Industrie et monnaie Jean-Pierre GERARD - Académie du gaullisme

Académie du Gaullisme
Président Jacques Myard
Secrétaire générale Christine ALFARGE
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         Industrie et monnaie
       

Étudiant à Sciences-po, et avec Daniel Deguen comme professeur   d'économie internationale, nous avions eu une dissertation sur les   dévaluations et leurs conséquences. Je ne me souviens plus du tout de la   nature de ce devoir, mais je me rappellerai toujours la phrase que j'avais   écrite sur les conditions des dévaluations. Daniel Deguen l’avait reprise. En   particulier parce que j'avais écrit « qu'on était d'autant plus proche   d'une dévaluation qu'on n’en parlait peu ».
Les années   techniques à l’arsenal de Brest et la construction des chasseurs de mines   CIRCE m’ont fait un peu oublier le rôle central de la monnaie dans l’activité économique.  Cela ne m’a pas   franchement préoccupé car le programme de la dissuasion nucléaire auquel   était rattaché plus de 80% de mon activité se déroulait dans une ambiance de   développement économique favorable et assez enthousiasmante pour un jeune   ingénieur.
Il faut   préciser également qu’à cette période, les prélèvements obligatoires étaient   faibles et l'activité économique soutenue à la suite du plan Rueff-Pinay dans   la réalisation duquel le général de Gaulle avait mis toute son autorité.
Jusqu'aux   réunions de la commission de l'industrie du septième plan.
Celle-ci sera   présidée par Georges Chavanes à l'époque président de Leroy Sommer, leader   français de la fabrication des moteurs électriques. J'avais été nommé   rapporteur général de cette commission de l’industrie. Hughes de l'Estoile,   Directeur Général de l'Industrie au ministère de l'industrie en était le   vice-président. Jean Ripert alors commissaire général du plan m’en avait   confié la responsabilité au sein du service industriel du plan. Le rapporteur   prépare les réunions et rapporte les propos qui s'y sont tenus.
Cette commission était composée, selon la   méthode du plan de manière tripartite, des représentants de l'industrie à la   fois grandes et moyennes entreprises, des représentants des syndicats, et   enfin des représentants des administrations.
Cette période   avait été sur le plan politique, économique et monétaire assez chahutée. Le   15 août 1971, le président Nixon annonce la suspension de la convertibilité   du dollar en or. En dévaluant et en imposant la fluctuation des monnaies, les   États-Unis faisaient entrer l'ensemble des économies dans l'instabilité des   processus de production et dans la financiarisation des économies.1.
Nous étions   en 1973. La situation économique était particulièrement difficile. Il y avait   eu en moins de trois mois l’augmentation du prix du pétrole décidé par les   pays exportateurs de pétrole en deux étapes à Koweït le 6 octobre 1973 et à   Téhéran le 22 décembre de la même année. Cette augmentation avait deux   conséquences majeures. Une augmentation de l'inflation par les coûts, la   réduction de la croissance par la ponction opérée par les pays exportateurs   de pétrole. Et même si le BIPE (bureau d'information et de prévisions   économiques) sous la plume d’Henri Aujac prévoyait un appauvrissement somme   tout assez modéré.
Les problèmes   du pétrole et donc de l'augmentation des prix par les coûts, associés à une   dévaluation de fait du dollar et du renforcement corrélatif des monnaies   européennes allait provoquer une perte de compétitivité assez significative.   Il était donc inévitable que l'on parlât de la compétitivité de l'industrie   dans les différentes séances de cette commission, et bien évidemment la   valeur de la parité du franc serait abordée.
À l'issue de   l'une des réunions particulièrement houleuse et difficile, où les industriels   qui subissaient de plein fouet la sous évaluation assez importante du dollar,   qui faisaient face à une augmentation des coûts qui avaient engendré une   inflation de 15,2 %, avaient fortement insisté sur leurs grandes difficultés.   La dérive des coûts était difficilement maîtrisable.
La France   était également résolument engagée à la fois dans le marché commun sur le   plan européen et dans les réductions de droits de douane sur le plan   international. C’était la grande époque des « rounds ».  Au niveau international les négociations   multilatérales étaient considérées comme la grande affaire, un   « must ». Il y avait donc une triple contrainte qui pesait sur   l’industrie. La dévaluation de 1969 était déjà loin.
Et les   évolutions des prix aggravaient encore la perte de compétitivité qui   résultait également de la sous évaluation du dollar.
L'ensemble de   la commission avait donc demandé un réajustement. J'avais donc écrit dans le   projet de rapport qu'il fallait envisager une dévaluation.
Jean Ripert   convie pour un déjeuner, le président de la commission Georges Chavanes,   Hugues de l'Estoile, le vice-président, moi-même rapporteur général, Philippe Boulin à l'époque directeur général de Creusot-Loire, Jean-Pierre Bouyssonie   président de Thomson-CSF. Il avait à la main le projet de rapport que j'avais   fait.
« Le   rapporteur rapporte les propos de la commission » dira Jean Ripert en avant-propos.   J'avais effectivement écrit : « un très grand nombre des participants   estime que la surévaluation de notre monnaie est un handicap pour la   compétitivité de nos entreprises. Ceux-ci demandent donc que soit envisagée   une mise en conformité de la valeur de la monnaie par rapport à sa valeur   réelle. Une telle décision est clairement indispensable pour le maintien à un   bon niveau de la compétitivité de nos entreprises »
Jean Ripert   nous passe un savon mémorable. Il avait le maintien grave et la componction   de hauts fonctionnaires quand ils ont le sentiment de devoir défendre la vie   de la nation. Son intervention est sans appel. Dès que l'on parle de la   monnaie, on agit contre son pays. Il est vrai qu'à cette époque, la   surévaluation du franc n'apparaissait pas évidente pour la haute fonction   publique.
L'industrie   représentait encore 25 % du PIB, nous avions lancé de multiples programmes   industriels d'une part pour les besoins de l’armement, d'autre part pour   renforcer la politique énergétique et enfin mener des programmes de   rattrapage comme dans le téléphone. Nous vivions encore l'ère des grands   projets gaullistes et de l'impératif industriel de Georges Pompidou.
Pourtant la   suspension de la convertibilité du dollar en or le 15 août 1971 par   les États-Unis et l'écroulement du système des taux de change fixes en mars 1973 avec l'adoption du régime de changes flottants confirmé le 8 janvier 1976 par   les accords de la Jamaïque. Ces accords mettent fin au système monétaire   international organisé à Bretton-Woods au lendemain de la deuxième guerre   mondiale. Ils ont pour conséquence une plongée du dollar et des pertes   importantes pour les pays comme l'Allemagne qui avaient accumulé des dollars   ou les pays exportateurs de pétrole dont les cours sont libellés en dollars.
La crise est   déjà installée avant que le premier choc pétrolier ne vienne la   renforcer. Plus grave crise depuis 1929, elle touche tous les pays de l'OCDE.
Cette crise   était caractérisée par augmentation des liquidités. Les prémices d’une   inflation en étaient visibles, sept ou huit ans plus tôt.
L'inflation,   que M. Volcker définissait comme "trop d'argent courant après   trop peu de biens, caracole alors au rythme annuel de 13%. Alors   président de la FED, il va pour la juguler faire grimper les taux d'intérêt   de 11% à 20%. À titre de comparaison, ils sont à 1,75% aujourd'hui et   l'inflation autour de 2%. Ce sévère tour de vis ne se fera pas sans douleur   et s'accompagnera d'une récession, qui lui vaudra des attaques féroces.   « Les concessionnaires automobiles lui envoient des clés de voiture dans   des cercueils, les agriculteurs étranglés de dettes encerclent le siège de la   banque centrale, la FED, de leurs tracteurs ». Mais il ne cède pas : "Rien   ne le stimule intellectuellement davantage qu'une crise »
L'économie   française connaît également un violent ralentissement. Il se traduit,   en 1975, par une année de récession : le PIB cède alors 1,0 %   en volume. La brève embellie qui s'ensuit de 1976 à 1979 (+3,8 % en   moyenne) constitue déjà un net infléchissement par rapport au rythme des   Trente Glorieuses. Mais l'embellie se termine. L'inflation en France, au   début des années 80 connait une accélération. Elle ne    sera vaincue vers la fin de la décennie   qu’au prix également d'une récession.
L'arrivée en   France d'une coalition regroupant socialistes et communistes, avec François   Mitterrand se caractérise par une série de mesures économiques inscrites   dans le programme présidentiel.  Comme   souvent, la France se démarque et les premières mesures du gouvernement   Mauroy vont toutes à rebours de ce qui se fait dans les autres pays.
Confronté à   une forte hausse de la dette et à une importante dégradation des comptes   publics intérieurs et extérieurs, le gouvernement Mauroy doit faire volte face. De 1980 à 1985, la croissance française tombe à 1,6 % par an en   moyenne. L'emploi va en souffrir, mais peut-être encore plus l'activité   industrielle. La France entre durablement dans l'ère du chômage de masse.   Et l'industrie va poursuivre une décroissance entamée en 1974 et qui ne   s'arrêtera plus.
Après 50 ans   d'expérience industrielle, je suis arrivé à la conclusion que le protectionnisme   et une politique de sous évaluation monétaire sont les deux seuls moyens   macro-économiques pertinents d’une vraie politique industrielle.
Après 50 ans   de vie industrielle, avec tous ses aspects de politique générale, de   participations aux instances administratives, de direction d’entreprises   grandes et petites, j’affirme avec force que la France a été malade des faux   objectifs industriels, que sont la création d’emplois, et le pouvoir d’achat,   de réduction des inégalités sociales, le développement du temps libre au   point d’en créer un ministère etc...
Après 50 ans   de d'expérience industrielle, je constate que la société française et en   particulier nos élites administratives ne comprennent rien à la vie de l'industrie. Elles sous-estime toujours l'impact du temps. Il n'est que de   lire tous les rapports administratifs sur les problèmes industriels pour le   comprendre.
Non seulement   l'effet du temps est sous-estimé, mais on ne comprend pas que les phénomènes   décrits dans ces rapports vont chercher très loin dans la culture collective.   C'est en grande partie ce qui explique la différence entre l'industrie   allemande qui s'appuie sur les capitaux propres et l’industrie française  qui se finance par l'endettement.
Après 50 ans   de vie industrielle, je suis obligé de constater que le fonctionnement   interne de l'entreprise et la motivation des chefs d'entreprise, sont méconnus. Méconnus des élites administratives, méconnus par les différents   organismes sociaux, méconnus par tous les acteurs de l'environnement industriel.
En regardant   la courbe de l'emploi industriel sur la période 1974-2017, en s'aperçoit   qu'il n'y a eu que deux périodes de stabilisation industrielle. La période   86-88 qui a été une période de cohabitation avec un programme économique   franchement libéral et très bien préparé par René de La Portalière, jusque   dans les moindres détails. Ce qui a permis une action extrêmement rapide et   relativement forte. Il y a un très grand nombre de mesures fortes, mais la   plus emblématique était la suppression de l'IGF.
Jacques   Chirac, qui avait pourtant un excellent bilan économique a toujours pensé, à   mon avis à tort, que la suppression de l'IGF lui avait coûté la   présidentielle. Personnellement je ne partage pas cet avis. Mais Jacques   Chirac était très admiratif de François Mitterand et de sa maîtrise   politique. Par ailleurs la cohabitation avait fait oublier tous les méfaits   des cinq premières années du septennat. Une fois de plus cela prouvait que la   poursuite de la socialisation économique détruisait l’industrie quand elle   est appliquée. En outre les idées du gouvernement ont imprégné durablement la   droite. Leur application, sur longue période, ont à mon sens sapé les   fondements de notre puissance.
Jacques   Lesourne dans un de ses derniers livres, disait à qui voulait l'entendre que   la France serait une URSS qui avait réussi. Après 50 ans de vie   professionnelle dans l'industrie, j'arrive à la seule conclusion possible :   la soviétisation de l'économie ne réussit jamais à assurer la puissance des   nations qui ont choisi ce mode d'organisation. Elle ne réussit pas non plus à   assurer l'aisance des populations.
Le socialisme   qui est un avatar abâtardi de la soviétisation a montré en France son   incompétence, son mépris des peuples, et la paupérisation généralisée. Bien   évidemment la raréfaction des biens et services entraîne les réglementations   toujours plus contraignantes d'un État omnipotent. De facteur de puissance   qu'il a pu être à certaine période, l'État est devenu un frein à la   croissance.
Sommes-nous   pour autant condamnés ? Les solutions sont pourtant connues mais   seront-elles appliquées ?
  
                                                 *Jean-Pierre GERARD, Président du   club des N°1 mondiaux français à l'exportation.
                    Ancien membre du   Conseil de la Politique Monétaire.
       
       

       
       

© 01.06.2021

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