Les trois décennies qui ont changé la France !
(1940-1950-1960)
« Un homme est la somme de ses actes, de ce qu’il a fait, de ce qu’il peut faire »
(André Malraux – La condition humaine)
par Christine Alfarge
« Depuis bientôt trente ans, les événements m’ont imposé, en plusieurs graves occasions, le devoir d’amener notre pays à assumer son propre destin afin d’empêcher que certains ne s’en chargent malgré lui. » Charles de Gaulle, allocution du 24 mai 1968.
Si De Gaulle se réfère à de nombreux personnages de l’histoire, il n’en demeure pas moins que son esprit contestataire va se forger lors de nombreux événements historiques que connaîtra la France. C’est d’abord à travers son expérience de la guerre 14-18 qu’il mettra en lumière les défaillances des hauts responsables. Il sème le doute dans les états-majors, prenant le risque désormais de compromettre sa carrière militaire. Mais peu importe, c’est avant tout la marque de De Gaulle, l’avenir démontrera que les hiérarchies n’ont pas toujours raison.
Les étapes déterminantes vers la victoire.
« L’espérance avait jailli au moment le plus critique, le plus dramatique, je dirai même le plus lugubre de notre destin. C’est à partir de là qu’elle a grandi et finit par ce que l’on a appelé la libération de la France. » rappelait le général de Gaulle lors de la bataille de Montcornet. Sur le chemin vers la libération vont se dresser de nombreux obstacles, si l’ennemi allemand est partout présent, les alliés aussi causeront au chef de la France libre beaucoup de difficultés.
L’appel du 18 juin a bien failli ne pas être lancé, le cabinet de guerre britannique qui siégeait sans Churchill, ce jour-là, ne voulait pas brûler toutes ses cartes vis-à-vis de Pétain et refusa au général de Gaulle la diffusion de l’appel. Il faudra l’intervention personnelle de Churchill pour que Charles de Gaulle puisse parler. Cependant, il y a eu une volonté délibérée du chef de la France libre de coordonner les actions sur le territoire national, la résistance devait être unie face aux alliés, sans cela n’importe quelle initiative du général de Gaulle aurait été affaiblie. Winston Churchill et Charles de Gaulle se sont bien trouvés réunissant leur force et leur vision à un moment où tout semblait compromis. Ils étaient les seuls à avoir pris la vraie dimension du conflit.
Lors d’un entretien en mémoire du général de Gaulle, Pierre Lefranc s’exprimera ainsi : « Saluons sa clairvoyance. Il y a des réalités lointaines et difficiles à percevoir. Il faut, pour les discerner, un regard dégagé des contingences et tourné vers l’avenir. C’est le génie de De Gaulle de les avoir perçues dans l’extrême confusion. Pour tous, elles étaient invisibles. »
Des années d’épreuves et d’attente.
Les ralliements mirent du temps à venir, ceux dont la raison d’être était le service de la nation à travers leurs fonctions prestigieuses, ont surtout eu un patriotisme à géométrie variable. En revanche, l’année1940 a montré le courage et l’abnégation d’hommes et de femmes là où on ne les attendait pas forcément. Ils répondirent à l’appel du 18 juin, venant de tous les horizons, de toutes les couches sociales. La foi en l’homme du général de Gaulle est certainement née de cet élan pour libérer la France dont il se souviendra après la guerre dans toutes ses décisions politiques et sociales. Malheureusement, d’autres épreuves auront raison de son départ le 20 janvier1946, il démissionne de ses responsabilités de président du gouvernement provisoire de la République. Sa décision a été longuement réfléchie, elle n’a pas été prise sur un coup de tête. « Il se trouve en conflit avec les partis qui, souffrant de son prestige, de son autorité, de sa popularité, souhaitent regagner une puissance que leur échec, pour ne pas dire leur lâcheté durant la grande époque de l’Occupation, leur a fait perdre. » dira Pierre Lefranc.
« Laissons au général de Gaulle tout ce dont il a si bien parlé lui-même, multitudes et solitudes, pour le retrouver en 1958 en face du problème qui pesa dans sa vie à l’égal de la France et qu’il envisageait de traiter dans ses « Mémoires d’espoir ». Il nous concerne tous directement : c’est l’Etat » écrira André Malraux.
« Mon retour donne l’impression que l’ordre normal est rétabli. Du coup se dissipent les nuages de tempêtes qui couvraient l’horizon national. Puisque, à la barre du navire de l’Etat, il y a maintenant le capitaine, chacun sent que les durs problèmes, toujours posés, jamais résolus, auxquels est confrontée la nation, pourront être à la fin tranchés » écrira le général de Gaulle dans ses « Mémoires d’Espoir ».
L’essentiel résidait dans les institutions, projet qu’il aura mûri depuis le 16 juin 1946 à travers son deuxième discours présenté et appelé « Constitution de Bayeux », la conception d’une république moderne,
adaptée à son temps et efficace. La Constitution de la Vème République est approuvée par référendum, le 28 septembre 1958.
Au regard de la nouvelle Constitution, lorsque des parlementaires demandent au général de Gaulle : « Quelle est la justification de l’Article 16 qui charge le chef de l’Etat de pourvoir au salut de la France au cas où elle serait menacée de catastrophe ? ». Le général de Gaulle ne manque pas de rappeler et d’écrire dans ses Mémoires d’espoir que « faute d’une telle obligation, le président Lebrun, en juin 1940, au lieu de se transporter à Alger avec les pouvoirs publics, appela Pétain et ouvrit ainsi la voie à la capitulation, et qu’au contraire c’est en annonçant l’Article 16 avant la lettre que le Président Coty évita la guerre civile quand il exigea du Parlement de cesser son opposition au retour du général de Gaulle. »
Après la traversée du désert, l’heure est à la modernisation.
« On ne voit jamais trop grand quand il s’agit de fonder pour des siècles » disait le Maréchal Lyautey. En 1958, Charles de Gaulle reprend les rênes de la France avec la volonté de bâtir de grandes réalisations pour le pays. Il est fasciné par le progrès et la modernité et veut accélérer la métamorphose de la France. Il lance le périphérique parisien, des villes nouvelles, l’autoroute du soleil, le RER, les remembrements des campagnes, Rungis ou encore la maison de la culture. « Notre Etat est en retard d’un demi-siècle sur nos techniques et même sur nos conceptions politiques. » disait le général de Gaulle en 1960.
La lucidité et l’esprit d’analyse du général de Gaulle l’ont conduit à discerner les choses et prendre les décisions qui s’imposent, il dira : « Pour pouvoir aboutir à des solutions valables, il faut tenir compte de la réalité. La politique n’est rien d’autre que l’art des réalités. Or la réalité, c’est qu’actuellement l’Europe se compose de nations. C’est à partir de ces nations qu’il faut organiser l’Europe et, s’il y a lieu la défendre. » Le 22 janvier 1963, le Traité de l’Elysée sera la pierre angulaire de la réconciliation franco-allemande.
Le référendum du 27 avril 1969.
Si les 23 et 30 juin 1968 ont vu triompher les gaullistes, de nouvelles perspectives s’imposent pour le général de Gaulle, il songe à son départ : « Et puis avant de mourir, il me faut un peu de temps pour écrire mes Mémoires. » dira-t-il. Le général choisit le référendum sur deux sujets majeurs pour lui, la régionalisation et la participation des salariés aux profits de l’entreprise. « Même si j’échoue, je serai gagnant aux yeux de l’Histoire, qui est le seul plan qui me concerne, l’avenir dira que j’ai été renversé sur un projet qui était essentiel pour le pays ». « J’ai fait tout ce que j’ai pu pour mon pays… » dira-t-il à ses proches.
Résistant de la deuxième guerre mondiale, acteur principal de la construction de la Vème République, le général de Gaulle aura incarné la France et son prestige durant de nombreuses années. « Les plus nobles principes ne valent que par l’action. » écrira-t-il dans ses Mémoires. C’est le sens de l’histoire qui continue de nous éclairer encore aujourd’hui.
*Christine ALFARGE Secrétaire générale de l'Académie du Gaullisme.
© 01.04.2022