207klobo - Académie du Gaullisme

 Président-fondateur
Jacques Dauer

Académie du Gaullisme
La Lettre du 18 JUIN Vingt- sixième année – n° 207 – Mai 2018
"Il y a un pacte vingt fois séculaire entre la grandeur de la France et la liberté du monde."
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par Paul KLOBOUKOFF
Pour aller plus vite : la raison, ou la déraison, du plus fort ?
Dans la nuit du 13 au 14 avril, une coalition comprenant les États-Unis, le Royaume-Uni et la France a déclenché des frappes de missiles visant des sites présumés de production et de stockage d’armes chimiques en Syrie. Elle a déclaré avoir tiré plus de cent missiles de gros calibre, avoir détruit les cibles visées et n’avoir fait aucune victime civile. Un succès complet et une grande satisfaction du côté des trois Alliés et des pays, membres de l’OTAN principalement, qui les ont soutenus… sans leur prêter main forte. Il s’agit d’une affaire scabreuse sur laquelle nos médias audiovisuels grand public rechignent à donner les explications, et il s’avère nécessaire d’aller chercher ces infos sur des sites de médias anglo-saxons pour essayer de connaître et de comprendre le pourquoi et le comment des choses. Le motif « officiellement » invoqué pour justifier ces « représailles » à grand spectacle est l’indispensable sanction du régime de l’ignoble Bachar al-Assad pour son attaque le 7 avril aux armes chimique de la ville de Douma, alors tenue par des « rebelles », et d’avoir causé plusieurs dizaines de morts. Alors, sur le point de tomber, Douma a été reprises par l’armée syrienne quelques jours plus tard. Cette opération a été menée sans mandat du Conseil sécurité de l’ONU, en violation du droit international, pour les nombreux pays qui l’ont condamnée à ce titre, comme pour la plupart des responsables politiques français. Dans un article de Contrepoints du 18 avril, « Frappes en Syrie : le week-end noir » (1), l’historien Jean Baptiste Noé précise que « L’utilisation unilatérale de la force entre dans le champ d’application de la Cour pénale internationale ». Il juge aussi, à juste titre, que « Cette frappe s’apparente assez à une farce destinée à la communication politique ». Une appréciation que nous retrouverons plus loin partagée par d’autres personnalités.
Poussés hors du jeu dans les tentatives de règlement pacifique du conflit syrien, impuissants devant le déroulement des événements en Syrie où al-Assad, inébranlable, semble le seul rempart contre Daech, reprend du terrain aux rebelles et où la Russie et l’Iran occupent des positions dominantes, nos trois pays auraient organisé ces frappes pour montrer qu’ils faisaient quelque chose. Qu’il fallait compter avec eux. Des motivations politiques internes ne seraient également pas étrangères à leurs décisions de s’ériger en chefs de guerre pour faire remonter un peu leurs cotes de popularité. Une grande crainte des attaquants était que les frappes fassent des victimes civiles et/ou atteignent des forces russes disséminées sur place, avec le risque de provoquer une grave confrontation avec la Russie. Alors, plusieurs « précautions » ont été prises : les russes ont été informés des frappes (du timing et surement des lieux), d’une part, et les cibles choisies, l’auraient été parce qu’elles ne contenaient pas d’armes chimiques susceptibles d’exploser et de provoquer des victimes aux alentours, d’autre part. Cela semble assuré en ce qui concerne la principale cible, le Centre d’étude et de recherche (CERS) de Barzeh, sur lequel les Américains ont dirigé 70 missiles.
L’OIAC (Organisation internationale de contrôle des armes chimiques) l’avait inspecté peu de temps auparavant et n’y avait pas trouvé trace d’armes chimiques. Et, depuis 2013, l’OIAC avait aussi vérifié la destruction de 25 des 27 installations de production d’armes chimiques déclarées. Depuis que des journalistes ont pu se rendre à Douma, examiner les lieux et recueillir des témoignages, de forts doutes ont été exprimés sur la réalité de l’attaque au gaz à Douma le 7 avril par le régime syrien. Il pourrait s’agir d’un coup monté, d’une mise en scène organisée, avec le concours de Casques blancs, par des djihadistes qui occupaient les lieux. Malgré les démentis et les affirmations des trois « attaquants » qui déclarent détenir des preuves irréfutables, ces doutes se sont étendus et épaissis. Au point que le Bundestag allemand a publié un mémoire juridique rappelant que : « Le déploiement de forces militaires contre un État pour le punir d’avoir violé les termes d’une convention est une infraction au droit international, qui prohibe la violence ». Sa conclusion est que les frappes, sans accord de l’ONU, étaient fondées sur des allégations d’attaques chimiques que l’équipe juridique n’a « pas jugées convaincantes ». C’est une mauvaise nouvelle pour Angela Merkel, dont le Gouvernement a soutenu les frappes. Sans y participer, toutefois. Bien pire pour Donald Trump, Theresa May et Emmanuel Macron… si l’OAIC, qui enquête sur place, arrive aux mêmes conclusions et est en mesure de les exposer. Les pressions seront probablement très fortes. Actuellement, déjà, l’opération se révèle être un fiasco assez retentissant pour ses auteurs, et, selon des analystes, un grand bénéfice pour Vladimir Poutine et Bachar al-Assad, déclarés vainqueurs.
Jacques Myard, président du Cercle Nation et République a insisté dans un « Billet d’analyse sur une nouvelle donne nucléaire » (2) sur le risque accru, après ces frappes, de voir de nombreuses puissances se faire la même réflexion que la Corée du Nord et se lancer dans des projets nucléaires afin de se protéger. D’après lui, une dizaine de pays sont « capables d’atteindre le seuil nucléaire ».
C’est une des conséquences néfastes que l’on peut redouter de la manifestation de force du 14 avril en Syrie, de la déraison du plus fort qui a animé les trois puissances occidentales du club jusque-là assez « fermé » des détenteurs de l’arme nucléaire. On peut ajouter que cet acte belliqueux ne rapproche en rien l’OTAN et les pays occidentaux de ceux du « reste » du monde. Pour la France, ce triste bilan a été assombri par les couacs des forces françaises : - des trois frégates chargées de tirer 3 missiles chacune, une seulement a réussi à le faire ; - un des cinq Rafale n’a pu tirer qu’un de ses 2 missiles. Cette contreperformance guerrière « technologique » s’accompagne de l’inconvénient, au plan commercial de « ne pas pouvoir démontrer la fiabilité au combat, ce qui est la preuve ultime de la fiabilité du matériel ».
Tout ceci (dissimulation comprise) n’a pas empêché nos Hautes Autorités de pavoiser. La « communication à tout prix, au détriment de la lucidité. Hélas ! Si l’on veut éviter que la France s’engage à nouveau dans de telles aventures « à risques » à la seule initiative du Président de la République, chef des Armées, il serait temps de réviser des dispositions de la Constitution de 1958, devenues dépassées, relatives aux responsabilités du chef de l’Exécutif et à ses relations avec le Parlement dans le déclenchement et l’exécution des opérations guerrières, même lorsqu’elles sont appelées « OPEX ».
Fiasco occidental en Syrie et mise en scène invraisemblable
Une opération grandiose contre des sites « suspects » sans victimes à déplorer
Dès le 14 avril, sur la Toile, des flots d’informations ont détaillé le déroulement des attaques « ciblées » de la nuit du 13 au 14 à proximité de Damas et dans la région de Homs (environ 170 km au nord de Damas). L’article du site lefigaro.fr/international, « Frappes en Syrie : revivez la journée du samedi 14 avril » (3) et celui de Wikipédia, « Bombardements de Barzé et de Him Shinshar » (4), ont livré maintes précisions sur les forces aériennes et maritimes mobilisées pour l’opération. Pas moins de 18 bombardiers et chasseurs-bombardiers avec 16 chasseurs dans l’espace aérien de la Syrie + à proximité de ses côtes, une flotte comprenant 1 croiseur, 2 destroyers, un sous-marin, du côté américain, et 5 frégates françaises. Impressionnant ! Entre 100 et 110 missiles (pour plus des 3/4, américains) auraient été tirés : plus de 70 missiles américains se seraient abattus sur le CERS de Barzeh, au nord de Damas, plus de 20 auraient visé un dépôt d’armes chimiques à Him Shinshar, 7 missiles français auraient frappé un autre « centre de stockage et de commandement dans la même zone ». De son côté, la Russie a fait savoir qu’au moins 70 missiles avaient été détruits ou détournés de leur cible par le système syrien de défense antiaérienne.
Il n’y a eu aucune victime civile. Des témoignages font état d’un blessé. Ni de victime militaire, syrienne, russe ou occidentale. Et les « Alliés », triomphants, ont déclaré avoir annihilé les capacités de production et de stockage des armes chimiques. Des photos aériennes montrent des bâtiments (de dimensions relativement modestes) détruits. « Tout ça pour ça ! ». Plus de 70 missiles Tomahawk armés de charges explosives de 450 kg, des missiles « beaux, nouveaux et intelligents », selon Donald Trump (5), pour démolir le seul CERS ! Cela parait énorme, difficile à croire. Et les missiles Scalp lancés depuis nos avions Rafale portaient des charges de 400 kg, tandis que celles des missiles de croisière navals MdCN étaient de 250 kg. Combien de missiles ont-ils vraiment atteint leurs cibles ? Avec un tel déluge de fer et de feu, comment les Alliés ont-ils pu réaliser la prouesse de ne pas faire de victimes, des bombes volantes elles-mêmes ou des « dégâts collatéraux » qu’elles auraient pu causer en « tombant » sur des stocks d’explosifs ou d’armes chimiques qu’étaient sensés contenir les bâtiments visés ? La précision des tirs qui ont touché leurs cibles, sans doute. La chance aussi que des missiles « détournés » ne soient pas tombés sur des lieux peuplés. Et, surtout, parce que les Syriens avaient été prévenus, via les Russes (Poutine étant lui même informé par les Français et sans doute les Américains) de l’heure et probablement des lieux des frappes à venir. Ceci, afin qu’aucun « civil » ne se trouve malencontreusement sur les sites visés à l’heure fatidique. Les militaires syriens et russes n’avaient pas de raison de s’y attarder eux aussi. Certains analystes ont estimé que cela aurait également donné la possibilité (et le temps) d’évacuer de ces lieux les armes chimiques prohibées.
Le CERS bombardé et détruit après avoir été inspecté par l’OIAC
D’autres sont persuadés que le CERS à Barzeh ne contenait pas d’armes chimiques. Aussi a-t-on pu lire les 15, 16 et 17 avril les titres « La comédie des frappes en SYRIE » (6), « Ridicule : Les États-Unis ont bombardé un laboratoire d’analyse et de production de médicaments déjà inspecté par l’OIAC » (7), et « Syrie : l’OIAC avait inspecté Barzeh et n’y avait trouvé aucune trace d’arme chimique » (8). L’OIAC est l’acronyme français de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques. En anglais, c ’est l’OPCW,
pour « Organisation for the Prohibition of Chemical Weapons ». Elle est basée à La Haye et contrôle assidûment la Syrie depuis 2013. Une mission était le 18 avril à Damas, dans l’attente de pouvoir accéder à Douma, ville de la Ghouta orientale, ex enclave rebelle près de Damas qui est tombée entièrement aux mains du pouvoir syrien le 15 avril. Depuis, l’OIAC a pu s’y rendre, ainsi que sur d’autres sites « suspects ». Le 23 mars 2018, le Conseil exécutif de l’OPCW a publié une note synthétique (en anglais) du directeur général intitulée « Evolution du programme syrien d’élimination des armes chimiques » (9). En 4 pages et 17 paragraphes, elle fait le point sur l’évolution du programme après la décision adoptée le 15 novembre 2013 de « destruction des armes chimiques syriennes et des Installations de production d’armes chimiques ». . Au paragraphe 6 (a), le rapport précise que « Le secrétariat a vérifié la destruction de 25 des 27 Installations de production d’armes chimiques (IPACs) déclarées par la République arabe de Syrie. Comme il a déjà été rapporté, en novembre 2017, le secrétariat a conduit une première inspection des deux dernières installations terrestres ci-dessus mentionnées… ». . Des paragraphes 9 et 10, il ressort que par une note verbale du 19 février 2018, la République arabe de Syrie a répondu à des questions relatives au CERS qui avaient été posées par lettre du Directeur Général le 29 janvier.
Le 13 mars, le secrétariat s’est dit « rester incapable de confirmer que la déclaration soumise par la République arabe de Syrie peut être considérée comme exacte et complète conformément à la Convention [sur les armes chimiques] et aux décisions du conseil ». . Aussitôt après, au paragraphe 11 (qui a particulièrement retenu l’attention et que plusieurs médias ont reproduit textuellement), le rapport indique que « la seconde étape [‘’round’’] des inspections des installations du CERS sur les sites de Barzeh et de Jamrayah a été conduite à la date du 22 novembre 2017 ». Les résultats des analyses ont fait l’objet d’une annexe d’un rapport du 28 février 2018. « L’analyse des échantillons pris pendant les inspections n’ont pas révélé la présence des produits chimiques recherchés dans les échantillons et, pendant la seconde partie des inspections des installations de Barzah et de Jamrayah, l’équipe des inspecteurs n’a pas observé d’activités incompatibles avec les obligations imposées par la convention ».
Les Américains ne pouvaient pas l’ignorer. Aussi, en « frappant » Barzeh, le risque que des missiles « tombent » sur des stocks d’armes chimiques était très limité. Ouf ! On comprend pourquoi, dans un « duel » sur la Syrie avec Glucksman, Natacha Polony (10) ait pu dire, avec retenue, que ces frappes étaient un simulacre. Un spectacle de mauvais goût, dans lequel la France s’est engluée. À noter que nos politiciens et les analystes stratégiques qui ont défilé sur les plateaux de télé, « le petit doigt sur la couture du pantalon » comme à une parade sur les Champs-Elysées un 14 juillet, ont été muets sur le sujet.
Un grand détour par les États-Unis pour d’indispensables précisions
Aux États-Unis, où la liberté d’expression n’est pas qu’un slogan, et où critiquer les hautes Autorités sur la « politique » étrangère ne constitue pas de la haute trahison, le 14 avril, le New York Times a publié sur son site Internet « Des questions à propos des frappes U.S. sur la Syrie » (11).
Pour Joseph Blady, ex « officer » [agent] en charge de la politique et du renseignement au Bureau du secrétaire de la Défense de 2003 à 2010, il est évident qu’il n’y a pas d’acteurs rationnels de part et d’autre. « Pourquoi la Syrie userait-elle d’armes chimiques, et la Russie fermerait-elle les yeux, alors que la Syrie est déjà en train de battre les insurgés ? Pourquoi les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne lanceraient-ils une attaque si circonscrite qu’elle ne peut aboutir à autre chose qu’à risquer une plus dure confrontation avec la Russie ? »… « Notre interférence, à commencer, dès le départ, par l’échec en Afghanistan, a traduit notre incompréhension totale des dynamiques régionales, et a contribué grandement à créer une catastrophe multirégionale ». « La solution, une fois pour toutes, est d’en sortir. Nous n’avons plus le moral et la capacité militaire d’arranger les choses, particulièrement depuis que notre électorat en a soupé de l’incompétence de notre politique étrangère »… « Nous ne pouvons plus être le policier du monde dans un monde où l’état de droit a perdu sa pertinence ».
Pour Alan Meyers, directeur de Cambridge Systemics, Inc, « Quoi que l’on pense de l’attaque présumée aux armes chimiques en Syrie (encore à vérifier de façon indépendante), les citoyens américains ne devraient pas être concernés puisque les événements en Syrie ne sont pas une menace directe pour nous, que le Conseil de sécurité des Nations-Unies ne l’a pas sanctionnée, l’attaque de notre gouvernement sur la Syrie viole la loi internationale ».
Dès le 14 avril, dans un article intitulé « Ce que nous savons sur les frappes de la Syrie » (12), CNN a indiqué que le colonel général de l’armée russe Sergei Lavrov avait déclaré aux reporters que « la défense aérienne syrienne avait intercepté 71 des 103 missiles de croisière que les alliés occidentaux étaient sensés avoir tirés ». La Russie était-elle avertie des frappes ? Des cibles « spécifiquement identifiées », pour « réduire le risque que des forces russes soient impliquées », selon le général Dunford, commandant de l’opération. Des lignes de communication normales ont été utilisées pendant l’approche, pour s’assurer que l’espace aérien serait dégagé, mais les cibles n’ont pas été « coordonnées » avec les Russes. « La ministre de la Défense française Florence Parly a dit que Paris et ses alliés avaient prévenu la Russie à l’avance pour éviter une escalade dans le conflit syrien ».
Des informations intéressantes ont été apportées (en anglais) aussi le 16 avril par l’AFP dans un article intitulé « Le chien de garde des armes chimiques se réunit tandis que la mission en Syrie débute » (13). On y lit notamment que les sites ciblés étaient largement vides, mais que le président Donald Trump avait applaudi une opération « parfaitement exécutée ». Son tweet « Mission accomplie » lui aurait valu des mises en parallèle avec le discours prophétique, prématurément victorieux, de George W. Bush après l’invasion de l’Irak en 2003. La portée limitée des frappes et le fait que Damas, préalablement prévenu par l’Occident, ait eu le temps de retirer les équipements incriminés, ont aussi soulevé des commentaires sceptiques de la part des analystes. Pour Nabeel Khoury, ex diplomate U.S. et membre du centre de réflexion du Conseil atlantique, la dernière frappe ne change rien. « A mon avis, cela a été un spectacle (« drama ») mis en scène, orchestré par Trump et Poutine afin de permettre à chacun d’eux de sauver la face ».
« Mattis voulait l’approbation du Congrès avant de frapper la Syrie. Il a été refoulé » a titré le New York Times le 17 avril (14). Le secrétaire à la Défense, Jim Mattis, avait pressé Trump d’obtenir cette approbation. Mais, aux dire des « officiels » de l’armée et de l’administration, Trump voulait une réponse rapide et spectaculaire (« dramatic »). Preuve que la question n’est pas anodine… et reste pendante, Barbara Lee, représentante démocrate de Californie au Congrès a dit mardi 10 avril : « Nous devons contrôler ce président, et tout autre président, quand il s’agit de la responsabilité constitutionnelle du Congrès de faire la guerre ». Elle a qualifié les frappes en Syrie « d’illégales ».
Si Jim Mattis n’a pas réussi à convaincre Trump de s’adresser au Congrès, « il a gagné une plus grande guerre ». Il a obtenu « la limitation des frappes à trois cibles qui ne risqueraient pas de mettre en danger les troupes russes dispersées auprès d’installations militaires en Syrie. Et les 105 missiles ne devraient pas frapper les unités militaires syriennes supposées être responsables d’avoir exécuté l’attaque aux armes chimiques présumées du 7 avril à Douma, près de Damas ». En fait, ce serait Mattis qui aurait imposé la configuration de l’opération de représailles des trois Alliés. Et personne ne nous l’a expliqué en France ! Chez les « officiels », cependant, il se dirait que Trump ne voulait pas frapper la Syrie trop fort pour ne pas entraîner la Russie dans la guerre. Selon Derek Chollet, ex assistant du secrétariat à la Défense d’Obama, « Il veut juste le ‘big show’ », « Mattis a donc probablement enfoncé une porte ouverte ».
Le rôle modérateur de Mattis est aussi rapporté par CNN dans un article du 14 avril intitulé « Le président non conventionnel trouve une cause conventionnelle en Syrie » (15). Trump aurait argué que les frappes étaient justifiées pour renforcer le principe selon lequel des armes trop abominables sont inacceptables par des nations civilisées. Il aurait constitué la « coalition » tripartite qui a frappé la Syrie comme un symbole de coopération transatlantique a un moment où ses propres critiques de l’OTAN ont soulevé des doutes sur son engagement dans l’Alliance atlantique… pendant que des états « totalitaires » comme la Chine, la Russie, la Turquie, défient les démocraties. Parmi les motivations prêtées à Trump, on trouve également la volonté de détourner l’attention des problèmes qu’il connait aux USA (multiples démêlés juridiques, attaques du directeur du FBI, James Comey, qu’il a viré…) et de faire monter un peu sa cote de popularité (voisine des 40 %) en se montrant en chef de guerre.
Le même type de motivations est attribué à Theresa May et à Emmanuel Macron, dont les cotes ne sont pas plus fortes que celle de Trump, et qui sont en butte à des manifestations hostiles et à des oppositions montantes. Au Royaume-Uni comme aux États-Unis, le fait que le chef de l’exécutif se dispense de l’approbation du Parlement pour entrer en guerre, avec un risque non nul de provoquer un conflit catastrophique, de surcroît, n’est pas conforme à la Constitution et/ou aux usages. Des partis politiques et de nombreux citoyens de ces pays le condamnent et ne veulent pas que cela se renouvelle. En France, le président étant « le chef des armées », la question est presque tabou. Et pourtant ! À la lumière de ce qui vient de se passer, il me paraît urgent de réexaminer cette question vitale afin qu’entrer en guerre (même « sans déclaration de guerre ») ne relève pas que d’une décision individuelle.
Température très fraiche au Royaume-Uni pour May
« Frappes en Syrie : Theresa May face à une forte opposition politique » a observé Le Courrier international le 14 avril (16), indiquant que Jeremy Corbyn, chef du parti Travailliste, avait « martelé » : « Les bombes ne sauveront pas de vies et n’apporteront pas la paix. Et l’intervention militaire rend plus hypothétique la possibilité de déterminer les responsabilités des crimes de guerre en Syrie ». Vince Cable, leader du parti Libéral-démocrate (centre), rejoint par Steward McDonald, porte-parole du parti Nationaliste écossais (troisième force au Parlement britannique) a lancé « Marcher dans le sillage d’un président américain imprévisible ne peut remplacer un mandat de la chambre des Communes ». Aussi, les conservateurs sont-ils restés à peu près seuls à soutenir le Gouvernement, sans enthousiasme, semble-t-il. Et d’après un sondage YouGov réalisé auprès de 1.600 personnes et publié le 12 avril, 43 % des sondés étaient opposés aux frappes, et 22 % seulement s’étaient dits favorables. « Vu du Royaume-Uni : May a attaqué la Syrie comme un voleur, sans autorisation du Parlement » a titré un article du Centre de recherche sur la Mondialisation de Montréal le 15 avril. George Galloway, ex parlementaire du Royaume-Uni (RU) de 1992 à 2015, spécialiste du Moyen-Orient, y précise que l’attaque a été déclenchée le vendredi 13 avril parce que si elle avait attendu le lundi 16 avril, « Theresa May aurait dû porter son ‘’plan écervelé’’ devant le Parlement, où elle ne pouvait pas être sûre de l’emporter ».
Le RU (avec ses alliés) a bombardé pour punir une « attaque chimique à Douma » juste avant qu’une équipe de l’OIAC ait pu commencer les investigations nécessaires pour parvenir à une conclusion sur cette accusation. Galloway fait état de « la « vérité irréfutable » des allégations de M Lavrov, ministre des Affaires étrangères russe, selon lesquelles entre le 3 et le 6 avril, Londres a fait pression sur les « Casques blancs », la brigade des ambulanciers d’Al-Qaïda fondée et financée par le Royaume-Uni, pour qu’ils se dépêchent de monter une provocation du type précis de celle qui a été montée subséquemment à Douma… si les preuves en sont authentifiées, elles emporteront avec elles les carrières de plusieurs officiels britanniques, de ministres et du Premier ministre ellemême ». L’auteur [un perfide complotiste ?] révèle aussi des infos tout aussi explosives, moins directement liées à notre « affaire syrienne » : « Selon les experts suisses [du laboratoire Spiez certifié par le ministère de la défense suisse], Sergueï et Ioulia Skipral n’ont pas été attaqués par un ‘’Novichok, un agent innervant de qualité militaire d’un type développé par la Russie’’ du tout, mais par une substance appelée BZ ou, pour lui donner son joli nom du dimanche, benzilate de 3- quinuclidinyle ». Selon M Lavrov, le BZ « n’a jamais été produit en Russie… mais était en service dans le Royaume-Uni, les USA et d’autres pays de l’OTAN ». En attendant (vainement ?) que nos médis en parlent, davantage d’explications et de précisions sont données dans cet article, dont on trouvera les coordonnées Internet en (17) de mes sources et références.
De nombreuses réserves et oppositions en France, mais vaines
« Intervention militaire en Syrie, pourquoi un débat sans vote au Parlement ? » a titré un article du 16 avril sur lemonde.fr (18) qui rappelle des dispositions de notre Constitution encadrant les interventions militaires. Celles des articles 5, 15 et 16, ainsi que de l’article 35, que la révision constitutionnelle de 2008 a « étoffé » pour que le Parlement ne soit pas totalement absent des débats et, en théorie, du contrôle des actes du Gouvernement. Voilà pourquoi Macron et Philippe ont tant insisté sur le fait que les frappes n’étaient pas une « déclaration de guerre » à la Syrie. Les « opérations à l’extérieur » (OPEX), rarement amicales, ont remplacé des « guerres » qu’on ne déclare plus, précisément pour ne pas être obligé de demander l’autorisation du Parlement. Il est douteux, cependant que la Syrie, la Russie, l’Iran, la Corée du Nord et la majorité des autres états du monde ne considèrent pas les frappes en Syrie comme des actes de guerre.
Et c’est un des problèmes... aux conséquences néfastes. Macron se serait appuyé sur l’article 16, déjà utilisé et usé jusqu’à la corde par ses prédécesseurs. Intervention injustifiée, cependant, en l’absence de menaces graves et immédiates à notre indépendance, à l’intégrité du territoire et à nos institutions. Absence de consultations « officielles » préalables des présidents des deux chambres et du Conseil constitutionnel. À moins qu’elles n’aient été tenues secrètes. Ce qui serait étrange. De plus, Edouard Philippe n’a informé les présidents des deux assemblées du déclenchement des frappes que dans la nuit du 13 au 14 avril.
Ce déclenchement a été annoncé par Donald Trump à 3 heures (françaises) du matin, au moment précis où il avait lieu. Or, en ce qui concerne l’intervention des avions français, porteurs de missiles vers des cibles distantes de 2.900 Km de leur base de départ, nous avons lu que : « Après dix heures de vol depuis la base aérienne 113 de Saint-Didier-Robinson ponctuées de 5 ravitaillements en vol, les Rafale tirent quant à eux neuf SCALP, une demi-heure après les tirs des frégates françaises » (19). Ces infos laissent penser que l’opération a donc été « déclenchée » en France au plus tard dans l’après-midi du 13 et non dans la nuit du 13 au 14. Il ne s’agit pas ici de chipoter sur une dizaine d’heures de retard du coup de téléphone de Philippe, mais de souligner le manque de confiance, sinon le mépris, de nos hautes Autorités envers les présidents des deux assemblées représentatives des Français. Quant au Conseil constitutionnel, il semble avoir disparu dans la bataille.
À l’Assemblée nationale et au Sénat des critiques insistantes de la part des partis d’opposition lors des débats sans vote du lundi 16 avril ont été rapportées, notamment par lemonde.fr (20). Pratiquement d’une même voix, les leaders de ces partis ont fustigé une intervention menée « hors du cadre légal international » (absence de mandat de l’ONU) et sans débat préalable au Parlement. Pour Christian Jacob « la Représentation nationale a son mot à dire. En décidant seul, le président seul a franchi une ligne, et nous le regrettons ». Ces frappes ont « isolé » la France et risquent de n’être « que la manifestation d’une forme d’impuis sance sur le fond » si le Gouvernement n’explique pas ce qu’il « cherche en Syrie ». Mélenchon a assuré que la France n’était pas « uniquement mu [e] par le souci des droits internationaux ». Il a aussi reproché : « Nous sommes intervenus sans preuves », sous les dénégations des députés de la majorité. Le même jour, Marine Le Pen avait estimé qu’Emmanuel Macron n’avait « pas apporté le début d’un commencement de preuves d’utilisation d’armes chimiques par le Régime de Bachar al-Assad pour justifier les frappes en Syrie » (21).
Les réponses de Philippe citées, assez creuses, ne peuvent satisfaire que ceux qui le désirent, avec, en particulier : « Ce que nous voulions faire, c’était bien frapper exclusivement des installations chimiques et exclusivement syriennes. C’est un message dont la motivation n’est pas la conquête territoriale, pas un intérêt «économique ». + « On gouverne avec une vision de la France, pas forcément consensuelle, mais nous l’assumons ». + « Je dois dire que j’imagine mal que la conception initiale des auteurs de la Ve République ait été de demander au Parlement un débat public avant que le président ne puisse engager une intervention armée ».
Les députés auraient PU rétorquer : 1 - que personne d’autre que lui n’avait parlé de « débat public » ; 2 - que les tenues de tels débats ne sont pas des hérésies dans la plupart des pays d’occident et qu’ils sont même prescrits par les Constitutions de certains États ; 3 - qu’il ne serait pas anormal que les débats portent sur les motivations, les justifications, la légalité… des interventions, sans que les questions d’ordre « militaire » et/ou opérationnel soient nécessairement à l’ordre du jour ; 4 - que lors de la conception de la Ve République, 13 ans après la fin de la Seconde guerre mondiale, la situation géopolitique était loin d’être stabilisée dans monde, la « guerre froide » connaissait une période chaude à Berlin, la décolonisation était en marche, la guerre d’Algérie faisait des milliers de morts… et c’était le Général De Gaulle qui était appelé à devenir Président de la République et chef des armées. Depuis, les choses ont bien changé. Mais des zones de danger existent, notamment au Moyen-Orient, et il est recommandé de ne rien faire pour y mettre le feu aux poudres ou envenimer des situations complexes et tendues ; 5 – que Nicolas Sarkozy est notre dernier chef des armées à avoir accompli son service militaire.
En dehors de l’OTAN, beaucoup de réactions internationales critiques
Chez Wikipédia (19) ont été recensés 28 pays qui ont réagi aux frappes en Syrie. 16 pays les ont approuvées, dont 12 (seulement ?) sur les 26 « alliés » de nos 3 belligérants appartenant à l’OTAN. L’Australie, l’Arabie Saoudite, Israël et le Qatar ont fait de même. 9 pays les ont franchement condamnées : la Russie, la Chine, l’Iran, l’Irak, l’Egypte, l’Algérie, ainsi que Cuba, la Colombie et le Venezuela. Le Brésil, la Colombie et le Mexique se sont contentés de condamner l’utilisation des armes chimiques. Quant à l’opposition en Syrie, elle juge les frappes très insuffisantes. Des informations sur les « principales réactions » ont été données sur letelegramme.fr Le 14 avril (22).
Le secrétaire général de l’ONU a déclaré « J’appelle les États membres à faire preuve de retenue dans ces dangereuses circonstances et à éviter toute action qui pourrait conduire à une escalade et à aggraver la souffrance du peuple syrien ». Le président du Conseil européen, Donald Tusk, a affirmé « que l’UE se tiendra aux côtés de ses alliés du côté de la justice… ». [Bien que seulement une petite dizaine de pays membres de l’UE aient approuvé ces frappes]. Le secrétaire général de l’OTAN a affirmé « Je soutiens les actions prises par les États-Unis, le Royaume-Uni et la France contre les installations et les capacités d’armes chimiques du régime syrien ».
La Chine a répété ce qu’elle avait déjà dit : « Nous nous opposons constamment à l’usage de la force dans les relations internationales (…) Nous appelons les parties concernées à revenir dans le cadre du droit international ». En Iran, les condamnations des frappes ont été très sévères, et leurs auteurs, Trump, Macron et May ont été traités de « criminels » par le « guide suprême », l’ayatollah Ali Khamenei. [On peut craindre que les frappes renforcent la volonté de l’Iran de se doter de l’arme nucléaire et enveniment les « discussions sur le nucléaire iranien »]. Inutile de parler du mécontentement de la Russie et du coup porté aux tentatives de paix dans la région. En conséquence, la Russie aurait décidé d’aider la Syrie à renforcer davantage sa défense. À noter, enfin, que Macron n’a pas eu l’accueil et l’approbation qu’il escomptait au Parlement européen à Strasbourg où il est allé le 17 février défendre ses projets pour l’UE et la zone euro. Vivement critiqué sur les frappes en Syrie, il « a laissé éclater sa colère » et a haussé le ton pour s’expliquer (23). Il n’est pas certain que cela ait contribué à le rendre plus audible, plus crédible… et plus sympathique.

« Les couacs de l’opération militaire française »
C’est le titre d’un article sur francetvinfo.fr le 21 avril (24), c'est- à-dire une semaine après l’attaque contre la Syrie… et 2 à 3 jours après que d’autres sites, étrangers, apparemment plus « vite » et mieux informés, tels Russia today (25) et Defense News (26) aient fait état des « incidents » survenus lors des tentatives de frappes françaises. Des trois frégates chargées de tirer des missiles « de très haute technologie » depuis la Méditerranée, deux, les frégates Aquitaine et Auvergne ne sont pas parvenues à tirer leurs 3 missiles. Seule la frégate Languedoc a réussi à envoyer les siens sur les trois cibles qui étaient visées dans la région de Homs. Languedoc a été présentée à Defense News le 18 avril comme le navire d’appui, de soutien des deux autres frégates par le porteparole du chef d’état-major français qui a indiqué que « le lancement par un navire de soutien fait partie de l’approche standard de ‘’redondance’’ de la France »… « Toutes les cibles ont été touchées » a-t-il ajouté. « Le résultat militaire a été obtenu. L’efficacité a conduit les commandants à décider qu’il n’y avait pas besoin d’une seconde frappe de missile naval de croisière ». Comprendra ces dernières assertions qui pourra et les croira qui voudra.
Les opportunités de « tester » des armes nouvelles sont rares. Et l’opération de représailles en Syrie en était une. Un journaliste spécialisé a estimé que « Ne pas pouvoir démontrer la fiabilité au combat, ce qui est la preuve ultime de la fiabilité du matériel, c’est évidemment très gênant au plan commercial » (24). Pas seulement ! Les couacs ne se sont pas arrêtés là. Chacun des cinq avions Rafale devait tirer deux missiles Scalp. L’un des Rafale n’a pas pu tirer le second et l’a largué en mer pour éviter le danger d’un retour avec un missile chargé d’explosifs. Ces « dysfonctionnements » restent inexpliqués… mais « chaque missile coûte 850 000 euros ». Par mer et par les airs, ce sont 19 missiles français qui ont été consacrés à l’opération, dont 12 ont été tirés sur leurs cibles. Et le coût du déploiement de nos forces navales et aériennes a certainement coûté plus cher.
« Ratés supposés lors des frappes en Syrie : Florence Parly refuse de commenter ‘’les performances de tel ou tel système d’armes’’ » (27) sur France Bleu Provence le 20 avril. La ministre des Armées aurait déclaré « Je lis comme vous la presse et je n’ai pas l’intention de commenter les performances de tel ou tel système d’armes. Vous comprendrez que ces informations, qu’elles soient vraies ou fausses, sont tout à fait classifiées et donc je ne les commenterai pas ». Elle a dit aussi « Nous avons tiré le nombre de missiles qui étaient nécessaires pour atteindre et pour détruire les cibles que nous nous étions fixées (…) Nos objectifs ont été atteints et nous n’avons rien à ajouter ». La Grande muette ! Et même notre représentation nationale n’a pas eu droit à des explications le 16 avril, puisque le « pot aux roses » n’a été dévoilé à l’étranger et en France qu’après cette date. Et depuis le 21 avril, c’est silence radio et télé chez nos médias grand public. L’info est sortie des radars.
L’attaque chimique à Douma : « très probablement une mise en scène »
Le 11 avril, un article sur leparisien.fr avait pour titre « L’attaque chimique à Douma, une mise en scène des Casques blancs, pour la Russie » (28). Cette déclaration du général Viktor Poznikhir, relayée par d’autres médias, n’a pas eu de suites immédiates. Les frappes punitives ont eu lieu moins de 3 jours plus tard. C’est Russia today (rt.com) qui a relancé « l’affaire » avec son article du 17 avril 2018 intitulé « Après s’être rendus à Douma, les médias occidentaux commencent à s’interroger sur le récit de ‘’l’attaque au gaz’’ » (29). Mais, comme rt.com, « instrument de propagande poutinien » présumé, n’a pas vraiment droit de cité chez nous, il a fallu attendre le lendemain pour lire sur le site canadien du Centre de recherche sur la mondialisation ’article « À Douma personne n’a vu d’attaque chimique au gaz » (30). Ensuite, le 22 avril, le blog d’Entelekheia (une association apolitique dont le siège est à Paris, place Vendôme) a affiché « Chaîne de télévision publique allemande : L’arme chimique de Syrie était ‘’très probablement une mise en scène’’» (31). La chaîne en question est ZDF, deuxième chaîne publique généraliste allemande. Bien d’autres médias ont abordé le sujet et exprimé des doutes sur la réalité de l’attaque chimique par Bachar al-Assad à Douma le 7 avril.
Le site mondialisation.ca a publié le récit du grand reporter britannique Robert Fisk, qui a été l’un des premiers à se rendre à Douma (d2). Pour résumer, « Les victimes n’ont pas été exposées au gaz, mais à un manque d’oxygène dans les tunnels et les sous-sols où ils étaient réfugiés ». La ville en est truffée. Fisk indique avoir parcouru trois « vastes et larges tunnels, creusés à même la roche par des prisonniers avec des pioches à trois niveaux sous la ville ». Une partie souterraine de la ville où les habitants ont dû vivre, avec leurs occupants, « comme des troglodytes pendant des mois pour survivre ».
Fisk a recueilli le témoignage du médecin chef de la (très modeste) clinique souterraine où a été tournée la vidéo qui a fait le tour du monde occidental et qui montre des enfants présumés gazés, affolés, bousculés et arrosés avec de l’eau. Il se trouvait avec sa famille dans le sous-sol de sa maison à trois cents mètres de la clinique au moment des faits, « mais tous les médecins savent ce qui s’est passé ». « Cette nuit-là, il y avait du vent et d’énormes nuages de poussière ont commencé à entrer dans les sous-sols et les caves. Les gens ont commencé à arriver ici souffrant d’hypoxie. Puis quelqu’un à la porte, un Casque blanc, a crié : ‘’Gaz ! ‘’. La panique a commencé. Les gens ont commencé à s’asperger d’eau. Oui, la vidéo a été tournée ici, mais ce que vous voyez, ce sont des gens souffrant d’hypoxie – pas d’intoxication au gaz ».
Les Casques blancs sont des intervenants médicaux en partie financés par le Foreign Office. Les journalistes n’ont pas pu les interroger. Une femme leur a dit qu’après le cessez-le-feu ils étaient tous partis avec les groupes armés dans les bus affrétés par le Gouvernement et protégés par les Russes qui devaient les conduire jusqu’à la province rebelle d’Idleb (au sud-est d’Alep, à environ 300 km au nord de Douma). Après avoir bavardé avec plus de 20 personnes, Fisk n’a pu en trouver une pour qui Douma serait la cause des frappes occidentales en Syrie. Pour la chaîne ZDF (31), l’enquête menée sur le terrain par son correspondant, le chevronné Uli Gack, corrobore les observations de Fisk. Pour Gack, « l’attaque chimique de Douma était plus que probablement une mise en scène, de très nombreuses personnes ici [à Douma] en sont convaincues ». Elément complémentaire, au cours du « direct » de Gack à la télé allemande, « des témoins ont dit à ZDF que des rebelles avaient tué des gens avec du chlore, filmé la scène, puis affirmé que c’était ‘’une attaque chimique d’Assad’’»… tandis que de très nombreuses personnes semblaient convaincues qu’aucune attaque chimique n’avait eu lieu.
D’autres images prises par des journalistes ont été présentées sur le Net depuis le 18 avril montrant plusieurs des enfants qui avaient été aspergés d’eau le 7 avril à la clinique souterraine, apparemment en bonne santé. Interrogés par les journalistes ils auraient dit avoir été poussés à se précipiter à la clinique et à se prêter au rôle de victimes… contre la remise par des inconnus d’aliments et de friandises.
Presqu’au même moment où le reportage pour ZDF avait lieu, en réponse à une requête du parti de gauche Die Linke, un mémoire juridique a été publié par le Bundestag (Assemblée fédérale d’Allemagne) sur les frappes en Syrie de la coalition menée par les USA. L’article d’Entelekheia cite l’extrait suivant du mémoire juridique : « Le déploiement de forces militaires contre un État pour le punir d’avoir violé les termes d’une convention est une infraction au droit international, qui prohibe la violence ». Puis, le mémoire conclut que l’attaque, sans accord de l’ONU, avec le soutien du gouvernement allemand (toutefois sans participation militaire allemande) était fondée sur des allégations d’attaques chimiques que l’équipe juridique n’a « pas jugées convaincantes ».
Obstruction, propagande, désinformation ? Le 27 avril, France Diplomatie a fait savoir (32) que la France et 16 autres pays membres de l’OIAC ont signé une déclaration conjointe accusant la Russie de tentative d’obstruction, de propagande et de désinformation, lui reprochant d’avoir décidé le 26 avril « la tenue d’une prétendue réunion ‘’d’information’’ au siège de l’OIAC (La Haye) mettant en scène des ‘’témoins’’ syriens ». Ils accusent les Syriens d’avoir entravé l’enquête des inspecteurs de l’OIAC et retardé leur accès aux sites des attaques présumées aux armes chimiques. Ils apportent leur soutien à l’OIAC et à la FFM (mission d’établissement des faits) par laquelle les « témoins » doivent impérativement être interrogés. Et, selon la déclaration : « L’authenticité des informations recueillies à ce jour concernant les attaques chimiques perpétrées à Douma le 7 avril, grâce à de nombreux témoignages, est incontestable ». Ce n’est, semble-t-il, pas l’opinion du Bundestag… bien que l’Allemagne soit cosignataire de la déclaration.
Avec la France, les pays signataires sont : l’Allemagne, l’Australie, la Bulgarie, le Canada, le Danemark, l’Estonie, les États-Unis d’Amérique, l’Islande, l’Italie, la Lettonie, la Lituanie, les Pays-Bas, la Pologne, la République tchèque, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et la Slovaquie. 17 pays, donc (dont les 3 « attaquants »), sur les 192 pays membres de l’OIAC. 17 pays dont presque tous sont membres de l’OTAN. Et qu’en pense-t-on hors de l’Alliance atlantique ? Un fossé n’est-il pas en train de se creuser, précisément, entre cette partie du « monde occidental » et le reste de la planète ?
Sources et références
(1) « Frappes en Syrie : le week-end noir », contrepoints.org/2018/04/18/314297- frappes…
(2) « Billet d’analyse sur une nouvelle donne nucléaire », Jacques Myard, président du Cercle Nation et République, le 23/04/2018.
(3) « Frappes en Syrie : revivez le 14 avril », lefigaro.fr/international/2018/04/14/01003….
(4) « Bombardements de Barzé et de Him Shinshar », Wikipédia, le 17/04/2018.
(5) «’’Beaux, nouveaux et intelligents’’ : quels sont les missiles dont parle Trump ? », leparisien.fr/international/beaux-nouveaux…, le 14/04/2018.
(6) « La comédie des frappes en SYRIE », pgibertie.com/2018/04/15/la-comedie…
(7) « Ridicule : Les États-Unis ont bombardé… un laboratoire d’analyse et de production de médicaments déjà inspecté par l’OIAC », brujita.fr/2018/04/ridicule…
(8) « Syrie ; l’OIAC avait inspecté Barzeh et n’y avait trouvé aucune trace d’arme chimique », newsly.fr/2018/04/17/syrie-loiac…
(9) « OPCW Executive Council Note by the Director-General, Progress in the elimination of the syrian chemicals programme », 23 march 2018. Original : anglais.
(10) Polony, VS Glucksman, Syrie, Polony : « Les frappes sont un simulacre », agoravox.tv/actualites/international/polony-vs…, le 16/04/2018.
(11) « Questions About the U.S. Strikes on Syria », nytimes.com/2018/04/14/opinions/us-syria-attack.html.
(12) « What we know about the Syria strikes », CNN, le 14/04/2018.
(13) « Chemical watchdog convenes as Syria mission begins », afp.com/en/news/155857…, le 16/04/2018.
(14) « Mattis Wanted Congressional Approval Before Striking Syria. He was Overruled », nytimes.com/2018/04/17/us/politics/jim-mattis-trump…
(15) « The unconventionnal President finds a conventionnal cause in Syria », edi.cnn.com/2018/tion04/14/politics/trump-syria-attack…
(16) « Frappes en Syrie : Theresa May face à une forte opposition politique », courrierinternational.com/depeche/frappes…, le 14/04/2018.
(17) « Vu du Royaume-Uni : May a attaqué la Syrie comme un voleur, sans autorisation du parlement », Mondialisation.ca/vu-du-royaume…, le 15/04/2018.
(18) « Intervention militaire en Syrie : pourquoi un débat sans vote au Parlement ? », lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/04/16/intervention…
(19) « Bombardements de Barzé et de Him Shinshar », Wikipédia, mise à jour du 17/04/2018.
(20) « Ce qu’il faut retenir du débat à l’Assemblée nationale sur les frappes en Syrie. »
(21) « Syrie : Macron n’a pas apporté la moindre « preuve » pouvant justifier les frappes », actu.orange.fr/politique/syrie…, le 16/04/2018.
(22) « Frappes en Syrie. Les principales réactions », letelegramme.fr/monde/frappes-en…, le 14/04/2018.
(23) « La grosse colère de Macron face aux eurodéputés hostiles aux frappes en Syrie », actu.orange.fr/monde/la grosse…, le 17/04/2018.
(24) Vidéo. « Syrie : les couacs de l’opération militaire française », francetvinfo.fr/monde/revolte-en-syrie/frappes-occid…, le 21/04/2018.
(25) « Macron’s fizzle : 12 French missiles launched at Syria, but several more fail to fire », rt.com/news/424628-french-missiles…, le 20/04/2018.
(26) « France turns to plan B when missile launch fails during Syria airstrikes », defensenews.com/naval/2018/04/18/France-turns…
(27) « Ratés supposés lors des frappes en Syrie : Florence Parly refuse de commenter ‘’les performances de tel ou tel système d’arme’’», francetvinfo.fr/economie/emploi/metiers/armee-et-securite, le 20/04/2018.
(28) « L’attaque chimique à Douma, une mise en scène des Casques blancs, pour la Russie », leparisien.fr/international/syrie-l-attaque…, le 11/04/2018.
(29) « After visiting Douma, western media begin to question ‘gas attack’ narrative », rt.com/news/424421-western-media…, le 17/04/2018.
(30) « À Douma personne n’a vu d’attaque chimique au gaz », mondialisation.ca/adouma…, le 18/04/2018.
(31) Chaine de télévision publique allemande : « L’attaque chimique de Syrie était ‘’très probablement une mise en scène’’», entelekheia.fr/chaine-de-tel…, le 22/04/2018.
(32) « Syrie/Attaques chimiques à Douma (7 avril) : déclaration conjointe de la France et 16 autres pays membres de l’OIAC » (26.04.2018), dplomatie.gouv.fr/politique-etrangere…, le 27/04/2018.
© 03.05.2018
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