni et la Hongrie, seuls pays qui fonctionnent aussi selon un scrutin essentiellement majoritaire, ont eu récemment 69% et 67% de participation. Le Portugal, la Grèce et la Pologne ont eu entre 50% et 57% ce qui est loin d’être bon alors que leurs parlements sont élus à la proportionnelle. Surprise, la Suisse, présentée comme un des pays les plus démocratiques au monde, élisant son Conseil national à la proportionnelle intégrale, ne dépasse plus les 48% de participation. Enfin, les pays nordiques, germaniques et du Benelux se distinguent par leur civisme (et leur proportionnelle) puisque les taux vont de 70% en Finlande à 89% en Belgique. Le Parlement italien rassemble quant à lui 73% de l’électorat.
Quels enseignements en tirer ? Que la confiance dans les institutions n’est pas liée au mode de scrutin proportionnel, et qu’il ne détermine pas la légitimité d’une assemblée représentative. En effet, la France se distingue des autres pays par la marginalisation de son Parlement et par l’élection du chef de l’exécutif au suffrage universel direct dans la même séquence électorale que les législatives, ce qui rend inutile aux yeux de la population son Assemblée nationale, simple chambre d’enregistrement. Dans tous les autres pays cités, l’élection législative est l’élection majeure du pays, ce qui rapproche leur participation de notre élection présidentielle. Il suffit d’observer notre 5ème République : à chaque fois que l’élection de l’Assemblée nationale est déconnectée de l’élection présidentielle la population va massivement s’exprimer (jusqu’à 85% en 1978). En revanche, quand l’élection est couplée à la présidentielle, elle se détourne.
La fausse parade macronienne du scrutin mixte.
En 2022, nous connaîtrons probablement un scrutin mixte. Le projet du gouvernement est le suivant : 335 circonscriptions de 200 000 habitants côtoieront 69 sièges élus nationalement à la proportionnelle.
Cette réforme est censée s’inspirer du système allemand. Mais comme à l’accoutumée, les Français sont excellents pour parler de ce qu’ils ne connaissent pas. Lors des élections fédérales allemandes, les citoyens choisissent en effet 299 députés au scrutin majoritaire à un tour dans des circonscriptions de 275 000 habitants, et de l’autre votent pour des listes régionales de partis (299 sièges). Mais ce système est en réalité très compliqué. L’ensemble des sièges est calculé à partir des listes de partis, ce n’est donc pas un scrutin mixte. Un parti aura d’office les circonscriptions dans lesquelles il était en tête, et complètera le reste avec les sièges de ses listes régionales. Pour finir, si un parti obtient moins de mandats directs que ne lui en accorde la proportionnelle, lui sont offerts des mandats complémentaires. C’est pour cette raison que le nombre de députés au Bundestag n’est pas fixe : au minimum 598 et sans maximum ! La législature actuelle comprend ainsi 709 députés.
Ce système allemand est relativement équilibré car ce que les partis perdent au majoritaire, ils le gagnent à la proportionnelle. Le projet macronien est tout autre. La combinaison de la réduction de 30% du nombre de députés et de la dose de proportionnelle est le cocktail explosif qui va réduire le pluralisme politique. Les 335 circonscriptions de 200 000 habitants vont diluer les spécificités sociologiques et territoriales et seront gagnées seulement par les grands partis, dont celui qui aura remporté l’élection présidentielle, puisque le « grossissement » va les rapprocher des résultats nationaux là où, actuellement, des candidats implantés de partis mineurs (DLF, PRG, PCF, divers droites ou gauches, etc.) gagnent assez aisément. Les 69 sièges à la proportionnelle avec un seuil de 5% seront, eux, largement insuffisants pour permettre de compenser ces pertes (une projection montre que selon les résultats de juin 2017, seulement 5 listes auraient été représentées à la proportionnelle). En 2022, que va penser le peuple si ce n’est qu’il s’est fait, une fois de plus, manipuler ?
Les vertus du scrutin majoritaire sont bel et bien supérieures à celles du mode proportionnel. Grâce à lui on choisit un élu plutôt qu’un parti ou une tête de liste, ce qui permet un plus fort contrôle de la population envers celui-ci. Il met en avant la valeur et la qualité des hommes car les élus sont sélectionnés sur leur nom. Il dessine une majorité politique claire et limite l’instabilité. Par-dessus-tout, le scrutin majoritaire est indispensable dans un pays comme la France où, contrairement aux pays anglo-saxons et nordiques, il n’existe pas de consensus politique dans la population ce qui rend impossible les coalitions de partis opposés. Les débats infinis sur le mode de scrutin illustrent, une fois de plus, cette particularité française.
© 12.01.2019