Par Paul KLOBOUKOFF,
Ce n’est pas le sujet que j’avais
choisi pour le présent article. Mais Impossible de ne pas l’évoquer tant il est
important. Saisi le 3 janvier, le Conseil d’Etat a émis le 24 janvier un avis (1) très sévère
sur le volumineux dossier du projet de réforme des retraites qui lui a été
soumis, qui comprend deux textes de lois, une loi ordinaire et une loi organique,
ainsi qu’une étude d’impact financier de cette réforme. Au nombre de ses
reproches et appréciations :
Le Conseil d’Etat « constate que les projections financières ainsi transmises restent lacunaires et
que, dans certains cas, cette étude reste en deçà de ce qu’elle devrait être,
de sorte qu’il incombe au Gouvernement
de l’améliorer encore avant le dépôt du projet de loi au Parlement, en
particulier sur les différences qu’entraînent les changements législatifs sur
la situation individuelle des assurés et des employeurs, l’impact de l’âge
moyen plus avancé de départ à la retraite, qui résulterait selon le
Gouvernement de la réforme, sur le taux d’emploi des seniors, les dépenses
d’assurance chômage et celles liées aux minima sociaux ».
« Le Conseil d’Etat souligne qu’eu égard à la date et aux conditions de
sa saisine, ainsi qu’aux nombreuses modifications apportées aux textes pendant
qu’il les examinait, la volonté du gouvernement de disposer de son avis dans un délai de trois semaines ne l’a pas mis à même de mener sa mission avec la
sérénité et les délais de réflexion nécessaires pour garantir au mieux la
sécurité juridique de l’examen auquel il a procédé »… « Il appelle l’attention du gouvernement sur
la nécessité d’assurer le respect des
méthodes d’élaboration et des délais d’examen des textes garantissant la
qualité de l’action normative de l’Etat et souligne l’importance de cette
recommandation pour l’examen des nombreuses ordonnances prévues par les projets
de lois ».
Le projet de loi prévoit, en
effet, l’habilitation du Gouvernement à prendre 29 ordonnances sur une quarantaine de questions
comprenant notamment la définition de dérogations à caractère professionnel,
celles de régimes d’invalidité, d’inaptitude ou de pénibilité, la gouvernance
du nouveau système de retraites (SUR) ou les conditions d’entrée en vigueur de
la réforme. « Le Conseil d’Etat souligne que le fait, pour
le législateur, de s’en remettre à des
ordonnances pour la définition d’éléments structurants du nouveau système de
retraite fait perdre la visibilité d’ensemble qui est nécessaire à
l’appréciation des conséquences de la réforme et, partant, de sa
constitutionnalité et de sa conventionalité ».
« Le projet de loi
intervient dans un contexte de relative solidité du système français de
retraite, en raison notamment des réformes récentes qui ont permis de sécuriser
son financement ». Le Conseil d’Etat suggère-t-il qu’il n’y aurait pas
de raisons de se précipiter à le « réformer ?
Le projet de loi « ne
crée pas un « régime universel de retraite »… à l’intérieur de ce système existent cinq « régimes », à savoir le régime général des salariés
du secteur privé non agricole, le régime des fonctionnaires, magistrats et
militaires, celui des salariés agricoles, celui des non
salariés agricoles et celui des marins ». « A l’intérieur de chacun de ces régimes créés ou maintenus, des règles dérogatoires à celles du
système universel sont définies pour les professions concernées. En termes de
gestion, sont maintenues plusieurs
caisses distinctes qui ont pour mission de servir les prestations du
système universel, le cas échéant adaptées
aux professions qui leur sont rattachées ». Ces précisions
soulignent que le projet soumis est très éloigné de l’image que Macron avait voulu lui donner pendant sa campagne et jusqu’aux
manifestations de l’automne 2019.
Dans le projet de loi initial, une mission de pilotage
annuelle et pluriannuelle de
l’équilibre financier du SUR était confiée à une Caisse nationale de
retraite universelle (CNRU). Une « règle d’or » avait été instaurée dans le projet. Elle
prévoyait que « les lois de
financement reposent sur une prévision de solde cumulée du SUR positive ou
nulle pour l’année en cours et les quatre années à venir ». Or, les lois de finances (LDF) et de financement de la
sécurité sociale (LDFSS) sont régies par le principe d’annualité. Le
législateur financier doit pouvoir se prononcer sur l’ensemble des recettes et
dépenses de l’année suivante, sans avoir à se plier à des impératifs établis
pluri annuellement, a rappelé le Conseil. En vertu de quoi, il a proposé de
prévoir d’introduire dans une annexe à la LDFSS, et non dans le texte de loi,
une prévision du solde des régimes du SUR positive ou nulle. Cette prévision,
révisée chaque année, n’imposera pas de plafonds de recettes ou de dépenses aux
LDFSS des années suivantes.
Cela confirme que le « pilotage » financier du SUR se fera
d’année en année dans le cadre des lois de finances. Il n’aura plus
d’autonomie. Cette « étatisation » provoque des levées de boucliers
de (presque) toutes parts.
Les engagements du ministre de
l’Education nationale garantissant aux enseignants et aux chercheurs que leurs
pensions ne baisseraient pas ne seront pas inscrits dans la loi. Même chose
pour les promesses faites aux navigants aériens concernant la sauvegarde de
leur caisse complémentaire pour financer les départs anticipés.
L’avis est une potion amère pour
l’exécutif, courtoisement sommé de revoir, de compléter sa copie avec rigueur
et d’éviter la précipitation sur un sujet de cette importance majeure. Malgré
cela, le chef de l’Etat persiste à
vouloir faire adopter ses textes par une procédure accélérée, sans apporter
de précisions sur la viabilité financière du SUR et en réduisant autant que
possible les délais d’examen approfondi du dossier lourd et complexe, ainsi que
le rôle du Parlement. Un déni de démocratie pour de nombreux citoyens !
Etude d’impact truquée
« Retraites : une étude
d’impact truquée, nous publions les chiffres corrigés » est le titre d’un
communiqué du collectif « Nos retraites » daté du 25 janvier (2). Pour
le collectif, qui a épluché l’étude de près de mille pages, les cas types
présentés pour rendre compte de l’impact de la réforme ne sont pas
objectivement sélectionnés et les résultats sont délibérément faussés. Dans les
comparaisons entre le système actuel et le système à points, les résultats de
ce dernier sont calculés avec un âge d’équilibre « gelé » à 65 ans.
Or le projet de loi indique (article 10) que l’âge d’équilibre du SUR sera amené à
évoluer (à la hausse) d’une génération à l’autre (par défaut, de l’équivalent
des deux tiers des gains de vie de la génération en question). Ainsi, pour la
génération 1990 (personnes âgées de 30 ans en 2020), sur les 28 cas présentés
par l’exécutif, 21 situations seraient avantageuses pour les personnes prenant
leur retraite à 64 ans. En réalité, avec des calculs corrects, les montants des
pensions doivent être corrigés de - 7% et le nombre de
situations avantageuses tombe à 10.
Avec le système à point
projeté : - les femmes et les enfants sont les grands perdants, en
particulier en cas de départ en retraite avant l’âge d’équilibre : - les
employé(e)s perdent beaucoup plus que les cadres supérieur(e)s.
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Le fil conducteur de
l’article
Le point de départ est la
Conférence de financement à laquelle sont conviés les partenaires sociaux (les
« financeurs », pour le Conseil d’Etat). Le Premier ministre leur
demande de lui soumettre des propositions pour remplacer (éventuellement) l’âge
d’équilibre qu’il a introduit dans la réforme afin de combler d’ici 2027 le
déficit annuel du système de retraites (SR). Un déficit qui s’est creusé assez
profondément à l’horizon 2030 depuis les évaluations qu’en avait faites le
Conseil d’orientation des retraites (COR) en avril 2018. Il a fixé des
« lignes rouges » aux propositions qu’il jugera recevables qui
rendent l’exercice très délicat… et périlleux. La Conférence a débuté le jeudi
30 janvier. Dans des conditions qui ont fait dire le même jour au journaliste
Olivier Mazerolle, « cette journée caricature jusqu’à l’extrême la confusion
dans laquelle on se trouve » (3). Une observation emplie de lucidité. Nous
verrons comment commence cet imbroglio. Croyant en tirer avantage, l’exécutif
s’est mis une épine dans le pied.
Les perspectives des retraites à
l’horizon 2030 établies en novembre 2019 par le Conseil d’orientation des
retraites (COR) méritent d’être regardées. Pas uniquement parce qu’elles indiquent
comment ont été calculés les montants des déficits qui ont été mis en exergue
pour justifier l’introduction de l’âge d’équilibre dans la réforme en décembre.
Les hypothèses qu’Edouard Philippe a fait retenir dans les projections
concernant l’emploi et les rémunérations des agents de la fonction publique
(FP) sont assez révélatrices de la doctrine de l’exécutif en la matière. Elles
ont de quoi mécontenter et inquiéter les intéressés. Elles permettent aussi de
constater l’abandon de la promesse de réduction des effectifs de la FP d’Etat
ainsi que la décision de ne pas augmenter ceux de la FP hospitalière.
La dégradation du solde du SR entre
les projections du COR d’avril 2018 et celles de novembre 2019 est en grande
partie imputable aux choix de politique économique et sociale de l’exécutif,
aux mesures prises et à celles annoncées dès 2017. Elles ont cassé la dynamique de croissance
observée depuis l’automne 2016 jusqu’à la fin de l’année 2017. A partir du
début de 2018 le PIB de la France est sur une trajectoire de croissance très affaiblie.
Les comptes nationaux trimestriels montrent qu’au cours de l’année 2016 (du
4ème trimestre de 2015 au 4ème trimestre (T4)
de 2016),
le PIB avait cru de + 1,3%, que pendant les 12 mois suivants de 2017,
il a bondi de +
2,8%, que du T4 2017 au TA 2018, il n’a augmenté que de + 1,1%.
Compte-tenu de sa baisse de - 0,1% au 4ème trimestre 2019 (4), la
croissance au cours de l’année 2019 n’est que de + 0,8% (chiffre provisoire). Ces
performances inquiétantes, accablantes pour le pouvoir, ne sont pas indiquées
au public. On préfère parler de « croissance robuste » et mettre en
avant les évolutions du PIB en moyenne d’une année à la suivante, qui cachent la brutalité de la rupture de 2018 et « adoucissent » la courbe du déclin. En effet, présenté
de cette façon, le taux de croissance du PIB décroît de + 2,3% en 2017 à + 1,7%
en 2018 (taux atteint grâce à l’acquis à fin 2017), puis à + 1,3% en 2019.
Ensuite, la Banque de France (BDF) table sur des progressions de + 1,1% en
2020, puis de +
1,3% en 2021 et en 2022. Nous sommes très loin des prévisions euphoriques du
début de 2018.
La principale cause de ce déclin
n’est pas la détérioration du contexte international. Le ver est dans le fruit
et non à l’extérieur. Le déficit de croissance est avant tout dû à la faiblesse
de la consommation des ménages, qui a fléchi dès 2017 et dont la progression
est descendue de + 1,8% en 2016 à + 1,4% en 2017, puis à + 0,9% seulement en
2018. La BDF prévoit + 1,2% en 2019. Elle parie sur un rebond à + 1,5% en 2020
et +1,4% en 2021, qui serait à mettre au crédit d’importants gains de pouvoir
d’achat résultant, en particulier, des 17 Mds € dispensés par l’exécutif en réponse
aux revendications portées par les gilets jaunes. Pour 2022, le retour à un
taux de + 1,2% est anticipé.
Une raison majeure de ce repli
est la méfiance envers le gouvernement et sa politique, ainsi que les craintes de
nombreux citoyens pour leur avenir. Elles ont monté et atteint un premier pic
au plus fort de la crise des gilets jaunes. Elles sont reparties de l’avant à
l’automne 2019, provoquées par les tribulations du projet de réforme des
retraites, jugé néfaste et refusé par environ les deux tiers de la population.
Le climat d’inquiétude de tension, d’affrontement qui règne, avec grèves, manifestations,
blocages… est de mauvais augure pour la suite des évènements et très peu
propice à la relance de la consommation ainsi que de la croissance.
Des traits marquants de la
politique de répartition des revenus de la Macronie
permettent de répéter que les gains de pouvoir d’achat (GPA) présumés ont été
très inégalement distribués entre les catégories sociales, particulièrement en
2018. Les « très riches » en ont été les grands et presque seuls
gagnants avec, dans une bien moindre mesure, les salariés du secteur privé. La
majeure partie de la population n’en a pas enregistré ou a essuyé des pertes
pouvant être sévères, notamment chez les retraités, les agents de la fonction
publique et les bénéficiaires de prestations sociales.
De surcroit, l’évaluation par
l’Insee du pouvoir d’achat du Revenu disponible brut des ménages qui
sert de référence ne tient pas compte de la dévalorisation des avoirs
financiers en numéraire et en dépôts bancaires des ménages (d’un montant total
de 1 559 Mds € au 31/12/2018). Compte tenu du retour de l’inflation, la
persistance de la politique (européenne et française) des taux excessivement
bas, lamine le pouvoir d’achat réel des épargnants… et nuit à la croissance de
la consommation. La rapine de l’exécutif consistant à abaisser le taux du
livret A et du
livret de développement durable et solidaire (LDDS) de 0,75 à 0,50%% au 1er
février va rapporter + 1 Md € à l’Etat et priver d’autant les épargnants,
notamment les petits qui se comptent en dizaines de millions. C’est encore un
signe de mépris, qui montre aussi que ses auteurs n’ont pas compris les effets
pervers et négatifs de telles mesures, d’une part, et que l’exécutif tire le
diable par la queue pour limiter le déficit public, d’autre part.
En effet, le déficit de croissance entraîne
des rentrées fiscales « spontanées » moindres que celles espérées.
Les manques à gagner associés aux décisions concomitantes hasardeuses de
supprimer l’ISF, d’instaurer la flat tax, de réduire
les taux des impôts sur les sociétés, de prolonger le CICE par une baisse
pérenne des cotisations des entreprises, la promesse (électoraliste) de
« supprimer » la taxe d’habitation… pèsent lourdement. Poussé à une
politique d’austérité, très mal vécue par les personnes en situation précaire
et par les gilets jaunes, le président a concédé les « fameux » 17
Mds €. Il a amputé d’autant les ressources financières de l’Etat et, en
l’absence de croissance assez vigoureuse, il fait appel à plus de
redistribution au détriment des classes moyennes et moyennes supérieures
principalement. Pour redresser la situation économique et sociale du pays,
ainsi que le déficit du système des retraites, il est grand temps que le
pouvoir et sa « majorité » présidentielle prennent conscience de la
situation réelle, que l’exécutif révise ses positions et sa gouvernance, tente
de faire renaître la confiance, imagine et mette en œuvre une véritable
stratégie de développement relevant durablement le dynamisme, la productivité
et la compétitivité des entreprises. Il est aussi très souhaitable qu’il
comprenne que l’adhésion du peuple est une condition de la paix sociale et
aussi des progrès économiques.
Créations d’entreprises et
d’emplois par centaines de milliers et forte baisse du chômage en 2019, du
jamais vu depuis 2009… la communication marche à fond la caisse. Mais il ne
faut surtout pas montrer aux citoyens que l’augmentation du nombre des emplois
est presque « anormale » compte tenu de la faiblesse de la croissance de
l’économie et qu’elle révèle une stagnation inquiétante de la productivité
apparente par tête, selon la définition de l’INSEE. Il ne faut pas trop
insister sur le fait que la naissance de nouvelles entreprises est pour moitié
due à la prolifération des micro-entrepreneurs, qui constituent à eux seuls
plus de 96% des 4 millions d’entreprises (en 2016), que nombre d’entre les
nouveaux nés ont choisi ce statut « à défaut de
trouver un emploi de salarié » et qu’au terme de 3 ans, un tiers seulement
des micro-entreprises créées est encore en activité. Il faut aller chercher au
Registre du commerce et des activités pour apprendre que 138 200 sociétés
ont été radiées en 2019 pendant que les 218 400 indiquées étaient créées.
Les gouvernants et
leurs relais audiovisuels taisent ces réalités moins agréables. « Exhiber
ce qui peut être vu comme positif, cacher ce qui est négatif et nul »,
voilà un principe de gouvernance et de « communication » très actuel.
Un bilan à mi-mandat de la gouvernance
économique et sociale de la France doit être fait sans tarder. Un changement de
cap est indispensable avant que nous n’allions dans le mur.
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Conférence de
financement : une nouvelle épine au pied de l’exécutif
Avec la connivence du patron « réformiste »
de la CFDT Laurent Berger, l’exécutif a tenté de détourner pendant plusieurs
mois les partenaires sociaux de questions de fond de la réforme et de focaliser
leur attention sur la recherche de solutions alternatives à l’introduction de « l’arbre
qui cache la forêt », l’âge pivot… devenu récemment « âge
d’équilibre ». Un âge auquel le cotisant pourrait accéder à la retraite
« à taux plein » sans décote, qui serait fixé à 62 ans et 4 mois au
début de 2022 et monterait progressivement à 64 ans en 2027. Ceci pour financer
l’accroissement depuis deux ans du déficit annuel du système de retraites,
chiffré à nouveau en novembre 2019 par le Conseil d’Orientation des retraites
(COR) sous différentes hypothèses. Son ampleur en 2030 dépendrait de la vigueur
ou de la faiblesse de la croissance du PIB, d’une part, et de l’attitude du
gouvernement à l’égard du financement des retraites des régimes spéciaux
publics (y compris ceux de la fonction publique), d’autre part.
Le rôle assigné à la « conférence des financeurs » est
de « fournir un avis au Premier
ministre », a rappelé le Conseil d’Etat dans son avis du 24 janvier.
Elle constitue « une commission
administrative à caractère consultatif » a-t-il précisé dans son
article 56. Concrètement, il s’agirait pour elle avant tout de « trouver 12 Mds € chaque année »
pour ramener le futur système de retraite par points à l’équilibre en 2027.
Pour corser le jeu de pistes des
partenaires sociaux, le Premier ministre a fixé « des lignes rouges » leur interdisant de proposer des mesures qui
conduiraient à baisser les pensions, à attenter au pouvoir d’achat des
retraités ou qui aboutiraient à augmenter le coût du travail, comme d’augmenter
les cotisations. Toucher à l’âge de la retraite et/ou à la durée de cotisation
étant exclu, les partenaires qui accepteront de jouer à ce jeu, destiné aussi à
leur faire endosser des mesures nécessairement impopulaires, ne sortiront pas
aisément et la tête haute du labyrinthe. Quelles autres « options » leur
reste-t-il finalement que le financement par l’impôt, temporairement ou ad
vitam aeternam ? Sur contrepoints.org, Nathalie MP-Meyer rappelait le 15 janvier
(5) que Laurent Berger verrait d’un bon œil « une contribution
supplémentaire » sur les hauts salaires. D’autres ont pensé à soumettre à
cotisations les revenus financiers. Et puis, il y a les réserves de certains
régimes de retraite du privé pour faire saliver. Bref, il reste encore de quoi
occuper des gogos, en espérant les voir s’entredéchirer… pendant que la
caravane passe et que l’âge d’équilibre est toujours dans le
projet de loi qui vient d’être soumis à l’Assemblée nationale (AN).
Le jour de l’ouverture de la
Conférence, le 30 janvier, le journaliste Olivier Mazerolle a estimé que
« cette journée caricature à
l’extrême la confusion dans laquelle on se trouve », soulignant que
« les députés se préparent à voter un projet de loi sans savoir comment et
jusqu’où il pourra être financé tandis que les partenaires sociaux doivent
rechercher le moyen de financer une loi dont ils ignorent le contenu ».
Pour débattre, ils veulent connaître le contenu de cette loi censée être votée au
plus tôt début mars (3). Et à l’AN, 22 000 amendements ont été déposés.
Si les syndicats ont consenti à s’asseoir à
table, ce n’est pas sans réserves, revendications et exigences…
assez différentes les unes des autres. Pour Laurent Berger, il faut prendre le
temps de réfléchir et « qu’on ne s’inscrive pas dans une volonté
d’équilibre à court terme qui consiste à travailler plus longtemps ». Au
cours d’une conférence de presse il aurait martelé « Il faut d’abord que
l’on réponde aux exigences de justice sociale, c’est une condition sine qua non pour avancer dans la
conférence de financement ». « Ce n’est pas concomitant. Nous
discuterons après avoir eu des assurances en termes de pénibilité, retraite
progressive, minimum contributif et transitions pour les agents publics ». Dominique Corona de l’UNSA entend tout mettre
sur la table, et en particulier les cotisations des employeurs, les cotisations
des cadres supérieurs et les fonds de réserve des retraites. De son côté, le
MEDEF, satisfait des lignes rouges fixées, s’est dit prêt à trouver « des
mesures d’âge justes assurant l’équilibre financier du système de retraite à
court, moyen et long terme ». Pour sa part, la CGT, sans déclarer à
nouveau son hostilité au système par points, compterait pousser à une « hausse des
salaires » et à « plus de cotisations » (6).
Pour les syndicats, la Conférence
devrait ainsi débuter par un nouveau « round » de négociations. En
même temps, un malaise profond règne
car des informations et des précisions manquent sur le contenu de la réforme,
des négociations continuent d’être menées en parallèle avec l’exécutif et la
réforme est contestée aussi bien par les oppositions que dans la rue. La
question « Pourquoi la conférence
de financement des retraites réussirait-elle là où deux ans de concertation ont
échoué ? », titre d’un article du Huffingtonpost
du 30 janvier (6), est très pertinente. On peut donc s’interroger sur le destin
de cette conférence, nouvelle épine dans le pied de l’exécutif.
Les perspectives des
retraites à l’horizon 2030 méritent un examen attentif
Ces perspectives à l’horizon 2030,
commandées au COR par le Premier ministre en septembre et dévoilées en novembre,
sont venues à point nommé à l’appui de la « menace » avancée par le
président de procéder sans tarder à une réforme paramétrique comportant l’âge
pivot de 64 ans afin de résorber le déficit aggravé du SR avant l’entrée en
vigueur (en 2025 ?) de sa grande réforme « systémique ».
Nos médias audiovisuels semblent en avoir retenu surtout qu’à
l’horizon proche de 2030, un déficit du système de retraite (SR) compris entre - 7,9 Mds € et –
26,9 Mds € nous attendait et que, pour « redresser » l’équilibre
financier du SR, il convient d’actionner un ou plusieurs des trois
« leviers » permettant : - d’abaisser le montant de la
pension moyenne ; - d’augmenter l’âge moyen de départ à la retraite ;
- de majorer le taux de prélèvement (cotisations).
Le COR a d’ailleurs indiqué des « mesures concrètes » correspondant à ces leviers et présenté
« un large éventail de réformes »
possibles, dont l’âge pivot fait partie, « pas forcément considérées comme opportunes par tous les membres du
Conseil d’Orientation des Retraites ».
A la demande de l’exécutif, le
COR a étudié trois « conventions » relatives au financement des
retraites de la fonction publique d’Etat (FPE) et des régimes spéciaux (RS) :
- la convention TCC (pour taux de cotisation constant), consistant à
figer les taux de cotisations implicites de l’Etat en tant qu’employeur et les
taux de subvention aux RS à leur dernier niveau constaté, celui de 2018 ;
- la convention EEC (pour effort de l’Etat constant) : même
pourcentage du PIB qu’en 2018 consacré au financement des retraites de la FPE et des RS ; - la convention EPR
(pour équilibre permanent des régimes) : équilibrage chaque année du
régime de retraites de l’Etat et de ceux des RS.
Après + 2,3% en 2017 et + 1,7% en
2018, les hypothèses relatives au taux de croissance du PIB retenues dans
les projections sont de + 1,4% en 2019,
+ 1,3% en 2020 et 2021, + 1,4% de 2021 à 2025, avant un rebond à + 1,6% à partir de 2026 jusqu’à 2030.
La convention TCC de novembre
2019 est la même que « la convention COR » des perspectives
établies pour les rapports annuels d’avril 2018 et 2019. Dans le rapport
d’avril 2018 (voir pages 64 et 65), le déficit projeté était proche de – 0,4% du PIB en 2025 dans les
scénarios à 1,5% et à 1,3% de gains de productivité. En 2030, il était proche de – 0,5% du PIB dans le scénario à 1,5%,
et de – 0,6% du PIB dans le scénario
à 1,3%.
Dans les projections TCC de novembre 2019,
le déficit grossit. En 2025, il se monte à – 16,6 Mds € dans le scénario
à 1,5% (- 0,64% du PIB) et à – 16,8 Mds € (- 0,65% du PIB) dans le scénario
à 1,3%. En 2030, le déficit du SR atteint 23,8 Mds € (- 0,86% du PIB) dans le
scénario à 1,5%, et – 25,1 Mds € (- 0,90% du PIB) dans le scénario
à 1,3%.
Après 30 mois d’une gouvernance
Macron marquée par de nombreux changements dans le système de protection
sociale, le déficit prévisionnel du système de retraite s’est ainsi aggravé de – 0,2% à - 0,3% du PIB à l’horizon 2025, et de - 0,3%
du PIB à l’horizon 2030. Par rapport aux prévisions de mai 2018, c’est
une aggravation du déficit du SR de l’ordre de - 7 Mds € à - 8 Mds €
qui est attendue
maintenant.
Il serait intéressant d’identifier
les raisons de cette dégradation. Pour rappel, en avril 2018, les prévisions
de croissance du PIB étaient
de +
2,0% en 2018, + 1,9% en 2019 et + 1,7% par an de 2020 à 2022.
On comprend pourquoi l’exécutif,
n’ignorant pas que les hypothèses de croissance du PIB retenues par le COR en
novembre 2019 pêchent par excès d’optimisme, a demandé aux conférenciers des
propositions pour réduire d’ici 2027 de 12 Mds € par an le déficit qui
s’annonce.
Les hypothèses retenues sur l’emploi et les rémunérations des fonctionnaires
ont aussi été dictées par le Premier
ministre. Elles ont de quoi mécontenter et/ou inquiéter lesdits
fonctionnaires [mais pas eux seuls]… si elles traduisent véritablement des
intentions de l’exécutif. Et pourquoi en douter ?
Concernant les effectifs : - la
promesse de réduire les effectifs de la FP de - 120 000 pendant le
quinquennat, dont - 50 000 dans la FP d’Etat ne sera pas tenue. Cette dernière
réduction sera limitée à – 10 500 ; - de 2023 à 2030, il n’y aura pas
de réductions, ni de majoration des effectifs dans les trois FP, d’Etat, hospitalière
et territoriale.
Concernant les rémunérations, « la révision à la hausse de la trajectoire d’effectifs réduit
les marges de manœuvre salariale », aussi : - pour les années
2019 et 2020, l’hypothèse d’une « hausse
modérée du traitement indiciaire moyen » est retenue, et « il n’est pas fait d’hypothèse de hausse de la valeur du point
d’indice » ; - de 2020 à 2022, par rapport aux projections du COR
de juin 2019, « les anticipations de
mesures salariales indiciaires ont été
révisées à la baisse ». Il en a été de même de « la progression structurelle des
rémunérations (glissement vieillesse technicité) », « compte tenu des dernières données
disponibles » : - de 2023 à 2030, le traitement indiciaire moyen
des fonctionnaires ne suivra pas l’évolution du salaire moyen (SMPT), sa
progression « sera limitée à +0,1%
en euros constants (soit +1,85% en tenant compte de l’inflation
prévisionnelle), en ligne avec la progression moyenne sur le passé récent »
[???]. Cette baisse serait compensée en 3 ans à partir de 2025 par « une progression de la part des primes ».
[Au profit de qui ?]
Ainsi, la masse des traitements indiciaires de la FP et des autres
régimes spéciaux, qui représente 11,9%
de la masse totale des rémunérations en 2019, baisserait jusqu’à n’en
représenter plus que 9,2% en 2030
quel que soit le scénario. Une réduction d’’environ - 23% en 11 ans, donc !
On reconnait bien ici la
philosophie macronienne concernant la réduction du
déficit public : préférer la diminution des rémunérations à celle des
effectifs de la FP d’Etat.
Déficit de croissance
depuis 2018 : une coupable, la trop faible consommation
En janvier 2020, les projections
du COR pêchent, en effet, déjà par excès d’optimisme. D’après les projections
macroéconomiques de la Banque de France de décembre 2019 (7), la croissance du
PIB ne sera que de + 1,1% en 2020
(et non de + 1,3%) et de + 1,3% en
2021 et en 2022 (et non de + 1,4%). Quant à l’hypothèse du COR (ou du Premier
ministre) d’une remontée de la croissance à + 1,6% de 2026 à 2030, elle parait très « hypothétique » !
Des analystes patentés attribuent
volontiers la perte de croissance entre 2018 et 2020 à la « nette dégradation de l’environnement
international » qui serait la cause de la baisse de la « contribution » du commerce
extérieur à la croissance de + 0,7% du PIB en 2018 à
- 0,2% en 2019 et à -
0,3% en 2020, avant sa remontée projetée à -
0,1% en 2021 et à 0 % en 2022. En réalité, le déficit des échanges extérieurs de la France est
un maillon faible persistant de notre économie révélateur d’un défaut de compétitivité, à
l’intérieur de l’UE notamment, ainsi que de notre coûteuse dépendance
énergétique. La balance commerciale (marchandises) de la France est négative
depuis l’an 2000. Selon les comptes nationaux, la balance de l’ensemble des
biens et services a été dans le rouge de - 12,9 Mds €
en 2015, de - 18,2 Mds € en 2016, de - 25,3 Mds € en 2017 et de - 18,2 Mds € en 2018 (8).
Les hausses des prix des hydrocarbures ont été en partie responsables de ce
déficit. Pourtant, cette dernière année avait connu une « embellie ».
Grâce au dynamisme des industries pharmaceutiques, de l’agro-alimentaire, des
industries du luxe et, plus encore, de l’aéronautique (9), les exportations
totales avaient cru de + 3,5% en volume (à prix constants),
alors que les importations n’avaient augmenté que de + 1,3%. C’est cette amélioration
temporaire du solde extérieur en volume qui a « contribué » à la croissance
en volume à hauteur de + 0,7% du PIB en 2018.