par Marc DUGOIS
L’économie
n’est que l’étude des rapports entre la production, la richesse et la monnaie.
Elle ne peut être crédible qu’en étudiant globalement les trois y compris leur
interaction. Et pour ce faire il faut d’abord comprendre précisément ce qu’est
chacun des trois pieds de l’économie avant d’étudier leurs relations. Il ne
faut pas se contenter de définitions vagues, de fausses évidences et de
soumissions sécurisantes à de prétendus sachants. Si les détails peuvent être
délicats, l’épine dorsale de l’économie est à la portée de tous et d’une
simplicité biblique. Seuls les montages que l’on fait partout pour faire tenir
un système impossible sont évidemment complexes.
Une production est une fabrication de produit, que ce soit un pain, un
fruit, un dessin d’enfant, une bouse de vache, un soin, une voiture, un résidu
nucléaire ou une machine. C’est quelque chose de totalement objectif, une
réalité incontournable. Une production peut être une richesse, un déchet ou un
problème. Elle peut même changer de catégorie avec le temps comme le dessin
d’enfant ou l’automobile, tellement richesse, déchet et problème sont des
notions totalement subjectives qui évoluent avec le temps, ou avec l’espace,
voire même avec les gens avec lesquels on se trouve.
Une richesse est en effet le regard totalement subjectif qu’une
collectivité porte sur une chose ou sur une idée qu’elle trouve belle ou bonne.
Toute civilisation tend à rendre ce regard objectif car elle considère sa
vision du beau, du bien et du vrai comme la seule vision sérieuse. Elle croit
sa justice juste puisqu’elle y voit l’addition de ce qui est bien et de ce qui
est vrai pour elle. Elle croit que sa clarté est limpide puisqu’elle y
rassemble ce qu’elle croit beau et ce qu’elle croit vrai. Et elle croit aussi
que sa richesse est objective puisque tout le monde la trouve belle et
bonne ; tout le monde… de cette civilisation. Une bière est richesse à
Munich, pas du tout sur une autoroute suédoise. De même que la justice de Daesh
n’a rien à voir avec la justice occidentale, la richesse d’un Malien qui est
riche de la famille, n’a rien à voir avec la richesse d’un Américain.
La monnaie a une histoire et c’est toujours la même sur toute la Terre
et elle est en général assez mal racontée. La monnaie n’arrive pas toute seule
et au début il n’y a jamais eu le troc. Au début tout groupe humain se constitue
autour du donner-recevoir-rendre que l’on constate dans les familles, dans les
tribus et dans les groupes d’amis. C’est une sorte d’échange des êtres, de ce
qu’ils font de mieux ou de moins mal. Ce
donner-recevoir-rendre a été admirablement étudié par l’ethnologue et
professeur au Collège de France Marcel Mauss (1872-1950). Il y a vu un
« fait social total » au service du lien social et le nourrissant. Ce
fait social est total parce qu’il est à dimensions culturelle, économique,
sociale, religieuse, symbolique et même juridique. Cette réalité dans la
constitution des groupes humains est fondamentale et renvoie aux oubliettes la
notion ridicule de troc au départ des groupes humains. Qui, à part les
idéologues de l’économie, voit du troc dans la vie familiale ?
La monnaie n’est pas venue remplacer le donner-recevoir-rendre ni bien
évidemment le troc qui n’a jamais existé que très exceptionnellement entre
particuliers, elle est venue résoudre le problème créé par certains qui partout
oubliaient de donner et de rendre et se contentaient de recevoir. Cela
posait un problème que les familles connaissent et règlent en interne. Mais
quand le groupe devient important, il ne peut plus être résolu par le simple
regard ou la remarque d’une autorité reconnue. C’est alors l’introduction de la
monnaie qui partout résout le problème. Le groupe prend d’abord acte du fait
qu’un individu a donné, qu’il a contribué à la richesse collective. Il lui
donne en reconnaissance un titre de créance sur n’importe quel autre membre du
groupe. Ce titre de créance transmissible et facilement transportable,
s’appelle la monnaie en souvenir du travail qu’il a effectué et qui a été
reconnu utile. Le mot monnaie comme le mot monument vient en effet de moneo, forme latine causative de la racine
grecque men de la mémoire. La cause de la monnaie comme celle
du monument est de se souvenir. La monnaie circule, transportant l’énergie qui
a permis sa création, mais par définition le pouvoir ne peut la créer que si
une nouvelle richesse a été constatée. Sans cela c’est de la fausse monnaie qui
ne fait que dévaloriser la monnaie existante en augmentant sa quantité sans
augmenter la richesse. C’est l’énergie humaine qui a créé une nouvelle
richesse, qui se retrouve dans la monnaie. Il n’y a de vraie monnaie qu’en
constat d’une richesse existante. C’est un titre de créance sur n’importe quel
membre du groupe qui l’utilise.
Très curieusement depuis des siècles personne ne semble avoir pris la
peine de définir la monnaie d’une façon simple et claire et on entend le
désaccord des économistes. Certains disent que c’est une marchandise, d’autres
un signe, Adam Smith la voyait comme un voile et tous ceux qui n’ont surtout
pas envie de savoir ce qu’elle est, vont dire que ce n’est qu’une convention.
Ce qui est sûr, c’est que la monnaie, n’ayant jamais été définie sérieusement,
est devenue comme la langue d’Esope la meilleure et la pire des choses.
La meilleure car elle permet de faire le lien à l’intérieur d’une
civilisation entre les productions objectives et les richesses subjectives. Ce
lien très naturel et pourtant très complexe s’appelle la valeur ou le prix. Le
prix immobilise pour un groupe sur une production donnée, à un moment donné et en
un lieu donné, la notion très variable de richesse. Grâce à ce lien Aristote a
pu écrire, sans malheureusement jamais définir la monnaie, qu’elle pouvait
avoir trois utilités : faciliter les échanges, être une réserve et
chiffrer la valeur.
Mais la monnaie est aussi devenue la pire des choses car les hommes
ont pris conscience de la force énergétique de la monnaie qui transporte de
l’énergie humaine et ils ont joué sur la force énergétique de la monnaie pour
fabriquer de la fausse monnaie en feignant d’oublier que cette fausse monnaie
ne faisait que dévaloriser la vraie, lui diluer son énergie. Tant que les faux
monnayeurs étaient des délinquants, le problème n’a pas été trop grave car ils
étaient pourchassés et donc peu nombreux. En France ils ont été d’abord
condamnés à mort par ébouillantage au marché aux pourceaux puis simplement
guillotinés jusqu’en 1832 date à partir de laquelle les peines ont diminué du
bagne à la réclusion et de la perpétuité à 30 ans. Mais le scandale, dénoncé
par le prix Nobel Maurice Allais et qui a généré un embrouillamini
indescriptible, c’est quand l’État a reconnu que le faux-monnayage pouvait être
acceptable intellectuellement et qu’il est devenu légal pour les banques par
l’acceptation de la monnaie scripturale, celle que l’on crée par un jeu
d’écritures. Ce sont les banques elles-mêmes réunies dans Bâle 3 qui limitent
leur création de fausse monnaie par des normes autoproclamées et très aisément
contournables. Essayons tout de même de décrire l’indescriptible folie actuelle
qui fait croire aux braves gens que l’économie est compliquée et qui n’est là
que pour ne plus voir l’essentiel.
D’abord l’historique. Les accords de Bretton Woods de 1944 avaient lié
les monnaies au dollar en liant le dollar à l’or et donc à une richesse
préexistante. Mais Nixon ayant en 1971 déconnecté le dollar de l’or, il a ipso
facto déconnecté les autres monnaies de toute richesse précédemment créée.
L’euro a donc été créé en équivalence à des monnaies qui n’avaient plus aucune
équivalence avec une richesse reconnue, et ce depuis le 15 août 1971.
Aujourd’hui la monnaie n’est plus créée par l’État en constat d’une richesse
précédemment créée mais par les banques qui équilibrent cette création par une
créance sur le futur, c’est-à-dire par un espoir de création de richesse
future. D’une création de tous temps de la monnaie sur le constat d’une
richesse existante et reconnue, on est passé, pour la première fois dans toute
l’histoire de l’humanité avec l’euro, à une monnaie créée sans vraies limites
sur l’espoir d’une richesse future, ce qui autorise tous les fantasmes.
C’est pour faire passer cette ignominie intellectuelle que
l’université, les experts, l’INSEE et les médias sont tous mis à contribution
pour faire croire à la création de richesse pendant que les politiques font
rentrer par l’impôt les créances des banques. Au XXIe siècle la
manipulation se met en marche et les impôts se mettent à monter.
Pour faire croire à la création de richesse, on crée le PIB, fabuleux
outil inverseur, qui appelle produit la somme de toutes les dépenses. Plus on
dépense plus on est riche. On a même appelé sans rire « croissance
économique » l’augmentation des dépenses. Les experts ne travaillent plus
que sur des pourcentages de PIB. Les critères de Maastricht sombrent dans un
ridicule qui ne dérange même plus. Le déficit budgétaire ne peut être supérieur
à 3% de ce que l’on a dépensé l’année d’avant. Dépensez plus et il
deviendra intelligent d’augmenter le déficit ! L’emprunt ne doit pas
dépasser 60% de ce que l’on a dépensé l’année précédente. Dépensez plus et
vous pourrez emprunter encore davantage ! Ubu est roi dans l’Union
européenne.
Dans le même temps les banques fabriquent la monnaie qu’il faut pour
que toutes les productions soient achetées et deviennent des richesses
justifiantes a posteriori la fabrication de monnaie. Et on en arrive à la
stupidité absolue que toute production est réputée richesse. Cette erreur entraîne
toutes les autres car tout se met au service de la production qui s’emballe
grâce aux machines que les banques financent, qui doit être vue comme une
richesse grâce à la publicité que les banques financent, qui doit être achetée
par des consommateurs que les banques financent. La spirale infernale est
lancée. On fabrique de plus en plus de monnaie pour justifier la création
aberrante précédente.
Les conséquences sont multiples comme celles d’une bombe à
fragmentation. Les contradictions s’enchaînent et s’entraînent :
Il faut dépenser pour faire du PIB mais ne pas dépenser pour respecter
les critères de Maastricht.
Le peuple ne doit pas être trop payé pour que les productions restent
à un niveau de prix raisonnable en dépit des montagnes d’argent dépensé en
machines et en publicité, mais il doit tout de même avoir l’argent pour acheter
les productions et en faire des richesses. La solution ? L’emprunt. Demain
paiera.
Le peuple qui se croit en démocratie doit laisser en place la pseudo
élite qui depuis 50 ans détruit la civilisation pour rester en place sous
différentes couleurs évolutives, mais en même temps on augmente perpétuellement
ses impôts. Les campagnes électorales sont de plus en plus compliquées pour
embobiner le peuple et cela coûte de plus en plus cher. La solution ?
L’emprunt. Demain paiera.
Malgré cela le peuple met des gilets jaunes pour dire que cela ne va
pas. Il faut bien alors trouver des électeurs pour rester en place. On en
arrive au racolage de toutes les minorités que l’on flatte, à une dictature des
minorités que l’on finance. Comment faire ? L’emprunt. Demain paiera.
Dieu ! Qu’il est devenu compliqué et
dispendieux de faire croire que la bêtise est intelligente ! Et si on en
revenait à ce qui a été vrai de l’aube de l’humanité à 1971, à une monnaie
constatant une richesse existante et reconnue, monnaie dont seule la rareté
évite toutes les dérives ?