Par
Paul KLOBOUKOFF
Le présent article pourrait être sous-titré « La vérité si je mens ». Le lecteur
verra rapidement pourquoi.
Il comprend deux parties. Dans la première, je déroule des évènements
et des éléments qui ont caractérisé le développement de l’épidémie et conduit à
la situation actuelle. Dans la seconde, je reviens, avec plus d’explications et
de détails sur plusieurs de ceux que je considère comme des marqueurs de la
crise du coronavirus en France. Ce sont : l’organisation de la pénurie de
masques, la tragédie dans les EHPAD, la surabondance de décès de personnes
âgées, le renoncement aux soins et ses conséquences, les soignants victimes du Covid-19, les
trajectoires de l’épidémie dans 7 pays, les prétendument 62 000 vies
sauvées par le confinement. Je n’insiste pas sur la situation dans les hôpitaux
et le système de santé. Avec leurs causes, dont une compression prolongée des
ressources, une réduction du nombre de lits… elle a été vigoureusement
dénoncée, et un Ségur de la santé est en vue.
Première partie : Pourquoi autant de décès de personnes âgées
Une trop longue insouciance
Sous-estimation de
la menace et désinvolture ! Nous étions à l’abri. La ministre de la Santé,
Agnès Buzyn,
l’avait d’ailleurs assuré le 20 janvier. Le couple Macron a tardé à reconnaître
la dangerosité du Covid-19. Le vendredi 7 mars, il s’est rendu au théâtre
pour inciter les Français à sortir malgré le coronavirus. Pourtant, les ravages
déclarés en Chine étaient mondialement connus. L’épidémie se propageait
rapidement à nos portes en Italie où les deux premiers cas (des touristes
chinois) avaient été signalés le 31 janvier. Nos frontières étaient grand
ouvertes, et le 26 février, Lyon a pu accueillir 3 000 supporters de
l’équipe de Turin venue affronter celle de l’OL. Pourtant, à partir de la
Lombardie, l’épidémie avait pris de l’ampleur en Italie. Au 28 février,
888 cas étaient confirmés et 21 décès enregistrés. Le 9 mars, 9 172 cas étaient
confirmés et 433 décès enregistrés, dont 333 en Lombardie.
Le président
n’était pas inconscient des dangers pour les personnes « à
risques ». Le 7 mars, précisément,
il s’était invité dans une maison de retraite parisienne et avait déclaré
devant 93 résidents qui l’attendaient pour le déjeuner « Notre
priorité absolue, c’est de protéger les personnes qui sont les plus fragiles
face au virus », en particulier « nos aînés » et les
« personnes démunies, sans abri, vivant en situation de grande pauvreté ».
Ce jour là, après s’être rendu à l’hôpital parisien où était mort du
virus le premier Français le 26 février, il a prononcé par un tweet la réquisition des stocks de masques
protecteurs.
Au cours de ce même
jour, riche en annonces, il a plaidé pour des
mesures « proportionnées ». « Si on prend des mesures qui sont très
contraignantes, ce n’est pas tenable dans la durée » (1).
Le 1er
tour des élections municipales a été maintenu au 15 mars. Mais il
n’aurait « pas contribué statistiquement » à la propagation de
l’épidémie, selon les résultats de l’étude de statisticiens et
d’épidémiologistes révélés par Le Monde le 15 mai. Selon un des auteurs « Dit autrement, ce n’est pas parce que les
gens sont allés voter plus dans un département que la maladie s’y est propagée
plus rapidement en matière d’hospitalisations ». L’étude n’a pas
encore subi l’expertise par les pairs préalable à toute publication par une
revue scientifique (2). C’est sans doute pour
cela que le gouvernement s’est empressé d’en adopter les conclusions et de les
propager… peu avant de décider de la date du second tour des municipales, et de
la fixer au 28 juin. Si les Français se conduisent bien et si le Comité
scientifique juge que la situation le permet.
Ce qui est grave,
c’est que l’ampleur de l’épidémie a été en grande partie déterminée au cours de
sa phase initiale en France (comme dans les autres pays). Il fallait appliquer
strictement le principe de précaution et prendre les mesures de protection sans
tarder, sans attendre que les nombres d’hospitalisations et de décès deviennent
« inquiétants ».
Peur et confinement au cœur de la « stratégie »
Le 16 mars, le président
avait radicalement changé d’avis sur le coronavirus. Dans son adresse aux
Français, il avait six
fois répété « Nous sommes en guerre ». Il avait sonné « la mobilisation
générale » contre « un ennemi… invisible, insaisissable »
et déclenché le confinement. La peur
l’avait-elle saisi ? La crainte des conséquences [politiques ?] de la propagation accélérées des cas de contamination et de
l’affluence mal anticipée des malades dans les services d’urgence et les
services hospitaliers dédiés au Covid-19. Ceux-ci étaient souvent mal équipés,
en respirateurs, notamment, et insuffisamment pourvus en personnel
qualifié… C’était le cas des services de réanimation et de soins intensifs dont
le nombre de lits était limité à 5 000… et a ensuite été progressivement
porté à 10 000. Pour les masques, les blouses, les gants… c’était la
pénurie. Pour les tests de dépistage aussi. Et l’épidémie enflait. Emmanuel
Macron n’avait plus le choix. Il fallait confiner. D’urgence.
La
« stratégie » de l’exécutif s’est
alors appuyée principalement sur trois piliers : - le ralentissement autant que possible du flux des arrivées en
services de réanimation… et pendant un certain temps, semble-t-il, la
restriction de l’admission des contaminés âgés, hébergés en EPHAD notamment,
ayant peu de chances de survivre. Pas d’acharnement thérapeutique ! Et les
autres services hospitaliers ont été mis au ralenti, quand ce n’est à l’arrêt
pour réduire la fréquentation hospitalière, réservée aux urgences
confirmées ; - la peur,
sans doute jugée indispensable à l’efficacité du confinement. La déclaration de
guerre du 16 mars n’était pas fortuite, et la répétition quotidienne des
nombres de cas de contaminations et de décès a aidé à maintenir la pression.
Cependant, quand les personnes âgées et celles fragiles ont pris conscience
et/ou connaissance des risques qu’elles encouraient, il n’y avait plus besoin
de les forcer à rester confinées. Elles se sont auto-confinées. Elles sont très
peu sorties, même pour voir leur médecin, leur cardiologue, leur dentiste. Cet
auto-confinement a permis à nombre d’entre elles de limiter leur exposition au
virus, mais il a été et est encore porteur de complications de leur état de
santé, et sans doute aussi de décès ; - la communication, arme favorite de la Macronie, a été et est
toujours plus intense que jamais, assourdissante et aveuglante. Chaque jour
nous entendons et voyons le président ou le Premier ministre, le ministre de la
Santé et/ou un de ses collègues, Salomon, le DG de la Santé… Et les médias
répètent leurs discours en boucle avec dévouement et application. Il faut faire
montre d’une transparence de
tous les instants. Une communication sélective qui ne s’interdit pas de
propager des contrevérités, de tenter, déjà, de réécrire l’histoire, de
protéger l’exécutif, et de vanter les bienfaits de sa « stratégie ».
Volontairement ou non, de grands médecins et d’autres
« scientifiques » nourrissent et/ou argumentent cette communication.
Ils se contredisent aussi fréquemment entre eux, pas seulement sur l’utilité
des masques et de l’hydroxychloroquine ou la durée de la pandémie, et
contribuent à semer le doute dans les esprits. Ils ont perdu de leur
crédibilité. Qui et que croire maintenant ?
Le gouvernement a
laissé le secteur médical privé, les libéraux, généralistes,
spécialistes, infirmières, sages-femmes … pendant longtemps sans assez de
masques et d’autres moyens de protection, réservés en toute priorité aux
services hospitaliers. Et avec ses réquisitions, il les a privés, en même temps
que les collectivités territoriales, de la possibilité de se débrouiller par
eux-mêmes pour acquérir les protections indispensables.
Les Français ont
souffert de la pénurie organisée de masques. Aussi, nombre de citoyens ont pu
voir rouge lorsqu’Emmanuel Macron a assuré le 19 mai à BFMTV « nous
n’avons jamais été en rupture » de masques. « Ce qui est vrai, c’est
qu’il y a eu des manques, il y a eu des tensions… Ayons collectivement
l’honnêteté de dire qu’au début du mois de mars, encore plus en février ou en
janvier, personne ne parlait de masques parce que nous n’aurions jamais pensé
être obligés de restreindre la distribution de ceux-ci pour les soignants »
(3). Toujours clair et précis ! Et chacun a sa façon « d’assurer »,
d’assumer, selon sa conception personnelle ou partisane de l’honnêteté.
Des échecs importants de la guerre contre le virus
Un premier échec est la non-observation de la « priorité absolue » de Macron, « protéger les personnes qui sont les plus fragiles face au virus ».
Le nombre de contaminations et, plus
encore, celui de décès des personnes
âgées et fragiles, l’attestent. Un second échec, ce sont les contaminations et les décès de
soignants des secteurs privé et public, dont les nombres restent en grande
partie secrets. L’absence et/ou le manque de protection et les déficiences du
système de santé, qui va faire l’objet incessamment d’un « Ségur »,
en sont deux des causes majeures communes. Avec une mention spéciale pour les
personnes hébergées en EHPAD.
Un
troisième échec,
massif, est constitué par le vaste ensemble des implications et des conséquences dans de nombreux domaines des
réactions tardives face au danger. Avec, comme instrument dominant, un confinement de longue durée lourd,
très « directif », répressif pour les contrevenants, difficile à
supporter pour les familles logées à l’étroit, en résidence surveillée,
dangereux, voire mortel pour les activités ralenties ou mises à l’arrêt. Depuis
le 11 mai, toujours avec des privations de libertés et des contraintes, nous
sommes dans un déconfinement progressif, « à la carte », dont la
trajectoire et les issues restent incertaines, peu lisibles. Dans l’évaluation
de cette stratégie de l’exécutif, il faudra prendre en compte les souffrances
endurées par les personnes frappées par le virus et les proches des victimes,
les conséquences sanitaires, sociales, familiales… du confinement, celles des
interruptions et des limitations des activités médicales, éducatives,
économiques, touristiques, culturelles, sportives… avec les pertes d’emplois,
les lots de faillites et d’interruptions définitives constatées et à venir,
dans l’hôtellerie, la restauration, les commerces, l’artisanat, l’industrie...
Il faudra aussi compter les coûts de la prise en charge publique et privée du
chômage et des autres défaillances et charges provoquées… Sans parler des
impacts macroéconomiques, sur la croissance, sur l’endettement, sur les
conditions de la sortie de la crise du coronavirus et de la relance. Il
faudra des mois pour en faire le bilan.
En attendant, nous pourrons regarder avec intérêt la façon dont nos
voisins ont géré la crise et comment ils s’en sortent. En ce qui concerne
l’évolution de la pandémie, les décès constatés, les premiers pas vers la
sortie de crise et le retour à la « normale », la France n’apparait,
hélas, pas en pole position.
Les comparaisons avec d’autres pays montrent déjà l’absurdité de
« l’information » largement diffusée à la fin avril selon laquelle si
au lieu de confiner les Autorités n’avaient rien fait du tout, la pandémie se
serait développée en toute liberté et aurait provoqué 61 700 morts
supplémentaires en France.
Les vieux et les fragiles, de loin les
principales victimes
Beaucoup de
personnes âgées et fragiles sont restées sans protection jusqu’à ce que des
masques soient distribués par des mairies ou des associations au début mai, peu
avant le déconfinement. Un déconfinement « sous contrôle » et
partiel, en réalité. La peur et les incertitudes sont toujours là,
consciencieusement entretenues. Cela suffit à rendre prudentes les personnes
âgées et fragiles, ainsi qu’à inciter les plus jeunes à respecter les
« gestes barrière ».
Résultat trop peu pointé d’un doigt accusateur, les vieux ont payé le prix fort à la pandémie. A la
« fin » du confinement, d’après le Point épidémiologique du 14 mai,
sur les 26 991 décès de
patients Covid-19 rapportés à Santé publique France (SPF) entre le 1er
mars et le 12 mai, 17 003 décès ont été enregistrés en hôpital. Parmi
eux, 3 551 étaient de personnes hébergées EHPAD (et autres EMS).
9 988 personnes étaient aussi mortes en EHPAD.
Ainsi, sur les 26 991 personnes décédées, 13 539, soit 50%
étaient hébergées en EHPAD et l’autre moitié, 13 452, étaient à
leur domicile ou ailleurs.
Le même Point
indique qu’au moins 93% des personnes décédées, soit 24 101, étaient âgées de 65
ans et plus.
A contrario, le
nombre de décès des moins de 65 ans était relativement limité : 1 890 au plus. Parmi eux, la
plupart des décès étaient des personnes de 45 à 64 ans. Et le nombre de décès
des moins de 45 ans aurait avoisiné
1% du nombre total des décès constatés, soit un peu moins de 300.
Ces 1 890
personnes décédées comprennent des soignants en contact quotidien avec des
patients. Ils comprennent aussi des députés, des maires, des personnels
municipaux, des agents de la fonction publique et des collectivités
territoriales, notamment, ainsi que des personnes qui étaient en activité
(totale ou partielle). Elles ont été en contact avec d’autres personnes,
contaminées ou non. Elles ont donc été « exposées » au risque viral
davantage que les