Guerre d'Afghanistan (2001-2021)
Contexte géostratégique et historique
Avant d’aborder le retrait des Américains en catastrophe comme ils l’ont fait au Vietnam, il est important de replacer l’Afghanistan dans son contexte géostratégique et historique, riche en présences étrangères et en rivalités interethniques.
C’est un pays plus vaste que la France, d’une superficie de 652 000 km2 mais n’ayant que 37 500 000 habitants. Ses caractéristiques essentielles sont les suivantes :
1- C’est un carrefour de l'Asie centrale, ayant des frontières communes avec l’Iran, le Pakistan, le Turkménistan, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan, un peu avec la Chine sur une distance de 76 km.
2 - Les Afghans sont musulmans à 99 %. Il y a environ 80 % de sunnites.
3 -Le peuple est composé de 10 groupes ethniques qui ne vivent pas toujours en bonne harmonie : Les Pachtounes forment le plus grand groupe estimé à plus de 42 %. Les Tadjiks (27 %) dont Massoud faisait partie, les Hazaras (9 %), les Ouzbeks 9 %, les Aimak (4 %), les Turkmènes (3 %), les Baloutches (< 2 %), les Pashayis ou Nouristanis, les Arabes, les Kirghizes.
4 - Les puissances étrangères qui ont mis le pied dans ce pays l’ont fait sans succès et ont dû le quitter dans la précipitation. Les Anglais ont été présents de 1839 à 1919, puis les Soviétiques de 1979 à 1988, dont le départ a été accéléré quand leur supériorité aérienne a été perdue après la livraison à la rébellion de missiles sol-air Stinger par les Américains qui à leur tour, ont occupé le terrain avec leurs alliés pendant 20 ans de 2001 à 2021.
5 – Après le départ des Soviétiques, le pays a connu une guerre civile, puis Massoud le lion du Panchir a pris le pouvoir entre 1992 et 1996 pour être chassé par les Talibans qui ont dirigé le pays entre 1996 et 2001, avec la mise en place de la charia et d’un sanctuaire pour terroristes,
Intérêts de l’Afghanistan
1-L'énorme potentiel de toutes les ressources souterraines de l'Afghanistan était estimé en 2013, à mille milliards de dollars dans un rapport commun de l'ONU et de l'Union Européenne, peut encore attiser des convoitises.
L'Afghanistan a des gisements de bauxite, de cuivre, de fer, de lithium et de terres rares, de plus en plus recherchés pour transporter ou stocker l'électricité.
Le lithium est une ressource essentielle à la transition énergétique. Il est utilisé pour le stockage de l'énergie dans des batteries ou des fermes solaires ou éoliennes.
Le cuivre est essentiel pour la fabrication de fils électriques
2- Route terrestre de la soie vers l’Europe
La frontière terrestre entre l'Afghanistan et la Chine est la plus petite frontière internationale de l'Afghanistan. Longue de 76 kilomètres seulement et intégralement en haute montagne, elle se situe au fond du corridor du Wakhan, lequel forme une queue de poêle au nord-est du pays. La Chine sautera sans aucun doute sur cette occasion d’une nouvelle voie d’accès vers l’Occident pour y transporter leurs productions industrielles.
Interventions américaines et de l’OTAN en octobre 2001,
Elles visaient à répondre aux attaques terroristes lancées contre les États-Unis le 11 septembre 2001 et dont la responsabilité était attribuée à Oussama Ben Laden ainsi qu'à son réseau terroriste islamiste, al-Qaida. Personne n’avait imaginé que les Américains allaient rester 20 ans avec les résultats calamiteux que l’on constate aujourd’hui avec le retour des Talibans au pouvoir.
Les buts affichés ont été les suivants :
1- Combattre, sous mandat des Nations unies (résolution 1386), les Talibans au pouvoir, avec la contribution militaire de l'Alliance du Nord. Les Talibans furent chassés du pouvoir en 3 mois mais ne furent pas pour autant vaincus car ils engagèrent pendant 20 ans une guérilla contre les Forces étrangères et l’armée régulière afghane.
2- Capturer Ben Laden qui avait été accueilli par les Talibans avant de s’enfuir au Pakistan dès l’arrivée des Forces étrangères, où il fut tué 10 ans plus tard.
3- Détruire l'organisation Al-Qaïda qui possédait des bases dans le pays.
4- Lutter contre les groupes islamistes agissant depuis les régions tribales du Pakistan.
5- Instaurer un gouvernement sous la présidence de Hamid Karzai mais qui n'a eu que peu de légitimité et ne contrôlait en 2006 que le secteur de Kaboul.
Moyens militaires
Deux Forces distinctes ont combattu dans le Pays :
1 - la force internationale d'assistance et de sécurité FIAS (ISAF en anglais), qui entre 2001 et 2014 déploiera 53 000 hommes de 40 pays sous commandement de l'OTAN qui en plus de ses 30 membres, avait aussi intégré d’autres pays comme l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Mongolie, Le Tonga, les EAU et même la Suisse pourtant réputée pour être neutre. Au cours des deux premières années, la FIAS, n’a pas agi au-delà des frontières de la ville de Kaboul, laissant le soin à la nouvelle Armée nationale afghane d’assurer la sécurité dans le reste du pays. Compte tenu des mauvais résultats de cette dernière, le Conseil de sécurité a voté en octobre 2003, la prorogation du mandat de la FIAS au reste de l'Afghanistan.
Le 31 décembre 2014, l'OTAN a mis fin à son engagement en Afghanistan après treize ans de guerre mais est restée présente sous un autre nom « Resolute support » (« Soutien déterminé » en français) pour former et assister les forces afghanes.
2- l'opération Enduring Freedom (liberté immuable) sous commandement américain qui comporta jusqu’à 130 000 hommes dont 90 000 Américains.
Le 30 août 2021, les dernières troupes américaines ont quitté l'Afghanistan avec un bilan plus que mitigé, laissant le pays dans lequel ils l’avaient trouvé avec le retour des Talibans au pouvoir.
Depuis 2001 jusqu’en 2021, les États-Unis ont dépensé 2300 milliards de dollars et ont eu 2 400 morts.
Les autres participants ont également perdu 1100 hommes :
Royaume Uni : 450
Canada : 160
France : 90
Allemagne 50
Autres pays 350
Soit un total de 3500 pour la totalité des forces étrangères
Présence française
La France a aligné au maximum 4000 combattants.
Les forces de l'armée française ont été la quatrième contributrice de la coalition. Elles sont intervenues dans les deux opérations internationales distinctes : la force internationale d'assistance et de sécurité, sous commandement de l'OTAN, et l'opération Enduring Freedom sous commandement américain.
L'engagement français en Afghanistan depuis 2001 jusqu’à fin 2014, date à laquelle les dernières forces combattantes ont été retirées, a coûté près de 3,5 milliards d'euros et a eu 90 morts.
Armée Afghane
Ses effectifs sont estimés entre 100 000 et 300 000 hommes environ compte tenu des difficultés rencontrées pour connaitre les véritables chiffres que les responsables afghans s’attachaient à camoufler.
Les États-Unis lui ont fourni plus de 83 milliards de dollars en équipements et en formation depuis 2001 : Avions, hélicoptères, drones, véhicules blindés, pièces d’artillerie, systèmes de communication, armes légères et munitions, lunettes de vision nocturne.
La rapidité avec laquelle cette armée a déposé les armes face aux Talibans s’explique par 6 facteurs :
1- Les États-Unis ont commis une erreur, en ne tenant pas compte du fait que la majorité des soldats afghans étaient des illettrés, ne maitrisant pas les équipements modernes mis à leur disposition, incapables de se battre seuls car dépendant des forces américaines et de leur appui aérien.
2- L'annonce du retrait américain a sans doute eu un effet démobilisateur.
3- Les forces de sécurité des États-Unis, de l’OTAN et de l’Afghanistan ont mis en œuvre une mauvaise stratégie qui se concentrait sur la protection des populations urbaines et en conséquence les Talibans en ont profité pour renforcer leur puissance dans les zones rurales.
4- Le commandement a été assuré par des civils du palais présidentiel dénués d'expérience militaire et des généraux vieillissants déconnectés des réalités du terrain. Ils étaient plus impliqués dans de vaines luttes politiciennes que dans la guerre en cours.
5- Une corruption au sein du commandement de l’armée afghane. Les commandants de l’armée afghane empochaient régulièrement l'argent destiné à leurs troupes, vendaient des armes au marché noir et mentaient sur le nombre de soldats dans leurs rangs. Les salaires de l'armée afghane étaient payés depuis des années par le Pentagone. A partir du moment où l'armée américaine a annoncé son retrait en avril, les fonds ont été versés au gouvernement de Kaboul sans contrôler la destination finale avec les conséquences sur leurs propres forces
Stratégie des Talibans :
Leur armée estimée à 35000 combattants, était composée d’hommes qui connaissaient parfaitement le terrain, aguerris, résistants, combattifs, rustiques, islamistes convaincus de la supériorité de la charia sur les lois humaines, n’ayant pas peur de la mort. Les Talibans ont lancé quelques actions particulièrement efficaces au-delà même des opérations militaires.
- Ils ont trouvé un terreau fertile, notamment chez les simples soldats de l’Armée afghane qui ne voulaient plus se battre car depuis plusieurs mois, ils n'étaient ni payés, ni ravitaillés en nourriture et en munitions.
- Ils ont offert de l'argent contre la remise des armes des forces gouvernementales et contre une capitulation sans résistance des villes y compris de Kaboul
- Ils ont passé des accords, présentés comme des cessez-le-feu, avec des personnes allant du soldat de base, en passant par des fonctionnaires locaux jusqu'aux gouverneurs.
- Ils se sont ainsi emparés de vastes territoires ruraux, où ils ont trouvé soutien et ressources.
- Dans leur progression, ils ont libéré des prisonniers qui ont rejoint leurs rangs.
Opérations d’évacuation
Elles avaient déjà été envisagées sous Obama, confirmées sous Trump et décidées dans la précipitation par Biden sans véritable préparation malgré les mises en garde des militaires qui se souvenaient de la désorganisation des conditions de départ du Vietnam.
Ces évacuations lancées tardivement, ont été réalisées dans un contexte dangereux et aussi avec une date limite fixée par les Talibans au 31 août qui n’était pas négociable. Les images de ce C17 américains sur le point de décoller avec une grappe d’Afghans accrochés à tout ce qui pouvait dépasser le l’avion, montre, si besoin était, à quel point la panique poussait la population qui voulait fuir leur pays, était prête à faire n’importe quoi.
Néanmoins, les Etats-Unis ont réussi à évacuer quelque 123 000 personnes civils et militaires, principalement des Afghans qui craignaient des représailles des Talibans. Mais les responsables américains reconnaissent qu’il en reste encore beaucoup à exfiltrer.
Les appareils américains ont été engagés dans des rotations entre l’Afghanistan et plusieurs pays d’accueil des réfugiés, vers des sites au Qatar, aux EAU, au Koweït, à Bahreïn avant de les répartir en Italie, en Espagne, en Allemagne et aux USA
Pourquoi les forces américaines n’ont-elles pas détruit le matériel de l’armée afghane tombé aux mains des talibans ? La précipitation dans laquelle la décision de retrait a été prise a empêché de prendre toutes les mesures qui s’imposaient.
La précipitation dans laquelle la décision de retrait a été prise a empêché de prendre toutes les mesures qui s’imposaient.
L’administration Biden a étudié plusieurs options, dont celle consistant à effectuer des frappes aériennes pour détruire les matériels les plus « sensibles », comme les hélicoptères, les blindés et autres pièces d’artillerie. Mais cette hypothèse a été abandonnée compte tenu des risques de dégâts collatéraux et de l’avancée rapide des Talibans qui se sont emparés d’une grande partie des armements.
Les équipements susceptibles de poser le plus de problèmes sont les armes individuelles avec les jumelles de vision nocturne, les mortiers et les obusiers. De tels matériels pourraient donner un avantage aux Talibans contre les bastions anti-Talibans historiques, comme la vallée du Panchir.
Pour la France, les forces militaires avaient évacué le pays depuis 2014, mais face à la dégradation de la situation sécuritaire, les Armées ont lancé, le 15 août, l’opération Apagan d’évacuation qui a pris fin le vendredi 27 août au soir. En moins de deux semaines, l’armée de l’Air française a mis en sécurité 3300 Afghans et 142 compatriotes, malgré toutes les difficultés rencontrées sur l’aéroport de la capitale afghane. Elle a opéré un double pont aérien au moyen de ses A400M et A330, en assurant 26 vols entre Kaboul et Abou Dabi et 16 vols entre Abou Dabi et Paris.
Risques de terrorisme
La prise du pouvoir par les talibans après la victoire remportée sur la première puissance militaire mondiale et ses alliés, est de nature à doper la propagande de la mouvance jihadiste, en particulier celle proche de groupes liés à al-Qaïda.
A cet égard, les musulmans et moudjahidines du Pakistan, Cachemire, Yémen, Syrie, Gaza, Somalie et Mali ont célébré la libération de l’Afghanistan et son application de la charia.
Tout ceci peut éventuellement avoir des répercussions pour les forces françaises et européennes engagées au Sahel.
Les Talibans doivent maintenant faire face à des problèmes
1-Les talibans ont lancé une offensive contre le mouvement de résistance retranché dans la vallée du Panchir
Alors que les Talibans venaient de prendre le contrôle de Kaboul, le fils du commandant Massoud, prenant la succession de son père qui fut l’un de leurs principaux opposants jusqu’à son assassinat le 9 septembre 2001, a lancé un appel à la résistance dans la presse occidentale. Le mouvement d’Ahmad Massoud compterait déjà au moins 9’000 combattants. Quoi qu’il en soit, les Talibans n’ont a priori pas l’intention que cette résistance prenne de l’ampleur et feront tout pour la neutraliser. Reste à savoir comment et par qui, Ahmad Massoud sera soutenu.
2-Le Groupe État islamique est déjà actif dans l’Est du Pays et pourrait commettre des Attentats
3-Des Manifestations sont lancées pour défendre les libertés acquises pendant 20 ans en particulier pour les femmes
Financement des Talibans
Il est assuré par plusieurs sources :
1 - La drogue. Depuis l’arrivée des Américains, les champs de pavots fleurissent. 84% de la production mondiale d’opiacés, dont l’héroïne, provient d’Afghanistan.
2 – Les taxes illégales imposées par les Talibans sur les routes abandonnées par les forces internationales.
3- Les soutiens étrangers, notamment en provenance de partis politiques pakistanais et de riches donateurs privés de pays du Golfe.
Il reste une inconnue sur les financements occidentaux dont bénéficiait le gouvernement afghan. Seront-ils remplacés par d’autres pays qui comme la Chine et la Russie se sont empressés de reconnaitre les nouveaux maîtres en raison d’intérêts économiques indéniables ? Cependant, la crise humanitaire et économique touche au moins 18 millions de personnes, soit la moitié de la population. les Etats-Unis et l’Union européenne pour éviter un effondrement socio-économique majeur en Afghanistan, ont décidé d’apporter une aide d’urgence. Espérons qu’elle ne sera pas détournée.
*Jean MENU Général de l’Armée de l’air (2 S)
© 01.11.2021