Plus que jamais, le gaullisme social doit faire entendre sa voix.
par Christine Alfarge,
« Ce qui nous réunit, c’est cela même qui remplît l’âme de notre peuple : soucis pour la France menacée, volonté de surmonter les périls, espérance à la pensée que la nation va sortir du marasme affreux où les partis la tiennent enlisée, suivre enfin la route du salut. » dira Charles De Gaulle en 1951.
Chaque époque a ses crises de nature différente sur fond de liberté, d’égalité.
Ce qui est admirable pour ne pas dire extraordinaire, c’est la vision du général de Gaulle, marquée par sa grande connaissance de l’histoire dont il n’ignorera aucun évènement. C’est à travers cette même histoire qu’il a su élaborer et développer les grandes questions qui ont contribué au développement de notre pays. Pour lui, la question d’ordre social était avant tout d’agir pour préserver la cohésion entre les Français.
La France est à un moment charnière de son histoire sociale engageant l’avenir et la prospérité du pays. Il faut protéger les Français face à toute décision précipitée impactant leur travail, leur santé, leurs moyens financiers. C’est la France que le général De Gaulle et le Conseil national de la Résistance nous ont léguée.
Face au risque de rabotage auquel est aujourd’hui confrontée la politique familiale de la France, il faut raviver l’esprit et la flamme du général De Gaulle et d’Alfred Sauvy. Un pays s’appauvrit quand il n’y a pas la volonté d’encourager la natalité à travers une politique familiale forte.
L’aspect démographique, socle de la politique familiale du général De Gaulle.
Si l’universalité des droits est un volet important de sa politique familiale, cette dernière repose principalement sur l’évolution démographique de notre pays. En dotant la France d’un institut d’analyses démographiques, l’INED dirigé par Alfred Sauvy, le général de Gaulle conduira une politique familiale avec tous les moyens matériels et moraux pouvant contribuer à l’accroissement quantitatif et l’amélioration qualitative de la population.
Sachant lire et analyser mieux que quiconque les statistiques démographiques, Alfred Sauvy comprenait et s’exprimait dès 1959 sur le phénomène de l’arrivée d’une « montée des jeunes ». Il y consacrera plusieurs articles dans la presse et un livre du même titre. Il considèrera que cette « montée des jeunes » est le fait le plus lourd de notre histoire et que la France devra s’y préparer.La démographie joue aussi un rôle de prospection, quelle sera l’évolution du nombre d’habitants dans les années à venir ? C’est une question politique portant notamment sur le sujet majeur des régimes de retraite.
La question démographique est au cœur du système des retraites.
La démographie a un rôle fondamental pour les futures générations, soulevant les problèmes, suggérant les solutions, avec les leviers adéquates pouvant être mis en place, indispensables pour éclairer l’avenir. Alfred Sauvy écrira : « La France a gagné la bataille de la natalité en 1946, sans y gagner celle de la jeunesse et de la vie. »Dès 1945, le Général De Gaulle, paternel et patriote, souhaite « douze millions de beaux bébés ». Le pays bénéficie de ce renouveau démographique qui culmine au début des années 1950. La montée des jeunes a des effets positifs sur l’économie, augmentant la demande de logements, équipements, alimentation, vêtements, éducation, santé, loisirs.
La période de 1997 est essentielle.
L’universalité des droits concernant les allocations familiales est remise en cause, les communistes sont contre, le gouvernement Jospin fait marche arrière quelques mois plus tard, rétablissant le principe d’universalité tout en abaissant le quotient familial. Qu’est-ce qui peut expliquer la crise de la natalité en France après 2014 ?
Les quatre années de baisse de la natalité postérieure à 2014, ce n’est pas la crise économique, moins il y a de femmes, moins il y a de naissances. La diminution des mariages est-elle en corrélation avec la baisse des naissances ? Selon Gérard-François Dumont : « La baisse de la natalité n’est pas liée à la diminution de mariages, cette explication ne vaut pas pour la France. » Dernière explication : est-ce le souhait d’avoir des enfants plus tard ? « La fécondité des 25-29 baisse, on est à un âge de plus en plus avancé, ce retard de l’âge au mariage n’explique pas non plus la baisse de la natalité. »
Que s’est-il passé alors ?
La diminution des allocations familiales sous le quinquennat Hollande, la baisse du quotient familial pour les plus aisés avec une modulation des aides à l’accueil des jeunes enfants poursuivie au-delà avec un nouvel abaissement du plafond des ressources donnant droit au versement de l’allocation de base pour les parents de jeunes enfants, vont pénaliser les classes moyennes très durement. Selon Gérard-François Dumont : « Les évolutions de la natalité depuis quarante ans suivent celles de la politique familiale. Les effets des mesures prises depuis 2012 ont commencé à se faire sentir en 2016 et cela s’aggrave en 2017. Il ne faut pas oublier la baisse des dotations aux collectivités locales réticentes à développer l’accueil des jeunes enfants. Les difficultés, pour concilier vie familiale et vie professionnelle, sont très grandes. »
Peut-on espérer un retour à la fécondité ?
Selon Gérard-François Dumont : « Le gouvernement ne s’inquiète pas, il n’y a pas un mot sur la politique familiale dans la lettre du 13 janvier 2019 du président de la république aux Français. La fin de la taxe d’habitation est une catastrophe, avec des enfants, l’abattement est supprimé. Il y a aussi la décision d’allonger le congé paternité, le prélèvement à la source remettant en cause la solidarité dans le couple, l’objectif de supprimer le quotient familial, perte de la logique et de la complémentarité, l’impôt est lié à l’individu mais pas à la situation familiale. Il est essentiel de faire un diagnostic, cela révèle surtout une mauvaise situation pour espérer un retour à la fécondité. »
Sans politique nataliste de la France, l’équilibre entre actifs et retraités se posera de nouveau, l’âge de départ en inactivité à 64 ans étant une variable d’ajustement qui n'apporte aucune solution ni garantie pour protéger le système par répartition.
L’avenir du système par répartition est une conquête sociale.
Le programme du CNR instaurait clairement le principe de retraite par répartition pour que les plus démunis bénéficient d’une retraite décente, très différent de la capitalisation où chacun épargne selon ses possibilités pour sa retraite. Le système par répartition correspond à une solidarité intergénérationnelle, à l’inverse du système par capitalisation correspondant à une logique individuelle.
Aujourd’hui, l’avenir du système par répartition est en jeu, visé par des fonds de pension tournant le dos au principe de solidarité et mauvais pour l’économie française parce qu’ils introduisent une primauté spéculative dans les entreprises. Quel avenir radieux pour les Français ! Proposer de diminuer en partie la dette publique par la capitalisation des retraites, le gaullisme social combattra toujours cette vision libérale conduisant à l’appauvrissement des citoyens.
La France se gouverne par la confiance.
Le gouvernement a décidé de reporter l’âge de départ, ce qui revient avant toute chose de faire travailler plus tard ceux qui ont commencé plus tôt, une décision injuste et inacceptable. Pourquoi ce choix ? n’y a-t-il pas d’autres solutions ?
- Mettre à contribution les entreprises
- Fiscaliser l’épargne salariale
- Augmenter légèrement les cotisations
- Taxer le capital
Il y a deux conceptions différentes, le revenu différé ou le salaire continué.
Dans une perspective libérale, la retraite, c’est du revenu différé. Toute leur vie, les travailleurs consacrent une part de leur salaire aux cotisations retraite et quand ils sont trop vieux pour travailler, ils touchent une pension qui dépend de ce qu’ils ont cotisé au cours de leur vie et qui leur permet de bénéficier d’une période de repos et de loisir avant la fin.
Mais il y a une autre manière de voir les choses qui consiste à envisager la retraite non comme du revenu différé mais comme la continuation du salaire tout au long de la vie. La collectivité décide de se cotiser pour que tous les travailleurs à un moment de leur existence puissent bénéficier d’un temps libéré. Les individus continuent de percevoir un salaire qui leur permet de décider eux-mêmes de quelle façon ils veulent être utiles, contribuer, exister au sein de la société.
En France, au lendemain de la seconde guerre mondiale, c’est assez largement le deuxième modèle qui s’impose et ça a des conséquences pratiques, c’est pour ça qu’on a par exemple décidé de calculer le montant de pensions de retraite sur les six derniers mois des fonctionnaires et les dix meilleures années des salariés pour que leur retraite soit une continuation de leur meilleur salaire, à l’époque, on a indexé les pensions de retraite sur les salaires pour que le pouvoir d’achat des retraités suive la même évolution que celui des autres salariés.
La décision d’avancer l’âge de la retraite à soixante ans a été prise pendant le septennat de François Mitterrand, pour que les travailleurs disposent d’un temps de liberté toujours plus grand dans la société et contribuent à ce que la France bénéficie d’un réseau associatif dont un tiers des retraités sont bénévoles dans une ou plusieurs associations, l’équivalent de 90 000 emplois temps plein. C’est là que repose une partie de nos vies familiales en France, les grands-parents assurent vingt-trois millions d’heures de garde d’enfant par semaine, autant que les heures des assistantes maternelles.
Les réformes qui se sont succédé depuis les années 90, ont visé à détricoter cette conception initiale de la retraite. Les pensions aujourd’hui ne sont plus indexées sur les salaires mais sur les prix, elles augmentent donc moins vites. Dans le privé, elles ne sont plus calculées sur les 10 meilleures années mais sur les 25 dernières. Les salariés sont de plus en plus incités à prendre une épargne complémentaire. Cela va dans le sens d’une conception très libérale de la retraite, il en va de même pour la réforme actuelle.
L’objectif inavoué de la réforme est clair : le passage progressif à un régime par capitalisation.
En exigeant que ce soit les travailleurs qui en travaillant davantage équilibrent à eux seuls les déficits du système, le gouvernement assure et assume sa conception des retraites comme un revenu différé et tant pis quand vous pouvez ainsi vous arrêter, vous êtes trop malades ou trop abîmés ou fatigués pour utiliser votre temps comme vous l’auriez voulu. Au contraire, le gouvernement aurait pu décider ce que la France a fait durant toute la seconde moitié du XXème siècle, c’est-à-dire augmenter progressivement et très légèrement les cotisations des salariés ou des entreprises sur de longues années pour préserver ce temps libéré.
Est-ce que cette vision sociétale nous convient ? C’est à chacun d’entre nous qu’il appartient de le décider. La liberté est une conquête sociale qui n’a rien à voir avec un projet libéral. « Le peuple français doit trancher lui-même dans ce qui est essentiel à son destin. » écrivait le général De Gaulle dans ses Mémoires.
*Christine ALFARGE Secrétaire générale de l'Académie du Gaullisme.
© 01.02.2023