Par Jean MENU,
Le Président Barack
Obama, a proposé en avril 2009 lors de son déplacement à Prague, de relancer
les efforts contre la prolifération de l’atome en vue d’aboutir à un monde sans
armes nucléaires Ces déclarations s’inscrivent dans la continuité d’un long
processus de négociations et d’accords passés par ses prédécesseurs avec
l’Union Soviétique puis la Russie après la disparition du Pacte de Varsovie.
Elles semblent avoir réveillé des antinucléaires historiques ou encouragé de
nouveaux adeptes.
Position de certaines personnalités françaises
Peut-être pour faire échos à l’effet d’annonce du président américain,
des personnalités politiques françaises ayant occupé dans le passé des
responsabilités du plus haut niveau dans des gouvernements successifs et
soutenues par des voix issues du milieu militaire retraité, ont déclaré en
octobre 2009, par voie de presse, qu’elles souhaitaient, non seulement assister
à un désarmement nucléaire mondial dans le but certes louable d’empêcher toute
prolifération, mais aussi demandaient que les puissances nucléaires s’engagent
à retirer progressivement la totalité de leurs systèmes d’armes de dissuasion.
En un mot, que la défense ne soit assurée que par des moyens conventionnels,
ceux avec lesquels l’humanité entière s’est étripée allégrement par dizaines de
millions au cours du vingtième siècle dans des conflits mondiaux.
Situation dans le monde
Ces déclarations se situent dans un environnement international peu
porté sur l’éradication complète de l’arme nucléaire. Cette volonté de
l’acquérir et de la conserver, découle des enseignements tirés des effets des
bombardements de Hiroshima et Nagasaki, qui ont à cet égard, marqué davantage
les esprits par leur côté apocalyptique, que les cinquante millions de morts
victimes des armes conventionnelles de la Deuxième Guerre mondiale. La peur
qu’elle génère et le poids politique qu’elle confère, sont particulièrement
recherchés par des pays soucieux de leur sécurité et de leur indépendance.
D’abord objet d’une compétition entre les États-Unis et l’URSS, rejoints par la
Grande-Bretagne, la France, la Chine, l’Inde, le Pakistan, Israël et peut-être
à terme la Corée du Nord voire l’Iran ou le Japon, cette arme n’a cessé de
remplir un rôle essentiel de dissuasion.
Les manœuvres incessantes de l’Iran pour accéder au club du nucléaire
en dépit d’une opposition farouche d’une grande partie de la communauté
internationale, les incertitudes qui pèsent sur la Corée du Nord, les questions
que se pose en toute légitimité le Japon quand il tourne son regard vers la
Chine, démontrent clairement que ces pays ont pris la juste mesure du poids que
leur conférerait la possession de cette arme.
Elle a sans aucun doute stabilisé les relations Est-Ouest et évité le
pire pendant toute la durée de la Guerre Froide. C’est le cas aussi de l’Inde
et du Pakistan qui ont prudemment su gérer leurs différends sans jamais
atteindre un seuil critique. Quant à Israël, il n’est nul besoin de souligner
son poids prépondérant dans sa survie.
L’éradication totale des armes nucléaires parait donc particulièrement
utopique à horizon visible. Aucun des pays qui en sont dotés ne veut y
renoncer, surtout les petites et moyennes puissances, parfaitement conscientes
du pouvoir égalisateur de l’atome, sorte d’assurance tout risque dans des
contacts interétatiques tendus. Actuellement, seuls les États-Unis pourraient
éventuellement être favorables à un monde totalement dénucléarisé, car la
supériorité de leurs forces conventionnelles est telle que personne ne serait
en mesure de leur contester leur première place et leur volonté de faire régner
la « Pax America ». C’est vrai aujourd’hui, mais pour combien de temps ? Alors,
dans le doute, le Président Obama qui souhaitait un monde sans armes
nucléaires, est resté pragmatique et soucieux de la défense de son pays. Il a
préféré s’inscrire encore dans la logique des traités de réduction passés et
futurs.
Les traités de désarmement
De 1991, date de la signature du traité START1 (STrategic Arms
Reduction Treaty) par les présidents Bush et Gorbatchev, à la date de son
expiration au 31 décembre 2009, le nombre de têtes stratégiques chez les deux
grands est passé de 10000 à 6000. La Grande-Bretagne, la France, la Chine,
l’Inde, le Pakistan, Israël n’ont pas été associés aux discussions et ne l’ont jamais
souhaité. La France, en particulier s’est chargée elle-même de diminuer le
nombre de ses composantes et de ses têtes, en les adaptant aux évolutions des
risques et à ses contraintes budgétaires.
Les discussions entre Russes et Américains se poursuivent lentement.
Un nouveau traité SORT dit de Moscou (Strategic Offensive Reduction Treaty) a
vu le jour en mai 2002 avec une phase d’exécution allant jusqu’en 2012-et un
objectif de réduction du nombre de têtes compris entre 1700 et 2200.
Chacun défend fermement ses positions, maintien ses forces nucléaires
en bon état, voire les modernise. La Russie, pour cacher le piteux état dans
lequel se trouvent ses forces conventionnelles, dans un contexte budgétaire
tendu, vient de définir sa nouvelle doctrine militaire. Elle a décidé de
développer des systèmes d’armes nucléaires offensifs pour remplacer ceux qui
datent de l’époque de l’URSS. Elle se réserve le droit de les utiliser en
frappe préemptive en cas de simple menace sur son propre territoire ou celui de
ses alliés. De plus, les Russes subordonnent les avancées des discussions à des
concessions accordées par les États-Unis. Par exemple, gênés par le bouclier
antimissile américain de longue portée en Europe de l’Est, ils exigent et
obtiennent satisfaction pour qu’il soit remplacé par un système plus flexible
de courte et moyenne portée. Enfin, les présidents russe et américain ont
souhaité en juillet 2009, trouver un nouvel accord START FOLLOW ON TREATY qui
diminuerait légèrement le nombre de têtes par pays entre 1500 et 1675, tout en
limitant celui des vecteurs entre 500 et 1100.
Ils sont parvenus à un accord de principe le mardi 2 février 2010. La
fourchette évoquée pour les têtes reste celle envisagée, mais le nombre de
vecteurs autorisés passerait de 700 à 800 pour chaque pays.
En matière de réduction, la tâche restera encore immense et nous ne
sommes pas encore sortis de l’ornière. Après le réexamen du TNP (Traité de
non-prolifération nucléaire) en mai 2010 et sous réserve que les accords sur
les armes stratégiques aient abouti dans les délais annoncés (on peut émettre
quelques doutes!), se posera alors le problème des
armes tactiques dont les quantités restent encore dans un flou artistique
savamment entretenu puisqu’ils n’ont aucune obligation de les déclarer.
Le plus difficile serait alors de passer d’un niveau de stricte
suffisance à l’éradication totale. Les autres pays devraient donc être mis à
contribution.
Accepteront-ils de se retrouver en état de vulnérabilité et de faiblesse
face aux grandes puissances de demain ? On peut en douter.
Position officielle de la France
La France dans son Livre blanc a bien mis en évidence ses orientations
de sécurité nationale qui s’appuie sur les cinq fonctions stratégiques dont la
dissuasion nucléaire est l’un des piliers. Elle demeure le fondement essentiel
de sa défense et à ce titre elle représente l’ultime garantie de sa sécurité et
de son indépendance, ayant pour seule fonction d’empêcher une agression d’origine
étatique contre les intérêts vitaux du pays. Sa réintégration dans l’OTAN
n’a pas remis en cause ces principes de base.
Les Lois de Programmation militaire ont repris les orientations du
Livre blanc en matière de dissuasion nucléaire en mettant à la disposition du
Chef de l’Etat « une gamme d’options suffisamment large et de moyens adaptés
à une grande diversité de situations »
Bien évidemment, elle n’est pas adaptée à la lutte contre le
terrorisme ou autres formes de menaces plus sournoises, qui nécessitent des
moyens coûteux en homme et en matériels ainsi que des actions qui relèvent
davantage du renseignement et de mesures de police ou de gendarmerie sur le
territoire national, de forces spéciales et de projection à l’extérieur.
Mais elle a le mérite de nous protéger des grands dangers venant d’un
monde devenu plus nucléarisé et donc plus complexe et incertain.
Les forces nucléaires ont aussi un coût non négligeable. C’est
indéniable. Ses ressources sur la durée de la LPM représentent environ vingt
milliards d’euros, soit 20 % du budget consacré aux équipements.
Faut-il utiliser cet argent pour le conventionnel et se priver de son
assurance tout risque, de son ultime garantie ? Ou tout simplement, orienter
ces ressources vers d’autres priorités en dehors du Ministère de la Défense ?
Nos anciens responsables politiques qui se sont exprimés sur la
disparition du nucléaire pensent sans doute que les relations diplomatiques et
la raison seraient suffisantes pour régler les tensions entre les états. En
conséquence, ils estiment que cet argent serait plus utile pour rembourser la
dette ou payer les prestations sociales.
En revanche, les anciens militaires, traduisant semble-t-il les
pensées d’une partie de leurs camarades d’active, éprouvent peut-être de la
répulsion devant ces moyens nucléaires budgétivores. Ils sont aussi dans
l’impossibilité de « jouer » avec cet outil exclusivement politique comme ils
le font avec le conventionnel. Ils rêvent de récupérer tout cet argent au
profit des programmes d’équipements classiques déjà dotés de 80 milliards
d’euros dans la LPM. Nul besoin d’être devin pour connaître la réponse puisque
la décision finale ne leur appartient pas.
En conclusion
Certains pays qui ne possèdent pas l’arme nucléaire souhaitent
l’acquérir le plus rapidement possible. Ceux qui font déjà partie du club, ne
veulent pas s’en séparer et modernisent leurs systèmes tout en les adaptant à
leurs besoins et à leurs ressources.
Les deux premières puissances nucléaires s’efforcent d’atteindre un
niveau de suffisance en poursuivant sur la voie de traités âprement négociés
sur la diminution et non la suppression des armes stratégiques. Il leur reste
encore un très long chemin à parcourir avant d’arriver au terme des
négociations portant sur la diminution des armes tactiques.
Quant à l’étape suivante relative à l’élimination totale des armes
nucléaires, on ne pourrait raisonnablement l’envisager que sur le très long
terme. Les négociateurs rencontreraient beaucoup de réticences venant des pays
concernés avant de converger sur un traité, sa mise en œuvre et l’application
des procédures de vérification. Le temps de trouver de nouvelles armes encore
plus terrifiantes !
Néanmoins nos « personnalités » sont restées prudentes et suffisamment
vagues sur l’échéancier de la disparition du nucléaire en demandant un «
retrait progressif ». Cela laisse du temps au temps.
Le temps nécessaire pour méditer sur les paroles d’un Président de la
République qui avait su si bien entretenir l’indispensable incertitude régnant
sur une éventuelle décision d’emploi du nucléaire « L’absence des armes
appelle l’ingérence étrangère »
Un monde dénucléarisé serait-il plus pacifique ? Quand la dissuasion
disparaît et avec elle la peur qui l’accompagne, il est à craindre que la porte
vers de nouveaux conflits meurtriers ne s’ouvre davantage.
C’est la raison pour laquelle la fin du nucléaire n’est pas encore à
l’ordre du jour. Les antinucléaires auront pour de nombreuses années du grain à
moudre ou des ulcères à attraper. Peu importe, l’essentiel est de vivre en paix.
Général de l’Armée de l’air Jean Menu (2 S)
Par deux fois : Ancien Chef
du cabinet militaire du ¨Premier Ministre