Le temps du « chacun
pour soi » est revenu dans les esprits, est-ce de la résignation ou une vraie
crise de société engendrée par des mutations sociales importantes, des
déceptions voire de la défiance vis-à-vis des politiques le tout sur fond de
crise économique ? Si certaines caractéristiques de notre nation peuvent
s’expliquer par l’histoire, des lignes de fractures nouvelles sont à regarder de
près dans notre pays en manque de repères, où règne un comportement quotidien de
l’incivilité propice à des affrontements pouvant être redoutables, heureusement
un pays capable aussi de surmonter ses divergences quand il doit faire face aux
menaces de toute nature. Tout cela doit cependant nous interroger sur la place
que nous laisserons aux générations qui vont suivre tant sur le plan de la
sécurité des personnes que de la cohésion sociale, les deux étant
indissociables pour une vie meilleure.
Chaque
époque a ses crises de nature différente sur fond de liberté, d’égalité.
Ce qui est admirable pour
ne pas dire extraordinaire, c’est la vision du Général de Gaulle, marquée par
sa grande connaissance de l’histoire dont il n’ignorera aucun évènement. C’est
à travers cette même histoire qu’il a su élaborer et développer les grandes
questions qui ont contribué au développement de notre pays. Pour lui, la
question d’ordre social était avant tout d’agir pour préserver la cohésion
entre les Français. Cela n’empêchera pas une déferlante contestataire de la
jeunesse en mai 68 dont l’ampleur s’expliquait notamment par le phénomène
démographique de l’après-guerre.
L’aspect
démographique, socle de sa politique familiale.
Si l’universalité des
droits est un volet important de sa politique familiale, cette dernière repose
principalement sur l’évolution démographique de notre pays. En dotant la France
d’un institut d’analyses démographiques, l’INED dirigé par Alfred Sauvy, le
Général de Gaulle conduira une politique familiale avec tous les moyens
matériels et moraux pouvant contribuer à l’accroissement quantitatif et
l’amélioration qualitative de la population.
Sachant lire et analyser
mieux que quiconque les statistiques démographiques, Alfred Sauvy comprenait et
s’exprimait dès 1959 sur le phénomène de l’arrivée d’une « montée des
jeunes ». Il y consacrera plusieurs articles dans la presse et un livre du
même titre. Il considèrera que cette « montée des jeunes » est le
fait le plus lourd de notre histoire » et que la France devra s’y
préparer. Fort de son aura auprès du Général de
Gaulle, Alfred Sauvy lui adressera son ouvrage dans lequel il annonce les
germes de la future révolte de mai 1968.
L’attention du Général de
Gaulle sera tellement forte, qu’il lui fera savoir dans une lettre : « Mon Cher Sauvy, Dans la montée des
jeunes, il y a, à foison, des données positives, des idées, des espérances.
Tout comme vous, je pense que « l’accueil » des jeunes, c’est, pour
ainsi dire, tout l’essentiel du problème économique et social français, dès
lors que la paix mondiale serait assurée pour une génération. Je vous remercie
de m’avoir fait connaître, sous cette forme très bien élaborée, comment vous
voyez cette affaire capitale ».
A
quoi ressemblait la France en 1968 ?
Il faut rappeler que dans
la France de 1968, un tiers des habitants a moins de 20 ans et les 16-24 ans
représentent à eux seuls plus de huit millions de personnes soit 16,1% de la
population. C’est le baby-boom de l’après-guerre.
Mai 1968 est une réaction
en chaîne dont la complexité ne peut être ramenée seulement à un conflit de
générations. Force est de constater que la jeunesse en fut toutefois le
détonateur, avec la crise étudiante d’abord puis avec la crise sociale qui
prend le relais avec l’un des mouvements de grève le plus long du XXème siècle
en France, s’achevant sur une crise politique.
Au regard d’une société sereine
économiquement, les raisons de mai 68 peuvent paraître surprenantes, la société
vacille alors que tous les voyants sont au vert, on parle même de paix, prospérité,
plein-emploi. C’est l’incompréhension. Quelles étaient les motivations ?
Etaient-elles sociales, religieuses ou politiques ? Sans doute le rejet à
la fois du capitalisme, du militarisme et du consumérisme.
En mai 68, Pierre Lefranc
qui était aux avant-postes auprès du Général de Gaulle confiera dans un
entretien : « Les crises de 1968
échappent à l’analyse, je dis les crises, dès lors qu’elles éclatent presque
simultanément dans de nombreux pays, dont les Etats-Unis, l’Allemagne, le Japon
et même la Suisse. Leurs origines sont sans doute diverses. Mais il est malaisé
de les définir. Pourquoi, sans motifs semblables, la contestation surgit-elle
aussi bien à Los Angeles qu’à Tokyo ? Angoisse des jeunes devant la
civilisation technique et mécanique et la course effrénée à la
consommation ? Peut-être ».
Cinquante
ans après 1968, où en sommes-nous ?
Comment construire et gérer
en même temps le collectif sans que des intérêts supérieurs n’imposent aux
individus des comportements, des manières de vivre, des actions dans lesquelles
ils ne se retrouvent pas ? C’est la question de fond posée par mai 68 qui continue
de s’inviter dans tous les débats sur le libéralisme, la construction
européenne et la mondialisation. On sait avec quelle exigence le Général de
Gaulle ne mélangeait jamais ses affaires personnelles avec celles de sa
fonction. L’époque a changé entend-on mais notre pays, sa cohésion, qu’en
faisons-nous ? Contrairement à mai 68, le pays n’a plus de repères et
s’enfonce aujourd’hui inexorablement sous le poids de la dette et du chômage dans
un immobilisme politique total. Nous vivons sur un volcan qui peut se réveiller
à tout moment d’où l’urgence de réformes structurelles à mener si nous ne
voulons pas subir le même sort que l’Argentine avec de nouvelles règles imposées
par le fond monétaire international (FMI).
Aujourd’hui, la cohésion
sociale dépend surtout de quel avenir nous voulons pour notre jeunesse qui sera
à la remorque si nous ne faisons rien. La cohésion sociale passe obligatoirement
par la formation professionnelle pour plus d’autonomie et l’apprentissage
véritable voie de l’égalité des chances pour les plus défavorisés.
A son époque le Général
de Gaulle aura tout mis en œuvre pour que toutes les générations puissent
bénéficier de la croissance économique. Nous n’avons pas fini d’analyser et
comprendre cette période paradoxale qui faisait dire à André Malraux :
« Cinquante après sa mort, c’est la jeunesse qui redécouvrirait De Gaulle.
Cette jeunesse qui en mai 68 voulait le renvoyer dans sa maison de
Colombey ».
Journaliste, barricadiste
en 68, Daniel Rondeau dira lui-même : « Ce n’est pas de Gaulle
qui a raté la jeunesse, c’est la jeunesse qui a raté De Gaulle ».
La révolte de 68 n’était
portée ni par la pauvreté ni par l’exclusion, les baby-boomers qui représentaient
la génération de l’après-guerre était aussi celle de la non-guerre. Quoiqu’il
en soit c’est en devenant plus politique que cette crise trouvera une issue
rapide grâce à la maîtrise du Général de Gaulle conforté par sa victoire aux
législatives qui suivront.