L’EXEMPLE VIENT D’EN HAUT
« Il me fallait atteindre des sommets et n’en plus descendre » Charles De Gaulle (Mémoires de guerre).
par Christine Alfarge,
Même une grande nation peut vaciller fût-elle la France, la débâcle de 1940 en est l’illustration. Les jours terribles qui précédèrent l’armistice du 22 juin, montrent un pays exangue sombrant au milieu d’un chaos inouï. Le 16 juin, le pays se révèle incapable de supporter le choc de la défaite. Le 10 juillet, à Vichy, la République se saborde par le vote des pleins pouvoirs à Pétain. Pour l’essentiel, la classe politique, toutes tendances confondues, ne distinguait pas à cet instant, les véritables enjeux du conflit en cours.
À la fin de la IIIème république, le régime se trouvait à bout de course, de nombreux élus voulaient une profonde réforme du système politique. La plupart avait choisi la capitulation en pensant que Pétain les sauverait, ceux qui depuis longtemps avaient abandonné la nation et le sort du pays. Cette période marque une rupture, non seulement parce que le pays perdait son rang de grande puissance mais aussi parce que les fondements de la nation comme ses valeurs morales, ont été affaiblis. Les causes de cette débâcle s’inscrivaient avant tout dans les choix archaïques des principaux chefs de l’armée qui parlaient notamment de « simple événement de guerre », voulaient ignorer le rôle des divisions blindées ou de l’aviation de bombardement, la vitesse de déplacement des troupes a également fait la différence, d’autres derrière Pétain et Weygand préparaient déjà l’armistice. Les fondements même de la nation, ses valeurs morales, basculaient dans une profonde incertitude.
L’intuition de De Gaulle, c’est d’avoir compris qu’une politique défensive ne suffisait pas. Seul, il a prôné également une politique offensive.
Mais qu’ont-ils retenu ?
En 40, la France est face au renoncement qui domine dans tous les esprits. Seul, le général De Gaulle refuse de baisser les bras. Où a-t-il puisé cette force ? Dès janvier 1940, De Gaulle adresse à quatre-vingt des plus hautes personnalités politiques et militaires un mémorandum « L’Avènement de la force mécanique », ce qui lui vaudra d’être nommé le 26 avril suivant à la tête d’une division cuirassée alors qu’il n’est que colonel. Il obtint quelques victoires locales, Montcornet le 17 mai 1940 et Crécy-sur-Serre les 19 et 20 mai. Mais entre-temps, Pétain appelé par Paul Reynaud et Weygand nommé nouveau commandant en Chef des Armées vont faire savoir rapidement leur intention de cesser le combat considérant que la partie était perdue, poussant le pouvoir politique à se soumettre face à l’ennemi.
Résister ou périr.
De Gaulle reste combatif et déclare à cette période :
« C’est la guerre mécanique qui a commencé le 10 mai. En l’air et sur terre, l’engin mécanique – avion et char – est l’élément principal de la force.
L’ennemi a remporté sur nous un avantage initial, pourquoi ? Uniquement parce qu’il a eu plus tôt et plus complètement que nous mis à profit cette vérité. Ses succès lui viennent de ses divisions blindées et de son aviation de bombardement, pas d’autre chose !
Eh bien ! Nos succès de demain et notre victoire, oui, notre victoire ! Nous viendrons un jour de nos divisions cuirassées et de notre aviation d’attaque.
Il y a des signes précurseurs de cette victoire mécanique de la France. Le Chef qui vous parle a l’honneur de commander une division cuirassée française. Cette division vient de durement combattre, eh bien, on peut dire très simplement mais très gravement, sans nulle vantardise, que cette division a dominé le champ de bataille de la première à la dernière heure du combat.
Tous ceux qui y servent, le général aussi bien que le plus simple de ses troupiers, ont retiré de cette expérience une confiance absolue dans la puissance d’un tel instrument.
C’est cela qu’il nous faut pour vaincre. Grâce à cela, nous avons déjà vaincu sur un point de la ligne. Grâce à cela, un jour, nous vaincrons sur toute la ligne ! »
L’esprit du 18 juin se dessine.
Alors que la France s’enfonce, le 5 juin, De Gaulle est appelé par Paul Reynaud comme sous-secrétaire d’Etat à la guerre pendant que les Allemands approchent de Paris et entrent finalement le14 juin. De Gaulle tente de convaincre le Président du Conseil et des chefs militaires de rester dans la guerre, en vain. Les défenses françaises s’effondrent, le gouvernement de Paul Reynaud quitte Paris, le 10 juin, c’est l’exil à Tours puis à Bordeaux.
De Gaulle va-t-il abandonner ?
La persuasion de Georges Mandel, Ministre de l’Intérieur, sera déterminante en s’adressant à De Gaulle, « Ne démissionnez-pas. Qui sait si votre fonction actuelle ne saura pas vous faciliter les choses ? » Il avait vu juste. Si Churchill espérait sans doute Mandel pour continuer le combat au nom de la France, c’est De Gaulle, seul, qui vient à Londres, le 16 juin. « Eh bien De Gaulle, je vous reconnais seul » dira Churchill qui n’avait pas été indifférent à la détermination et la personnalité du général lors de trois rencontres auparavant, influençant le cours de l’histoire.
Le même jour, à Londres, Jean Monnet suggère à Churchill ainsi qu’à De Gaulle une union entre la France et la Grande-Bretagne pour poursuivre le combat. Cette proposition ne suffira pas à enthousiasmer le gouvernement et Paul Reynaud lui-même qui pensait être soutenu par une majorité de ministres afin de poursuivre le combat avec un nouveau gouvernement.
Dans la soirée du 16 juin40, le général De Gaulle rejoint Bordeaux, apprenant avec une grande stupéfaction, la démission du Président du Conseil, Paul Reynaud. Ce n’est pas la seule ombre au tableau, le président de la République, Albert Lebrun, scelle définitivement le destin de la France en confiant le pouvoir à Pétain, une décision impensable et lourde de conséquences pour le pays.
17 juin 40, le tournant de la guerre où tout va se jouer.
Pour Pierre Messmer, c’est l’instinct de vaincre, il écrivait dans ses mémoires, « Le 17 juin 1940, la radio diffuse l’allocution du maréchal Pétain qui nous ordonne de « cesser le combat ». Je n’en ai pas la moindre intention. Je suis décidé à continuer la guerre, quoiqu’il advienne, tout simplement parce que je ne pourrais pas supporter de vivre en vaincu dans l’humiliation et le mensonge… » « L’annonce de l’armistice commence à dissoudre les énergies et à égarer les esprits, il faut maintenant se méfier même des camarades. »
Fallait-il céder à la force ? « Au fond des cœurs naît le refus d’une quelconque collaboration avec l’ennemi, il touche le noyau dur d’un fervent patriotisme. De Gaulle, critiqué ou non, parle à cet inconscient. Les sceptiques seront longs à voir au-delà du rideau de la propagande, mais le feu n’est pas éteint, et les braises vont devenir flammes » disait Pierre Lefranc lors d’un entretien.
Ce 17 juin 1940, le général De Gaulle rejoindra Londres pour l’honneur de la France, il écrira : « Devant le vide effrayant du renoncement général ma mission m’apparut, d’un seul coup, claire et terrible. L’honneur me commande de viser haut et me tenir droit ».
La force du 18 juin.
À l’été 1940, la force de l’engagement dans la France libre est déterminante pour résister tant sur le plan extérieur que sur le plan intérieur. Les premiers résistants venaient de tous les horizons sans jamais se résigner à la défaite, combattre pour libérer la France, c’est dans cette conviction instinctive qu’ils gardaient l’espoir de vaincre. « En juillet 40, la France Libre, c’est le général De Gaulle avec une poignée de patriotes, résolus et désintéressés. Ils cherchent à sauver l’honneur et ils trouveront le chemin de la victoire. » […] « Presque tous les volontaires de la France Libre sont jeunes, donc sans grade ou de grade subalterne […] Les Français libres appartiennent à toutes les classes sociales, surtout les plus populaires, ce qui d’entrer de jeu, marquera le gaullisme » écrivait Pierre Messmer.
Pourquoi avaient-ils choisi de se rallier à la France libre ?
« Pétain avait tué la France glorieuse » écrira Daniel Cordier. Avant tout, ces volontaires de la France libre ne voulaient pas subir l’occupation de leur pays, par un réflexe conditionné à un refus absolu de penser que la guerre était perdue, ils rejoindront l’Angleterre. Chacun garde le souvenir fort où pour la première fois il a vu surgir le général De Gaulle. Aucun n’avait entendu l’appel du 18 juin ni ne connaissait son nom. Lors de l’apparition du général De Gaulle quelques instants le 6 juillet 1940, à l’Olympia de Londres, il lance ces mots « Je ne vous féliciterai pas d’être venus, vous avez fait votre devoir. Quand la France agonise, ses enfants se doivent de la sauver. Vous avez de la chance, jeunes Français, car vous voyagerez beaucoup. Ce sera long, ce sera dur, mais à la fin, nous vaincrons ». L’instant est crucial, la France libre est née de cette conviction et de cette volonté.
Le général De Gaulle incarnera la pierre angulaire d’un engagement à toute épreuve pour son pays à travers son célèbre appel à la radio de Londres. Extrait de l’appel du 18 juin 40 : « Moi, général De Gaulle, actuellement à Londres, j’invite les officiers et les soldats français qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s’y trouver, avec leurs armes ou sans leurs armes, j’invite les ingénieurs et les ouvriers spécialistes des industries d’armement qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s’y trouver, à se mettre en rapport avec moi. Quoi qu’il arrive, la flamme de la résistance ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas. Demain comme aujourd’hui, je parlerai à la Radio de Londres ».
Cet appel à continuer le combat en constituant une force militaire sous le drapeau français aura l’adhésion de civils ou de militaires qui s’engageront dans les Forces françaises libres et porteront avec une fidélité sans faille les armes de la France libre jusqu’à la capitulation allemande du 8 mai 1945. Les évènements de l’histoire montreront combien leurs combats furent héroïques sur tous les champs de bataille.
Au nom de la France libre, en 1941, le général De Gaulle propose notamment à Staline l’envoi d’une formation combattante, le groupe d’aviation de chasse GC-3 Normandie. Arrivés fin 1942 en Russie, les 43 premiers volontaires français combattent aux côtés du 18ème régiment de chasse de la garde russe. Le GC-3 Normandie devenu Normandie-Niemen participe à trois campagnes majeures contre les armées allemandes jusqu’à la fin de la guerre. Le Normandie-Niemen, une des pages héroïques des Forces Françaises Libres, permet au général De Gaulle de renforcer sa crédibilité en des temps où il en a un besoin urgent.
Entre le 26 mai et le 11 juin 1942, la bataille de Bir Hakeim incarnera le courage de la première Division française libre face aux troupes allemandes de l’Africa Korps et la division blindée italienne Ariete. Le général Saint-Hillier écrira dans ses carnets tenus précieusement, la détermination et l’héroïsme de ses compagnons disparus. Grâce à la bravoure des Français Libres, cet épisode capital de Bir Hakeim permettra aux Britanniques en difficulté de se replier et finalement triompher dans une oasis égyptienne à El Alamein. Churchill en liesse après la deuxième bataille triomphale de El Alamein, lancera à Londres : « Ce n’est pas la fin, ni même le commencement de la fin, mais c’est la fin du commencement ».
Le soutien britannique sera déterminant.
Le 12 février 1943, Jean Moulin qui avait pris la tête au nom du général De Gaulle de l’ensemble des organisations de résistance, revint en Angleterre, en même temps que le général Delestraint, chef de l’Armée secrète. Ils auront tous les deux plusieurs contacts avec les responsables du Comité national français et les chefs militaires britanniques ainsi que le 21 février avec le chef de l’état-major impérial britannique, le général Alan Brooke.
Notre reconnaissance aux Britanniques est immense, née de l’entente entre Churchill et le général De Gaulle, la France libre changera le cours de l’histoire. L’objectif premier du général De Gaulle était que pas un jour ne s’écoule sans que des Français soient présents au combat. Ils seront au mieux 7000 volontaires en août 1940, mais il fera tout pour que leur statut en fasse les représentants d’une France toujours en guerre. Son deuxième objectif, est qu’il y ait des terres françaises où s’exerce une autorité régalienne française libre. C’est le cas dès l’été 1940, grâce au ralliement de l’Afrique équatoriale, du Cameroun, de l’Inde française et des possessions françaises du Pacifique. Avec ses officiers, Félix Éboué capte sur la radio anglaise le message d’un général inconnu, De Gaulle. Il se renseigne et apprend par son homologue de la colonie britannique du Nigeria que le général De Gaulle s’est exilé à Londres d’où il avait appelé les Français à continuer les combats aux côtés de l’Angleterre. Le 3 juillet, Félix Éboué répond favorablement à l’appel du général De Gaulle et lui écrit une longue lettre pour l’informer de son ralliement personnel. Le troisième objectif du général, faire reconnaître cette France libre comme une entité politique française, ce qui lui prendra des années.
Dans son discours du 18 juin 1942, deux ans après son célèbre appel, le général De Gaulle s’exprimera :"Mais, puisque la France a fait entendre sa volonté de triompher, il n'y aura jamais pour nous ni doute, ni lassitude, ni renoncement. Unis pour combattre, nous irons jusqu'au bout de notre devoir envers elle, nous irons jusqu'au bout de la libération nationale. Alors, notre tâche finie, notre rôle effacé, après tous ceux qui l'ont servie depuis l'aurore de son Histoire, avant tous ceux qui la serviront dans son éternel avenir, nous dirons à la France, simplement, comme Péguy : « Mère, voyez vos fils, qui se sont tant battus ».
Au cœur de l’abîme, des hommes et des femmes ont choisi de ne pas baisser les bras, de se battre courageusement, à partir de là, la résistance de l’ombre naîtra avec Jean Moulin certain que le combat n’est jamais vain pour ceux qui servent leur pays dans la solidarité et la fraternité ! Jean Moulin aidera le général De Gaulle à unifier la résistance sur le territoire national au moment le plus difficile pour l’homme du 18 juin 1940 et créera le 27 mai 1943, le Conseil national de la résistance auquel le général De Gaulle rendra hommage dans ses Mémoires : « Un trait essentiel de la résistance française est la volonté de rénovation sociale. » écrivait-il.
Au regard de l’histoire, le 18 juin 40 est devenu un symbole transgénérationnel, un appel à la victoire, un appel gravé dans la mémoire de tous les Français ! Alors qu’aujourd’hui, une nouvelle guerre s’est installée aux portes de l’Europe, les esprits doivent rester lucides, comme en 40, parce que nous savons le prix du sang à travers l’épopée héroïque des Compagnons de la Libération et tous les résistants, les souffrances des nôtres murés longtemps dans leur silence dont les souvenirs douloureux avaient laissé une marque indélébile profonde, mais gardant toujours l’espoir que leurs sacrifices n’étaient pas vains et qu’après, tout irait mieux pour que nous puissions vivre libres.
Hélas, la guerre peut toujours renaître sous n’importe quelle forme, chaque conflit n’est pas sans impact pour le reste du monde. Ô combien, il est précieux pour nous aujourd’hui que les résistants aient légués leur histoire en racontant, transmettant un passé qui s’éloigne inexorablement. « Parce qu’un homme sans mémoire, est un homme sans vie, un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir. » disait Ferdinand Foch, Maréchal de France, vainqueur de la Grande guerre.
L’enjeu du conflit.
Le général De Gaulle écrivait dans ses Mémoires de guerre, « Ce n’est pas tout de reprendre son rang, encore faut-il être capable de le tenir.» C’est dans cette perception visionnaire qu’il ne cessera d’agir jusqu’à la libération de la France.
Mais au-delà, celui qui avait su tirer quelques années avant les leçons de la Grande guerre sur les capacités militaires de notre pays, sans être écouté à ce moment là, savait que gagner la Seconde guerre ne suffirait pas. Il fallait être victorieux, mais après, comment envisager l’avenir, qu’allait-il se passer face aux attentes de tous ceux qui s’étaient battus pour leur pays dont ils espéraient les moyens d’une vie meilleure ? « A mes yeux, écrivait le général De Gaulle, il est clair que l’enjeu du conflit c’est, non seulement le sort des nations et des Etats, mais aussi la condition humaine. »
Le passé éclaire l’avenir.
Qui peut comprendre son époque à part celui qui connait de quoi le passé l’a faite ? Aujourd’hui, c’est dans cet esprit que les jeunes générations sont loin d’imaginer combien il a fallu de courage et de persévérance au général De Gaulle pour que la considération de la France en tant que nation soit au cœur des décisions face aux autres Etats. Pas question pour le chef du gouvernement provisoire de laisser le destin de la France se décider sans elle par les « Trois grands », Angleterre, Etats-Unis, Russie, lors d’une rencontre à Yalta. Il saisira cette occasion exceptionnelle pour montrer aux dirigeants qu’il n’était pas acceptable de compter sans la France, cette mise à l’écart était insupportable pour le général de Gaulle.
Quel sort serait réservé à la France résistante, meurtrie par autant d’abandons que de trahisons ? Nul doute que sans la clairvoyance du général De Gaulle qui savait que la liberté de notre pays dépendait d’une totale reconnaissance de notre nation, nous n’aurions jamais pu retrouver notre rang en nous hissant parmi les grandes puissances siégeant au Conseil de sécurité des nations-unies.
En mémoire du général De Gaulle, soyons fidèles à son ambition et sa rigueur, l’héritage qu’il nous laisse, est une action et une hauteur de vue que nous devons à son histoire, celle de l’homme du 18 juin qui ne doutera jamais de la flamme de la résistance française.
L’Appel du 18 juin 1940 est le réveil des consciences à jamais dans la mémoire nationale par l’idée de résistance, le refus de l’inacceptable et l’espérance dans un libérateur ! La flamme de la Résistance française n’a jamais cessé depuis de nous éclairer dans notre histoire et nos devoirs envers notre pays !
*Christine ALFARGE Secrétaire générale de l'Académie du Gaullisme.
© 02.06.2025