Le Tchad, une histoire mouvementée et
complexe.
Quand la mort d’Idriss Deby a été annoncée, les médias ont souligné qu’il avait été tué sur le front en combattant son opposition armée. C’est une hypothèse tout à fait plausible, car il est de tradition dans ce pays de voir le président, ancien militaire ayant souvent combattu pour prendre le pouvoir, en première ligne avec son armée. Néanmoins, une autre version fait état d’un différend qui aurait éclaté lors d’une réunion avec des membres de l’état-major triés sur le volet, dans une tente située à une cinquantaine de kilomètres de la ligne des contacts. Le ton serait monté entre Idriss Deby et un de ses généraux. Idriss Deby aurait sorti son pistolet, aurait tué le général et immédiatement, un des participants aurait riposté en abattant le président.
Le problème qui se pose aujourd'hui est de savoir si la participation importante du Tchad à l’opération Barkhane au Sahel va perdurer, car il n'est pas évident que le fils d’Idriss Deby qui a pris la suite, comme président du conseil militaire de transition et président de la République, sera à la hauteur du père qui fut une pièce maitresse pour la France dans la lutte contre le terrorisme. L’armée tchadienne, réputée pour la valeur de ses combattants et ses capacités de manœuvre, est en effet la meilleure en Afrique. Sera-t-elle maintenue à l’intérieur de ses frontières comme venait de l’annoncer le président avant d’être assassiné ?
Il reste encore aujourd’hui à confirmer si un processus démocratique sera enclenché sans subir une nouvelle guerre civile avec des éternels opposants auxquels se confronte systématiquement le pouvoir en place, quel qu'il soit.
Interventions militaires françaises
Cette nouvelle péripétie me ramène des années en arrière lorsque je suis arrivé au Tchad en 1987 pour commander l’opération Epervier, ayant en tête la longue histoire de ce pays, mouvementée et complexe. La France a en effet été impliquée dans plusieurs opérations militaires à la demande des dirigeants en place, dont les plus récentes furent Tacaud, Manta et Épervier.
Opération Tacaud
Elle a été déployée d’avril 1978 à mai 1980 pour contrarier le projet de destitution du président Malloum et de prise du pouvoir par le Frolinat (Front de libération Nationale) dirigé par Hissène Habré et Goukouni Weddeye et dont le commandant en chef des forces militaires était Idriss Deby
L’entente entre les deux dirigeants a pris fin quand Hissène Habré avec l’accord du Président Malloum est devenu son Premier Ministre. Hissen Habré et Goukouni Weddeye se sont alors lancés dans une lutte à mort pour la prise du pouvoir, en se chassant à tour de rôle de N’Djamena. Hissène Habré prit la fuite devant l’arrivée des Libyens à N’Djamena en 1980, après le départ des forces françaises, laissant Goukouni Weddeye devenir Président, qui signa sans succès en 1981 un accord de fusion entre la Libye et le Tchad avant d’être chassé à son tour en 1982.
Opération Manta
Elle fut décidée en 1983 pour garantir l’intégrité de la partie sud, dite Tchad utile, placée sous la présidence d’Hissen Habré, ce que la Libye ne voulait pas accepter. Elle arma donc des combattants rebelles tchadiens et déploya des troupes que les forces françaises durent repousser vers la bande d’Aouzou. En 1984 les éléments français une nouvelle fois se retiraient, laissant le Nord du pays limité par le 16e parallèle occupé par les dissidents et dirigé par Goukouni Weddeye soutenu par les Libyens. Ces derniers restaient sur place en violation flagrante des termes de l’accord signé en septembre 1984 qui prévoyait le retrait total des forces françaises et libyennes. Le Sud restait dirigé par le gouvernement légal de Hissene Habré sans présence française directe.
Les Libyens s'installèrent dans le nord-est de Faya-Largeau, sur le 18e parallèle. La force aérienne libyenne disposait à cette époque de plusieurs centaines d'avions d'origines diverses, française notamment, des Mirage F 1 et Mirage 5, mais surtout d’appareils de défense aérienne et d'attaque au sol d'origine soviétique, MIG 21, MIG 23, MIG 25, SU 22 et quelques bombardiers Tupolev 22 à long rayon d'action dont on devait entendre parler pendant l'opération Épervier.
Cette flotte était stationnée en territoire libyen sur des terrains très éloignés de N’Djamena et a fortiori de la Centrafrique où se trouvaient nos troupes. Le rayon d'action de ces appareils à l’exclusion de celui des TU22, excluait qu'ils puissent appuyer une opération terrestre venant du nord.
Les Libyens cherchèrent donc à rapprocher une base aérienne de ce fameux
16e parallèle qui faisait office de frontière. Ils choisirent le site de Ouadi Doum, une zone plate en bordure sud immédiate du Tibesti et commencèrent à y construire dès 1984 une piste d'atterrissage de 3000 mètres capable d'accueillir des avions de combat.
En février 1986, Goukouni Weddeye, à la tête du GUNT (Gouvernement d’Union Nationale et de Transition), soutenu par les Libyens, lançait une nouvelle offensive antigouvernementale au sud du 16ème parallèle. Se sentant dans l’incapacité de résister, le Président Hissène Habré demanda l’aide de la France qui répondit favorablement en déclenchant l’opération Epervier.
Opération Epervier
Cette opération interarmées, exclusivement défensive, avec une composante aérienne importante, avait pour but de contre carrer toute nouvelle tentative d’attaque libyenne.
Néanmoins, deux raids aériens ont été lancés par la France contre la base de Ouadi Doum afin d’y neutraliser toute activité aérienne. D’abord en décidant de bombarder avec des Jaguar la piste le 16 février 1986, rendant cette dernière inexploitable, suivi d’un tir de missile anti radar le 7 janvier 1987. Kadhafi répondit par une attaque aérienne sur le terrain de N’Djamena. Les Forces tchadiennes se sont chargées quant à elles, de prendre la base de Ouadi Doum le 18 mars 1987, sur laquelle ils purent récupérer divers matériels soviétiques dont certains ont été remis à la France pour expertise. Quelques jours plus tard, les Libyens abandonnaient la palmeraie de Faya Largeau sans oublier de la miner et se repliaient sur la Bande d’Aouzou qu’ils revendiquaient comme faisant partie intégrante de leur pays.
J’ai bien entendu rencontré régulièrement Hissen Habré et Moussami son fidèle directeur de cabinet. Ils avaient pour Epervier les yeux de Chimène en regardant tout ce que nous faisions pour eux, garantie de protection, formation de l’armée, soutiens logistiques, déminage de la palmeraie de Faya-Largeau, mise à disposition permanente de notre hôpital militaire pour soigner les blessés tchadiens qui avaient combattu dans le Nord, construction d’une piste d’aviation à Abéché vers la frontière du Soudan. Cependant, je faisais l’objet de demandes régulières de participation aux combats qu’ils menaient dans le Nord pour reconquérir la bande d’Aouzou. Il n’était, bien entendu, pas question d’y répondre favorablement car elle n’était pas dans les missions qui m’avait été confiées par notre gouvernement.
Parmi les militaires, j’ai eu fréquemment des contacts avec Hassan Djamous, un redoutable chef de Guerre qui avait infligé de sévères défaites aux Libyens, mais aussi avec Idriss Déby, son cousin. Ce dernier, tout frais émoulu de notre Ecole supérieure de guerre, était intelligent, d’un contact facile et avait déjà un sens politique très affirmé. Il sera marginalisé, car le Président se méfiait, à juste titre, de cet homme qu’il trouvait dangereux. Son intuition était la bonne, car il entra en rébellion en 1989 avec l’aide d’Hassan Djamous. Ce dernier, blessé dans un combat, a été fait prisonnier et comme par hasard, est décédé dans sa geôle, dans des conditions qui n’ont jamais été élucidées. Idriss Déby, quant à lui, a pu s’échapper et rejoindre le Soudan puis la Libye où il obtint de Kadhafi tous les moyens militaires qui lui permettront de prendre le pouvoir en 1990 sans que la France n’intervienne pour l’en empêcher.
Hissène Habré qui avait perdu notre confiance, a dû s’enfuir rapidement, d’abord au Cameroun, puis au Sénégal en prenant auparavant le soin de vider toutes les caisses de l’Etat Tchadien.
En août 1987, l'armée tchadienne a attaqué et s'est emparé d'Aouzou, provoquant une immense liesse populaire dans le pays, mais les chefs militaires n'ont pas compris qu'il fallait consolider leurs positions. Ils sont revenus à N’Djamena pour fêter leur victoire, abandonnant leurs troupes sur place. Naturellement, les Libyens ont contre attaqué et ont infligé une lourde défaite aux Tchadiens.
Pour se venger, Hissen Habré a décidé d'attaquer la base aérienne de Maaten el Sarra, située sur le territoire libyen, proche de la frontière, infligeant des pertes sévères parmi les défenseurs et les coopérants civils de la RFA. En représailles Kadhafi a lancé le 7 septembre 1987, ses bombardiers TU22, l’un sur la Capitale qui fut abattu à proximité de N’Djamena par la défense aérienne d’Epervier avant de larguer ses bombes et l’autre sur Abéché sans pouvoir atteindre son objectif pour échapper aux missiles des batteries crotale.
Quelques jours plus tard, Kadhafi et François Mitterrand se rencontraient. Le 11 septembre 1987, le Tchad et la Libye décidaient d’un armistice.
Aujourd’hui, l’opération Epervier est toujours présente au Tchad mais sous une forme différente, en participant à l’opération Barkhane dont la zone d’action s’étend du Tchad à la Mauritanie.
*Jean MENU Général de l’Armée de l’air Jean Menu (2 S)
Par deux fois : Ancien Chef du cabinet militaire du ¨Premier Ministre
© 01.06.2021