Par Christine Alfarge
Dîner-débat du 28 mai 2019 présidé par Jacques MYARD
En présence de SEM l’Ambassadeur Bertrand BESANCENOT
Evolutions du monde à travers la situation au Moyen-Orient
« Dans l’Orient compliqué, aujourd’hui encore »
Le monde présente un nouveau visage, mais l’histoire de cette transformation a débuté en réalité à la fin de la Seconde guerre mondiale, celle du développement économique mondial. La conception du développement économique est d’abord de nature politique et géostratégique avec notamment la construction européenne, l’affrontement entre les deux blocs Etats-Unis/Russie. C’est l’époque où l’on croit à la croissance sans limite mais à partir de 1970, on assiste à l’échec des politiques de développement dans les pays du tiers-monde divisés entre d’un côté les pays émergents tels l’Inde ou le Brésil et de l’autre les pays les moins avancés.
Que dire de la Chine entrée de plain-pied dans le monde du 21ème siècle qui produit tout et en grosse quantité, se révélant un modèle de réussite capitaliste ? C’est ce que certains pays africains ont bien compris en signant de nombreux et importants accords de coopération avec cette Chine aux ambitions hégémoniques mondiales. La fin de l’histoire n’est pas pour demain, le monde change mais vers où ?
Aujourd’hui, le Moyen-Orient est devenu le centre de gravité.
La situation au Moyen-Orient est tendue et bloquée malgré la disparition de Daesh en tant que tel car la menace terroriste subsiste. Si la situation s’améliore en Irak, partout ailleurs, c’est plus sombre. Pour Bertrand Besancenot : « La Syrie est une victoire à la Pyrrhus, un pays qui n’est que ruines, désolations et déplacement des populations en masse à cause du régime de Bachar Al Assad ».
Les seuls présents sont les chinois à grand renfort de promesses dans cette région. Quant au sort du Yémen, il est dramatique sur le plan humanitaire, la situation est toujours difficile, la perspective d’une solution n’est pas évidente. Concernant la situation du Liban, Bertrand Besancenot nous dit : « Le Liban connait un afflux de réfugiés record, à hauteur de quatre millions malgré sa capacité. Comme ambassadeur de l’Ordre Souverain de Malte, j’ai constaté sur place les difficultés des autorités, la corruption y règne ». Il souligne aussi : « la présentation par Jared Kushner, gendre et conseiller de Donald Trump, d’un nouveau plan de paix israélo-palestinien, annoncé dans la première semaine de juin. »
Le rapport Etats-Unis/Iran.
Après ce premier bilan, l’événement dominant, c’est le rapport Etats-Unis/Iran. Selon Bertrand Besancenot : « Si les Etats-Unis exercent une pression maximale sur les autorités iraniennes, le président Trump ne veut pas la guerre mais il ne croit pas aux accords, en revanche au deal, mettre une pression maximale, tordre le bras et après négocier. Aujourd’hui, l’Iran est dans une situation défensive qui fait le gros dos en espérant que le président Trump ne soit pas réélu. »
La situation est épouvantable en Iran, à son époque Ahmadinejad incarnait la légitimité du régime mais les aides ont disparu, l’iranien de base n’a plus d’argent. Selon Bertrand Besancenot : « L’antiaméricanisme de l’Iran fait partie de son ADN, aujourd’hui l’Iran fait le pari de Trump, un pari risqué par le changement positif aux Etats-Unis car le président Trump sera probablement réélu. L’Iran va attendre le temps qu’il faudra avec une conviction très forte à la table des négociations, ses propres représentants pensant être les plus malins. Quoiqu’il en soit, la clé est à Washington. »
Et l’Arabie saoudite, comment se situe-t-elle ?
L’Arabie saoudite a pour objectif premier de faire reculer l’influence iranienne, pour cela elle veut profiter du président Trump. La situation est telle qu’iraniens, vénézuéliens ont des problèmes. Selon Bertrand Besancenot : « l’Arabie saoudite est la seule à reprendre du poil de la bête avec la volonté de redémarrer de grands projets économiques. »
Le prince Mohammed ben Salmane a la confiance de son père et tant que le roi Salmane est en état de régner, Mohammed ben Salmane est intouchable jusqu’à la fin du règne de son père, le roi Salmane. « Ce n’est pas une monarchie absolue mais une monarchie familiale. D’autres personnes aimeraient bien y participer mais Mohammed ben Salmane a fait emprisonner ses rivaux dans toutes les grandes familles du royaume. Face à un risque de déstabilisation, le prince Mohammed ben Salmane devra changer de méthode ou sinon… » s’exprime Bertrand Besancenot.
La tension entre l’Arabie saoudite, son voisin, le Qatar, n’est pas née aujourd’hui, elle remonte à la période précédant l’indépendance de la principauté de Grande-Bretagne en 1971. Des tentatives constantes de l’émirat de sortir de la « tutelle » de l’Arabie saoudite constituent le principal point d’achoppement entre les deux pays. Le plus important conflit historique entre les deux pays reste la démarcation de la frontière en 1992, une crise qui a montré des différences entre eux et qui a abouti au boycott du Conseil de coopération du Golfe par le Qatar.
Depuis la prise du pouvoir par l’ancien émir Hamad bin Khalifa, à la suite de son coup d’état contre son père, la volonté du Qatar de faire son apparition sur la scène internationale s’est renforcée.
Sur fond de rivalité croissante entre les deux princes saoudien et qatari, les raisons énoncées par l’Arabie saoudite sur ce que le Qatar a commis sont : « de graves violations secrètement et publiquement, au cours des dernières années, dans le but de diviser les rangs internes saoudiens, à travers leurs médias sous une forme permanente se référant à Al-Jazeera, son soutien total à des activités de groupes terroristes soutenus par l’Iran dans la province de Qatif, au royaume de Bahreïn, ainsi qu’aux milices houthies au Yémen. »
Quel regard porter sur la Russie au Moyen-Orient ?
Les Russes sont réengagés au Moyen-Orient depuis que les Américains s’y sont désengagés. L’objectif prioritaire du président Vladimir Poutine est de garder la base de Tartous en Syrie, la Russie n’ayant pas les moyens de contribuer à la reconstruction de ce territoire. Selon Bertrand Besancenot : « Face à l’hégémonie iranienne dans la région, la Russie n’a pas intérêt à ce que l’Iran soit là. Cependant, il faut convaincre Poutine qui ne donne rien sans rien. Il veut la levée des sanctions occidentales et que les Européens se montrent plus souples. »
Du côté américain, le président Trump serait plus favorable à la Russie mais avec l’establishment américain, c’est très difficile car cela est devenu un problème de politique intérieure aux Etats-Unis, raison pour laquelle il n’y a pas de déblocage. De son côté la Turquie, contre tout soutien aux Kurdes, affiche un rapprochement avec la Russie, élément de chantage vis-vis des Etats-Unis. Le président Herdogan ne veut pas d’un territoire autonome kurde, résonnant seulement pour ses intérêts propres, il ne passe pas pour un partenaire fiable. La France n’est pas l’Allemagne, historiquement nous avons toujours trouvé la Turquie contre nous. Renforcer les liens économiques entre les capitales Paris et Ankara pourrait paraître comme une future adhésion à l’Europe, à contre-sens de la politique des Etats-Unis.
Pour le président Trump, la priorité est d’empêcher l’émergence d’un concurrent, la Chine. Si la stratégie chinoise de l’araignée marche avec la naïveté de certains pays européens et le mercantilisme allemand, les Etats-Unis ont les moyens de la contenir. Quant aux Européens, ils doivent dépenser plus en armement pour leur propre protection. Si les Etats-Unis n’ont pas d’intérêt en Syrie et au Liban, leurs intérêts se portent pour les pays du Golfe et l’Irak. Le président Donald Trump veut à tout prix préserver le niveau de vie des américains.
Quid de la France au Moyen-Orient ?
Selon Bertrand Besancenot : « Eviter toute escalade, avoir une ambition modeste comme diraient certains et contribuer à la stabilité de la région. Cependant peut-on conduire une politique de puissance ? » Il souligne notamment qu’un Moyen-Orient sans chrétien n’est pas un facteur de stabilisation.
Sur la politique étrangère, la France est-elle restée gaulliste ? Bertrand Besancenot pense : « ce qui fait la valeur universelle : c’est qu’il ne faut pas renoncer, la fierté nationale, le pragmatisme et la défense des intérêts nationaux. Les temps sont différents mais le gaullisme n’est pas mort, il inspire toujours. Nous sommes un des rares pays qui garde le contact avec tout le monde et comme le Général de Gaulle à son époque, sait saisir les opportunités. »
On ne respecte plus les normes mais les puissances, les crises régionales qui affectent le Moyen-Orient ont atteint un niveau si préoccupant pour les pays occidentaux et les pays d’Europe en particulier, qu’ils doivent faire face à de grands risques telle la sécurité avec tous les aspects que cela comporte.A son époque, le Général de Gaulle pratiquait une politique étrangère sur la seule perception des intérêts de la France et du monde. On voit combien le dialogue est important et que la tradition diplomatique française a aussi un rôle déterminant dans les relations internationales
© 07.06.2019