Démocratie et Citoyenneté,
les ressorts d’une bonne gouvernance
« La démocratie n’a de sens que dans l’exercice de l’intérêt général »
par Christine Alfarge,
Le fonctionnement de l’État français est centralisé permettant une homogénéité nationale mais sans doute au détriment d’un traitement spécifique et d’une forte réactivité face aux problèmes régionaux. Il serait souhaitable de rééquilibrer les régions françaises en répartissant mieux les institutions et les services publics au regard des besoins locaux de la population, resserrer le lien démocratique en utilisant de manière appropriée les volontés locales des corps intermédiaires et des citoyens en les faisant participer davantage à l’élaboration des lois.
Les citoyens aspirent à participer aux décisions politiques plus fréquemment que lors d’élections. Les privations de libertés individuelles, bien qu’elles puissent être justifiées en temps de crise, doivent absolument rester temporaires. Et enfin, les contenus des médias doivent pouvoir être contrôlés, par les opérateurs et sous le contrôle de la justice, afin d’éviter désinformation et fragmentation de la société française.
Les hommes politiques peuvent-ils vraiment changer le cours des choses ?
Si gouverner, c’est organiser la société, la réformer en fonction de projets et de programmes, on invoque la plupart du temps la résistance du corps social ou l’administration tentaculaire pour expliquer la résistance au changement. Ce sont des réalités. Dans les régimes démocratiques, l’alternance des dirigeants, la diversité des instances de décision, la mobilisation des contre-pouvoirs, tels que les médias, les partis, les syndicats, les lobbies, permettent à de nombreux acteurs de la vie politique, de faire prévaloir leurs intérêts. Cette polyarchie, propre aux démocraties, favorise la négociation, les transactions, les compromis plutôt que les politiques offensives. Face à une pluralité de « leaders » dont chacun est enfermé dans un réseau de dépendances qui limite et encadre fortement son pouvoir d’action, finalement on ne sait plus qui gouverne.
Les sondages montrent quelle que soit l’orientation politique du gouvernement, qu’une majorité des citoyens français n’a plus confiance en lui pour résoudre leurs problèmes. On peut, bien sûr, y voir un comportement français typique, et cela rendrait illusoire toute possibilité d’amélioration, à moins d’une évolution de nos mentalités. Mais on peut aussi questionner notre modèle de structure politique hyper centralisé, peut-être mal adapté au besoin actuel de prises de décisions rapides avec l’oeil critique des opposants politiques mais également des citoyens espérant que leurs problèmes individuels ou corporatistes soient résolus en hauts lieux.
Après la deuxième guerre mondiale, le général De Gaulle qui porta à bout de bras la reconstruction de la France, s’exprimait ainsi : « la lutte des classes est partout, aux ateliers, aux champs, aux bureaux, dans la rue, au fond des yeux et des âmes. Elle empoisonne les rapports humains, affole les États, brise l’unité des nations, fomente les guerres ».
L’histoire est toujours à recommencer, aujourd’hui la volonté politique suffira-t-elle ? Une nouvelle société dépend d’hommes et de femmes déterminés à agir et en ayant les moyens. Un meneur digne de ce nom doit savoir insuffler une vision, un projet et donner du sens là où les autres voient le monde tel qu’il est, complexe et sans visibilité.
Le rôle de l’État, dans une démocratie, est d’assurer la protection de ses citoyens ainsi qu’une vie en communauté en bonne intelligence. L’État doit aussi être à l’écoute de ses citoyens et leur fournir les conditions permettant de développer un projet politique que le gouvernement sera ensuite en charge de mettre en œuvre. En France, malgré tous les efforts de décentralisation, les décisions et les règles sanitaires restent globalement décidées à Paris, sans toujours tenir compte des particularités territoriales. Historiquement, la nation française est fondée sur l’idée républicaine centralisée, assurée par un État fort, contrairement à d’autres démocraties plus fédéralistes.
Le régionalisme contre la nation ?
L’un des aspects du régionalisme est politique avec un nouveau rapport État et région car c’est également en terme de compétences que la question reste posée entre ces deux entités. Une nouvelle réforme territoriale est nécessaire, le vrai problème est qu’il faut avoir la volonté de mener des réformes de fond, le rôle des régions demande un ajustement permanent. Nous devons associer plus fortement les pouvoirs locaux et les collectivités locales et territoriales à la construction européenne.
Pas seulement en termes de chasse aux subventions qui en font trop souvent un acteur passif, mais en terme de représentation plus forte parmi les instances européennes. Le lobbying des collectivités territoriales, exercé notamment par le biais de deux associations, le Conseil des communes et régions d’Europe (fondé en 1951) et l’Assemblée des régions d’Europe (mise en place en 1984) d’autre part, mériterait de voir son existence davantage reconnue et ces deux associations d’être mieux associées aux institutions européennes.
Au-delà de la coopération décentralisée reconnue par la loi du 6 février 1992 autorisant des coopérations entre collectivités, dans les limites de leurs compétences, ces collectivités locales et territoriales sont les plus aptes, par leur proximité et leur légitimité, à représenter et à défendre territoires et citoyens. Il faut donc clarifier à la fois les compétences, les moyens financiers, les rôles de l’État, régions, départements, communes ainsi que toutes les différentes formes d’intercommunalité. L’État doit assurer une répartition équitable des charges et des moyens. C’est un millefeuille qui ne peut plus continuer face aux dépenses excessives, vingt-deux régions c’est beaucoup. Souvenons-nous que le général De Gaulle pour qui le rôle de l’État devait être exemplaire, signera le 14 février 1963 le décret n°63-112 instituant la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (DATAR) parce qu’il avait une vision de la réalité locale s’appuyant sur les régions afin d’assurer une meilleure participation des citoyens à la gestion du pays, préservant ainsi l’espace de la démocratie et des solidarités. C’est tout le sens du référendum du 27 avril 1969 qu’il avait souhaité sur « le projet de loi relatif à la création de régions et à la rénovation du Sénat » pour lequel il avait indiqué qu’en cas de rejet, il quitterait ses fonctions.
Malheureusement, les antagonismes politiques de droite comme de gauche ont changé la nature du débat sur le maintien ou non du président au pouvoir au lieu de montrer les intérêts ou inconvénients de la réforme, au détriment d’une auto-organisation décentralisatrice plus en prise sur les réalités locales.
Aujourd’hui, face au ravage de la crise, nous sommes dans la conquête de la réindustrialisation, l’essentiel de notre vie économique, sociale et politique se joue encore aux niveaux local, national ou régional. L’État doit être plus que jamais à l’écoute des projets et besoins des régions pouvant s’appuyer sur la mobilisation et l’engagement des politiques.
La mondialisation n’a pas fait disparaître les territoires.
La construction d’un monde plus juste ne passe d’ailleurs pas par la disparition des anciens liens sociaux et des vieux sentiments d’appartenance. Détruire ces solidarités n’aidera pas à en faire émerger de nouvelles, au niveau des continents comme de la planète. Cela ne ferait que renforcer la tentation omniprésente du repli identitaire représentant l’autre aspect du régionalisme.Nos institutions centralisées et unifiées ont du mal à tenir compte de la diversité des régions, certaines sont sous-peuplées, en manque de service public alors que d’autres sont surpeuplées, avec des problèmes de pollution et d’embouteillage. La crainte de poursuites judiciaires décourage bien des engagements en politique compliquant des prises de position courageuses. Dans le système français, il n’y a pas de « mandat impératif ». Autrement dit, un homme politique n’est pas tenu de suivre le programme pour lequel il a été élu. Il a simplement la charge d’une fonction et doit prendre des décisions politiques « en son âme et conscience ».
Par contre, ces décisions peuvent être attaquées judiciairement, ce qui entraine bien souvent à un immobilisme prudent et une inflation de règlements, les politiques s’abritant derrière les avis d’experts ou de règlements administratifs. La question sur la perception du risque est centrale : selon le principe de la sécurité à tout prix, on risque non seulement l’immobilisme, mais une atteinte progressive et irrémédiable à notre liberté et notre libre arbitre.
Le rôle de l’état, pour recréer de la souplesse et de la réactivité dans son fonctionnement, devrait amplifier sa décentralisation au profil des pouvoirs locaux des régions, des départements et des communes. La difficulté serait de construire un équilibre qui permette, dans le même temps, qu’une appartenance commune existe et que les niveaux régionaux se construisent intellectuellement non "contre", mais "avec" le niveau national.
Nos institutions devraient mieux tenir compte des particularités démographiques de nos différentes régions. Dans les régions sous peuplées, en garantissant par la loi une certaine densité de services publics, dans les régions sur peuplées en luttant contre les temps de déplacement excessifs par un développement de la téléconsultation et une simplification des démarches administratives, mais tout en garantissant un certain nombre de points d’accueils pour aider les personnes sous équipées en matériel, ne maitrisant pas bien l’informatique ou ne pouvant pas assurer les frais d’abonnement.
Cela entrainerait une meilleure qualité de vie, un rééquilibrage démographique entre les régions. Enfin, pour encourager les vocations politiques et éviter l’inflation de règlements en tous genres, les hommes politiques ne devraient pas pouvoir être poursuivis pour des décisions prises en toute bonne foi, mais uniquement pour les cas d’actes frauduleux (abus de biens sociaux, …). Le lien démocratique, entre gouvernant et gouvernés, pourrait être consolidé, par la confiance et le sens des responsabilités des citoyens français, majoritairement bien éduqués et capables de discerner l’intérêt général.
L’État devrait amplifier le mouvement de décentralisation et d’autonomie des différentes régions de France pour tenir compte des particularités locales ainsi que de la volonté des citoyens de prendre des décisions par eux-mêmes, sans un carcan infantilisant de règles administratives sans consultation citoyenne.
Cela nous rappelle la célèbre réplique de Georges Pompidou, lui-même, excédé par de nombreux décrets à Matignon : « Arrêter d’emmerder les français ! Il y a trop de lois dans ce pays, on en crève, laissez-les vivre, et vous verrez, ça ira beaucoup mieux. » Dans une France moderne et instruite, on ne peut plus se contenter de donner un chèque en blanc à des politiciens « professionnels ».
Comment retrouver plus de confiance ?
Même si la démocratie participative répond localement à une forte demande sociale en regroupant les nouvelles formes d’implication des citoyens dans les décisions tels que les conseils de quartier, elle est insuffisante pour renouveler à elle seule la démocratie. Il faut donc mettre en œuvre un ensemble de réformes pour restaurer la confiance des citoyens dans le système politique, et aussi un effort à mener pour argumenter et donner plus de lisibilité à l’action politique.
La démocratie participative correspond à une envie partagée par beaucoup de français qui aimeraient pouvoir donner leurs avis sur les affaires courantes de la politique, en dehors des périodes de renouvellement de leurs représentants. Mais il faudrait faire en sorte que les citoyens ne répondent pas seulement en fonction de leur opinion politique partisane.
Les libertés individuelles sont toujours réduites quand le besoin de protection collective est impératif, comme pendant la pandémie mondiale par exemple, et les français l’ont bien compris en respectant les règles de distanciation sociale. Le risque, par contre, est important de voir une partie des mesures liberticides perdurer après la fin de la pandémie, sous le prétexte imparable d’une meilleure sécurité, comme lors des crises précédentes.
Le lien démocratique entre gouvernant et gouverné devrait permettre à des représentants de la société civile de donner leurs points de vue, lors de journées politiques pour assister les politiques pendant l’élaboration des lois, soit lors de journées d’études de projet de loi pour en évaluer leur degré d’acceptabilité par la société.
La démocratie participative, via des référendums, pourrait être une solution, à condition d’échapper à un détournement politique partisan. Il faut, de plus, lutter contre la casse insidieuse de nos libertés et l’entrée de plus en plus envahissante des règlements et de la loi publique dans nos vies privées.
Politique et médiatisation se confondent-elles ?
Les médias sont libres dans notre démocratie, mais la presse officielle dépend souvent des apports financiers de leurs annonceurs et ne peut pas aborder tous les sujets avec la même force voire la même impartialité. De surcroît, certaines informations sont biaisées par manque de statisticiens ou sociologues dans leurs rangs ou par idéologie politique.
Les médias, qu’ils soient traditionnels ou dits « sociaux », ne peuvent pas être contrôlés par les hommes politiques, et c’est heureux, mais ils doivent pouvoir l’être par la justice, et de manière aussi réactive et dissuasive que possible. Les opérateurs des réseaux sociaux ont les moyens de surveiller les contenus diffusés, soit en bloquant les contenus illicites ou bien en facilitant la levée de l’anonymat. La liberté des médias peut facilement laisser place au sensationnel, l’émotion étant recherchée au détriment de la raison. Il est devenu nécessaire de développer l’esprit critique. Dans ce contexte de désinformation et d’orientation des messages, les stratégies mises en place par l’état sont déconstruites. Il faut nécessairement développer le discernement des citoyens. C’est au sein de l’école par le biais du développement du doute méthodique, de l’esprit critique qu’il faudrait agir en rendant obligatoire les cours d’autodéfense intellectuelle dès la primaire. Un démantèlement de pensées réductrices peut être un pas en avant dans la compréhension et l’acceptation de certaines mesures prises par l’État.
Il faut établir de nouveaux rapports entre médias, citoyens et pouvoir.
Aujourd'hui, il faut recomposer les rapports entre citoyens, les rapports de pouvoir et les rapports économiques. Cela peut venir de l'intérieur même du monde politique avec des propositions nouvelles, mais ce changement peut venir aussi de la connaissance sociale drainée par l'information et la communication qui offrent à la société une plus grande capacité de contrôle et d'intervention.
La politique prend immédiatement une dimension médiatique au sein de notre société, que ce soit la nature même du système politique ou les décisions qui en découlent, ne signifiant pas pour autant que le pouvoir se trouve inévitablement aux mains des médias ou que le public se décide en fonction de ce qu'on lui suggère.
Dans cette société de communication, la nécessité d'exister médiatiquement pour exister politiquement implique de faire passer des messages tant à la télévision qu'à la radio, dans la presse écrite ou sur Internet sur des sujets qui ne sont pas technocratiques, qui ne sont pas de la démocratie participative dans laquelle il n'y a pas de véritable capacité à rassembler.
L'aventure audio-visuelle a une longue histoire avec le gaullisme, c'est avant tout la volonté d'un homme, le général de Gaulle de faire connaître sa politique et de la diffuser au plus grand nombre. Dans l'esprit des français, il restera l'homme de la radio de l'Appel du 18 juin 1940 et aussi l'homme de la première télévision alors on peut être certain d'une chose, que l'avenir des nouvelles formes de politiques se jouera dans le champ de la communication en tenant compte de la nouveauté des moyens technologiques.
*Christine ALFARGE Secrétaire générale de l'Académie du Gaullisme.
© 01.12.2024