La défaite de 1940 : Robert KOPP - Académie du gaullisme

Académie du Gaullisme
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La défaite de 1940 :
inexplicable, impardonnable ?





     Par Robert Kopp,
Tout a été dit, ou presque, sur le tragique printemps de 1940, qui a vu la France s’effondrer en quelques semaines. Militairement, politiquement, socialement, moralement. « La meilleure armée du monde », égale à peu de chose près en hommes et en armes à l’armée allemande, se trouvant acculée, suite à une série d’erreurs stratégiques et tactiques de ses chefs, à l’humiliation de la capitulation, évitée de justesse par la demande d’armistice, qui a fait porter la responsabilité de la défaite aux politiques.
Une classe politique usée, divisée, aveuglée par les certitudes de l’entre-soi, incapable de réagir en temps voulu face au danger, minée par des ambitions personnelles qui s’exerçaient le plus souvent au détriment du bien commun.
Une population se sentant abandonnée par l’État et l’administration, prise de panique, se jetant par millions sur les routes de France et se mêlant aux colonnes de soldats en retraite. La résignation de voir le pays vaincu, Paris et le Nord occupés, l’Alsace et la Lorraine incorporées au Reich, un gouvernement fantoche à Vichy, maintenant pour un temps l’illusion d’une zone libre. Et comme seule lueur d’espoir, auquel croyaient au départ quelques-uns seulement, le général De Gaulle, qui avait rallumé, à Londres, la flamme d’une France libre.
Comment un tel cataclysme a-t-il pu s’abattre sur la France ?
Comment les structures politiques, sociales, militaires, administratives, morales ont-elles toutes pu s’effondrer en quelques semaines ? Les esprits les plus posés et les plus lucides ont été en proie à une sorte de sidération devant ce qui paraissait proprement impensable. C’est le cas du premier d’entre eux, l’historien Marc Bloch, qui, ayant déjà fait la Première Guerre, s’était réengagé à 53 ans (« le plus vieux capitaine de l’armée française »), avant de rejoindre la Résistance, d’être arrêté et assassiné par la Gestapo.
«L’Étrange Défaite », écrit à chaud, de juillet à septembre 1940, immédiatement après la démobilisation de l’auteur, et publié en 1946, est, jusqu’à aujourd’hui, une des tentatives d’explication les plus pertinentes de ce qu’il appelait « le plus atroce effondrement de notre histoire ». Or, comme le suggère le titre de son livre, cette défaite garde quelque chose d’étrange, d’incompréhensible, d’inexplicable.
Depuis lors, des centaines d’ouvrages ont été consacrés à cette période, comprise, si l’on s’en tient à des dates politiques, entre le 22 mars (accession de Paul Reynaud à la présidence du Conseil) et le 10 juillet (vote des pleins pouvoirs à Pétain), ou, si l’on s’en tient aux événements militaires, entre le 10 mai (début des hostilités) et le 22 juin (signature de l’armistice).
Et le nombre de publications ne semble pas près de diminuer. Sans parler des dizaines de films et d’émissions de télévision qui essaient de faire revivre par la parole et par l’image cette descente aux enfers qui s’est inscrite dans la mémoire collective comme un traumatisme indélébile. Une tâche, une tare, une honte, qui ne cesse d’interroger, d’interpeller, d’intriguer, d’inquiéter, bien que, selon l’avis des meilleurs historiens, il ne reste plus guère de documents importants relatifs à ces semaines tragiques à découvrir.
Aussi, la curiosité qu’elles suscitent reste entière, comme restent entiers les points aveugles, la part d’ombre, voire le mystère que gardent ces événements. D’où des titres tels que Les Mensonges de juin 1940 ou Les Vérités cachées de la défaite de 1940. Une des questions les plus lancinantes, toujours posée à nouveau, est celle des responsabilités.  
Qui est responsable du désastre ?  
La IIIe République est-elle morte d’épuisement ou a-t-elle été assassinée ? La question a émergé dès avant la fin de la guerre, à travers le procès (avorté) de Riom, en 1942, par exemple, par lequel Pétain a voulu établir la culpabilité de certains militaires, comme Gamelin, ou de politiques, comme Léon Blum ou Édouard Daladier. « Le châtiment des responsables », titraient les journaux de l’époque en annonçant l’ouverture du procès.
La question est ensuite au centre du procès de Pétain, à l’été 1945, maintes fois commenté, et que l’historien anglais Julian Jackson, par ailleurs auteur d’une biographie de De Gaulle, vient de revisiter, en insistant sur la singularité de ce face-à-face de la France avec elle-même (1). On sait que ce procès, dont De Gaulle ne voulait pas, n’a rien résolu.  Pétain garde des partisans jusqu’à aujourd’hui, et certains arguments avancés par sa défense d’alors, le double jeu, le bouclier, sont régulièrement repris.
Il en va de même de la plupart des autres procès à l’exception de celui de Laval, sans doute.  Ils n’ont pas davantage réussi à apporter les lumières que l’on en attendait, la plupart des protagonistes ayant fini par être amnistiés, et presque tous ont publié leur défense sous la forme de mémoires, comme Daladier, Reynaud, Alibert, Chautemps, Weygand, Villelume, Beaufre.
Sans parler des innombrables témoignages d’hommes politiques de tous bords, de diplomates, de journalistes ou de simples citoyens, en France et à l’étranger, dont ceux d’Albert Lebrun, de Jules Jeanneney, Édouard Herriot, Jean Montigny, Roland de Margerie, Léon Blum, Emmanuel Berl, Irène Némirovsky, Edward Spears, parmi beaucoup d’autres. Bien qu’il faille mettre à part, évidemment, les Mémoires de deux protagonistes, le général de Gaulle et Churchill, ils n’apportent pas des réponses à tout, loin de là.
L’historien se trouve ainsi confronté à une infinité de points de vue divergents, voire contradictoires, fonction, le plus souvent, de la cause défendue par les auteurs respectifs. Comment démêler, sinon la vérité, du moins quelques faits incontestables ? Face à cette difficulté, Hugo Coniez, dans son récent livre La Mort de la IIIe République, 10 mai-10 juillet 1940, « De la défaite au coup d’État » (2), a pris le parti de relater les événements jour après jour, sans en omettre aucun et en inscrivant les dates en têtes de ses courts chapitres, suivant, parfois heure par heure, l’évolution de la situation aussi bien sur le plan politique que sur le plan militaire. Il en résulte un récit haletant, d’une complexité, pour ne pas dire d’une confusion, saisissante, où l’incompétence des uns, l’irrésolution des autres, dans leur fuite éperdue de Paris à Tours, puis à Bordeaux et à Vichy, au gré des revers militaires, des hasards malencontreux dus aux mauvaises communications, par exemple, des coups portés par les partisans de l’armistice à ceux qui voulaient poursuivre la guerre, depuis le réduit breton ou depuis l’Afrique du Nord, des renversements d’alliances, des palinodies, des mensonges, ont fini par pousser Pétain à la tête de l’État.
En fin de compte, c’est bien un manque d’audace et de courage de la majorité des responsables politiques et militaires, comme le met en avant l’auteur, qui a conduit à cette catastrophe, dont l’ombre portée est toujours sensible.
C’est le parti d’un récit suivi qu’a pris Michèle Cointet, qui a publié plusieurs études faisant autorité sur la période de Vichy (3). Son dernier livre, « La République assassinée. »  Mars-juillet 1940 (4), annonce sans ambiguïté son point de vue.
Ce sont bien les hommes en responsabilité des affaires politiques et militaires qui sont comptables du désastre et non pas le sort. Aussi n’hésite-t-elle pas à intituler son dernier chapitre « De la responsabilité », passant en revue les principaux acteurs et essayant d’évaluer la part qui revient à chacun dans la débâcle.  Elle aussi pense que la IIIe République n’est pas morte d’épuisement, mais qu’elle a été liquidée sciemment, pas à pas. À chaque étape, d’autres conduites paraissaient possibles, au niveau des décisions militaires, des réactions politiques, des solutions institutionnelles. Ainsi, Michèle Cointet estime, non sans raison, que l’armistice a été le premier acte « républicide » et aussi le premier pas dans la collaboration. Comme Hugo Coniez, elle se livre à un véritable examen de conscience. Tous les deux semblent espérer que les leçons de l’histoire serviront d’avertissement.
*Robert Kopp spécialiste de la littérature française des XIXe et XXe siècles
 
1. Julian Jackson,
« Le Procès Pétain, Vichy face à ses juges », Seuil, 2024.
2. Hugo Coniez, « La Mort de la IIIe République », 10 mai-10 juillet 1940. De la défaite au coup d’État, Perrin, 2024.
3. Dont « Nouvelle Histoire de Vichy » : 1940-1945, Fayard, 2011, « La Milice française », Fayard, 2013, « Secrets et mystères de la France occupée », Fayard, 2015.
4. Michèle Cointet, « La République assassinée. »
Mars-juillet 1940, Bouquins, 2024

© 01.02.2024

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