Par
Christine ALFARGE
«
L’Europe doit trouver sa place dans l’architecture du monde qui se
dessine»
Une
politique cohérente.
C’est
en réfléchissant sur la célèbre formule du Général de GAULLE, « l’Europe
de l’Atlantique à l’Oural » que l’on peut notamment reprendre le
cheminement de sa pensée au sujet de la construction européenne qui apparaît
pour lui comme une « exigence ». Telle « une union des
Etats », préservée de toute supranationalité, affirmant l’identité de ceux
qui la composent, dont il perçoit « l’ardente nécessité », la construction
européenne apparaît indispensable à la fois pour l’influence de la France et
pour la paix.
A
son retour au pouvoir en 1958, le Général de GAULLE sait où il veut aller avec
une France qui pourra à nouveau jouer un rôle clé. Dans ses Mémoires d’Espoir,
il écrivait « S’il est une voix qui puisse être entendue, une action qui
puisse être efficace, quant à l’ordre à établir en remplacement de la guerre
froide, ce sont par excellence la voix et l’action de la France ». Au
regard des réalités, il sait qu’il doit trouver les moyens de la politique qu’il
veut mener.
Fin
1962, sur le plan institutionnel, le principe de l’élection du président au
suffrage universel est adopté, le redressement économique est réussi, le
problème algérien est réglé. Mais l’objectif qui paraît marquer davantage
ses intentions, est l’affirmation européenne à travers le plan Fouchet, appelé
« Traité établissant une Union d’Etats », en effet, initialement, le
Général de GAULLE veut faire du rapprochement franco-allemand, la « pierre
angulaire » d’une construction d’un ensemble indépendant.
La
mise en œuvre du Marché commun européen va notamment permettre d’instaurer un
calendrier des décisions à prendre en matière agricole et faire émerger
rapidement l’idée d’une « préférence communautaire » qui sera adoptée.
Celle-ci sera basée sur six règlements garantissant aux producteurs de la
Communauté un accès préférentiel sur ses marchés ainsi que la solidarité
financière des six pays qui la composent. Un Fonds européen de garantie et
d’Orientation agricole (FEOGA) sera créé afin d’aider les marchés et les
changements nécessaires à l’amélioration des
productivités.
Dès
novembre 1959, à l’initiative de la France et en accord avec les Six, se
tiendront des réunions trimestrielles régulières avec les ministres des affaires
étrangères. Il apparaît alors au Général de GAULLE qu’une union toujours plus
étroite entre les peuples européens est nécessaire face aux super
puissances.
En
septembre 1960, après s’être entretenu auparavant avec le Chancelier allemand
Adenauer puis ses autres partenaires européens, le Général s’exprime
publiquement « Construire l’Europe, c’est-à-dire l’unir,
est pour nous un but essentiel » Pour cela il convient de
procéder « non pas d’après des rêves, mais suivant des réalités. Or,
quelles sont les réalités de l’Europe… ? En vérité ce sont les
Etats… » il énonce alors son projet : « Assurer la
coopération régulière des Etats de l’Europe occidentale, c’est ce que la France
considère comme souhaitable, possible et pratique, dans les domaines politique,
économique, culturel et dans celui de la défense… Cela comporte un concert
organisé, régulier de gouvernements responsables et le travail d’organismes
spécialisés dans chacun des domaines communs et subordonnés aux
gouvernements ».
Le
soutien du Chancelier allemand Adenauer au projet du Général sera déterminant
lors d’une réunion des premiers ministres de la Communauté en février 1961, à
Paris. Une commission politique est alors créée, présidée par Christian Fouchet
avec en toile de fond l’accord franco-allemand qui impulse sur les hésitations
des autres états européens afin de donner forme à la volonté d’union politique
et tendre vers une construction européenne à caractère intergouvernemental,
selon le souhait du Général de GAULLE. L’Europe politique semble voir le jour.
Cependant, le plan Fouchet est rejeté, un désaccord profond et définitif entre
la France et ses partenaires européens a lieu le 17 avril 1962 notamment sur la
réorganisation des institutions ainsi que la candidature de la Grande-Bretagne,
soutenue depuis le début du traité par les néerlandais et ralliée par les
belges, projetant un processus conduisant à la
supranationalité.
L’échec
du plan Fouchet avait montré l’influence des Britanniques dont le
« Premier » d’entre eux Macmillan se voulait pourtant persuasif auprès
du Général de GAULLE en lui tenant ces propos : « Il faut rétablir
l’équilibre. Certes pour le moment, la présence américaine nous garantit
l’essentiel. Mais on peut douter qu’elle doive durer indéfiniment. D’autre part,
il en résulte pour les Européens une pénible sujétion, à laquelle, vous
Français, voudriez vous soustraire et que nous, Anglais, supportons malaisément.
Rassemblons l’Europe, mon cher ami. Nous sommes trois qui pouvons le faire
ensemble : vous, moi et Adenauer ». Le Général ne se faisait pas
beaucoup d’illusions, mais la perspective d’une coopération militaire avec
l’Angleterre qui possédait un arsenal nucléaire comme la France rendait crédible
son projet concernant un bloc ouest-européen indépendant.
C’est
lors d’une rencontre avec Macmillan en juillet 1962, que le Général de GAULLE
lui fait part de ces intentions : « Il devrait y avoir une
politique européenne non seulement pour l’Europe mais pour le monde entier. A
cet effet, il devra aussi exister une défense européenne sans laquelle aucun
gouvernement n’a de responsabilité ni d’autorité ». La réaction de
Macmillan semblait aller dans le sens de l’approbation du point de vue français,
cependant quelques mois après des ambiguïtés apparaissaient du côté britannique
pour faire place finalement à des accords conclus avec les Etats-Unis sur une
force multilatérale atlantique. Bien entendu, il était hors de question pour le
Général de GAULLE d’être associé à la même offre américaine faite aux
Britanniques, mais au contraire de s’opposer à tous contrôles sur les forces de
frappe européennes.
Le
Traité franco-allemand de l’Elysée.
Le
14 janvier 1963, le Général rejetait à la fois la candidature britannique et
l’offre des américains. Quelques jours plus tard le 22 janvier 1963, était
signée à Paris une version bilatérale du plan Fouchet. Ce traité franco-allemand
était un substitut au projet d’Europe politique qui pouvait comme le pensait le
Général de GAULLE rassembler les autres pays européens. Mais ce substitut du
projet d’Europe politique est mis en échec par un préambule additif allemand
évoquant notamment « une étroite coopération entre les Etats-Unis et
l’Europe, la défense commune dans le cadre de l’OTAN, l’Union de l’Europe y
compris la Grande-Bretagne ». Les espoirs français sont touchés au vif,
mais la volonté du Général de GAULLE de faire émerger une troisième voie
européenne entre la Russie et les Etats-Unis, reste intacte. Dès 1964, il
rappelle que son objectif n’a pas changé et déclare : « La
construction d’une Europe européenne, autrement dit indépendante, puissante et
influente au sein du monde de la liberté », dans sa pensée, il
s’agit avant tout de préserver la Communauté des Six et
l’achever.
Qui
peut contester au Général de GAULLE d’avoir eu le courage d’affronter la
question européenne en réunissant à la fois le progrès social mais aussi
l’identité politique par rapport aux autres pays du monde ? Le système
occidental dominait le monde, il n’a plus le monopole du bien ni des certitudes.
Son modèle de croissance est condamné par la mondialisation financière, le
facteur démographique a pris une revanche de masse. Nous vivons le renversement
du monde. Cette crise qui frappe la planète entière est surtout une crise
bancaire et financière, elle révèle que l’économie ne peut constituer le
fondement, hors marché, des sociétés. Nous devons donc repenser avec la plus
grande acuité notre propre place dans le monde. C’est
la voix des nations qui se
fait entendre.