Législatives et européennes, rivales ou complémentaires
Pour l’essentiel
par Paul KLOBOUKOFF,
Signal de l’usure de notre système politique, l’attrait pour les présidentielles n’a cessé de décliner depuis 2007. Au 1er tour de celles d’avril 2022, l’abstention est montée à 26,31%. Au second tour, le pourcentage des votes exprimés a plongé à 65,60%, le taux le plus bas depuis 1969. Face à Marine Le Pen, avec les voix de 38,52% des électeurs inscrits, Emmanuel Macron a été le plus mal élu des présidents de la Ve République.
Dans le sillage des présidentielles, la participation aux législatives est tombée de 60,42% au 1er tour de 2007 à 48,70% à celui de 2017. Au second tour, elle avait alors plongé à 42,64%. Ainsi, avec les votes de 15,40% des inscrits au 1er tour et 18,88% au second tour, LREM et son associé le Modem ont pu se constituer une « majorité présidentielle » de 350 sièges, soit 60,66% des 577 sièges de l’Assemblée nationale (AN). Vive la représentativité !
En fait, le quinquennat a relégué les législatives au rang de 3ème tour des présidentielles, leur vocation étant de produire une « majorité présidentielle » à l’AN. Elles le font d’autant plus aisément que l’abstention est forte.
Nombre de Français se sont lassés de cet exercice à 3 tours. Ils ne se reconnaissent pas dans ses résultats. Ils récusent une gouvernance qui les méprise, qui ignore leurs revendications et qui a conduit à une radicalisation de la vie politique. Trois « extrémismes » dominent, l’un à gauche, avec Jean-Luc Mélenchon, grand prêtre de la France insoumise, un autre à droite, souverainiste, avec Marine Le Pen à la tête du Rassemblement national, et un troisième avec, en figure de proue, Emmanuel Macron, chantre de l’intégrisme européen et de la mondialisation débridée.
Pendant ce temps, les européennes rencontrent un succès croissant. La participation a augmenté de 40,83% à celles de 2009, à 42,43% à celles de 2014, puis à 50,12% à celles de 2019. C’est logique ! « Notre » gouvernance est largement partagée avec les institutions de l’Union européenne (UE) et on ne peut y être indifférent.
Au tournant du siècle, l’UE a décidé de « s’élargir » autant que possible vers l’est. Elle comptait 15 Etats membres en 2002. Elle a alors renoncé à son objectif de convergence. Avec 27 membres et 751 millions d’habitants aujourd’hui, elle est beaucoup plus hétérogène. L’immigration a soutenu la démographie et ajouté de la « diversité ». Cela n’a pas retenu l’UE d’avancer sur la voie du fédéralisme, même lorsqu’en 2005 les Français l’ont refusé par référendum. En 20 ans, la souveraineté de notre pays s’est considérablement rétrécie. Et Macron, ne ménage pas ses efforts pour réduire « l’espace de liberté » franco-français… sur lequel, sans contrepouvoirs internes, il peut régner en maître.
touteleurope.eu rappelle qu’en rejoignant l’UE les Etats ont accepté souverainement de « mettre en commun » leur pouvoir de décision dans certains domaines, de reconnaître la primauté du droit européen, d’adopter et de respecter les traités européens, sachant que « l’UE ne possède aucun pouvoir qui ne soit pas défini par les traités ».
Les compétences définies par les traités diffèrent suivant les domaines. Les compétences de l’UE sont « exclusives » sur la politique monétaire, l’union douanière, les règles de la concurrence, la politique commerciale commune… Elle contrôle aussi les politiques budgétaires des Etats. Les compétences sont « partagées », suivant le principe de « subsidiarité », dans 13 domaines, dont l’environnement, les transports, l’agriculture et la pêche, l’énergie, la recherche, le développement économique et l’espace. Dans 7 domaines, la santé, l’éducation, la culture, l’industrie, le tourisme, la protection civile et la coopération administrative, l’UE peut « appuyer » les actions des Etats, sans harmoniser leurs législations et réglementations. L’espace laissé libre aux Etats comprend notamment le logement et les services, ainsi que les grands domaines de la protection sociale et de la redistribution, qui sont devenus des plats de résistance des menus de nos gouvernants en France.
En vertu de la supériorité du droit international sur le droit national, le droit de l’UE prime sur le droit des Etats membres, avec, au sommet de la hiérarchie des normes, ses traités, de Paris à Lisbonne, ainsi que les traités d’adhésion. L’application de ces traités a produit beaucoup « d’actes de droit dérivé », qui, transposés dans notre droit ou non, s’imposent à nous. C’est le cas aussi de la foule « d’accords externes » de l’UE conclus de par le monde.
Depuis les années 2010, ses accords de libre-échange dits de « nouvelle génération » sont étendus aux services et aux marchés publics. Ils visent à réduire les obstacles non-tarifaires et à tisser des liens plus étroits entre les parties.
Parmi les pays et groupements avec lesquels des accords récents sont pleinement ou partiellement en vigueur ou en cours de ratification se trouvent : la Corée du Sud, la Géorgie et la Moldavie, le Japon (JEFTA), Singapour, le Vietnam, le Royaume-Uni, l’Ukraine, le Canada (CETA), le Pérou, la Colombie, l’Equateur, l’ensemble des 7 Etats de l’Amérique centrale et le Mercosur. Des négociations sont en cours avec le Mexique, le Chili, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, l’Indonésie, les Philippines et la Tunisie. Celles avec les Etats-Unis, l’Inde et le Maroc sont suspendues.
Avec la multiplication des traités, tandis que la mondialisation des échanges et des normes avance à grands pas, l’UE, déprotégée, ouvre grand la porte à toutes les concurrences, franches ou déloyales.
En réponse aux doutes et aux questions sur les apports et les inconvénients de l’UE, il ne suffit pas de parler de nécessaire « révision des traités ». Il est grand temps de faire le point sur cette fuite en avant européiste et mondialiste incontrôlée, poussée par des choix contradictoires, tels la fédéralisation requérant la convergence, contre les élargissements porteurs d’hétérogénéité et de divisions… et de regarder où elle nous conduit. Il le faut, si nous voulons choisir lucidement vers quel destin une Union européenne peut ou doit aider les nations à se diriger.
Quant aux législatives, il serait bon que les électeurs se demandent s’il est recommandé de voter pour le camp du président Macron, dont une ambition majeure est d’aller plus loin dans la même voie et d’asservir la France.
Participation : recul des législatives et progression des européennes
Derrière la dépréciation des présidentielles, l’anémie des législatives
Le pronostic vital des élections législatives sera engagé si aux élections des 12 et 19 juin un sursaut ne vient pas enrayer la chute de la participation qui les anémie continûment depuis trois quinquennats, amplifiant en cela le désintérêt croissant des Français pour les élections « reines » présidentielles.
Aux premiers tours des présidentielles, le taux de participation était descendu de 83,77% en mai 2007 à 78,48% en mai 2012 et à 73,77% en mai 2017. Pendant ce temps, la participation aux premiers tours des élections législatives est tombée de 60,42% à 57,24%, puis à 48,70% en 2017. Au second tour, elle avait alors plongé à 42,64% !
En avril 2022, la grande gagnante des présidentielles a été l’abstention, avec des taux de 26,31% au 1er tour et 28,01% au second, atteignant 41% chez les plus jeunes. En tenant compte des votes blancs et nuls, le pourcentage total des votes exprimés a plongé à 65,60%. Une telle désaffection n’a pas été observée depuis 1969. C’est un signe inquiétant sur la santé de la Ve République et un très mauvais présage pour les législatives de juin.
Avec le passage au quinquennat, les législatives ont été promues (ou ravalées) au rang de « 3ème tour des présidentielles » dont le résultat majeur, sinon le but suprême, est d’offrir au président élu (ou réélu) une confortable « majorité présidentielle » à l’Assemblée nationale (AN). Celle-ci lui permet de régner selon ses vues sur le pays et ses administrés pendant 5 ans sans véritable contrepouvoir. Les changements plus ou moins importants intervenus dans la composition et les poids respectifs des « oppositions » à l’AN n’ont eu que peu de prise sur la « verticalité » de la gouvernance, surtout depuis 2017. Et notre système législatif accorde le « dernier mot » à l’AN face au Sénat, dominé par la droite « classique ».
Les Français se sont lassés d’autant plus vite de cet exercice à 3 tours et de ses conséquences que les gouvernances de Nicolas Sarkozy, de François Hollande et, plus encore, d’Emmanuel Macron, ont participé au déclassement de la France, à son déficit commercial record, à son endettement démesuré, à la montée de l’insécurité, au laminage des retraites ainsi que des pouvoirs d’achats, et au creusement des inégalités, notamment. Sans parler de l’escalade des « radicalisations » qui a conduit à ce qu’au premier tour des présidentielles, le 10 avril 2022, les votes ont été concentrés sur trois candidats « extrémistes ». Emmanuel Macron, « intégriste européiste » en a obtenu 27,8%, Marine Le Pen, « d’extrême droite », 23,1%, et Jean-Luc Mélenchon, « d’extrême gauche », 22%. Les partis « modérés » de droite et de gauche ont été évincés.
Macron, qui avait « réussi » à se retrouver face à Marine Le Pen au second tour, a été réélu. Mais, avec les voix de 38,52% des électeurs inscrits, il est le plus mal élu des présidents de la Ve République. En outre, il a été réélu principalement grâce à un vote de rejet de sa concurrente, qu’il a « rediabolisée ». En fait, seulement 1 des votants sur 5 l’a choisi par adhésion à ses propositions, ce qui représente 1 électeur inscrit sur 8. En outre, selon plusieurs sondages, au moins 60% des citoyens souhaitent sa défaite aux législatives et/ou désirent une cohabitation. Hélas, le 3ème tour ne démentira pas les précédents. Le système électoral le refuse.
Il faut noter aussi que la pléthore des sondages et la propagande médiatique qui les accompagne, qui nous expliquent en continu, moult chiffres à l’appui, que les résultats sont « pliés », que les carottes sont cuites, sont des stimulants efficaces de l’abstention… qui joue en faveur de la « majorité présidentielle ».
Rien d’étonnant, donc, à ce qu’on lise déjà le 11 mai « Législatives : Emmanuel Macron bien parti pour conserver la majorité à l’Assemblée, selon un sondage » (1). D’après la « projection » commandée par Les Echos et Radio classique, le baromètre hebdomadaire Opinion Way-Kéa Partners donne : 310 à 350 des 577 sièges de l’AN à la majorité présidentielle, 135 à 165 sièges à l’Union de la gauche, qui devient la 1ère force d’opposition, 50 à 70 sièges aux Républicains (contre 101 actuellement) et 20 à 40 sièges au Rassemblement national. Seulement 36% des Français souhaitent que Macron ait une majorité.
Sur l’abstention, peu de choses. « Pour l’heure, 55% des Français se disent intéressés par cette campagne des législatives… Pour le sondeur, ce taux est plutôt faible sans être alarmant », peut-on lire sur Les Echos. Encore faut-il que ces personnes « intéressées » soient assez motivées pour aller voter les 12 et 19 juin.
Presque en même temps, bfmtv.com titrait le 12 mai : « Législatives : l’Union de la gauche devance la majorité présidentielle au premier tour, selon un sondage » (2), se référant à un sondage d’Ifop-Fiducial pour LCI (non prédictif, lui aussi) donnant des résultats moins décourageants pour les oppositions : 28% des voix au NUPES conduit par Mélenchon, 27% à Ensemble (Renaissance, Modem, Horizons et Agir), 22% au RN, 11% à LR, 6,5% à Reconquête et 2% à DLF. Mais ce ne sont que des résultats de 1er tour, et une abstention élevée donne un « avantage concurrentiel » à Macron, est-il rappelé… avec une lueur d’espoir, que la participation soit moins faible qu’en 2017. En raison d’un léger doute (inhabituel) sur le résultat majeur des élections ?
Le succès croissant des élections européennes
Des électeurs peuvent penser que leurs votes aux présidentielles et aux législatives seront décisifs pour l’avenir, qu’avec une majorité présidentielle, le président aura les pleins pouvoirs pour gouverner la France. Cela fait belle lurette que ce n’est plus le cas. « Notre » gouvernance est partagée avec les institutions très envahissantes de l’UE et, au fil des ans, notre pays voit sa souveraineté se restreindre. Et l’UE veille jalousement au respect de ses compétences « exclusives », « partagées », « d’appui » et « particulières » dans les différents domaines.
Avec la multiplication des traités, qui priment sur le droit national, la France et les autre Etats membres de l’UE perdent aussi de leur indépendance tandis que la mondialisation des échanges et des normes avance à grands pas.
Il n’est donc pas anormal que des citoyens Français cherchent à faire entendre leurs voix, au Parlement européen (PE), notamment, et participent davantage aux élections européennes. Ils ont été brutalement réveillés par le coup de Jarnac de la ratification du traité de Lisbonne en février 2008… alors qu’au référendum du 19 juin 2005, 54,68% des votants avaient rejeté le projet de traité de l’UE « établissant une constitution pour l’Europe ». Nombre de citoyens l’ont vécu comme une trahison, un déni de démocratie, une forfaiture. D’autant que trois présidents, Giscard d’Estaing, Sarkozy et Hollande, avaient été impliqués dans cette « affaire ». La campagne de ce référendum historique avait eu la vertu d’attirer l’attention des Français (et des autres Européens) sur l’importance prise par l’UE dans la gouvernance de leur pays, ainsi que sur la marche forcée en cours vers une UE fédérale dont les Etats membres, dépossédés de leur souveraineté, seraient des vassaux. En même temps, c’est une marche pour plus de mondialisme, de multilatéralisme et d’ouverture déprotégée.
Aussi, en France, contrairement aux autres élections, la participation a augmenté de 40,83% aux européennes de 2009 à 42,43% à celles de 2014, puis à 50,12% à celles de 2019.
Aux européennes de juin 2009, le Front national (FN) n’avait recueilli que 6,3% des votes. A celles de 2014 et de 2019, il est arrivé en tête des partis. En mai 2019, le Rassemblement national (RN) a recueilli 23,3% des suffrages et obtenu 22 des 74 sièges alloués à la France au Parlement européen. Depuis les présidentielles de 2017, il est le premier parti d’opposition au pouvoir en place.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Fédéralisme contre souveraineté des Etats dans l’UE
Au niveau de l’ensemble de l’Union, la participation aux européennes a cru à peu près autant qu’en France.
Des bouleversements ont eu lieu au PE. Concrétisant le vote du Brexit, le Royaume-Uni (RU) a quitté l’UE le 31 janvier 2020, libérant 73 sièges au PE et modifiant les rapports de forces entre les groupes. Auparavant, les élections de 2014 et de 2019 avaient vu le recul des deux groupes majeurs, le Parti populaire européen (PPE), de droite, et les Socialistes et démocrates (S&D), qui au début mars 2021 ne comptaient plus, respectivement, que 175 et 145 des 705 sièges du PE. Sans surprise, les écologistes avaient nettement progressé, et les Verts/ALE disposaient alors de 73 sièges. Autre fait marquant, le groupe libéral européiste ALDE, rebaptisé Renew Europe (RE), auquel LREM s’était associé, détenait 98 sièges. Deux groupes nationalistes, populistes… s’étaient étoffés. Identité et démocratie (ID), que le RN avait rejoint, détenait 74 sièges. Le groupe des Conservateurs et des réformistes européens (CRE), également anti-fédéral, avait 63 sièges, dont 27 polonais. A gauche de la gauche, le groupe GUE/NGL détenait 39 sièges. 38 députés étaient Non inscrits (NI).
La place prise par les opposants déclarés au fédéralisme européen, les 137 députés des groupes ID et CRE, ainsi que des Non inscrits, est une nouveauté au PE. Face au RE, aiguillonné par Macron, elle témoigne d’une amplification et d’une radicalisation du conflit au sein de l’Union sur la poursuite de l’intégration européenne. Un fossé est également en train de se creuser entre l’UE et des pays de l’est souverainistes qui ne partagent pas toutes « nos » valeurs sociétales progressistes. Divisés, les « eurosceptiques » tentent de s’unir et/ou de se coordonner.
Source : Au-delà des régionales de 2021 - l’exception des élections européennes Lettre du 18 juin de sept. 2021
------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Conscients de ce que la gouvernance et le destin de la France dépendent étroitement de l’UE, les citoyens sont davantage attentifs au choix de leurs représentants au PE. Cependant, le rôle des chefs d’Etat et de gouvernement est nettement plus déterminant dans les orientations et les décisions de l’UE. C’est pourquoi, l’élection présidentielle est aussi une « élection européenne ». Il semble que cela ait été oublié en avril 2022.
Le point sur la perte de souveraineté déjà très avancée des Etats de l’UE
Plus fédéraliste que jamais, tentaculaire, l’UE ne cesse de « s’élargir »
Le 18 février 2002, Il y a 4 quinquennats seulement, le FRANC français a complètement disparu de la circulation, laissant entièrement la place à l’EURO, qui, dix jours plus tard, est devenu le symbole monétaire unique de 304 millions (Mi) d’européens de 12 pays. Créé en 1999, l’euro devait renforcer l’intégration dans l’UE et favoriser la convergence entre les pays. Un double échec qu’on ne peut séparer de la soif d’extension de l’Union. Pour le vérifier, il suffit de comparer les situations de l’Allemagne et/ou des Pays-Bas avec celles de la Grèce et/ou de la Roumanie.
En 2002, la frénésie des « élargissements » couvait, mais n’avait pas encore sévi. L’UE comptait 15 « anciens membres », pas plus qu’en 1995. L’emballement est venu en 2004 et en 2007, avec l’entrée de 12 pays, Chypre, Malte et 10 Etats de l’est, la République tchèque, l’Estonie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la Slovaquie, la Slovénie, la Bulgarie et la Roumanie, qui, depuis qu’ils avaient été libérés du joug soviétique, rêvaient de faire partie de l’Union et, plus encore, de trouver un abri sous le parapluie de l’OTAN. Après l’entrée de la Croatie en 2013 et la sortie du Royaume-Uni en 2020, l’UE compte aujourd’hui 27 membres… et 751 Mi habitants. Mais sans doute pas pour longtemps, puisque ont déjà été officiellement reconnus candidats l’Albanie, la Macédoine du Nord, le Monténégro, la Serbie et la Turquie. La Bosnie-Herzégovine attend son tour depuis 2016. En 2022, avec la guerre en Ukraine, les choses se précipitent à nouveau. L’Ukraine, la Géorgie et la Moldavie se portent candidats… d’urgence. Et, la satisfaction des conditions d’admission prenant de longues années, pour leur porter secours, une idée « novatrice » a germé dans la tête de la présidente de la Commission de Bruxelles, Ursula Von der Leyen, aussitôt captée par Emmanuel Macron : créer une « communauté politique européenne », nouveau « machin » technocratique, dont l’Ukraine pourrait faire partie (3).
Elargissements sans limites et hétérogénéité des membres ne découragent pas les fans de l’UE de pousser au maximum à l’intégration de l’Union. Cette incompatibilité ne les freine pas. Aussi, en 20 ans, beaucoup de choses ont changé et la souveraineté nationale des Etats membres a été considérablement réduite.
Politique monétaire dans les mains de la BCE et politique budgétaire sous contrôle de l’UE
La Banque de France et les autres banques centrales des Etats membres de la zone euro (ZE) ont abandonné leurs prérogatives à la Banque centrale européenne (BCE) qui, depuis Francfort, est responsable de la politique monétaire de la zone. Organisme indépendant des autres institutions de l’UE et des Etats membres, c’est une institution réellement fédérale au centre de l’Eurosystème (BCE et ses 19 banques centrales satellites). Elle « régule » les taux d’intérêt et la quantité de monnaie en circulation. L’objectif principal qui lui a été fixé est de maintenir la stabilité des prix afin de sauvegarder la valeur de l’euro (art. 27 du traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE), plusieurs fois modifié depuis le traité de Rome de 1957 jusqu’au traité de Lisbonne de 2009). La BCE porte une grande part de responsabilité dans l’explosion de l’endettement au sein de l’Union, favorisée par des taux anormalement bas et des injections massives de liquidités. Elle est aussi chargée de conduire la politique des changes de la zone arrêtée par le Conseil Ecofin.
Conseil pour les Affaires économiques et financières, Ecofin, qui réunit les ministres des finances et des économies, ainsi que les responsables des budgets, est chargé : - de la coordination des politiques générales des 27 ; - du contrôle des politiques budgétaires et des finances publiques des 27 ; - des mouvements de capitaux et des relations économiques avec les pays tiers.
Dès 1997, un pacte de stabilité et de croissance (PSC) avait été adopté à Amsterdam par les pays de la zone euro pour coordonner les politiques budgétaires et éviter l’apparition de déficits budgétaires excessifs, fixant les seuils de 3% pour les déficits publics et de 60% pour les dettes publiques. Depuis des années, le seuil d’endettement public est largement dépassé, sans aucune sanction, par certains pays, dont la France. Le dépassement du seuil de 3% de déficit public a été plus rigoureusement contrôlé, avec des sanctions pour déficit excessif à la clé. La procédure a volé en éclat avec la pandémie du Covid.
Mais elle n’est pas abandonnée pour autant. Et, si la politique budgétaire reste une « compétence nationale », son contrôle par l’UE a été réaffirmé. Par Ecofin, mais surtout par la Commission de Bruxelles, à laquelle les Etats doivent soumettre leurs projets de lois de finances (PLF). On a donc pu lire le 25 novembre 2021 : « Budget : la Commission européenne valide le PLF 2022 » (4). La Commission s’est montrée très indulgente. En fait, avec la crise sanitaire l’application des règles budgétaires des 3% et des 60% a été suspendue. Mais le principe du contrôle par la Commission a été respecté. A l’égard de la France dépensière, cette dernière n’a pas émis de critiques particulières. Pourtant les prévisions de déficit public étaient de - 8,4% à fin 2021 et de - 4,8% en 2022. Comme à l’Italie, la Belgique, l’Espagne et la Grèce, Bruxelles a rappelé à notre pays que sa dette publique était élevée, 116% du PIB prévus à fin 2021 et encore 114% à fin 2022.
Souveraineté européenne souverainement acceptée par le Etats membres
« L’idée que 80% des lois viennent directement de l’Union européenne (UE) est un mythe. Dans le cas de la France, seulement 20% des lois ont une origine européenne, un pourcentage qui la situe dans la moyenne » peut-on lire dans l’article « Combien de lois françaises nous sont imposées par l’Europe ? » sur mouvement-europeen.eu (5).
Presque sans se contredire, les auteurs ajoutent qu’une distinction doit être faite entre les différents types d’actes législatifs européens. Les règlements et les décisions de l’UE n’ont pas à être « transposés » dans la législation nationale car ils sont directement applicables. Par contre, les directives « établissent une obligation d’objectif » doivent être « transposées ». Mais les Etats membres sont libres de choisir comment le faire.
Les auteurs soulignent que : - la législation européenne n’existe que dans le périmètre des compétences que les Etats ont « souverainement » décidé de déléguer à l’UE (voir ci-après) ; - si la législation est proposée par la Commission, elle est adoptée par les représentants des Etats en Conseil des ministres, ainsi que par ceux des citoyens, au Parlement européen ; - les parlements nationaux sont consultés sur les propositions de la Commission et peuvent éventuellement les bloquer si au moins un tiers d’entre eux ne les approuvent pas. Contrairement à ce que l’on peut (mé) dire, le processus serait un modèle de démocratie. Et l’UE respecterait scrupuleusement le sacro-saint principe de subsidiarité. Un autre sans faute bien connu.
Sur touteleurope.eu, l’article « Souveraineté nationale vs Union européenne : 3 minutes pour comprendre » (6) rappelle qu’en rejoignant l’UE, les Etats ont accepté « souverainement » : - de mettre en commun leur pouvoir de décision dans certains domaines ; - de reconnaître la primauté du droit européen lorsqu’il existe ; - d’adopter et de respecter les traités européens. Sachant que « l’UE ne possède aucun pouvoir qui ne soit pas défini par les traités »
Lorsqu’elles sont définies par les traités, les compétences de l’UE diffèrent suivant les domaines.
Ainsi, la politique monétaire fait partie des compétences exclusives de l’UE (pour les pays de la ZE) qui couvrent aussi l’union douanière, les règles de la concurrence du marché intérieur, la conservation des ressources biologiques de la mer, la politique commerciale commune, la conclusion d’accords internationaux sous certaines conditions.
Les compétences sont partagées entre l’UE et les Etats dans 13 domaines, dont l’environnement, les transports, l’agriculture et la pêche, l’énergie, la recherche, le développement économique et l’espace, la protection des consommateurs… Selon le principe de subsidiarité, l’UE décide lorsque son action est jugée plus efficace que celle des Etats. En cas de litiges, la Cour de Justice de l’UE (CJUE) est là pour arbitrer.
Les compétences de l’UE sont dites d’appui lorsque l’UE ne peut intervenir que pour appuyer les actions des Etats, sans harmoniser leurs législations et réglementations. Les 7 domaines concernés sont la santé, l’éducation, la culture, l’industrie, le tourisme, la protection civile et la coopération administrative.
L’UE dispose de compétences particulières, essentiellement de coordination des politiques des 27, dans le domaine de la politique étrangère et de la sécurité intérieure.
Restent les domaines qui ne sont pas cités dans ces listes. Ils comprennent notamment le logement, les services, ainsi que les grands domaines de la protection sociale et de la redistribution, dans lesquels nos gouvernants ne manquent pas d’exprimer leurs talents en toute souveraineté.
Primauté des traités de l’UE et supériorité d’une multitude d’accords externes
En fait, la primauté du droit européen sur le droit des Etats membres est la conséquence de la supériorité du droit international sur le droit national. En France, depuis la Constitution de 1946, le droit français n’est plus considéré comme indépendant du droit international. « Tous deux forment un ordre juridique uniforme », rappelle vie-publique.fr dans un article explicatif des relations entre le droit européen et les droits nationaux (7). Et dans son article 55, la Constitution de 1958 reconnait aux « traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés (…) une autorité supérieure à celles des lois sous réserve, pour chaque accord ou traité de son application par l’autre partie ». Depuis un arrêt du Conseil d’Etat d’octobre 1989, les juridictions administratives doivent vérifier la compatibilité des dispositions de la loi avec les engagements internationaux.
Au sommet de la hiérarchie des normes du droit de l’UE (8), les traités de Paris, de Rome, l’Acte unique européen, les traités de Maastricht, d’Amsterdam, de Nice et de Lisbonne, ainsi que les protocoles et conventions annexés aux traités, forment « le droit primaire ». Les traités d’adhésion en font partie également.
Tous les actes adoptés par les institutions de l’UE en application des traités sont des « actes de droit dérivé ».
Les « accords externes » conclus entre l’UE, avec ou sans ses Etats membres, et des pays tiers, des groupements régionaux ou des organisations internationales, prévalent sur les actes de droit dérivé.
La jurisprudence de la CJUE, source de droit essentielle, éclaire le droit européen et aide à en contrôler le respect.
Il est recommandé aux Etats membres de se conformer à tous ces ensembles de « normes hiérarchisées ».
La classification des accords (9) en usage distingue : - les accords de partenariat économique (APE) en soutien du développement de pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique ; - les accords de libre-échange (ALE) avec les pays développés et « émergents », qui accordent un accès préférentiel aux marchés ; - les accords d’association (AA) et les accords de partenariat et de coopération (APC), qui favorisent des liens politiques plus larges.
Promotrice décomplexée de la mondialisation heureuse [ainsi que d’un grand marché déprotégé], l’UE a multiplié tous azimuts les traités de libre-échange avec les pays ou groupements de pays tiers. Depuis les années 2010, ses accords de libre-échange, dits de « nouvelle génération », ne se limitent pas à diminuer les droits de douanes entre les Etats et à favoriser les échanges commerciaux. Ils tentent aussi de réduire les obstacles non-tarifaires et de tisser des liens plus étroits entre les parties. Ils couvrent ainsi les services, les marchés publics, la protection de la propriété intellectuelle. Ils tendent aussi à une harmonisation des normes sanitaires, sociales, techniques, environnementale… Ils peuvent prévoir des mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et Etats (10).
Parmi les accords récents de l’UE actuellement en vigueur figurent ceux avec la Corée du Sud, depuis 2015, avec la Géorgie et la Moldavie, depuis juillet 2016, avec le Japon (JEFTA), depuis février 2019, avec Singapour, depuis novembre 2019, avec le Vietnam, depuis août 2020… sans oublier l’accord de commerce et de coopération entre l’UE et le Royaume-Uni, en vigueur depuis mai 2021.
D’autres accords de l’UE sont partiellement en vigueur, avec l’Ukraine, un accord d’association depuis janvier 2016, avec le Canada (CETA), depuis septembre 2017, ainsi qu’avec le Pérou, la Colombie, l’Equateur et l’ensemble des 7 Etats de l’Amérique centrale, depuis 2013.
Les accords avec le Mercosur sont en cours de ratification dans le Etats membres, en même temps que les volets sur la protection des investissements des accords avec le Canada, Singapour et le Vietnam.
Des négociations d’accords sont aussi en cours avec le Mexique, le Chili, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, l’Indonésie, les Philippines et la Tunisie. Celles avec les Etats-Unis, l’Inde et le Maroc sont suspendues.
On voit que l’UE fait feu de tout bois, tous azimuts. Tous ces accords viennent s’ajouter à la kyrielle de ceux qui étaient déjà en vigueur. Ensemble, ils « enrichissent » « l’acquis communautaire »… qui aliène les libertés et les souverainetés des Etats membres et des nouveaux entrants dans l’UE. Dans quels buts précis, pour quels résultats ?
*Paul KLOBOUKOFF Académie du Gaullisme le 28 mai 2022
Attention ! Méfiez vous de la proposition politicienne de limiter à 3 le nombre de mandats « législatifs » afin de faire de la « place aux jeunes » (de Renaissance ?), qui auront « un regard différent » et « des idées nouvelles ».
Il ne faut pas oublier le rôle et les fonctions de nos législateurs, représentants du peuple. L’article 3 de la Constitution stipule : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». Et les deux fonctions des représentants des citoyens qui les ont élus sont de « voter les lois et de contrôler le gouvernement ». Elles requièrent de la maturité, des compétences juridiques et une connaissance suffisante de notre législation touffue et complexe, qui ne s’acquiert pas par la magie d’une élection.
Notre législation compte près de 400 000 normes, 11 500 lois avec leurs 320 000 articles, et 130 000 décrets (11)… sans compter la partie du vaste « acquis communautaire » qui n’a pas été transposée dans notre droit, mais qu’il est interdit d’ignorer. Un travail maintes fois réclamé est, d’ailleurs « d’alléger » ce pesant fardeau !
Vouloir placer des jeunes au regard différent et aux idées nouvelles ne répond absolument pas à ces fonctions et à leurs exigences. Par contre, cela vise notamment à continuer à affaiblir notre parlement ainsi que la démocratie.
Nos gouvernants ont la primeur des propositions de lois, c’est à eux, ainsi qu’aux partis politiques « d’avoir un regard différent, avec des idées nouvelles ». C’est ce que réclament les citoyens, et notamment ceux qui ne vont pas voter.
Sources et références
(1) Législatives : Emmanuel Macron bien parti pour conserver la majorité à l’Assemblée nationale msn.com/fr-fr/elections/legislatives-emmanuel… le 10/05/2022 à 23h33
(2) Législatives : l’Union de la gauche devance la majorité présidentielle au premier tour, selon un sondage bfmtv.com/politique/legislatives/legislatives-l-union-de-la-gauche… le 12/09/2022 à 2h49
(3) Révision des traités : « en panne d’inspiration, Emmanuel Macron veut entraîner l’Europe dans le fédéralisme msn.com/actualite/other/revision-des-traites… le 10/05/2022
(4) Budget : la Commission européenne valide le PLF 2022 mieux-vivre-votre-argent.fr/fr/impots/2021/11/25/budget-la-commission…
(5) # UEdécryptée // « Combien de lois françaises nous sont imposées par l’Europe ? » mouvement-europeen.eu/uedecryptee-est-ce-que-80-de-lois….
(6) Souveraineté nationale vs Union européenne : 3 minutes pour comprendre touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/souverainete… le 07/04/2020
(7) Quelles sont les relations entre le droit européen et les droits nationaux vie-publique.fr/fiches/20362-quelles-relations…
(8) La hiérarchie des normes de droit de l’Union européenne touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/la-hierarchie… màj le 25/06/2020
(9) Accords commerciaux de l’UE - Concilium consilium.europa.eu/fr/policies/trade-policy/trade-agreements…
(10) CETA, JEFTA, Mercosur… qu’est-ce qu’un accord de libre-échange de « nouvelle génération » ? touteleurope.eu/economie-et-social/ceta-jefta… màj le 14/02/2022
(11) « Normes, réglementations… mais laissez nous vivre » Marie de Greef-Madelin et Frédéric Paya, Plon 318 pages
© 01.06.2022