Pour aller plus vite : la raison, ou la déraison, du plus fort ?
Dans la nuit du 13 au 14 avril, une coalition comprenant
les États-Unis, le Royaume-Uni et la France a déclenché
des frappes de missiles visant des sites présumés de
production et de stockage d’armes chimiques en Syrie. Elle a
déclaré avoir tiré plus de cent missiles de gros calibre, avoir
détruit les cibles visées et n’avoir fait aucune victime civile. Un
succès complet et une grande satisfaction du côté des trois Alliés
et des pays, membres de l’OTAN principalement, qui les ont
soutenus… sans leur prêter main forte.
Il s’agit d’une affaire scabreuse sur laquelle nos médias
audiovisuels grand public rechignent à donner les explications,
et il s’avère nécessaire d’aller chercher ces infos sur des sites de
médias anglo-saxons pour essayer de connaître et de
comprendre le pourquoi et le comment des choses.
Le motif « officiellement » invoqué pour justifier ces
« représailles » à grand spectacle est l’indispensable sanction du
régime de l’ignoble Bachar al-Assad pour son attaque le 7 avril
aux armes chimique de la ville de Douma, alors tenue par des
« rebelles », et d’avoir causé plusieurs dizaines de morts. Alors,
sur le point de tomber, Douma a été reprises par l’armée
syrienne quelques jours plus tard.
Cette opération a été menée sans mandat du Conseil sécurité de
l’ONU, en violation du droit international, pour les nombreux
pays qui l’ont condamnée à ce titre, comme pour la plupart des
responsables politiques français. Dans un article de Contrepoints
du 18 avril, « Frappes en Syrie : le week-end noir » (1), l’historien
Jean Baptiste Noé précise que « L’utilisation unilatérale de la
force entre dans le champ d’application de la Cour pénale
internationale ».
Il juge aussi, à juste titre, que « Cette frappe s’apparente assez à
une farce destinée à la communication politique ». Une
appréciation que nous retrouverons plus loin partagée par
d’autres personnalités.
Poussés hors du jeu dans les tentatives
de règlement pacifique du conflit syrien, impuissants devant le
déroulement des événements en Syrie où al-Assad, inébranlable,
semble le seul rempart contre Daech, reprend du terrain aux
rebelles et où la Russie et l’Iran occupent des positions
dominantes, nos trois pays auraient organisé ces frappes pour
montrer qu’ils faisaient quelque chose. Qu’il fallait compter avec
eux. Des motivations politiques internes ne seraient également
pas étrangères à leurs décisions de s’ériger en chefs de guerre
pour faire remonter un peu leurs cotes de popularité.
Une grande crainte des attaquants était que les frappes fassent
des victimes civiles et/ou atteignent des forces russes
disséminées sur place, avec le risque de provoquer une grave
confrontation avec la Russie. Alors, plusieurs « précautions » ont
été prises : les russes ont été informés des frappes (du timing et
surement des lieux), d’une part, et les cibles choisies, l’auraient
été parce qu’elles ne contenaient pas d’armes chimiques
susceptibles d’exploser et de provoquer des victimes aux
alentours, d’autre part. Cela semble assuré en ce qui concerne la
principale cible, le Centre d’étude et de recherche (CERS) de
Barzeh, sur lequel les Américains ont dirigé 70 missiles.
L’OIAC
(Organisation internationale de contrôle des armes chimiques)
l’avait inspecté peu de temps auparavant et n’y avait pas trouvé
trace d’armes chimiques. Et, depuis 2013, l’OIAC avait aussi
vérifié la destruction de 25 des 27 installations de production
d’armes chimiques déclarées.
Depuis que des journalistes ont pu se rendre à Douma, examiner
les lieux et recueillir des témoignages, de forts doutes ont été
exprimés sur la réalité de l’attaque au gaz à Douma le 7 avril par
le régime syrien. Il pourrait s’agir d’un coup monté, d’une mise
en scène organisée, avec le concours de Casques blancs, par des
djihadistes qui occupaient les lieux. Malgré les démentis et les
affirmations des trois « attaquants » qui déclarent détenir des
preuves irréfutables, ces doutes se sont étendus et épaissis. Au
point que le Bundestag allemand a publié un mémoire juridique
rappelant que : « Le déploiement de forces militaires contre un
État pour le punir d’avoir violé les termes d’une convention est
une infraction au droit international, qui prohibe la violence ».
Sa conclusion est que les frappes, sans accord de l’ONU, étaient
fondées sur des allégations d’attaques chimiques que l’équipe
juridique n’a « pas jugées convaincantes ».
C’est une mauvaise nouvelle pour Angela Merkel, dont le
Gouvernement a soutenu les frappes. Sans y participer,
toutefois. Bien pire pour Donald Trump, Theresa May et
Emmanuel Macron… si l’OAIC, qui enquête sur place, arrive aux
mêmes conclusions et est en mesure de les exposer. Les
pressions seront probablement très fortes.
Actuellement, déjà, l’opération se révèle être un fiasco assez
retentissant pour ses auteurs, et, selon des analystes, un grand
bénéfice pour Vladimir Poutine et Bachar al-Assad, déclarés
vainqueurs.
Jacques Myard, président du Cercle Nation et République a
insisté dans un « Billet d’analyse sur une nouvelle donne
nucléaire » (2) sur le risque accru, après ces frappes, de voir de
nombreuses puissances se faire la même réflexion que la Corée
du Nord et se lancer dans des projets nucléaires afin de se
protéger. D’après lui, une dizaine de pays sont « capables
d’atteindre le seuil nucléaire ».
C’est une des conséquences
néfastes que l’on peut redouter de la manifestation de force du
14 avril en Syrie, de la déraison du plus fort qui a animé les trois
puissances occidentales du club jusque-là assez « fermé » des
détenteurs de l’arme nucléaire. On peut ajouter que cet acte
belliqueux ne rapproche en rien l’OTAN et les pays occidentaux
de ceux du « reste » du monde.
Pour la France, ce triste bilan a été assombri par les couacs des
forces françaises : - des trois frégates chargées de tirer 3
missiles chacune, une seulement a réussi à le faire ; - un des
cinq Rafale n’a pu tirer qu’un de ses 2 missiles. Cette
contreperformance guerrière « technologique » s’accompagne
de l’inconvénient, au plan commercial de « ne pas pouvoir
démontrer la fiabilité au combat, ce qui est la preuve ultime de
la fiabilité du matériel ».
Tout ceci (dissimulation comprise) n’a pas empêché nos Hautes
Autorités de pavoiser. La « communication à tout prix, au
détriment de la lucidité. Hélas !
Si l’on veut éviter que la France s’engage à nouveau dans de
telles aventures « à risques » à la seule initiative du Président de
la République, chef des Armées, il serait temps de réviser des
dispositions de la Constitution de 1958, devenues dépassées,
relatives aux responsabilités du chef de l’Exécutif et à ses
relations avec le Parlement dans le déclenchement et
l’exécution des opérations guerrières, même lorsqu’elles sont
appelées « OPEX ».
Fiasco occidental en Syrie et mise en scène invraisemblable
Une opération grandiose contre des sites
« suspects » sans victimes à déplorer
Dès le 14 avril, sur la Toile, des flots d’informations ont détaillé
le déroulement des attaques « ciblées » de la nuit du 13 au 14 à
proximité de Damas et dans la région de Homs (environ 170 km
au nord de Damas). L’article du site lefigaro.fr/international,
« Frappes en Syrie : revivez la journée du samedi 14 avril » (3) et
celui de Wikipédia, « Bombardements de Barzé et de Him
Shinshar » (4), ont livré maintes précisions sur les forces
aériennes et maritimes mobilisées pour l’opération. Pas moins
de 18 bombardiers et chasseurs-bombardiers avec 16 chasseurs
dans l’espace aérien de la Syrie + à proximité de ses côtes, une
flotte comprenant 1 croiseur, 2 destroyers, un sous-marin, du
côté américain, et 5 frégates françaises. Impressionnant ! Entre
100 et 110 missiles (pour plus des 3/4, américains) auraient été
tirés : plus de 70 missiles américains se seraient abattus sur le
CERS de Barzeh, au nord de Damas, plus de 20 auraient visé un
dépôt d’armes chimiques à Him Shinshar, 7 missiles français
auraient frappé un autre « centre de stockage et de
commandement dans la même zone ». De son côté, la Russie a
fait savoir qu’au moins 70 missiles avaient été détruits ou
détournés de leur cible par le système syrien de défense antiaérienne.
Il n’y a eu aucune victime civile. Des témoignages font état d’un
blessé. Ni de victime militaire, syrienne, russe ou occidentale. Et
les « Alliés », triomphants, ont déclaré avoir annihilé les
capacités de production et de stockage des armes chimiques.
Des photos aériennes montrent des bâtiments (de dimensions
relativement modestes) détruits. « Tout ça pour ça ! ». Plus de
70 missiles Tomahawk armés de charges explosives de 450 kg,
des missiles « beaux, nouveaux et intelligents », selon Donald
Trump (5), pour démolir le seul CERS ! Cela parait énorme,
difficile à croire. Et les missiles Scalp lancés depuis nos avions
Rafale portaient des charges de 400 kg, tandis que celles des
missiles de croisière navals MdCN étaient de 250 kg. Combien de
missiles ont-ils vraiment atteint leurs cibles ?
Avec un tel déluge de fer et de feu, comment les Alliés ont-ils pu
réaliser la prouesse de ne pas faire de victimes, des bombes
volantes elles-mêmes ou des « dégâts collatéraux » qu’elles
auraient pu causer en « tombant » sur des stocks d’explosifs ou
d’armes chimiques qu’étaient sensés contenir les bâtiments
visés ? La précision des tirs qui ont touché leurs cibles, sans
doute. La chance aussi que des missiles « détournés » ne soient
pas tombés sur des lieux peuplés. Et, surtout, parce que les
Syriens avaient été prévenus, via les Russes (Poutine étant lui
même informé par les Français et sans doute les Américains) de
l’heure et probablement des lieux des frappes à venir. Ceci, afin
qu’aucun « civil » ne se trouve malencontreusement sur les sites
visés à l’heure fatidique. Les militaires syriens et russes n’avaient
pas de raison de s’y attarder eux aussi. Certains analystes ont
estimé que cela aurait également donné la possibilité (et le
temps) d’évacuer de ces lieux les armes chimiques prohibées.
Le CERS bombardé et détruit
après avoir été inspecté par l’OIAC
D’autres sont persuadés que le CERS à Barzeh ne contenait pas
d’armes chimiques. Aussi a-t-on pu lire les 15, 16 et 17 avril les
titres « La comédie des frappes en SYRIE » (6), « Ridicule : Les
États-Unis ont bombardé un laboratoire d’analyse et de
production de médicaments déjà inspecté par l’OIAC » (7), et
« Syrie : l’OIAC avait inspecté Barzeh et n’y avait trouvé aucune
trace d’arme chimique » (8).
L’OIAC est l’acronyme français de l’Organisation pour
l’interdiction des armes chimiques. En anglais, c ’est l’OPCW,
pour « Organisation for the Prohibition of Chemical Weapons ».
Elle est basée à La Haye et contrôle assidûment la Syrie depuis
2013. Une mission était le 18 avril à Damas, dans l’attente de
pouvoir accéder à Douma, ville de la Ghouta orientale, ex
enclave rebelle près de Damas qui est tombée entièrement aux
mains du pouvoir syrien le 15 avril. Depuis, l’OIAC a pu s’y
rendre, ainsi que sur d’autres sites « suspects ».
Le 23 mars 2018, le Conseil exécutif de l’OPCW a publié une
note synthétique (en anglais) du directeur général intitulée
« Evolution du programme syrien d’élimination des armes
chimiques » (9). En 4 pages et 17 paragraphes, elle fait le point
sur l’évolution du programme après la décision adoptée le 15
novembre 2013 de « destruction des armes chimiques syriennes
et des Installations de production d’armes chimiques ».
. Au paragraphe 6 (a), le rapport précise que « Le secrétariat a
vérifié la destruction de 25 des 27 Installations de production
d’armes chimiques (IPACs) déclarées par la République arabe de
Syrie. Comme il a déjà été rapporté, en novembre 2017, le
secrétariat a conduit une première inspection des deux dernières
installations terrestres ci-dessus mentionnées… ».
. Des paragraphes 9 et 10, il ressort que par une note verbale du
19 février 2018, la République arabe de Syrie a répondu à des
questions relatives au CERS qui avaient été posées par lettre du
Directeur Général le 29 janvier.
Le 13 mars, le secrétariat s’est
dit « rester incapable de confirmer que la déclaration soumise
par la République arabe de Syrie peut être considérée comme
exacte et complète conformément à la Convention [sur les armes
chimiques] et aux décisions du conseil ».
. Aussitôt après, au paragraphe 11 (qui a particulièrement
retenu l’attention et que plusieurs médias ont reproduit
textuellement), le rapport indique que « la seconde étape
[‘’round’’] des inspections des installations du CERS sur les sites
de Barzeh et de Jamrayah a été conduite à la date du 22
novembre 2017 ». Les résultats des analyses ont fait l’objet
d’une annexe d’un rapport du 28 février 2018. « L’analyse des
échantillons pris pendant les inspections n’ont pas révélé la
présence des produits chimiques recherchés dans les
échantillons et, pendant la seconde partie des inspections des
installations de Barzah et de Jamrayah, l’équipe des
inspecteurs n’a pas observé d’activités incompatibles avec les
obligations imposées par la convention ».
Les Américains ne pouvaient pas l’ignorer. Aussi, en « frappant »
Barzeh, le risque que des missiles « tombent » sur des stocks
d’armes chimiques était très limité. Ouf !
On comprend pourquoi, dans un « duel » sur la Syrie avec
Glucksman, Natacha Polony (10) ait pu dire, avec retenue, que
ces frappes étaient un simulacre. Un spectacle de mauvais goût,
dans lequel la France s’est engluée.
À noter que nos politiciens et les analystes stratégiques qui ont
défilé sur les plateaux de télé, « le petit doigt sur la couture du
pantalon » comme à une parade sur les Champs-Elysées un 14
juillet, ont été muets sur le sujet.
Un grand détour par les États-Unis
pour d’indispensables précisions
Aux États-Unis, où la liberté d’expression n’est pas qu’un slogan,
et où critiquer les hautes Autorités sur la « politique » étrangère
ne constitue pas de la haute trahison, le 14 avril, le New York
Times a publié sur son site Internet « Des questions à propos
des frappes U.S. sur la Syrie » (11).
Pour Joseph Blady, ex
« officer » [agent] en charge de la politique et du renseignement
au Bureau du secrétaire de la Défense de 2003 à 2010, il est
évident qu’il n’y a pas d’acteurs rationnels de part et d’autre.
« Pourquoi la Syrie userait-elle d’armes chimiques, et la Russie
fermerait-elle les yeux, alors que la Syrie est déjà en train de
battre les insurgés ? Pourquoi les États-Unis, la France et la
Grande-Bretagne lanceraient-ils une attaque si circonscrite
qu’elle ne peut aboutir à autre chose qu’à risquer une plus dure
confrontation avec la Russie ? »… « Notre interférence, à
commencer, dès le départ, par l’échec en Afghanistan, a traduit
notre incompréhension totale des dynamiques régionales, et a
contribué grandement à créer une catastrophe multirégionale ».
« La solution, une fois pour toutes, est d’en sortir. Nous n’avons
plus le moral et la capacité militaire d’arranger les choses,
particulièrement depuis que notre électorat en a soupé de
l’incompétence de notre politique étrangère »… « Nous ne
pouvons plus être le policier du monde dans un monde où l’état
de droit a perdu sa pertinence ».
Pour Alan Meyers, directeur de Cambridge Systemics, Inc, « Quoi
que l’on pense de l’attaque présumée aux armes chimiques en
Syrie (encore à vérifier de façon indépendante), les citoyens
américains ne devraient pas être concernés puisque les
événements en Syrie ne sont pas une menace directe pour nous,
que le Conseil de sécurité des Nations-Unies ne l’a pas
sanctionnée, l’attaque de notre gouvernement sur la Syrie viole
la loi internationale ».
Dès le 14 avril, dans un article intitulé « Ce que nous savons sur
les frappes de la Syrie » (12), CNN a indiqué que le colonel
général de l’armée russe Sergei Lavrov avait déclaré aux
reporters que « la défense aérienne syrienne avait intercepté
71 des 103 missiles de croisière que les alliés occidentaux
étaient sensés avoir tirés ».
La Russie était-elle avertie des frappes ? Des cibles
« spécifiquement identifiées », pour « réduire le risque que des
forces russes soient impliquées », selon le général Dunford,
commandant de l’opération. Des lignes de communication
normales ont été utilisées pendant l’approche, pour s’assurer
que l’espace aérien serait dégagé, mais les cibles n’ont pas été
« coordonnées » avec les Russes. « La ministre de la Défense
française Florence Parly a dit que Paris et ses alliés avaient
prévenu la Russie à l’avance pour éviter une escalade dans le
conflit syrien ».
Des informations intéressantes ont été apportées (en anglais)
aussi le 16 avril par l’AFP dans un article intitulé « Le chien de
garde des armes chimiques se réunit tandis que la mission en
Syrie débute » (13). On y lit notamment que les sites ciblés
étaient largement vides, mais que le président Donald Trump
avait applaudi une opération « parfaitement exécutée ». Son
tweet « Mission accomplie » lui aurait valu des mises en
parallèle avec le discours prophétique, prématurément
victorieux, de George W. Bush après l’invasion de l’Irak en 2003.
La portée limitée des frappes et le fait que Damas,
préalablement prévenu par l’Occident, ait eu le temps de retirer
les équipements incriminés, ont aussi soulevé des commentaires
sceptiques de la part des analystes.
Pour Nabeel Khoury, ex diplomate U.S. et membre du centre de
réflexion du Conseil atlantique, la dernière frappe ne change
rien. « A mon avis, cela a été un spectacle (« drama ») mis en
scène, orchestré par Trump et Poutine afin de permettre à
chacun d’eux de sauver la face ».
« Mattis voulait l’approbation du Congrès avant de frapper la
Syrie. Il a été refoulé » a titré le New York Times le 17 avril (14).
Le secrétaire à la Défense, Jim Mattis, avait pressé Trump
d’obtenir cette approbation. Mais, aux dire des « officiels » de
l’armée et de l’administration, Trump voulait une réponse
rapide et spectaculaire (« dramatic »).
Preuve que la question n’est pas anodine… et reste pendante,
Barbara Lee, représentante démocrate de Californie au Congrès
a dit mardi 10 avril : « Nous devons contrôler ce président, et
tout autre président, quand il s’agit de la responsabilité
constitutionnelle du Congrès de faire la guerre ». Elle a qualifié
les frappes en Syrie « d’illégales ».
Si Jim Mattis n’a pas réussi à convaincre Trump de s’adresser au
Congrès, « il a gagné une plus grande guerre ». Il a obtenu « la
limitation des frappes à trois cibles qui ne risqueraient pas de
mettre en danger les troupes russes dispersées auprès
d’installations militaires en Syrie. Et les 105 missiles ne devraient
pas frapper les unités militaires syriennes supposées être
responsables d’avoir exécuté l’attaque aux armes chimiques
présumées du 7 avril à Douma, près de Damas ». En fait, ce
serait Mattis qui aurait imposé la configuration de l’opération de
représailles des trois Alliés. Et personne ne nous l’a expliqué en
France ! Chez les « officiels », cependant, il se dirait que Trump
ne voulait pas frapper la Syrie trop fort pour ne pas entraîner la
Russie dans la guerre. Selon Derek Chollet, ex assistant du
secrétariat à la Défense d’Obama, « Il veut juste le ‘big show’ »,
« Mattis a donc probablement enfoncé une porte ouverte ».
Le rôle modérateur de Mattis est aussi rapporté par CNN dans
un article du 14 avril intitulé « Le président non conventionnel
trouve une cause conventionnelle en Syrie » (15). Trump aurait
argué que les frappes étaient justifiées pour renforcer le
principe selon lequel des armes trop abominables sont
inacceptables par des nations civilisées. Il aurait constitué la
« coalition » tripartite qui a frappé la Syrie comme un symbole
de coopération transatlantique a un moment où ses propres
critiques de l’OTAN ont soulevé des doutes sur son engagement dans l’Alliance atlantique… pendant que des états « totalitaires »
comme la Chine, la Russie, la Turquie, défient les démocraties.
Parmi les motivations prêtées à Trump, on trouve également la
volonté de détourner l’attention des problèmes qu’il connait aux
USA (multiples démêlés juridiques, attaques du directeur du FBI,
James Comey, qu’il a viré…) et de faire monter un peu sa cote
de popularité (voisine des 40 %) en se montrant en chef de
guerre.
Le même type de motivations est attribué à Theresa May et à
Emmanuel Macron, dont les cotes ne sont pas plus fortes que
celle de Trump, et qui sont en butte à des manifestations
hostiles et à des oppositions montantes. Au Royaume-Uni
comme aux États-Unis, le fait que le chef de l’exécutif se
dispense de l’approbation du Parlement pour entrer en guerre,
avec un risque non nul de provoquer un conflit catastrophique,
de surcroît, n’est pas conforme à la Constitution et/ou aux
usages. Des partis politiques et de nombreux citoyens de ces
pays le condamnent et ne veulent pas que cela se renouvelle. En
France, le président étant « le chef des armées », la question est
presque tabou. Et pourtant ! À la lumière de ce qui vient de se
passer, il me paraît urgent de réexaminer cette question vitale
afin qu’entrer en guerre (même « sans déclaration de guerre »)
ne relève pas que d’une décision individuelle.
Température très fraiche
au Royaume-Uni pour May
« Frappes en Syrie : Theresa May face à une forte opposition
politique » a observé Le Courrier international le 14 avril (16),
indiquant que Jeremy Corbyn, chef du parti Travailliste, avait
« martelé » : « Les bombes ne sauveront pas de vies et
n’apporteront pas la paix. Et l’intervention militaire rend plus
hypothétique la possibilité de déterminer les responsabilités des
crimes de guerre en Syrie ».
Vince Cable, leader du parti Libéral-démocrate (centre), rejoint
par Steward McDonald, porte-parole du parti Nationaliste
écossais (troisième force au Parlement britannique) a lancé
« Marcher dans le sillage d’un président américain imprévisible
ne peut remplacer un mandat de la chambre des Communes ».
Aussi, les conservateurs sont-ils restés à peu près seuls à
soutenir le Gouvernement, sans enthousiasme, semble-t-il.
Et d’après un sondage YouGov réalisé auprès de 1.600
personnes et publié le 12 avril, 43 % des sondés étaient opposés
aux frappes, et 22 % seulement s’étaient dits favorables.
« Vu du Royaume-Uni : May a attaqué la Syrie comme un
voleur, sans autorisation du Parlement » a titré un article du
Centre de recherche sur la Mondialisation de Montréal le 15
avril. George Galloway, ex parlementaire du Royaume-Uni (RU)
de 1992 à 2015, spécialiste du Moyen-Orient, y précise que
l’attaque a été déclenchée le vendredi 13 avril parce que si elle
avait attendu le lundi 16 avril, « Theresa May aurait dû porter
son ‘’plan écervelé’’ devant le Parlement, où elle ne pouvait pas
être sûre de l’emporter ».
Le RU (avec ses alliés) a bombardé pour punir une « attaque
chimique à Douma » juste avant qu’une équipe de l’OIAC ait pu
commencer les investigations nécessaires pour parvenir à une
conclusion sur cette accusation.
Galloway fait état de « la « vérité irréfutable » des allégations
de M Lavrov, ministre des Affaires étrangères russe, selon
lesquelles entre le 3 et le 6 avril, Londres
a fait pression sur les « Casques blancs »,
la brigade des ambulanciers d’Al-Qaïda
fondée et financée par le Royaume-Uni,
pour qu’ils se dépêchent de monter une
provocation du type précis de celle qui a
été montée subséquemment à Douma… si
les preuves en sont authentifiées, elles
emporteront avec elles les carrières de
plusieurs officiels britanniques, de
ministres et du Premier ministre ellemême
».
L’auteur [un perfide complotiste ?] révèle
aussi des infos tout aussi explosives, moins
directement liées à notre « affaire
syrienne » : « Selon les experts suisses [du
laboratoire Spiez certifié par le ministère
de la défense suisse], Sergueï et Ioulia
Skipral n’ont pas été attaqués par un
‘’Novichok, un agent innervant de qualité
militaire d’un type développé par la
Russie’’ du tout, mais par une substance
appelée BZ ou, pour lui donner son joli
nom du dimanche, benzilate de 3-
quinuclidinyle ». Selon M Lavrov, le BZ
« n’a jamais été produit en Russie… mais
était en service dans le Royaume-Uni, les
USA et d’autres pays de l’OTAN ». En
attendant (vainement ?) que nos médis en
parlent, davantage d’explications et de
précisions sont données dans cet article,
dont on trouvera les coordonnées Internet
en (17) de mes sources et références.
De nombreuses réserves
et oppositions en France,
mais vaines
« Intervention militaire en Syrie, pourquoi
un débat sans vote au Parlement ? » a titré un article du 16 avril
sur lemonde.fr (18) qui rappelle des dispositions de notre
Constitution encadrant les interventions militaires. Celles des
articles 5, 15 et 16, ainsi que de l’article 35, que la révision
constitutionnelle de 2008 a « étoffé » pour que le Parlement ne
soit pas totalement absent des débats et, en théorie, du
contrôle des actes du Gouvernement.
Voilà pourquoi Macron et Philippe ont tant insisté sur le fait que
les frappes n’étaient pas une « déclaration de guerre » à la Syrie.
Les « opérations à l’extérieur » (OPEX), rarement amicales, ont remplacé des « guerres » qu’on ne déclare plus, précisément
pour ne pas être obligé de demander l’autorisation du
Parlement. Il est douteux, cependant que la Syrie, la Russie,
l’Iran, la Corée du Nord et la majorité des autres états du monde
ne considèrent pas les frappes en Syrie comme des actes de
guerre.
Et c’est un des problèmes... aux conséquences néfastes.
Macron se serait appuyé sur l’article 16,
déjà utilisé et usé jusqu’à la corde par ses
prédécesseurs. Intervention injustifiée,
cependant, en l’absence de menaces
graves et immédiates à notre
indépendance, à l’intégrité du territoire et
à nos institutions. Absence de
consultations « officielles » préalables des
présidents des deux chambres et du
Conseil constitutionnel. À moins qu’elles
n’aient été tenues secrètes. Ce qui serait
étrange. De plus, Edouard Philippe n’a
informé les présidents des deux
assemblées du déclenchement des
frappes que dans la nuit du 13 au 14 avril.
Ce déclenchement a été annoncé par
Donald Trump à 3 heures (françaises) du
matin, au moment précis où il avait lieu.
Or, en ce qui concerne l’intervention des
avions français, porteurs de missiles vers
des cibles distantes de 2.900 Km de leur
base de départ, nous avons lu que : «
Après dix heures de vol depuis la base
aérienne 113 de Saint-Didier-Robinson
ponctuées de 5 ravitaillements en vol, les
Rafale tirent quant à eux neuf SCALP, une
demi-heure après les tirs des frégates
françaises » (19). Ces infos laissent penser
que l’opération a donc été « déclenchée »
en France au plus tard dans l’après-midi
du 13 et non dans la nuit du 13 au 14. Il ne
s’agit pas ici de chipoter sur une dizaine
d’heures de retard du coup de téléphone
de Philippe, mais de souligner le manque
de confiance, sinon le mépris, de nos
hautes Autorités envers les présidents des
deux assemblées représentatives des
Français. Quant au Conseil constitutionnel,
il semble avoir disparu dans la bataille.
À l’Assemblée nationale et au Sénat des
critiques insistantes de la part des partis d’opposition lors des
débats sans vote du lundi 16 avril ont été rapportées,
notamment par lemonde.fr (20). Pratiquement d’une même
voix, les leaders de ces partis ont fustigé une intervention
menée « hors du cadre légal international » (absence de mandat
de l’ONU) et sans débat préalable au Parlement.
Pour Christian Jacob « la Représentation nationale a son mot à
dire. En décidant seul, le président seul a franchi une ligne, et
nous le regrettons ». Ces frappes ont « isolé » la France et risquent
de n’être « que la manifestation d’une forme d’impuis sance sur le fond » si le Gouvernement n’explique pas ce qu’il
« cherche en Syrie ». Mélenchon a assuré que la France n’était
pas « uniquement mu [e] par le souci des droits internationaux ».
Il a aussi reproché : « Nous sommes intervenus sans preuves »,
sous les dénégations des députés de la majorité. Le même jour,
Marine Le Pen avait estimé qu’Emmanuel Macron n’avait « pas
apporté le début d’un commencement de preuves d’utilisation
d’armes chimiques par le Régime de Bachar al-Assad pour
justifier les frappes en Syrie » (21).
Les réponses de Philippe citées, assez creuses, ne peuvent
satisfaire que ceux qui le désirent, avec, en particulier : « Ce que
nous voulions faire, c’était bien frapper exclusivement des
installations chimiques et exclusivement syriennes. C’est un
message dont la motivation n’est pas la conquête territoriale,
pas un intérêt «économique ». + « On gouverne avec une vision
de la France, pas forcément consensuelle, mais nous
l’assumons ». + « Je dois dire que j’imagine mal que la
conception initiale des auteurs de la Ve
République ait été de
demander au Parlement un débat public avant que le président
ne puisse engager une intervention armée ».
Les députés auraient PU rétorquer : 1 - que personne d’autre
que lui n’avait parlé de « débat public » ; 2 - que les tenues de
tels débats ne sont pas des hérésies dans la plupart des pays
d’occident et qu’ils sont même prescrits par les Constitutions de
certains États ; 3 - qu’il ne serait pas anormal que les débats
portent sur les motivations, les justifications, la légalité… des
interventions, sans que les questions d’ordre « militaire » et/ou
opérationnel soient nécessairement à l’ordre du jour ; 4 - que
lors de la conception de la Ve
République, 13 ans après la fin de
la Seconde guerre mondiale, la situation géopolitique était loin
d’être stabilisée dans monde, la « guerre froide » connaissait
une période chaude à Berlin, la décolonisation était en marche,
la guerre d’Algérie faisait des milliers de morts… et c’était le
Général De Gaulle qui était appelé à devenir Président de la
République et chef des armées. Depuis, les choses ont bien
changé. Mais des zones de danger existent, notamment au
Moyen-Orient, et il est recommandé de ne rien faire pour y
mettre le feu aux poudres ou envenimer des situations
complexes et tendues ; 5 – que Nicolas Sarkozy est notre
dernier chef des armées à avoir accompli son service militaire.
En dehors de l’OTAN, beaucoup de réactions
internationales critiques
Chez Wikipédia (19) ont été recensés 28 pays qui ont réagi aux
frappes en Syrie. 16 pays les ont approuvées, dont 12
(seulement ?) sur les 26 « alliés » de nos 3 belligérants
appartenant à l’OTAN. L’Australie, l’Arabie Saoudite, Israël et le
Qatar ont fait de même. 9 pays les ont franchement
condamnées : la Russie, la Chine, l’Iran, l’Irak, l’Egypte, l’Algérie,
ainsi que Cuba, la Colombie et le Venezuela. Le Brésil, la
Colombie et le Mexique se sont contentés de condamner
l’utilisation des armes chimiques. Quant à l’opposition en Syrie,
elle juge les frappes très insuffisantes.
Des informations sur les « principales réactions » ont été
données sur letelegramme.fr Le 14 avril (22).
Le secrétaire général de l’ONU a déclaré « J’appelle les États
membres à faire preuve de retenue dans ces dangereuses
circonstances et à éviter toute action qui pourrait conduire à une
escalade et à aggraver la souffrance du peuple syrien ».
Le président du Conseil européen, Donald Tusk, a affirmé « que
l’UE se tiendra aux côtés de ses alliés du côté de la justice… ».
[Bien que seulement une petite dizaine de pays membres de
l’UE aient approuvé ces frappes].
Le secrétaire général de l’OTAN a affirmé « Je soutiens les
actions prises par les États-Unis, le Royaume-Uni et la France
contre les installations et les capacités d’armes chimiques du
régime syrien ».
La Chine a répété ce qu’elle avait déjà dit : « Nous nous
opposons constamment à l’usage de la force dans les relations
internationales (…) Nous appelons les parties concernées à
revenir dans le cadre du droit international ».
En Iran, les condamnations des frappes ont été très sévères, et
leurs auteurs, Trump, Macron et May ont été traités de
« criminels » par le « guide suprême », l’ayatollah Ali Khamenei.
[On peut craindre que les frappes renforcent la volonté de l’Iran
de se doter de l’arme nucléaire et enveniment les « discussions
sur le nucléaire iranien »].
Inutile de parler du mécontentement de la Russie et du coup
porté aux tentatives de paix dans la région. En conséquence, la
Russie aurait décidé d’aider la Syrie à renforcer davantage sa
défense.
À noter, enfin, que Macron n’a pas eu l’accueil et l’approbation
qu’il escomptait au Parlement européen à Strasbourg où il est
allé le 17 février défendre ses projets pour l’UE et la zone euro.
Vivement critiqué sur les frappes en Syrie, il « a laissé éclater sa
colère » et a haussé le ton pour s’expliquer (23). Il n’est pas
certain que cela ait contribué à le rendre plus audible, plus
crédible… et plus sympathique.
« Les couacs de l’opération militaire française »
C’est le titre d’un article sur francetvinfo.fr le 21 avril (24), c'est-
à-dire une semaine après l’attaque contre la Syrie… et 2 à 3 jours
après que d’autres sites, étrangers, apparemment plus « vite »
et mieux informés, tels Russia today (25) et Defense News (26)
aient fait état des « incidents » survenus lors des tentatives de
frappes françaises.
Des trois frégates chargées de tirer des missiles « de très haute
technologie » depuis la Méditerranée, deux, les frégates
Aquitaine et Auvergne ne sont pas parvenues à tirer leurs 3
missiles. Seule la frégate Languedoc a réussi à envoyer les siens
sur les trois cibles qui étaient visées dans la région de Homs.
Languedoc a été présentée à Defense News le 18 avril comme le
navire d’appui, de soutien des deux autres frégates par le porteparole
du chef d’état-major français qui a indiqué que « le
lancement par un navire de soutien fait partie de l’approche standard de ‘’redondance’’ de la France »… « Toutes les cibles
ont été touchées » a-t-il ajouté. « Le résultat militaire a été
obtenu. L’efficacité a conduit les commandants à décider qu’il
n’y avait pas besoin d’une seconde frappe de missile naval de
croisière ». Comprendra ces dernières assertions qui pourra et
les croira qui voudra.
Les opportunités de « tester » des armes nouvelles sont rares. Et
l’opération de représailles en Syrie en était une. Un journaliste
spécialisé a estimé que « Ne pas pouvoir démontrer la fiabilité
au combat, ce qui est la preuve ultime de la fiabilité du
matériel, c’est évidemment très gênant au plan commercial »
(24). Pas seulement !
Les couacs ne se sont pas arrêtés là. Chacun des cinq avions
Rafale devait tirer deux missiles Scalp. L’un des Rafale n’a pas
pu tirer le second et l’a largué en mer pour éviter le danger d’un
retour avec un missile chargé d’explosifs.
Ces « dysfonctionnements » restent inexpliqués… mais « chaque
missile coûte 850 000 euros ». Par mer et par les airs, ce
sont 19 missiles français qui ont été consacrés à l’opération,
dont 12 ont été tirés sur leurs cibles. Et le coût du déploiement
de nos forces navales et aériennes a certainement coûté plus
cher.
« Ratés supposés lors des frappes en Syrie : Florence Parly refuse
de commenter ‘’les performances de tel ou tel système
d’armes’’ » (27) sur France Bleu Provence le 20 avril. La ministre
des Armées aurait déclaré « Je lis comme vous la presse et je
n’ai pas l’intention de commenter les performances de tel ou tel
système d’armes. Vous comprendrez que ces informations,
qu’elles soient vraies ou fausses, sont tout à fait classifiées et
donc je ne les commenterai pas ». Elle a dit aussi « Nous avons
tiré le nombre de missiles qui étaient nécessaires pour atteindre
et pour détruire les cibles que nous nous étions fixées (…) Nos
objectifs ont été atteints et nous n’avons rien à ajouter ». La
Grande muette ! Et même notre représentation nationale n’a
pas eu droit à des explications le 16 avril, puisque le « pot aux
roses » n’a été dévoilé à l’étranger et en France qu’après cette
date. Et depuis le 21 avril, c’est silence radio et télé chez nos
médias grand public. L’info est sortie des radars.
L’attaque chimique à Douma :
« très probablement une mise en scène »
Le 11 avril, un article sur leparisien.fr avait pour titre « L’attaque
chimique à Douma, une mise en scène des Casques blancs, pour
la Russie » (28). Cette déclaration du général Viktor Poznikhir,
relayée par d’autres médias, n’a pas eu de suites immédiates.
Les frappes punitives ont eu lieu moins de 3 jours plus tard.
C’est Russia today (rt.com) qui a relancé « l’affaire » avec son
article du 17 avril 2018 intitulé « Après s’être rendus à Douma,
les médias occidentaux commencent à s’interroger sur le récit
de ‘’l’attaque au gaz’’ » (29). Mais, comme rt.com, « instrument
de propagande poutinien » présumé, n’a pas vraiment droit de
cité chez nous, il a fallu attendre le lendemain pour lire sur le
site canadien du Centre de recherche sur la mondialisation ’article « À Douma personne n’a vu d’attaque chimique au
gaz » (30). Ensuite, le 22 avril, le blog d’Entelekheia (une
association apolitique dont le siège est à Paris, place Vendôme)
a affiché « Chaîne de télévision publique allemande : L’arme
chimique de Syrie était ‘’très probablement une mise en
scène’’» (31). La chaîne en question est ZDF, deuxième chaîne
publique généraliste allemande. Bien d’autres médias ont
abordé le sujet et exprimé des doutes sur la réalité de l’attaque
chimique par Bachar al-Assad à Douma le 7 avril.
Le site mondialisation.ca a publié le récit du grand reporter
britannique Robert Fisk, qui a été l’un des premiers à se rendre à
Douma (d2). Pour résumer, « Les victimes n’ont pas été
exposées au gaz, mais à un manque d’oxygène dans les tunnels
et les sous-sols où ils étaient réfugiés ». La ville en est truffée.
Fisk indique avoir parcouru trois « vastes et larges tunnels,
creusés à même la roche par des prisonniers avec des pioches à
trois niveaux sous la ville ». Une partie souterraine de la ville où
les habitants ont dû vivre, avec leurs occupants, « comme des
troglodytes pendant des mois pour survivre ».
Fisk a recueilli le témoignage du médecin chef de la (très
modeste) clinique souterraine où a été tournée la vidéo qui a
fait le tour du monde occidental et qui montre des enfants
présumés gazés, affolés, bousculés et arrosés avec de l’eau. Il se
trouvait avec sa famille dans le sous-sol de sa maison à trois
cents mètres de la clinique au moment des faits, « mais tous les
médecins savent ce qui s’est passé ». « Cette nuit-là, il y avait du
vent et d’énormes nuages de poussière ont commencé à entrer
dans les sous-sols et les caves. Les gens ont commencé à arriver
ici souffrant d’hypoxie. Puis quelqu’un à la porte, un Casque
blanc, a crié : ‘’Gaz ! ‘’. La panique a commencé. Les gens ont
commencé à s’asperger d’eau. Oui, la vidéo a été tournée ici,
mais ce que vous voyez, ce sont des gens souffrant d’hypoxie –
pas d’intoxication au gaz ».
Les Casques blancs sont des intervenants médicaux en partie
financés par le Foreign Office. Les journalistes n’ont pas pu les
interroger. Une femme leur a dit qu’après le cessez-le-feu ils
étaient tous partis avec les groupes armés dans les bus affrétés
par le Gouvernement et protégés par les Russes qui devaient les
conduire jusqu’à la province rebelle d’Idleb (au sud-est d’Alep, à
environ 300 km au nord de Douma).
Après avoir bavardé avec plus de 20 personnes, Fisk n’a pu en
trouver une pour qui Douma serait la cause des frappes
occidentales en Syrie.
Pour la chaîne ZDF (31), l’enquête menée sur le terrain par son
correspondant, le chevronné Uli Gack, corrobore les
observations de Fisk. Pour Gack, « l’attaque chimique de Douma
était plus que probablement une mise en scène, de très
nombreuses personnes ici [à Douma] en sont convaincues ».
Elément complémentaire, au cours du « direct » de Gack à la
télé allemande, « des témoins ont dit à ZDF que des rebelles
avaient tué des gens avec du chlore, filmé la scène, puis affirmé
que c’était ‘’une attaque chimique d’Assad’’»… tandis que de
très nombreuses personnes semblaient convaincues qu’aucune
attaque chimique n’avait eu lieu.
D’autres images prises par des journalistes ont été présentées
sur le Net depuis le 18 avril montrant plusieurs des enfants qui
avaient été aspergés d’eau le 7 avril à la clinique souterraine,
apparemment en bonne santé. Interrogés par les journalistes ils
auraient dit avoir été poussés à se précipiter à la clinique et à se
prêter au rôle de victimes… contre la remise par des inconnus
d’aliments et de friandises.
Presqu’au même moment où le reportage pour ZDF avait lieu,
en réponse à une requête du parti de gauche Die Linke, un
mémoire juridique a été publié par le Bundestag (Assemblée
fédérale d’Allemagne) sur les frappes en Syrie de la coalition
menée par les USA. L’article d’Entelekheia cite l’extrait
suivant du mémoire juridique : « Le déploiement de forces
militaires contre un État pour le punir d’avoir violé les termes
d’une convention est une infraction au droit international, qui
prohibe la violence ». Puis, le mémoire conclut que l’attaque,
sans accord de l’ONU, avec le soutien du gouvernement
allemand (toutefois sans participation militaire allemande) était
fondée sur des allégations d’attaques chimiques que l’équipe
juridique n’a « pas jugées convaincantes ».
Obstruction, propagande, désinformation ?
Le 27 avril, France Diplomatie a fait savoir (32) que la France et
16 autres pays membres de l’OIAC ont signé une déclaration
conjointe accusant la Russie de tentative d’obstruction, de
propagande et de désinformation, lui reprochant d’avoir décidé
le 26 avril « la tenue d’une prétendue réunion ‘’d’information’’
au siège de l’OIAC (La Haye) mettant en scène des ‘’témoins’’
syriens ».
Ils accusent les Syriens d’avoir entravé l’enquête des inspecteurs
de l’OIAC et retardé leur accès aux sites des attaques présumées
aux armes chimiques. Ils apportent leur soutien à l’OIAC et à la
FFM (mission d’établissement des faits) par laquelle les
« témoins » doivent impérativement être interrogés. Et, selon la
déclaration : « L’authenticité des informations recueillies à ce
jour concernant les attaques chimiques perpétrées à Douma le
7 avril, grâce à de nombreux témoignages, est incontestable ».
Ce n’est, semble-t-il, pas l’opinion du Bundestag… bien que
l’Allemagne soit cosignataire de la déclaration.
Avec la France, les pays signataires sont : l’Allemagne,
l’Australie, la Bulgarie, le Canada, le Danemark, l’Estonie, les
États-Unis d’Amérique, l’Islande, l’Italie, la Lettonie, la Lituanie,
les Pays-Bas, la Pologne, la République tchèque, le Royaume-Uni
de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et la Slovaquie. 17
pays, donc (dont les 3 « attaquants »), sur les 192 pays membres
de l’OIAC. 17 pays dont presque tous sont membres de l’OTAN.
Et qu’en pense-t-on hors de l’Alliance atlantique ? Un fossé
n’est-il pas en train de se creuser, précisément, entre cette
partie du « monde occidental » et le reste de la planète ?
Sources et références
(1) « Frappes en Syrie : le week-end noir », contrepoints.org/2018/04/18/314297-
frappes…
(2) « Billet d’analyse sur une nouvelle donne nucléaire », Jacques Myard, président
du Cercle Nation et République, le 23/04/2018.
(3) « Frappes en Syrie : revivez le 14 avril »,
lefigaro.fr/international/2018/04/14/01003….
(4) « Bombardements de Barzé et de Him Shinshar », Wikipédia, le 17/04/2018.
(5) «’’Beaux, nouveaux et intelligents’’ : quels sont les missiles dont parle
Trump ? », leparisien.fr/international/beaux-nouveaux…, le 14/04/2018.
(6) « La comédie des frappes en SYRIE », pgibertie.com/2018/04/15/la-comedie…
(7) « Ridicule : Les États-Unis ont bombardé… un laboratoire d’analyse et de
production de médicaments déjà inspecté par l’OIAC », brujita.fr/2018/04/ridicule…
(8) « Syrie ; l’OIAC avait inspecté Barzeh et n’y avait trouvé aucune trace d’arme
chimique », newsly.fr/2018/04/17/syrie-loiac…
(9) « OPCW Executive Council Note by the Director-General, Progress in the
elimination of the syrian chemicals programme », 23 march 2018. Original : anglais.
(10) Polony, VS Glucksman, Syrie, Polony : « Les frappes sont un simulacre »,
agoravox.tv/actualites/international/polony-vs…, le 16/04/2018.
(11) « Questions About the U.S. Strikes on Syria »,
nytimes.com/2018/04/14/opinions/us-syria-attack.html.
(12) « What we know about the Syria strikes », CNN, le 14/04/2018.
(13) « Chemical watchdog convenes as Syria mission begins »,
afp.com/en/news/155857…, le 16/04/2018.
(14) « Mattis Wanted Congressional Approval Before Striking Syria. He was
Overruled », nytimes.com/2018/04/17/us/politics/jim-mattis-trump…
(15) « The unconventionnal President finds a conventionnal cause in Syria »,
edi.cnn.com/2018/tion04/14/politics/trump-syria-attack…
(16) « Frappes en Syrie : Theresa May face à une forte opposition politique »,
courrierinternational.com/depeche/frappes…, le 14/04/2018.
(17) « Vu du Royaume-Uni : May a attaqué la Syrie comme un voleur, sans
autorisation du parlement », Mondialisation.ca/vu-du-royaume…, le 15/04/2018.
(18) « Intervention militaire en Syrie : pourquoi un débat sans vote au
Parlement ? », lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/04/16/intervention…
(19) « Bombardements de Barzé et de Him Shinshar », Wikipédia, mise à jour du
17/04/2018.
(20) « Ce qu’il faut retenir du débat à l’Assemblée nationale sur les frappes en
Syrie. »
(21) « Syrie : Macron n’a pas apporté la moindre « preuve » pouvant justifier les
frappes », actu.orange.fr/politique/syrie…, le 16/04/2018.
(22) « Frappes en Syrie. Les principales réactions »,
letelegramme.fr/monde/frappes-en…, le 14/04/2018.
(23) « La grosse colère de Macron face aux eurodéputés hostiles aux frappes en
Syrie », actu.orange.fr/monde/la grosse…, le 17/04/2018.
(24) Vidéo. « Syrie : les couacs de l’opération militaire française »,
francetvinfo.fr/monde/revolte-en-syrie/frappes-occid…, le 21/04/2018.
(25) « Macron’s fizzle : 12 French missiles launched at Syria, but several more fail to
fire », rt.com/news/424628-french-missiles…, le 20/04/2018.
(26) « France turns to plan B when missile launch fails during Syria airstrikes »,
defensenews.com/naval/2018/04/18/France-turns…
(27) « Ratés supposés lors des frappes en Syrie : Florence Parly refuse de
commenter ‘’les performances de tel ou tel système d’arme’’»,
francetvinfo.fr/economie/emploi/metiers/armee-et-securite, le 20/04/2018.
(28) « L’attaque chimique à Douma, une mise en scène des Casques blancs, pour la
Russie », leparisien.fr/international/syrie-l-attaque…, le 11/04/2018.
(29) « After visiting Douma, western media begin to question ‘gas attack’
narrative », rt.com/news/424421-western-media…, le 17/04/2018.
(30) « À Douma personne n’a vu d’attaque chimique au gaz », mondialisation.ca/adouma…,
le 18/04/2018.
(31) Chaine de télévision publique allemande : « L’attaque chimique de Syrie était
‘’très probablement une mise en scène’’», entelekheia.fr/chaine-de-tel…, le
22/04/2018.
(32) « Syrie/Attaques chimiques à Douma (7 avril) : déclaration conjointe de la
France et 16 autres pays membres de l’OIAC » (26.04.2018),
dplomatie.gouv.fr/politique-etrangere…, le 27/04/2018.