L’avenir de la France, dans quelle Europe ?
« La guerre fait naître et mourir des États »
Charles De Gaulle
par Christine Alfarge,
« À présent et en conséquence du dernier conflit où elle faillit périr, d’après quelles données la nation française peut-elle régler sa marche et son action ? » […] Simultanément et tandis qu’en combattant l’ennemi je m’appliquais à sauvegarder vis-à-vis de nos alliés les droits souverains de la France, de quelle source, sinon de l’idée que nous devions toujours céder, coulait la réprobation qui s’élevait jusqu’au plus près de moi ? Après tant de leçons, on pourrait penser que, la guerre finie, les milieux qui prétendent conduire l’opinion se montreraient moins disposés à la subordination. Il n’en est rien. Au contraire ! Pour l’école dirigeante de chaque parti politique, l’effacement de notre pays est devenu une doctrine établie et affichée. » écrivait le général De Gaulle.
Malgré tous ses efforts de réconciliation avec Adenauer et à travers lui, le peuple allemand, Charles De Gaulle avait compris l’esprit de revanche d’une Allemagne hégémonique en Europe.
« Ce que la France peut apporter de plus précieux à l’Europe, c’est de trouver en elle-même assez d’énergie et de volonté, pour devenir un contre-poids, pour équilibrer les forces en présence, pour peser lourd face à l’Allemagne sinon pour faire jeu égal avec elle. » disait Philippe Séguin quelques années plus tard.
Quand Philippe Séguin éveillait les consciences.
« L’Europe qu’on nous propose n’est ni libre, ni juste, ni efficace. Elle enterre la conception de la souveraineté nationale et les grands principes issus de la Révolution :1992 est littéralement l’anti-1789. »
Le plus bel hommage que la classe politique puisse lui rendre, c’est de défendre sincèrement ses idées sur l’Europe et sa vision de la France.
La « souveraineté divisée, « la souveraineté partagée », « la souveraineté limitée » sont autant d’expressions pour signifier qu’il n’y a plus du tout de souveraineté ! […] Aussi, quand on nous dit que les accords de Maastricht organisent une union d’États fondée sur la coopération intergouvernementale, on travestit délibérément la réalité. disait Philippe Séguin, (Discours du 5 mai 1992 sur Maastricht.)
L’Europe est rentrée dans une crise existentielle à plusieurs dimensions politique, économique, sociale et éthique. Nous assistons à une forme d’impuissance qui devient de plus en plus grave. Rarement comme aujourd’hui, les peuples et les dirigeants européens n’ont paru aussi peu maîtres de leur destin.
L’Europe va-t-elle dans l’impasse ?
L’Union européenne construite sur un modèle de mise en concurrence confronté en 2008 à une crise violente, déstabilisante mondialement, annoncera la fin d’un système passé au bord du précipice avec l’Europe comme épicentre. L’idée était un grand marché tirant les coûts de travail par un remède dépressif conduisant à des cures d’austérité imposées avec des conséquences sur le taux du chômage et la précarité.
Dans les grands pays développés, les inégalités sont importantes, les plus riches ont accaparé 54 % de l’augmentation de richesse de toute l’Europe entre les années 2000 et 2015. On assiste au cumul d’inégalités dans toute l’Europe et son incapacité à traiter les enjeux de demain, la crise des réfugiés en est une parfaite illustration. En matière de productivité, c’est l’inefficacité. L’Europe, où il n’y a plus de système bancaire indépendant, est devenue un désert productif dépendant de l’Allemagne. Cette crise politique grave, contestée dans l’Union européenne, a mis en avant les peuples de l’Est et un ultralibéralisme.
Une crise politique et démocratique.
En 2005, les peuples français et néerlandais avaient refusé par référendum le projet de traité constitutionnel européen. En 2007, le Traité de Lisbonne est remis en cause. Malgré l’alerte niée, l’Union européenne a dénaturé ses instruments dans le but de dessaisir progressivement les nations. Le Traité constitutionnel est devenu un modèle confisqué. De manière visible, le budget en France est soumis aux autorités européennes avant de venir dans le débat parlementaire. Illustrant tout à fait cette dépendance vis-à-vis de Bruxelles, le projet de loi El Khomri sur la réforme du droit du travail a été négocié de la même façon avec les autorités européennes avant de venir dans le débat parlementaire français. Les règles sont établies selon que nous sommes forts ou faibles.
Une crise éthique ou crise des valeurs.
Nul ne conteste aujourd’hui que la menace d’implosion pesant sur la zone euro trouve ses racines dans une double faute historique. La première est d’avoir créé une monnaie unique oubliant de l’enraciner dans un espace économique et fiscal commun. La seconde, ce sont des déficits cumulés d’année en année par les Etats membres, construisant avec une telle inconscience voire insouciance le mur de la dette sur lequel se fragilisent aujourd’hui leurs économies.
Est-il besoin de rappeler que l’origine de la crise est due à un surendettement des pays occidentaux, notamment pour effacer les effets de la mondialisation dans les pays riches. Pour éviter de se confronter à leurs opinions, les politiques ont laissé se développer une politique sans contrôle, sans régulation. N’en sommes-nous pas en partie responsables par notre mode de vie et de consommation ? S’il existe une responsabilité collective des pays riches, leurs Etats, il y a aussi une responsabilité des citoyens à l’exception des plus pauvres.
Cela implique d’avoir une politique rigoureuse avec le souci des plus démunis, attentive à la classe moyenne subissant de plus en plus des écarts de revenus creusant les inégalités. Il y a un autre chemin que la haine, la violence et l’affaiblissement du pays. Repenser notre mode de vie est un défi majeur face aux réactions extrêmes pouvant devenir de plus en plus dangereuses. On ne peut pas parler d’une fin de crise tant que les taux sont aussi bas, cela montre l’impérieuse nécessité de sortir de la spirale infernale de la dette et du chômage.
Cependant, la France ne peut agir seule pour la politique européenne. Il faut des objectifs communs selon la formule « entente, détente, coopération ». Le général De Gaulle disait : « S’il est une voix qui puisse être entendue, une action qui puisse être efficace quant à l’ordre à établir en remplacement de la guerre froide, ce sont par excellence la voix et l’action de la France ». Il faut avoir le sens de l’histoire, première chose à enseigner aux dirigeants s’ils entendent diriger ce vieux pays. Le projet de capacités est de ne pas s’aliéner aux puissances. La France ne sait pas où elle va, au-delà des postures politiques compte-t-elle avoir une voix en Europe et sur quelle base politique si nous ne créons pas d’alliance nous permettant d’exister ?
C’est à partir des réponses politiques nationales que se font les réponses politiques européennes. La raison doit être remise au goût du jour, la société ne peut retrouver un sens que dans un cadre collectif. Seul l’état peut fixer ce cadre instaurant des lois et des règles de fonctionnement, notamment dans le monde financier.
La démocratie n’a de sens que dans l’exercice de l’intérêt général.
La démocratie ne se limite pas à sa dimension électorale, même si dans toutes les sociétés démocratiques contemporaines, on a constaté une hausse caractéristique du taux d’abstention du milieu des années 1970 à la fin des années 1990.C’est le même constat dans les États membres pour le taux de participation aux élections européennes qui n’a cessé de faiblir depuis les premières élections au suffrage universel direct pour le Parlement européen. L’architecture européenne connaît des limites qu’il faudra redéfinir, les institutions actuelles sont trop impuissantes et trop contestées. Quels sont les espaces politiques dans lesquels il est vraiment possible de traiter des questions qui préoccupent les citoyens : emploi, santé, retraite, pouvoir d’achats, école… ? Quelles institutions peuvent permettre de formuler des réponses politiques à ces préoccupations ?
L’Europe est devenue le bouc-émissaire des populations se traduisant à la fois par la montée des extrêmes et le désengagement individuel. Il ne faut pas interpréter ce retrait citoyen comme une désaffection des citoyens mais plus comme une mutation de la citoyenneté qui se traduit par une défiance vis-à-vis du politique. La défiance peut précisément être démocratique en manifestant les exigences des citoyens vis-à-vis du pouvoir, garantit-elle pour autant la vitalité de la démocratie.
La société a perdu ses repères et le mécontentement fait rage sur tout le territoire national, cet emballement de la défiance est une caractéristique majeure du monde politique aujourd’hui et s’exprime à travers ce que l’on peut appeler le populisme, force de dénigrement, de dénonciation, de dévalorisation de la sphère politique pointée du doigt par les conséquences sociales, économiques. Beaucoup de monde semble s’entendre sur les dérives actuelles de la société française mais toute la difficulté est d’identifier les groupes sociaux en difficulté. En effet, la précarité est diffuse et on ne peut pas forcément l’appréhender en termes de classes, qu’elles soient ouvrières, populaires ou moyennes. Il existe un problème structurel auquel il faut apporter un ensemble de solutions et le rôle du politique s’inscrit plus que jamais dans la démarche nécessaire d’inventer « un nouveau modèle social ». Le seul chemin est le bonheur des Français.
La place de la France est celle que nous avons la volonté de lui donner.
« La vie en société consiste à être soi-même, à affirmer sa personnalité, sans porter atteinte à celle des autres. De même, la vie internationale doit permettre à chaque nation de s’affirmer, sans porter préjudice aux autres. L’indépendance est aux peuples ce que la liberté est aux individus. Un peuple a besoin d’être fier. Il faut qu’il ait la fierté de se dire : « Je suis le fruit d’une histoire qui n’est celle d’aucun autre » écrivait le général De Gaulle. Le gaullisme est notre histoire commune.
Indépendance et souveraineté sont le socle d’une nation libre.
Dans ce 21ème siècle qui bascule vers le continent asiatique, l’Europe aura-t-elle été une parenthèse de l’Histoire ? Où est la voix de la France ? À son époque, le général De Gaulle souhaitait une Europe forte pour la paix et l’équilibre entre les blocs : « Actuellement, l’Europe se compose de nations. C’est à partir de ces nations qu’il faut organiser l’Europe et la défendre » disait-il. « L’Europe n’a pas été faite et nous avons eu la guerre » dira Robert Schuman le 9 mai 1950, devenu la « Journée de l’Europe ».
De Robert Schuman au général De Gaulle et Konrad Adenauer, la construction européenne exigera d’abord que l’opposition séculaire de la France et de l’Allemagne soit éliminée. Le dépassement des nationalismes sera l’objectif majeur pour créer les conditions d’une paix durable dont le socle se trouvera dans la réconciliation franco-allemande.
Si le général De Gaulle s’oppose fermement à la Communauté européenne de défense en 1954 en s’exprimant« Dix ans après la Libération, il semble qu’une fois encore, un sursaut venu des profondeurs va sauvegarder l’indépendance de la France. La conjuration qui vise à la priver de sa souveraineté, à lui prendre son armée, à la séparer des terres et des Etats qui la prolongent outre-mer, paraît sur le point d’échouer devant le refus national », en revanche, il ne condamnera pas la constitution du Traité de Rome le 25 mars 1957 dont il en accélèrera la mise en œuvre à son retour au pouvoir en 1958. Le marché commun s’affirmera comme le premier moteur de la croissance intensive dans les années 1960.
Si l’Europe reste encore à un échelon pertinent sur la scène internationale, pourquoi faudrait-il converger seulement avec les visions et besoins allemands ? L’Allemagne est dans une logique d’intégration à tout prix avec la France, notamment pour assurer sa propre sécurité. Il est tout à fait aisé de comprendre que l’Allemagne nous envie notre dissuasion nucléaire et notre autonomie militaire en Europe.
Une refonte des Traités européens doit absolument s’imposer pour un meilleur fonctionnement économique, monétaire et surtout politique, à condition que la France soit fidèle à elle-même, à la hauteur de ses ambitions pour se réformer, devenir la première puissance en Europe dans les dix années qui viennent.
*Christine ALFARGE Secrétaire générale de l'Académie du Gaullisme.
© 01.05.2024