206 NOUAILLE - Académie du Gaullisme

 Président-fondateur
Jacques Dauer

Académie du Gaullisme
La Lettre du 18 JUIN Vingt- sixième année – n° 206 – Avril 2018
"Il y a un pacte vingt fois séculaire entre la grandeur de la France et la liberté du monde."
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206 NOUAILLE

par Hélène NOUAILLE*
CEVIPOF : DES FRANÇAIS DÉFIANTS, MAIS PAS SI RÉSIGNÉS

Alors, ce « monde nouveau », annoncé par toutes les gazettes après les élections de mai dernier en France, est-il advenu ? Les Français ont-il retrouvé confiance dans leur système politique, dans les hommes qui l’incarnent, dans leurs institutions – et dans ceux qui l’informent ? Quelque chose a t-il changé qui permette de célébrer l’enterrement de « l’ancien monde » ?
Nous attendions avec impatience la dernière étude du CEVIPOF, parce que le centre de recherches politiques de Sciences Po, associé au CNRS, a l’avantage d’une vue sur la durée : il publie en effet chaque année depuis 2009 un baromètre de la confiance politique dont la neuvième vague vient de paraître. Les résultats sont à la disposition de tout un chacun (1). Avec les précautions d’usage : la marge d’erreur se situe entre 1 et 2,2% sur un échantillon de plus de 2000 personnes interrogées en ligne du 13 au 26 décembre 2017. Et notre première réaction en feuilletant l’étude, bien illustrée de courbes en couleur, est à la surprise : rien n’a changé, rien, vraiment.
« La défiance vis-à-vis du fonctionnement de la démocratie augmente nettement » (2). La page illustrée de graphiques est éloquente. De fait, si un Français sur deux seulement considérait en 2011 que la démocratie fonctionnait bien ou plutôt bien, ce qui pouvait inquiéter, deux sur trois (72,5%) avaient retrouvé le moral en janvier 2016. Depuis, la courbe dégringole. Elle perd d’ailleurs 8,6 points entre janvier 2017 et janvier 2018 pour atteindre 62,3%. Et l’opinion des sondés ne change guère sur un point : huit sur dix (82,5%) pensent que les responsables politiques ne se préoccupent peu ou pas du tout d’eux. Pour autant se désintéressent-ils de la politique ? Pour un sur deux ou quasiment (47,8%), c’est fait, trois point de plus qu’en 2011 – et qu’en 2017. « Les périodes pré-présidentielles (2011 et 2016) présentent de relatifs sursauts d’intérêt ». Et encore, très intéressant pour le coup, par rapport aux offres politiques : « on observe une poursuite de l’érosion des positionnements à gauche ou à droite depuis plusieurs années pour atteindre des minima en 2017 : 18% se situent à gauche (moins huit points depuis 2009), 19% se situent à droite (moins quatre points) ». Les positionnements aux extrêmes diminuent aussi depuis 2015.
Et pourtant, en démenti à tous les commentateurs qui voient l’avènement d’un centrisme fédérateur sur le modèle Giscard d’Estaing : « Le positionnement centriste quant à lui ne profite pas de l’élection d’Emmanuel Macron ». 13% se déclaraient au centre en 2011, 11% en 2017, 10,9% en 2018. Les chiffres montrent une autre envolée : « le positionnement ni à gauche ni à droite continue de s’accentuer depuis 2012 » - nous en sommes à 34,4% en 2018 contre 25,5% en 2012. Ce qui ne veut nullement dire que les sondés se sentent « en même temps » à droite et à gauche. « En 2017, la possibilité de se positionner à la fois à droite et à gauche a été proposée aux répondants et a été choisie par 4% d’entre eux ». Voilà un canard abattu en plein vol. 4%, c’est très près du score de l’extrême gauche en 2018 (4,3%).
Bien. Admettons que les Français fassent le constat que ce qu’on leur propose ne leur convient pas aujourd’hui. Mais ont-ils le sentiment que, pour les trois ans qui viennent au moins, gauche et droite peuvent apporter des solutions ? Non. Et ça s’aggrave en 2018 (3). En 2011, ils étaient 15% à avoir confiance dans la gauche – avec une remontée spectaculaire à 27,3% en 2013. Mais ils ne sont plus que 12% en 2018, une chute de 2,6 points sur 2017. A droite ? Guère mieux : 22,9% en 2011, 15,3% en 2018, en chute de 6 points sur 2017. En revanche, les pourcentages de ceux qui ne font confiance ni à la droite ni à la gauche s’envolent : 69% cette année, six points de plus qu’en janvier 2017. Maussades, les Français - et leur confiance dans les responsables de leurs institutions s’en ressent. Des plus appréciés traditionnellement, leurs maires, aux moins aimés, leurs députés, tout le monde s’écroule. Les maires perdent près de dix points depuis 2011 (de 66,6% à 55,8) en recul encore sur 2017 (9,7 points). Les députés, qui étaient appréciés en 2011 par la quasi moitié des Français, ne trouvent plus qu’un gros tiers (35,1%) pour leur faire confiance. Et les dernières législatives n’ont rien arrangé : nos élus du « monde nouveau » ont perdu plus de 9 points sur 2017. Ils occupent la dernière place, après les conseillers généraux ou départementaux, à peine au-dessus des députés européens (25,9%). Un score, un désamour, qui devraient poser question. Ajoutons que le gouvernement gagne péniblement 2 points sur 2017 (30%), que l’Assemblée nationale en perd logiquement treize (29%), le Sénat quinze (29%), l’Union européenne six (32%). Avec une surprise, tout de même : l’institution présidentielle elle-même perd un point (33%). En corrélation avec le taux de participation au second tour de la présidentielle, certes élevé, près de 75%, mais le plus mauvais de la Ve République ? Emmanuel Macron gagne, pour lui, onze points sur son prédécesseur (36%), François Hollande, en forte disgrâce en fin de mandat.
Même constat pour les institutions auxquelles les Français sont traditionnellement attachés – nous y cherchions pourtant une raison d’optimisme : les hôpitaux gardent la corde, (84,4% de confiance en 2011, 76,8 en 2018) bien qu’en baisse de plus de 7 points. La police est en hausse de 8 points sur 2011, mais en chute de près de 6 points sur 2017 (72,4 contre 78,3). Et l’armée ? L’armée visible dans les rues, l’armée qui les protège ? Elle perd sept points sur 2017, plébiscitée à 75% tout de même. La Sécurité sociale elle-même, objet de toutes les inquiétudes pendant la présidentielle, perd six points (61%) sur 2017. Quant au reste, la bérézina se confirme : de l’église catholique (moins 7 points, 43%), aux grandes entreprises publiques et privées (42 et 40%, moins 4 et 3 points), des syndicats aux banques (27% pour chacun, moins trois et moins deux points). La Justice échappe au désamour – si l’on peut dire : elle reste à l’étale à 44%. L’école – l’avenir des enfant – est en berne : elle perd huit points sur 2012 avec 65%. Et qu’on ne nous dise pas que la « société civile », représentée par les associations, va sauver le monde : elles chutent, à 63% de quatre point sur 2017 et de six points sur 2012.
Puis il y a les derniers, les honteux : les médias (24%, à l’étale, 1% seulement leur font « tout à fait confiance ») et les partis politiques, qui atteignent l’abîme : 9% de confiance, moins 2 points sur 2017 – moins d’un Français sur dix ! Avec un corollaire déshonorant : 71% des sondés estiment que « les élus et les dirigeants politiques français sont plutôt corrompus » (p. 55 de l’étude (1)). Notons que l’ensemble des médias commente très peu l’étude : et ne parle en aucun cas, même en cherchant bien, du score désastreux que la presse réalise auprès des Français. Avant de consulter les commentaires, ajoutons que nous regrettons l’absence d’un item « sondeurs » ou « instituts de sondage ». Le résultat ne manquerait pas d’intérêt. Une pudeur de gazelle pour la profession ?
Mais voyons : bien qu’elles s’intéressent plus à l’aspect politicien de l’enquête (de nombreuses pages de l’étude (1) sont consacrées à l’image des hommes politiques, au sort fluctuant), quelques analyses débusquent des ambiguïtés qui peuvent être pérennes. Pour Bruno Cautrès, chercheur CNRS au CEVIPOF, dont la courte vidéo est donnée par les Echos (4), « On ne constate pas pour le moment ce choc de confiance dont Emmanuel Macron pense être le vecteur ». De plus, si les Français sont sensibles aux promesses tenues (+ 6 points), « le grand message d'Emmanuel Macron - je fais ce que j'ai dit - est loin d'être capté par l'ensemble des Français ». Leur rapport à la politique reste un rapport « de doute, un rapport de méfiance, voire un rapport de dégoût ». Pour Pascal Perrineau (4), professeur à Sciences Po, « Macron a été l’expression de la méfiance politique, mais il n’a pas su, depuis le mois de juin recréer de manière massive, et peut-être était-ce impossible, une nouvelle confiance politique ». Elle s’est « recréée uniquement autour de lui, mais elle n’irrigue pas le tissu des institutions locales, le tissu des grandes institutions nationales (…) ». Pourquoi ? Peut-être parce que le nouveau président « entretien une défiance qui l’a portée au pouvoir » en critiquant par exemple les corps intermédiaires (syndicats, etc.) ou les institutions locales. Au fond, commente Isabelle Ficek pour les Echos, « hormis l’exécutif, le niveau de confiance dans toutes les fonctions et institutions politiques chute, y compris dans celles de proximité (…). Une chute que le Cevipof explique, après une année d'élection, par une distance plus forte, mais aussi par « le discours ambigu » d'Emmanuel Macron sur l'« ancien monde », sur des politiques qui ne suivraient pas leur programme après l'élection, sur des réformes non faites depuis des années. Une chute, également, entraînée par le bouleversement politique de cette élection, des oppositions déboussolées, une perte de repères, des angoisses non levées sur l'avenir ». Des angoisses, certes. Mais à y bien regarder, les Français râlent mais ne se résignent pas : par le vote (61% en hausse d’un point) ou autrement, ils savent jouer au chamboule-tout. Pour eux, à 57%, la politique n’est pas une affaire de spécialistes : c’est la leur.
Concluons avec Anne Muxel (5), chercheuse pour le CEVIPOF, et avec son analyse des plus jeunes – de notre avenir, donc : « N’ayant connu que les crises sociale, économique, politique, qui taraudent la société française depuis une bonne trentaine d’années, les jeunes Français sont de fait porteurs d’une défiance globale qui déborde leur génération. Ils l’ont intégrée à nombre de leurs discours et leurs comportements en témoignent, entre indifférence et radicalité ». Pourquoi dans ces conditions titre-t-elle sa note « un fragile retour de la confiance dans les jeunes générations » ?
Parce qu’ils pratiquent, en dépit de tout, « une gestion optimiste de l’incertitude ». Et nous le ferons avec eux.

Notes :
(1) CEVIPOF, Janvier 2018, Baromètre de la confiance politique, vague 9 http://www.cevipof.com/rtefiles/File/noterech08/Barometre_confiance_en_politique_vague9.pdf
(2) CEVIPOF, janvier 2018, Flora Chanvril, mathématicienne responsable des études statistiques, L’état de la démocratie (2009-2017) http://www.cevipof.com/fr/le-barometre-de-la-confiance-politiquedu-cevipof/tendances/Étatdespritetdemocratie/
(3) CEVIPOF, janvier 2018, Flora Chanvril, Les cercles de la confiance (2009-2017) http://www.cevipof.com/fr/le-barometre-de-la-confiance-politiquedu-cevipof/tendances/confiances/  
(4) Les Echos, le 29 janvier 2018, Isabelle Ficek, Baromètre de la confiance politique : un léger effet Macron dans un océan de défiance https://www.lesechos.fr/politiquesociete/politique/0301211461325-barometre-de-la-confiancepolitique-un-leger-effet-macron-dans-un-ocean-de-defiance2148980.php#xtor=EPR-8-[18_heures]-20180129-[Prov_]1050526  
(5) CEVIPOF, janvier 2018, Anne Muxel, Un fragile retour de la confiance dans les jeunes générations http://www.cevipof.com/fr/le-barometre-de-la-confiance-politiquedu-cevipof/rapports/fragile/
*Léosthène, Siret 453 066 961 00013 France APE 221E ISSN 1768-3289 Directeur de la publication : Yves Houspic (yhouspic@gmail.com) Directrice de la rédaction : Hélène Nouaille (helene.nouaille@free.fr) Copyright©2018. La Lettre de Léosthène. Tous droits réservés

© 06.04.2018
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