j"ai fait hier une conférence sur l’Intelligence artificielle (IA) et les conséquences que son développement permettait d’espérer (ou de craindre pour certains) pour l’espèce humaine. Je ne reviendrai pas sur le sujet proprement dit ni sur les questions qui ont montré que beaucoup d’entre nous ne mesurent pas vraiment les changements qui se préparent soit qu’ils espèrent dans un transhumanisme béat, soit au contraire qu’ils se rétractent au nom d’un principe de précaution si mal compris et qu’on a pourtant constitutionnalisé ! Notre monde change. Il change très vite et on ne reviendra pas à la calèche à cheval ou à la machine à vapeur.
En 50 ans nous avons plus encore que nos aînés vu le monde se transformer brutalement et de plus en plus vite. Qui ne se souvient des volumineux radiotéléphones de voiture, puis des Bibops, des premiers mobiles, du Minitel et autres progrès du passé, télex, fax, photocopieurs à bains, machines IBM à boules, lecteurs de bandes magnétiques puis de bandes vidéo… En quelques décennies, tous ces appareils ont rejoint les montagnes de décharges des rebuts du passé. En 1965, Gordon Moore, un des fondateurs d’INTEL prédisait une croissance exponentielle des capacités des semi-conducteurs (elle devait doubler tous les deux ans) et je me souviens des premiers transistors que j’ai manipulés (ils faisaient 1 cm de diamètre).
Aujourd’hui on peut presque caser un transistor par nanomètre sur un circuit intégré ! L’IA est partout ! Certes si performante soit-elle, elle reste non consciente et ce n’est pas demain qu’un cerveau de silicium remplacera aisément les 83 milliards de neurones et les 1000 milliards de cellules gliales du cerveau humain. Pourtant, qui s’étonne aujourd’hui de voir Google répondre avec tant de précision à chaque requête qu’on blague sur la définition de la meilleure cachette (la deuxième page de Google !).
Les algorithmes prédictifs choisissent seuls les chauffeurs d’Uber (en attendant d’envoyer bientôt des voitures autonomes). Amazone nous propose illico les livres qui nous conviennent et demain elle nous les livrera par drones. Dès qu’on interroge Internet on voit apparaître une série de publicités non sollicitées mais ô combien pertinentes, les boursicoteurs sont laminés par les algo à hautes fréquences, Facebook et les Applis qui en découlent vont bientôt nous connaître mieux que nous-mêmes en analysant nos « like » et les sites de rencontre vont organiser « ad libitum » nos soirées amoureuses !
La planète a changé avec la mondialisation. Son centre de gravité s’est déplacé entre la Californie et la Chine. Les cerveaux s’y concentrent, attirés par des salaires pharamineux qui laissent pantois. Et déjà pourtant un autre monde se prépare. Les imprimantes 3D fabriqueront bientôt sur place des objets qu’il ne sera plus nécessaire de transporter. Les productions hors sols verront disparaître les paysans. Les algorithmes prédictifs nous dispenseront des sondages et des élections. Les satellites et les drones protègeront nos frontières. GAFA et BATX dont les ressources dépassent déjà celles de très nombreux États-Nations se partageront les sphères d’influences d’un marché toujours en quête de plus de profits pour quelques privilégiés et une aumône généralisée (le fameux Revenu Universel espéré par quelques naïfs qui ne se rendent même pas compte qu’il est en fait soutenu par les géants du Net qui ne veulent pas voir se reproduire à l’échelle mondiale une nuit du 4 août) fera taire pour un temps les « inemployés car inemployables ».
Déjà en France 17 % de nos jeunes de 18 à 30 ans, les NiNiNi ne sont Ni étudiant, Ni Employé, Ni en Formation, pourcentage qui ne cessera d’augmenter si un effort gigantesque n’est pas immédiatement consenti pour révolutionner l’école afin que dès la maternelle (l’âge où la plasticité du cerveau est la plus stupéfiante) on forme des générations « d’hommes augmentés » d’abord et avant tout par la qualité de l’Éducation avant que bientôt le relais ne soit pris par la sélection génétique ou les implants cérébraux.
Un exemple dans ma profession dont on entend surtout parler aujourd’hui par le problème des déserts médicaux, du numérus clausus ou du tonneau des Danaïdes de l’assistanat social. Radiologues ou orthodontistes vont très vite disparaître relégués par l’IA au rang des métiers du passé. Le chirurgien ne guidera plus pour très longtemps encore son robot Da Vinci qui bientôt deviendra autonome.
Les drones livreront des ordonnances scrupuleusement vérifiées du pont de vue pharmacovigilance, bien mieux que le pharmacien du coin qui subira à son tour le sort du libraire. Les serveurs médicaux omniprésents connaîtront toutes les maladies, tous les dossiers des patients, tous les médicaments, tous les génomes.
La télémédecine se généralisera permettant au contact d’un agent de santé local, interface humain provisoire entre le patient et la machine, de faire un diagnostic beaucoup plus sûr et de proposer le meilleur protocole thérapeutique disponible. Des pathologies complexes se simplifieront d’un coup supprimant des équipements coûteux devenus inutiles et de nombreux praticiens encore pour l’instant indispensables. Des vêtements connectés surveillant en permanence toutes nos constantes biologiques assureront enfin une médecine préventive de qualité.
Les voitures autonomes feront s’écrouler le nombre d’accidents de la route. Les banques de cellules souches restitueront en cas de besoin des défenses immunitaires impeccables, la sélection génétique éliminera par FIV les embryons malformés ou réparera par ciseau moléculaire (méthode Crispr-Cas9) les mutations génétiques qui auraient pu altérer nos gènes.
Tout cela pour le bon côté des choses. Mais si les Nations qui jusque-ici ont été incapables au sein de l’ONU de faire respecter leurs décisions et de faire cesser les guerres et leurs cortèges de réfugiés, tant elles servent les intérêts puissants des complexes militaro-industriels de tous bords, pensent qu’elles seront capables d’imposer des règles éthiques à la progression de l’IA, j’ai bien peur qu’elles ne se trompent et que des intérêts avides ou des Etats voyous soient toujours prêts à les transgresser même en mettant en péril l’espèce humaine tout entière.
Les cyberattaques chaque jour éprouvent les sécurités des banques (qui ne s’en ventent pas pour ne pas affoler leurs clients). Le dark web véhicule la propagande terroriste qui fragilise les sociétés modernes. Le transhumanisme risque fort de déboucher sur une dictature universelle emmenée par des gourous californiens aux ordres d’apprentis sorciers immensément riches, que rien n’empêcherait de tenter, au siècle prochain, d’accéder à l’IA Forte, c’est-à-dire à l’IA dotée de conscience qui pourrait éliminer très vite, sur la planète Terre, cet empêcheur de tourner en rond qu’est l’homme. Mais alors que faire ? Sûrement pas se recroqueviller sur un passé qui ne reviendra jamais !
Au contraire aller de l’avant pour préparer l’humanité à ces temps nouveaux qui bien plus que les religions des derniers millénaires bouleverseront l’espèce humaine. La réforme de l’école est la première étape indispensable de ce processus. Si l’on ne veut pas voir se former une humanité à deux vitesses, maîtres et esclaves, il faudra dès demain revoir de fonds en combles notre système éducatif. Au cours de la petite enfance un cerveau fabrique jusqu’à deux millions de synapses par seconde.
On peut tout lui apprendre et pourtant on gâche le plus souvent cette période bénie où tout est possible pourvu qu’on filtre les bons signaux avant la fin de l’adolescence en le confiant aux moins qualifiés et aux moins bien payés de nos professeurs.
Si l’on veut rester dans la course, en France et en Europe, il faut d’urgence lutter contre la fuite des cerveaux et au contraire attirer chez nous le plus grand nombre possible des plus capables d’où qu’ils viennent car leur force d’entraînement sera indispensable. Si face à un enjeu qui dépasse de beaucoup les petites aspirations des politiques de tous bords préoccupés par leur seule réélection alors qu’il faut regarder un siècle d’avance, si l’on veut préparer notre pays à l’avènement d’un incontournable futur en réformant « à la hache » notre système éducatif bon à fabriquer des générations de cancres pour ne laisser émerger à de rares exceptions près que les fils des «meilleures» familles toujours culturellement et souvent financièrement les plus aptes, si l’on veut éviter une nuit du 4 août à l’échelle de la planète, alors il faut que la France, fidèle à sa mission universelle, donne le ton et se prépare à un grand bond en avant sans lequel demain, nous serons les vassaux des royaumes du Pacifique avant qu’une IA manquant d’empathie se pose, un jour, la question de l’intérêt ou non de notre subsistance !