par Christine ALFARGE
Après
deux ans de règne sur les destinées du pays par le prince héritier d’Arabie
Saoudite Mohamed Ben Salmane et un cercle de proches, les serviteurs, qui
sont-ils et quel est leur impact sur les décisions ? Selon Pierre CONESA,
« il n’y a pas de connaissance en profondeur de l’Arabie Saoudite, aujourd’hui,
nous ne savons pas quels sont les facteurs de tensions dans la société
saoudienne, il faut faire du terrain pour connaître cette société
saoudienne. »
A
travers son livre « Docteur Saoud et Mister
Jihad, la diplomatie religieuse de l’Arabie Saoudite », Pierre CONESA
présente une étude sur le royaume le plus puissant voulant mener un projet
planétaire d’expansion du totalitarisme religieux wahhabite. Cela lui a valu
d’être accusé par le quai d’Orsay d’être saoudophobe.
Selon Pierre CONESA, expert en relations internationales du Proche et
Moyen-Orient dans son rapport sur le lobby saoudien en France, « la
société saoudienne est une société protégée vis-à-vis de laquelle nous avons
des réactions y compris médiatiques qui ne sont pas de même nature que ce qu’on
va trouver sur d’autres pays. »
Une dimension médiatique omniprésente.
Qui
y a-t-il avec l’Arabie Saoudite ? Aujourd’hui, il n’y a aucune sanction
contre elle. Comment fonctionne le lobby saoudien en France ? Selon Pierre
CONESA : « Il faut se rendre compte qu’au sujet de la
communication, l’histoire de l’Arabie Saoudite est une longue histoire. Au
départ, les Saoudiens pensaient que maîtriser la presse arabophone était un bon
acquis, ça suffisait. Premier choc pour eux, la constitution d’Al Jazeera par
le Qatar fut un choc pour le royaume saoudien, un média capable de faire de
l’information en arabe, en anglais qui plus est d’origine arabe. Les Saoudiens réagiront
en essayant d’empêcher Al Jazeera et finalement ils vont créer Al Arabiya. »
Alors que se passe-t-il en France ?
L’Arabie
Saoudite est partie sur d’autres postulats à la différence du Qatar où on a
utilisé la diplomatie du carnet de chèque.
Selon
Pierre CONESA : « Il suffisait de passer à l’ambassade du
Qatar pour dire qu’on était un vieil ami du Qatar, qu’on avait un projet et les
gens repartaient avec un chèque. Toute l’enquête de Chesnot et Malbrunot a été de tracer l’argent, le Qatar n’avait pas l’ambition
d’influencer l’Islam de France, il était trop petit pour ça. Les saoudiens ont
eu l’intelligence de comprendre qu’ils n’avaient aucun intellectuel exportable,
qu’ils n’avaient pas de diaspora à l’étranger donc ils ne pouvaient pas avoir
de groupes de pression suffisants pour faire comme les algériens ou les marocains
pour faire une espèce d’organisation de l’opinion et puis la dernière chose,
c’est que le produit est invendable. Qui va prendre la défense de l’Arabie
Saoudite, le pays le plus intolérant de la planète ? Donc ils ont eu
l’intelligence qu’il ne fallait pas faire mais faire faire d’où leur contrat
très vite avec des sociétés de relation publique, des sociétés de lobbying. »
Le poids des lobbys.
Dès
le lendemain du 11 septembre, la société CORVIS a approché les Saoudiens en leur
disant « vous ne savez pas faire on va vous aider ». Les Saoudiens
avaient leur propre influence sur le système politique mais évidemment le choc
était tel sur l’opinion publique qu’il y avait un gros travail. La société CORVIS
a suivi l’Arabie Saoudite pratiquement tout le temps, rachetée en 2011 par Publicis,
elle est maintenant responsable de la communication de l’Arabie Saoudite à
Bruxelles. Selon Pierre CONESA : « Les saoudiens ont des
contrats avec les cinq majors de la communication mondiale, trois américains et
deux français Publicis et Havas. Les Saoudiens ont saturé le marché de la communication,
l’originalité du système saoudien, ce n’est pas les grosses boîtes qui font,
les grosses boîtes sous-traitent, ce qui fait qu’il y a une arborescence qui
fait qu’on ne peut jamais dire non. On ferme les yeux sur l’Arabie
Saoudite ».
Comment
se fait-il qu’on en soit arrivé à ce que toute critique contre le régime
saoudien devient une critique contre l’Islam ? Selon Pierre CONESA : « Il
y a trois aspects différents dans la maîtrise de la communication des
Saoudiens. Première cible, c’est les décideurs occidentaux. Quand un décideur
occidental va en Arabie Saoudite, il revient toujours avec une lettre
d’intention, c’est l’exemple de Manuel Valls qui va en Arabie Saoudite et dit
regardez, c’est 10 milliards de contrat. Trump y va un peu plus tard et dit
regardez c’est 110 milliards de contrat. Ce qui est intéressant après dans la
lettre d’intention, il n’y a pas obligatoirement de contrat mais l’homme
politique qui revient dans son pays dit regardez avec moi ça avance, comme ça,
ils ne critiqueront pas. La deuxième cible, c’est les hommes d’affaires, quand
on annonce un projet pharaonique de 500 milliards de dollars, il y a de quoi
attirés tous les hommes d’affaires. Si on passe trois ans après et qu’on ne voit
rien, c’est bien un mécanisme de communication car on croit à ce pays parce
qu’il est richissime. Il y a un effet de mirage suffisant pour que personne ne
critique. La troisième cible qui est très importante aussi c’est les
représentants de l’Islam à l’étranger, c’est-à-dire qu’il ne faut pas de critique
venant de pays musulmans contre l’Arabie Saoudite. Là, c’est la conjonction de
deux phénomènes, d’abord le fait que les organisations musulmanes à l’étranger ont
besoin d’argent pour la construction de mosquée dont les financeurs sont des
gens du Golfe et bien sûr la concurrence Qatar Arabie Saoudite. »
L’autre question importante, c’est le Yémen.
On
s’aperçoit qu’aucune autorité religieuse à l’étranger ne critique l’attitude de
l’Arabie Saoudite au Yémen. Pourquoi ? Parce que les Saoudiens ont réussi
à faire croire que toute critique contre l’Arabie Saoudite est une critique
contre l’Islam. Au regard de l’Arabie Saoudite, on est dans un état de
faiblesse beaucoup plus grand que celui des Etats-Unis d’où le mutisme des
hommes politiques français.
Est-on
infiltré au sein de nos propres institutions avec des relais d’influence de l’Arabie
Saoudite ? Selon Pierre CONESA : « Ce n’est pas une
infiltration, c’est une espèce de combinaison de mutisme, on refuse d’en
parler, c’est une espèce de mélange de défense des intérêts supérieurs de
l’état et puis l’opinion publique, les Saoudiens s’en foutent. La raison
d’état, c’est des gens qu’on ménage. On achète des personnalités parisiennes
dont on sait que leur carnet d’adresse permettra d’ouvrir certaines portes avec
des liens contractuels tellement juteux que même face à un scandale comme celui
de KASHOGGI, il n’y a aucune boîte qui renonce à son contrat. »
L’Arabie Saoudite finance-t-elle des lobbys anti iraniens ?
Est-ce
que l’Arabie Saoudite continue la guerre contre l’Iran sur notre propre sol ?
Selon Pierre CONESA : « ceux les plus faciles à identifier sont
les moudjahidines du peuple, un parti d’opposants au régime des mollahs qui fit
une partie du chemin avec la révolution, pensant au départ, qu’il mettrait
Khomeini dans sa poche, mais le personnage était plus fort et les moudjahidines
ont été réprimés et sont partis à l’étranger notamment en France. Depuis cette
époque, les iraniens considèrent que c’est un groupe terroriste puisqu’il a
fait des attentats sur le territoire iranien et surtout il a fait la guerre
avec les irakiens contre son propre pays. Les Saoudiens soutiennent ce
mouvement qui n’a aucune crédibilité, on est sur un terrain de jeu. »
L’Islam français est-il possible ?
L’ambassadeur
saoudien a déclaré « nous avons versé 3,7 millions d’euros au total soit
750 000 euros par an ». Pour Pierre CONESA : « On sait
que le salafisme est d’origine wahabite, donc on sait que l’Arabie Saoudite a
diffusé l’idéologie. Cependant, il y a cette contradiction pour sauver la
dynastie, il faut marcher sur la tête des religieux mais les religieux en
général se vengent comme après 91, ils ont fermé tous les cinémas de Ryad, les résistances
à l’intérieur de la dynastie saoudienne font que la dynastie peut être menacée,
les saoudiens savent très bien qu’il ne faut pas se fâcher avec les occidentaux
parce qu’ils peuvent en avoir besoin. »
Alors que fait-on, on les envahit ?
Selon
Pierre CONESA : « Je crois qu’il faut être extrêmement clair avec
eux, il faut faire preuve de courage. Quand Angela Merkel rompt le contrat
d’armement avec l’Arabie Saoudite, pourquoi nous dit-on, c’est impossible pour
le cas de la France ? C‘est un acte de courage politique. »
On
vendait des armes à l’Arabie Saoudite qui a été longtemps notre meilleur client
mais parce que les Saoudiens ne s’en servaient pas. Ils achetaient des
garanties de sécurité, on vendait d’autant plus qu’on savait que les Saoudiens
n’utilisaient pas ces armes. Ce qui pose problème maintenant, c’est qu’ils les
utilisent au Yémen. Si on n’a pas de position européenne commune sur l’Arabie
Saoudite, on n’aura pas de moyen de pression.
Selon
Pierre CONESA : « Médiatiquement parlant, les Saoudiens sont
protégés mais l’affaire KASHOGGI est quand même un tournant, ça a tellement
scandalisé l’ensemble de la planète que le feuilleton que les Turcs ont
parfaitement géré en sortant des informations au fur et à mesure, a fait que
nous sommes arrivés à un moment de paroxysme où l’instant du procès du système
saoudien est quand même apparu. Le futur de notre relation avec l’Arabie
Saoudite se jugera sur la façon dont sera gérée la suite de l’affaire KASHOGGI.
Aux Etats-Unis, ça continue à bouillonner, mais en France, cette affaire
KASHOGGI intéresse qui ? ».
La France doit-elle rompre ses relations avec l’Arabie Saoudite ?
Non,
Pierre CONESA pense que « la France a un rôle à jouer pour empêcher le
scénario de la guerre. Le moindre scénario de conflit bloque le Golfe avec le
détroit d’Ormuz et des effets sur l’ensemble de la planète, le pétrole du Golfe
s’en va essentiellement vers l’Asie et nous devrions faire jouer la solidarité
atlantique. C’est une situation particulièrement explosive. La France a un rôle
à jouer pour dénoncer cette politique du conflit qui a été créée
artificiellement par Trump. En dénonçant l’accord nucléaire, il a mis un
embargo le plus dur qui soit, on en a vu les effets avec l’Irak, l’embargo n’a
jamais abouti à un renversement d’un régime. Une guerre est possible. »
Où en est-on avec l’Iran ?
Selon
Pierre CONESA : « Avec
l’Iran c’est un choc de Titan, il y a une espèce d’hypocrisie sur la région, à
la merci de n’importe quelle provocation. Le seul pays qui s’est tenu à l’écart
de tous les conflits c’est Oman qui a de bonnes relations avec tout le monde. Alors
que l’Iran est décrit comme un pays archaïque, rétrograde, peuplé de gardiens
de la révolution, des femmes qui se font battre, des gens qui se font pendre, l
’Arabie, c’est l’intolérance absolue où aucune autre religion n’est tolérée
parce qu’on est en terre d’Islam. En revanche, les Saoudiens sont beaucoup plus
forts que les Iraniens en matière de communication. »
La Chine dans tout ça va se positionner comment ?
Selon
Pierre CONESA : « La Chine fait partie de ces scénarios intéressants
de fabrication de l’ennemi. Trump a décidé que la Chine devait être sanctionnée.
La Chine va être regardée comme le perturbateur des relations internationales
parce qu’elle continue d’acheter du pétrole iranien. Nous sommes dans un monde de
l’image, on peut comprendre que si les Chinois veulent faire leur propre
Internet, c’est parce qu’ils ne veulent pas être sous l’autorité des
Américains. Arriver à cette pondération qui était la caractéristique du régime
gaullien, la diplomatie de De Gaulle, la France devant faire sa propre
diplomatie au milieu d’un monde où il n’y a pas obligatoirement les méchants
d’un côté et les gentils de l’autre. »
Est-ce qu’une révolution est envisageable en Arabie
Saoudite ?
Selon
Pierre CONESA : « Non, je crois que l’opération la plus probable,
c’est que Mohamed Ben Salmane a fâché ses cousins en leur prenant leurs biens
ce qui a rapporté plusieurs milliards au royaume. Mohamed Ben Salmane renforce
son pouvoir sur les médias en prenant le contrôle de tout, ça fait partie de sa
politique de communication, son souci principal, la concentration du pouvoir à
travers son image. »
Qui menace réellement l’Arabie Saoudite ? Tant qu’elle sera
riche, aucun pays ne dénoncera l’Arabie Saoudite. Et que va devenir cette
affaire KASHOGGI ? Pour Pierre CONESA, l’Arabie Saoudite refuse de coopérer sur
cette affaire.
La seule question qui vaille à terme, ce régime est-il stable,
est-ce que cela peut durer ? conclut Jacques MYARD.
© 01.09.2019