Hommage à Lucien Neuwirth
Résistant
Député de la Loire
Membre d’honneur de l’Académie du gaullisme
par Christine Alfarge,
« Ce que je peux vous dire, c’est que je partirais sur le même chemin s’il le fallait »
(Lucien Neuwirth)
C’est un grand honneur d’évoquer la mémoire de Lucien Neuwirth, médaillé de la Résistance, engagé dans les Forces françaises libres, il fut également membre de l’Académie du gaullisme au côté de son ami et président fondateur, Jacques Dauer.
Mais qui était Lucien Neuwirth, père de la pilule, précurseur de la Loi Veil sur l'IVG, homme d'une génération qui ne plaisantait pas avec la vertu des filles pour avoir eu le courage de défendre une loi indispensable aux droits des femmes.
Lucien Neuwrith est né fils unique d'un couple d'artisan fourreur dans la région de Saint Etienne en 1924. Le 18 juin 1940, il capte, sur son poste de TSF une voix inconnue venue de Londres et sa mère lui dit : "C'est lui qui a raison." Il entre en résistance. Il est arrêté par la police de Vichy, s'en échappe et avec l'accord de sa mère fuit en Espagne et rejoint l'Angleterre où il devient parachutiste. Le 7 avril 1945, suite à un saut sur la Hollande, il est fait prisonnier.
Conduit aussitôt avec ses camarades dans une carrière, un peloton d'exécution les fusille. Il n'est que blessé. Un soldat allemand venant lui donner le coup de grâce le vise en plein cœur. Mais les pièces de monnaie anglaises dans son portefeuille ont détourné la balle. Lucien Neuwirth miraculé enverra plus tard le télégramme : "Suis vivant, j'arrive. Lucien" à ses parents qui venaient de recevoir un courrier avec la mention "Mort pour que vive la France".
Après la guerre il s'apprête à travailler avec ses parents avant d'ouvrir lui-même un magasin de nouveautés à Saint-Etienne lorsque le général De Gaulle en 1947 fonde le RPF. Il figure en queue de liste pour les municipales mais il est élu en cinquième position grâce à son passé de résistant et ses nombreuses médailles. C'est tout naturellement qu'il se présente aux élections législatives à Saint-Etienne où il sera élu.
Lucien Neuwirth membre fondateur de la cause des femmes.
Dès son élection au poste de député, il n'hésite pas à s'attaquer à un tabou, en voulant abroger la loi de 1920 qui interdit toute propagande et toute utilisation des moyens de contraception. Il était convaincu de cette nécessaire abrogation en tant que conseiller municipal, siégeant à la commission des divorces et de l'aide sociale.
Il y avait découvert que de nombreux drames conjugaux sont causés par l'arrivée d'un enfant non désiré. Il s'informe du combat que mènent les associations de planning familial, des groupes de femmes encore mal organisés et de quelques rares médecins. Il rencontre le Dr Pierre Simon qui vient de publier un ouvrage sur la sexualité des Français et dont l'autorité est reconnue.
Lucien Neuwirth choisit le 18 mai 1966, jour anniversaire de sa naissance, pour déposer une proposition de loi et créer une commission spéciale pour l'étudier. Il recueille de nombreux soutiens mais il est également la cible d'attaques multiples, des lettres anonymes injurieuses, des menaces, et même l'exclusion de sa fille de 13 ans d'une institution religieuse de Saint-Etienne.
Des idées qui vont changer la vie des femmes.
Le rôle d’Yvonne De Gaulle sera également déterminant sur la contraception, elle abordera ce sujet avec une grande tolérance. Au printemps 1966, Lucien Neuwirth alors député, évoque qu’au cours d’un déjeuner à l’Elysée, le Général s’adresse à lui : « Dites donc, Neuwirth, il faudra que vous veniez vous entretenir avec moi ». Il comprend à ce moment-là que sa proposition de loi autorisant la contraception orale a le soutien d’Yvonne De Gaulle et qu’il va bientôt pouvoir plaider en faveur de ce projet de loi qui lui tient tant à cœur.
Sachant qu’il va être reçu Lucien Neuwirth raconte qu’il ne dort pas pendant deux nuits et se demande comment va-t-il bien pouvoir expliquer tout cela au général De Gaulle ? Alors, il a l’idée de monter un scénario. Celui du petit bonhomme qui est désiré et celui du petit bonhomme qui ne l’est pas, les deux cas de figure. Dans le cas où il est désiré, on prépare le trousseau, on fait même un plan de carrière pour lui. C’est l’enfant souhaité, l’enfant voulu, puis, il y a l’autre, l’enfant non désiré, l’enfant accident qui arrive sans crier gare :
« Où va-t-on le mettre celui-là ? Dans le tiroir de la commode ? « C’est l’enfant catastrophe ». Devant la nature impressionnante du Général, Lucien Neuwirth ira jusqu’au bout de son exposé, ne sachant pas ce que pense le général, il finit en prononçant ces mots : « Mon général, pour qu’un enfant soit bien accueilli, il faut qu’il soit désiré. Si c’est l’enfant accident, s’il arrive au mauvais moment et au mauvais endroit, ce n’est pas possible, il ne sera pas heureux.
Lucien Neuwirth ajoute « Mon Général, à la Libération, vous avez donné le droit de vote aux femmes, elles l’avaient bien gagné pendant la résistance. Aujourd’hui, les temps sont venus de leur donner le droit de maîtriser leur propre fécondité, elles représentent la moitié de notre peuple, elles ne peuvent pas être des demi-citoyennes ».
Après son intervention, Lucien Neuwirth raconte ensuite : « Il y a un grand silence, un silence à couper au couteau que je ne suis pas près d’oublier. C’est le genre de silence qui marque une vie, je n’en mène pas large. Je ne vois que ses grandes jambes qui se plient et se déplient sous son bureau…Je m’attends, bien sûr, à un refus, mais au fond de moi une lueur d’espoir luit quand même, car connaissant le général, je sais que c’est un homme intelligent et lucide, un homme de notre époque. »
Après ce long silence éloquent lorsque la partie semble perdue, soudain le Général s’exclame : « C’est vrai. Transmettre la vie, c’est important. Il faut que ce soit un acte lucide. Continuez ». L’inscription de la proposition de loi à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale sera décidée dès le prochain Conseil des ministres à la demande du Général de GAULLE. C'est Georges Pompidou qui fait inscrire la proposition de loi à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.
A partir du 1er juillet 1967, les débats furent passionnés. Un sénateur demanda même la Haute Cour de Justice pour Lucien Neuwirth, alors qu'un député gaulliste prédit qu’une vague d'érotisme va menacer le pays !
Le 28 décembre 1967, la "Loi Neuwirth" fut promulguée par le président de la République sous l’appellation de "loi relative à la régulation des naissances". Le député de la Loire dut encore guerroyer pour que les décrets d'application ne dénaturent pas le sens de sa réforme.
C'est tout naturellement qu'il soutint ensuite comme rapporteur à l'Assemblée nationale le projet de loi de Simone Veil sur l'interruption volontaire de grossesse s’inspirant des mêmes impératifs d'humanité et de responsabilité.
Il se retirera de la politique en 2001, après avoir promu une loi sur la prise en charge de la douleur qui porte son nom en 1995 et une autre sur les soins palliatifs en 1999. Il meurt en 2013 à l’âge de 89 ans.
« En tout temps, le peuple veut avoir devant lui quelqu’un qui soit sincère et humain… Humain, c’est-à-dire qui comprenne les problèmes des humbles et des simples citoyens. Ces exigences sont devenues les premières notamment à cause de la promotion des femmes, du désir qu’elles ont de pouvoir se consacrer en paix aux soucis si grands de la mère de famille souvent surchargée par le double poids d’un métier et du ménage… Certes les femmes sont aussi accessibles que les hommes au culte du héros, et elles l’ont prouvé par exemple vis-à-vis du général De Gaulle. Mais les héros sont rares. » écrivait Georges Pompidou.
Faut-il, que nous les femmes nées dans les années 60-70, soyons de nouveau vigilantes pour que nos filles bénéficient du même droit ? On peut dire cela 55 ans après que la génération de nos mères se soit tant battue pour que nous, leurs filles, puissions vivre librement nos vies de femmes sans l'angoisse d'une grossesse non désirée, sans être contrainte de réparer.
« N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. » écrivait Simone De Beauvoir.
Le combat de Lucien Neuwirth, toujours d’actualité, est loin d’être gagné.
*Christine ALFARGE Secrétaire générale de l'Académie du Gaullisme.
© 02.01.2023