Ode à l’art et à la culture, de Victor Hugo à André Malraux
par Christine Alfarge,
« La culture est l’héritage de la noblesse du monde »
(André Malraux)
Au-delà du temps, si le pouvoir de la
poésie unifie les hommes, l’émotion envers notre patrimoine est intacte et nous
lie éternellement au divin. Toute sa vie, Victor Hugo a voulu décrire avec des
mots forts les sentiments humains avec la volonté de mener une autre bataille,
« la guerre aux démolisseurs ». «
L’architecture est le grand livre de l’humanité, l’expression principale de
l’homme à ses divers états de développement, soit comme force, soit comme
intelligence » écrivait-il et nous l’aimons aussi à travers l’histoire de
Notre-Dame de Paris qu’il a su magnifier.
Son génie est d’avoir su mener le combat pour la
sauvegarde du patrimoine face aux démolisseurs de l’époque et la lutte contre
la pauvreté. « Vous n’avez rien fait
tant que le peuple souffre », s’adressait-il ainsi le 9 juillet 1849
devant les députés dans un discours vibrant et fort. Des paroles bouleversantes
toujours d’actualité, sans doute parce que l’âme de la résistance française
plane toujours, elle nous murmure que la grandeur de la France s’est bâtie par
les solidarités, le courage et la passion pour un pays libre.
Gloire à tous nos
monuments.
Victor Hugo écrivait sans relâche
pour arrêter le marteau qui mutilait la face du pays détruisant nos édifices
historiques. Il dénonça le vandalisme des spéculateurs jetant à bas nos
monuments nationaux avec l'assentiment des municipalités. L’idée que les
monuments représentent l’art et la civilisation dont la France peut
s’enorgueillir est née au Siècle des Lumières. Il faudra inlassablement
répertorier, protéger et entretenir tous ces trésors transmis au fil de
l’histoire.
Dès
1830, Prosper Mérimée, nommé inspecteur des monuments historiques par un
ministre du roi Louis Philippe, contribuera au sauvetage du patrimoine national
en faisant de la France la première destination touristique du monde. Il aura
pour mission de « parcourir
successivement tous les départements de la France, s’assurer sur les lieux de
l’importance historique ou du mérite d’art des monuments, recueillir tous les
documents qui se rapportent à la dispersion des titres ou des objets
accessoires qui peuvent éclairer sur l’origine, les progrès ou la destruction
de chaque édifice, éclairer les propriétaires et les détenteurs sur l’intérêt
des édifices dont la conservation dépend de leurs soins et stimuler, enfin, en
le dirigeant, le zèle de tous les conseils de département et de municipalité de
manière à ce qu’aucun monument d’un mérite incontestable ne périsse par cause
d’ignorance et de précipitation … »
« Il y a deux choses dans un
édifice, son usage et sa beauté, son usage appartient au propriétaire, sa
beauté à tout le monde. C’est donc
dépasser son droit que le détruire » écrira Victor Hugo dans son pamphlet « Guerre aux
démolisseurs » en 1832.
Nous avons tous l’amour de notre patrimoine
chevillé au corps, par respect de notre bien commun, veillons inlassablement à
le préserver, le restaurer comme les tailleurs de pierres accomplissant leur
œuvre en travaillant corps et âme ! De Victor Hugo à Prosper Mérimée, nous
sommes tous les descendants d’une histoire patrimoniale nationale, un héritage
qui doit nous survivre !
« L’art, c’est le plus court
chemin de l’homme à l’homme » (André Malraux)
Dans les pas de Prosper Mérimée ou
Victor Hugo, défendre le patrimoine, l’aimer à travers la culture, l’art et
l’histoire qui font la grandeur du pays est essentiel. De la direction des Arts
et des lettres à la direction de l’Architecture dont le général De Gaulle
souhaitait que son ami André Malraux en eût la charge, le rayonnement culturel
de la France retrouvait un relief extraordinaire et incomparable, soutenu par
des lois de programmation pour la sauvegarde du patrimoine en ayant le souci de
la création architecturale. Ainsi la loi Malraux du 4 août 1962 programme le
ravalement des grands monuments de Paris, l’inventaire général du patrimoine culturel,
la création des Maisons de la culture, incarnant le symbole d’une époque, d’une
pensée, d’une construction.
En 1965, lors de l’inauguration de la maison de la
culture de Bourges, le général De Gaulle prononcera un grand discours
plébiscitant la place de la culture aux avant-postes. Il s’exprimera ainsi « La
culture domine tout, condition sine qua none de notre civilisation. »
L’art, c’est la connaissance, sans
la connaissance, on régresse.
Il faut une ouverture sur les autres,
l’éducation a tout son rôle, la transmission des parents aussi, donner l’accès
à la culture tel qu’André Malraux va le promouvoir lorsqu’il sera nommé
ministre chargé des affaires culturelles en 1959 sera pour lui un objectif
majeur, s’exprimant ainsi « le problème politique majeur de notre
temps, c’est de concilier la justice sociale et la liberté, le problème
culturel majeur, de rendre accessible les plus grandes œuvres au plus grand
nombre d’hommes. » Nous devons être acteurs. Ne demandons pas ce que notre
pays peut faire pour nous mais qu’est-ce que nous pouvons faire pour notre
pays.
« La culture a longtemps été liée
à une double notion de passé et d’élite. Il y a encore trente ou quarante ans,
la culture était d’abord un savoir, un patrimoine de connaissances. » écrivait Jean d’Ormesson. L’épanouissement
des arts et de la culture est propre à une société qui accepte les
contradictions, les provocations, l’inattendu, l’innovation, ne pas être
d’accord. C’est une société mature et ouverte jouant un rôle essentiel dans le
développement de la créativité. La réalisation par Marc Chagall d’une
fresque monumentale pour orner le plafond du Palais Garnier, symbolise cette
abondance créatrice de l’artiste. À la demande d’André Malraux en 1962, ce sublime
chef-d’œuvre inauguré le 23 septembre 1964, fit le bonheur de Georges Pompidou,
Premier ministre de De Gaulle : « Ce plafond dépasse mes espérances. Il
introduit dans l’Opéra la couleur et la lumière, quelque chose de neuf. Il
rendra à cette salle un attrait plus vivant. » disait-il.
La préservation de la démocratie rend
possible cette expansion de la culture et des arts à condition de budgets
culturels suffisants, à l’investissement dans des projets audacieux, à une
action culturelle favorable à toutes les catégories de la population sans
favoriser l’élitisme. « La culture ne s’hérite pas, elle se conquiert.
Eh bien, conquérez-la ! » écrivait André Malraux. Pour que
la pensée se déploie et que les arts se renouvellent, la connaissance doit être
donnée dès le plus jeune âge pour affirmer la possibilité d’expression à chacun
et guider les esprits vers la créativité, la confrontation des idées et le
façonnement d’un esprit critique.
Extrait
du discours de Victor Hugo, 11 novembre 1848 à l’Assemblée Nationale.
« Eh bien, la grande erreur de
notre temps a été de pencher, je dis plus, de courber l’esprit des hommes vers
la recherche du bien-être matériel, et de les détourner par conséquent du
bien-être religieux et du bien-être intellectuel. »
L’art
est le reflet de l’homme, l’instrument de l’acceptation dans la diversité et un
pont dans la différence. L’art peut maintenir les liens, l’ambition des
échanges tant nationale qu’internationale, tel le Louvre d’Abu Dhabi réalisé
par Jean Nouvel « le musée est une partie de la vie. Il ne doit pas être un
espace clos » dit-il, il est la présentation de la civilisation
humaine, c’est un espace national, universel.
Notre
valeur n’est pas indexée sur ce que nous sommes ou sur nos origines, elle est
déterminée par nos actions. C’est ce que nous aimons qui nous anime et nous
pousse à agir. Ce que nous accomplirons fera notre valeur. Ce que nous
léguerons sera notre souvenir. Le sens de notre vie peut nous conduire à la
gloire comme à l’oubli. A nous de prendre le bon chemin. Être plus qu’un
habitant de la terre, un acteur de la civilisation. La culture, les arts, et la
créativité sont des moteurs pour être portés par toutes les générations
éduquées aux fondamentaux. Au temps de la traversée du désert, Albert Camus
quittant le général De Gaulle lui demandait en quoi, à son avis un
écrivain pourrait servir la France : « Tout homme qui écrit (un temps),
et qui écrit bien, sert la France. »
« La création m’a toujours intéressé, plus que la
perfection » (André
Malraux)
L’homme
n’est plus au centre de tout. La créativité doit être capable de se mettre au
service d’une humanité qui court à sa perte si elle ne rétablit pas les
équilibres. La créativité appelle toujours une certaine idée de l’utile et de
l’agréable que les autres viendront toujours s’approprier, valider ou rejeter,
discuter et enrichir. Oui, la culture, les arts et la créativité peuvent
favoriser le partage, le lien affectif et social, et par conséquent, participer
au recul des replis identitaires de toutes sortes, des égoïsmes.
Si
la culture, les arts et la créativité portent vers le lien social, ils peuvent
aussi cultiver ce lien dans l’entre soi de la classe sociale. Pour qu’ils
soient pleinement des moteurs de civilisation et à fortiori pour qu’ils le
restent, il faut une volonté politique. Elle doit se préoccuper de créer les
conditions pour la réception des arts, de la culture, dans toute la population,
de lutter contre la précarité sociale qui rive les individus à un quotidien de
survie où, les arts, la culture et la créativité peuvent être perçus comme
d’insolents privilèges. Le général De Gaulle avait avant tout l’ambition que
chaque Français ait sa place, à condition de s’en donner les moyens notamment
l’accès à la culture. « Il ne s’agit pas de contraindre à l’art les
masses qui lui sont indifférentes, il s’agit d’ouvrir le domaine de la culture
à tous ceux qui veulent l’atteindre. Autrement dit, le droit à la culture,
c’est purement et simplement la volonté d’y accéder. » disait André
Malraux.
« Si l'art n'a pas de patrie, les artistes
en ont une » (Camille Saint-Saëns)
La culture
est la possibilité même de créer, de renouveler, de partager des valeurs, le
souffle qui accroît la vitalité de l’humanité. La culture, les arts et la
créativité font appel à notre esprit et notre imagination. L’exploitation de
ces facultés permet à l’homme de s’enrichir et de réfléchir. Lorsqu’il est
confronté à d’autres cultures, d’autres individus, il vérifie ses propres connaissances
et peut échanger de façon constructive.
Il
n’y a rien de pire que l’obscurantisme et l’esprit borné. L’ignorance est un
fléau. De tous temps et en tous lieux, l’on constate la créativité de l’humain
à travers les arts et la culture. Les échanges culturels entre les peuples sont
souvent prétexte à se découvrir, à partager les arts et les connaissances.
L’art et la
culture peuvent contribuer de façon capitale à la réalisation d’objectifs qui
réconcilient la création de richesse avec le développement durable et le
respect des valeurs humanistes communes. Et demain ? Nous avons tous un
rôle à jouer en tant que citoyens et consommateurs pour reconnaître la capacité
de la culture et de la créativité à nous aider à inventer de nouvelles manières,
plus durables, de vivre et de travailler ensemble.
Le rôle
culturel de la France en Europe.
« Nous
considérons que la valeur fondamentale de l’artiste européen, à nos plus
grandes époques, depuis les sculpteurs de Chartres, jusqu’aux grands
individualistes, de Rembrandt à Victor Hugo, est dans la volonté de tenir l’art
et la culture pour l’objet d’une conquête » écrivait André Malraux qui défendait la notion d’héritage culturel,
au nom de quoi la France devait retrouver son rôle en Europe. Pour lui, la
culture incarnait l’expression de l’humanité et de sa créativité liée aux
talents, à l’industrie, à la civilisation et aux valeurs, son influence sur la
créativité étant un moteur d’innovation économique et sociale. « Il
faudrait faire pénétrer de toutes parts la lumière dans l’esprit du peuple, car
c’est par les ténèbres qu’on le perd » écrivait Victor Hugo.
Le
multiculturalisme européen est aussi une chance pour stimuler la créativité. La
diversité des cultures en Europe, son histoire et sa géographie sont des
sources majeures de créativité. L’autre défi pour l’Europe est d’exploiter au
mieux sa diversité culturelle dans le contexte de la mondialisation. L’avenir
de l’Europe est tributaire de sa faculté à transcender les identités locales
pour tirer le meilleur parti de la créativité mais aussi pour assurer la
présence des diverses identités locales dans un contexte international. Selon Milan
Kundera « Qui d’ailleurs est vraiment bouleversé, atteint, abîmé par
l’effacement de la culture européenne ? Il y a malgré tout deux victimes
qui doivent en souffrir, d’abord, bien sûr, la philosophie et l’art eux-mêmes.
Et puis, la France. Car l’autorité exceptionnelle de la France dans les deux,
trois derniers siècles était due à la place privilégiée que les œuvres
culturelles occupaient dans la vie de l’Europe. Parce que l’amour de la France
ne résidait jamais dans une admiration des hommes d’Etat français, jamais dans
une identification à la politique française ; il résidait exclusivement
dans la passion pour la culture de la France, pour sa pensée, pour sa
littérature, pour son art ».
« Quant
à vous Compagnons, puissent les vieilles mains de notre pays meurtri, et que
tant de nations regardent encore tâtonner dans l’ombre, être une fois encore
les accoucheuses de l’esprit ! L’esprit européen a perdu une longue et
absurde bataille, mais aussi longue et aussi absurde que soit cette bataille,
l’esprit que vous incarnez ici, comme au 18 juin, n’a pas encore perdu la
guerre » écrivait André Malraux dans son discours du 5 mars 1948.
*Christine ALFARGE Secrétaire générale de l'Académie du Gaullisme.
© 01.12.2023