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par Quentin Hoster
Gilets jaunes : les leçons pour l’Histoire

Passée la sentence mi-Jupiter, mi-terre-à-terre, la « France des ronds-points », difficile à contenter, continue de tourner en rond. Disparate, elle est difficile à rassembler. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé. Courbage d’échine appuyé et discours larmoyant, le Président a su redescendre de son nuage pour mettre les pieds, avec son peuple, dans la fange.
Contrition pas assez prononcée, pourtant, pour une foule hystérisée qui ne réclame plus que sa tête. Le troupeau de ruminants, bien conduit par les chiens d’arrière-garde du – véritable – ancien monde, macérant dans sa rancœur, échaudé par les coups de crocs de ses prédateurs politiques, en veut plus toujours plus, il veut s’attaquer à la bête.
Satisfait dans ses aspirations, le mouvement revendicatif laisse place à la horde vindicative. Nombre de Gilets jaunes, du moins les plus audibles, se refusent aux avances qui leur sont concédées.
Un pas avant, un pas en arrière. L’entêtement, bien que répandu, serait négligeable s’il n’était pas savamment encouragé par des leaders politiques en mal de clientèle, par des vigies médiatiques en mal d’audience. Pour eux, en particulier les premiers, le peuple a toujours raison, sauf quand il leur donne tort.
Voyez cette propension, des Insoumis d’abord, à se réclamer du peuple quand il surfe sur leur fonds de commerce, et à s’en détacher avec embarras quand il pointe leur malhonnêteté. François Ruffin, député au t-shirt, s’est d’ailleurs fait tailler un short en s’invitant chez des Gilets jaunes bien attachés à leur indépendance.
Il est vrai que nombre de propositions délirantes, avec leurs « référendums » à tire larigot, font la prospérité d’une certaine gauche depuis des années, et de certains en jaune depuis des semaines. L’alliance est donc de circonstance. A noter que l’assemblée citoyenne crédulement demandée existe déjà, elle s’appelle l’Assemblée Nationale. Mais faute de distance et d’incompréhension mutuelle, gouvernés et gouvernants ne se comprennent plus.
Et se renient. La confusion s’ajoutant à la haine, les institutions et ceux qui les dirigent se confondent, les dysfonctionnements de l’un affectant l’autre. Des Français se sentent tellement déconsidérés par la Ve République qu’ils en arrivent à la rejeter. Pire qu’un désamour, une répulsion. Si l’irresponsabilité – des plus méprisables – de ses agitateurs est bien connue, celle de ses instigateurs reste à définir, et marteler.
Plus qu’un sentiment, une réalité : celle du déclassement, moteur de la France des gilets jaunes, redémarré par un trop plein fiscal. Celle de ces Français depuis longtemps dédaignés, délaissés des centres de décision, relégués à une masse soumise au bon vouloir « d’en haut ». Cet étage supérieur et indicible a un nom : c’est Paris.
Si Paris est en France, Paris n’est pas la France.
Une ville lumière si brillante qu’elle en ébloui toutes les autres, c’est le poison de la centralisation. Loin d’accréditer l’antiparisianisme primaire ou les fumisteries néodémocratiques sur fond de « tous pourris », un simple constat de la déconnexion du pays avec ses institutions, devenues trop lointaines. Rétablir la confiance entre Paris et ses provinces commence alors par renouer leurs liens.
Distendus par avalanches de mesures mesquines, de remarques distantes ou de reculs démocratiques.
Peut-être pas toujours formulées sans raison mais avec négligence, les formules assassines du président ont eu leur portée symbolique. Ne flinguons pas son mandat pour cette erreur. Même s’il en subit toutes les conséquences aujourd’hui, Emmanuel Macron n’a pas inventé le « syndrome Marie-Antoinette », celui d’un pouvoir hors-sol perpétué depuis des décennies.
Alors qu’il prône la décentralisation pour plus de proximité avec ses sujets, le royaume de France se bunkerise dans sa citadelle parisienne. Incapable de faire face au recul des services publics ou de déléguer certaines de ses prérogatives. L’abolition du cumul des mandats aura été, dans ce sens, profondément débile.
Voulue par les thuriféraires du moralisme, elle aura fini d’achever l’encrage à la fois local et national des députés-maires en même temps que la confiance des citoyens en leurs élus. Exceptés les maires, qui, proches de leurs administrés, sont encore les plus appréciés.
Voyez encore l’exemple allemand – pardon – et ses gouvernements locaux (Ländern) tenir la baraque à plusieurs bras plutôt que de la tirer vers le haut, lamentablement, comme chez nous.
Dès lors, il ne s’agit pas de se débarrasser de la Vème République, mais de la rénover.
De mettre à l’échelle la capitale et ses provinces. Donc de lutter contre la pléthore d’inepties qui la remettent en cause. Contre ceux, tout naïfs qu’ils sont, de penser pouvoir se passer d’intermédiaires, pour remettre le pouvoir, à parts égales, entre les mains de 66 millions de Français, qui sont autant d’avis différents.
Cela nécessite aussi d’éduquer les lycéens contre les courants de « pensée » extrémistes qui gangrènent l’Éducation. Et de les mater sans vergogne quand en leur nom ils s’enorgueillissent de brûler, saccager et bloquer des établissements, les plus permissifs au monde, qui les forment gratuitement de surcroît.
Cela suppose, enfin, de s’emparer des non-dits, occultés aussi par les Gilets jaunes.
Oserait-on dire que la baisse du pouvoir d’achat, bien réelle, comporte aussi une part d’illusion ? Se plaindre d’un « mieux-vivre » d’alors, c’est oublier qu’à la même époque on ne consommait pas de la même manière. Société normative et incitative, on n’échappe désormais plus à la consommation massive et superflue, qu’on s’imagine pourtant indispensable. On ne peut pas se plaindre de ne pas manger à sa fin quand on privilégie l’achat du dernier smartphone.
L’ironie du Twittos nihiliste qui peste contre le capitalisme sur son iPhone à mille balles… Cette histoire de Gilets jaunes nous rappelle au moins que la remise en cause se fait à tous les étages

© 17.12.2018
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