Guerre en Ukraine :
peut-on se passer du gaz russe ?
par Francis Perrin,
La guerre en Ukraine ne cesse de mettre en évidence le rôle crucial de l’énergie, les tensions liées à la sécurité énergétique ébranlant de plein fouet l’Union européenne. Pourtant ce conflit n’était pas le premier à mettre en lumière cette dépendance, notamment au gaz russe, sans que les Européens n’en aient tiré toutes les conséquences. Est-il possible de diminuer cette dépendance ? Existe-t-il des alternatives au gaz russe et avec quelles conséquences sur la sécurité énergétique ? Le point de vue de Francis Perrin, directeur de recherche à l’IRIS, spécialiste des problématiques énergétiques.
La flambée des prix du gaz n’a pas commencé avec la guerre russo-ukrainienne. En quoi l’approvisionnement du gaz et son acheminement étaient-ils déjà fragiles, avec la Russie en particulier ? Les Européens cherchaient-ils d’ores et déjà des alternatives à cette dépendance
L’Union européenne (UE) est fortement dépendante du gaz russe depuis de nombreuses années. Sur la période 2020-1er semestre 2021, la part de la Russie dans les importations de gaz de l’UE était de 45%, ce qui fait de ce pays notre premier fournisseur, loin devant la Norvège et l’Algérie dans cet ordre.
L’Union européenne (UE) est fortement dépendante du gaz russe depuis de nombreuses années. Sur la période 2020-1er semestre 2021, la part de la Russie dans les importations de gaz de l’UE était de 45%, ce qui fait de ce pays notre premier fournisseur, loin devant la Norvège et l’Algérie dans cet ordre.
Il y a eu par le passé quelques problèmes sérieux, dont les crises russo-ukrainiennes du gaz de janvier 2006 et janvier 2009 qui se sont traduites par des arrêts dans les flux de gaz russe via l’Ukraine et vers l’Europe. Ces crises dans la deuxième moitié des années 2000 et la guerre de 2014 entre la Russie et l’Ukraine étaient des signaux clairs pour les Européens même si ceux-ci n’en ont pas tiré toutes les conséquences avant le mois de février 2022.
Pour sa part, la Commission européenne appelle les pays européens à diversifier leurs approvisionnements gaziers, ce qui veut dire à moins dépendre du gaz russe, depuis plus d’une dizaine d’années. Malgré tout cela, le gaz russe représente encore 45% des importations européennes, ce qui montre bien que la volonté politique d’agir de façon résolue pour diminuer cette dépendance n’était pas globalement au rendez-vous. Je dis globalement parce que, à l’intérieur de l’UE, la situation des États membres est très différente par rapport à ce sujet géopolitique clé.
Quels sont les scénarios possibles, avec quelles conséquences selon la durée de la guerre en Ukraine, pour l’approvisionnement du gaz au sein de l’UE ? Les Européens peuvent-ils arriver à diminuer leurs besoins en gaz russe à court terme pour sanctionner la Russie ? A contrario, la Russie pourrait-elle décider de couper le robinet ?
Le scénario selon lequel la Russie couperait elle-même le robinet du gaz naturel vers l’Europe n’est pas du tout le plus vraisemblable. Certes, dans une guerre, rien ne peut être totalement exclu, mais la probabilité de réalisation de ce scénario est très faible même si l’on entend quelques menaces venant de Moscou sur ce sujet. Rappelons que l’Europe représente au moins 60% des exportations de gaz russes. On ne se prive pas délibérément d’un tel marché.
En revanche, le scénario selon lequel l’UE se priverait d’une partie importante du gaz russe pour sanctionner la Russie suite à son agression contre l’Ukraine a progressé à pas de géant depuis le 24 février 2022. Il y a à présent deux objectifs politiques qui ont été fixés :
premièrement, diminuer les importations de gaz provenant de la Russie d’au moins un tiers, voire de 50%, voire des deux tiers, dans un délai d’un an (le premier chiffre étant le plus réaliste) ; deuxièmement, se passer complètement des hydrocarbures (pétrole et gaz naturel) russes dans le moyen terme, soit à échéance 2027.
Il faudra évidemment suivre de près la mise en œuvre des politiques et stratégies énergétiques qui seront mises en place pour atteindre ces objectifs, mais une chose est d’ores et déjà claire : c’est un tournant majeur. Les trois points clés pour progresser dans ce domaine sont d’aller chercher du gaz naturel ailleurs qu’en Russie, de substituer d’autres énergies au gaz naturel dans la production d’électricité et d’économiser sur notre consommation actuelle de gaz naturel.
Existe-t-il des alternatives pérennes au gaz russe en Europe à même de soutenir son approvisionnement énergétique à plus ou moins long terme ?
Il y a plusieurs options dans le moyen et le long terme. Le plus compliqué, c’est le court terme, car nous avons moins de temps et moins de marge de manœuvre pour recourir à telle ou telle option et, en matière d’énergie, même le meilleur des magiciens ne peut pas sortir un lapin de son chapeau.
Plusieurs pays gaziers ont été contactés à cet effet, dont les États-Unis qui exportent d’ailleurs de plus en plus de gaz naturel liquéfié (GNL) vers le marché européen. Parmi les autres producteurs avec lesquels des discussions ont eu lieu ou sont en cours, on peut citer le Qatar, l’Algérie, l’Égypte, le Nigeria, la Norvège et l’Azerbaïdjan.
Le Mozambique va devenir un nouvel exportateur de GNL en 2022 et des entreprises européennes de premier plan sont fortement impliquées dans les projets de GNL de ce pays, dont le groupe énergétique italien ENI et TotalEnergies (Pour le groupe français, l’entrée en production du projet GNL est prévue en 2024. L’un des deux projets dans lequel ENI est engagé va démarrer en 2022.).
Le Sénégal et la Mauritanie vont devenir des exportateurs de GNL dans un à deux ans. Il y a du gaz qui a été découvert en Méditerranée orientale (Égypte, Israël et Chypre).
À moyen et à long terme, les options existent, mais cela se prépare évidemment dès aujourd’hui. Et, pour cela, l’ingrédient clé de la recette est la volonté politique.
*Francis Perrin est directeur de recherche à l’IRIS, spécialiste des problématiques énergétiques.
© 01.04.2022