Par Roland Hureaux,
La lutte entre les
personnalités inspirées, innovantes et vraiment compétentes et les bureaucrates
de tout poil a sûrement commencé dès le temps du scribe assis du musée du
Louvre (Egypte, IIIe millénaire avant JC).
Entre le ministère
de la santé, bureaucratie crispée sur ses positions et tous ceux qui veulent
promouvoir, faute d’autres, l’usage de chloroquine contre le COVID 19, parmi
lesquels, entre autres, le professeur Raoult de Marseille, il n’est pas
difficile reconnaitre une très vieille querelle.
Bureaucrates
contre créatifs
Des bureaucrates
stérilisants, la France en a eu plus que son lot au cours de son histoire
récente. Le général Bazaine rayait du tableau d’avancement tout officier qui se
mêlait d’écrire : ainsi fut barré le plus grand théoricien militaire
français, Charles Ardant du Picq et fut perdue lamentablement la guerre de
1870. En 1897, une Académie de médecine arrogante refusa de reconnaitre la
découverte d’Ernest Duchesne du caractère répulsif de certains moisissures à
l’égard des bacilles, principe de la pénicilline laquelle devait nous
revenir du Royaume-Uni trente ans après.
En 1930, en France
et en Allemagne, des hommes politiques accrochés à l’étalon-or refusaient de
dévaluer alors que les Etats-Unis et le Royaume-Uni le faisaient massivement.
Entre 1930 et 1940, notre état-major s’arc-boutait derrière la ligne Maginot,
mettant impitoyablement au rancart tous ceux qui contestaient cette stratégie
uniquement défensive et qui prétendaient que les chars devaient être utilisés
en masse et à l’offensive. Pensée unique, caporalisme : prime à la médiocrité
et immense désordre dans la logistique, comme aujourd’hui au ministère de la
santé.
On pourrait
continuer : dans les années 1980, il était tenu pour évident dans les
hautes sphères de l’Etat qu’un pays avancé devait se débarrasser
progressivement de son industrie. Ceux qui ne le pensaient pas étaient tenus
pour des passéistes inadaptés à la « mondialisation
heureuse ». Nous voyons le résultat.
Au même moment,
était promue la concentration de la population dans les métropoles et le
dépérissement du monde rural, impliquant la disparition programmée des petites
communes. L’autonomie des universités est de plus en plus celle des
gestionnaires, non des enseignants.
Les autres pays
n’échappent pas à l’ostracisme, mais la France cumule une bureaucratie
particulièrement obtuse et, heureusement, beaucoup de créatifs.
Le conflit actuel
entre le ministère et les tenants de la chloroquine est la continuation de cet
antique affrontement. D’un côté une technocratie hostile aux voix
divergentes, de l’autre un homme seul, aux positions de bon sens.
Psychologie
La psychologie des
bureaucrates nous est familière. Ils ont généralement le cul serré, vous
regardent de travers, mais deviennent
solennels et tranchants devant les caméras. Calés sur quelques idées
fixes, fermés au débat, ils deviennent méchants quand ces idées sont remises en
cause. Dans le cas d’espèce, ils disent que la chloroquine a des effets
secondaires pas encore testés ; non, on les connait, mais ils sont
extrêmement rares.
Et quel médicament
n’en a pas ? Ils disent aussi qu’on ne peut pas la mettre entre les mains
des généralistes. L’ancien ministre Philippe Douste-Blazy a raison de dire que
ce médicament très simple est utilisé massivement depuis soixante ans et que
ses effets sont enseignés dans toute les facultés de médecine. Et même s’il
n’était pas testé, qu’a-t-on d’autre ? Face à un incendie, qui va dire que
l’extincteur ne peut être utilisé parce qu’il n’a pas encore été testé ?
Qui n’imagine les
réunions du comité d’experts chargé de conseiller le gouvernement dans la lutte
contre le coronavirus, au temps où le professeur Raoult y
participait ? D’un côté une majorité échangeant de petits coups d’œil complices
et gênés, de l’autre le verbe sans fioritures d’un homme libre.
Refusant la
contradiction – et pour cause car il sait quelque part qu’il a tort - le
bureaucrate n’argumente pas au fond mais cherche à disqualifier : le
franc-tireur est présenté comme un orgueilleux - on dit aujourd’hui un mégalo-,
quelqu’un qui n’a pas le sens du collectif (ah le travail en équipe !
vieux cache-sexe du conformisme), qui ne songe qu’à se faire de la publicité
etc. Cela dans un débat qui devrait rester technique.
Quelles
motivations ?
On peut se
demander ce que sont les motivations de ces gens ?
Souvent
l’idéologie. Mais en l’espèce, on ne la voit guère. Sinon que comprenant que,
de fait, Raoult s’en prend à la politique de Macron, tous ceux qui partagentl’ idéologie du président sur les grands sujets
politiques, prennent en grippe (c’est le cas de le dire) Raoult et la
chloroquine.
Ainsi Cohn-Bendit
qui, sans aucune qualification sur le sujet, lui demande de se taire. Depuis
longtemps, le ci-devant révolutionnaire a choisi son camp : toujours celui
de l’institution contre les esprits libres. La chloroquine finira-t-elle par
être tenue pour fasciste ?
Il y a ensuite le
conformisme de gens qui ont fait toute leur carrière du côté du manche. Être du
côté de l’institution donne un sentiment de puissance aux plus insignifiants.
Face à quelqu’un qui ne défend que le bon sens et le bien commun, ils sont
perdus, eux qui ne pensent que carrière.
Ils imaginent que
le franc-tireur veut prendre leur place. Même désarroi chez les gens de cabinet
et autres communicants qui ont depuis longtemps perdu l’habitude de raisonner
sur le fond, seulement de calculer les effets d’annonce.
Il y a aussi la
vanité un peu narcissique du pseudo expert qui se pose comme tel en allant
contre le sens commun, supposé vulgaire.
Il y a enfin la
répugnance de toutes les bureaucraties à reconnaitre leurs erreurs, sauf quand
elles deviennent si patentes qu’il n’est plus possible de les nier. Et encore
font-elles alors le plus souvent de fausses concessions : on dit qu’on
utilisera la chloroquine, mais on ne le fait pas.
Face aux logiques
bureaucratiques devenues folles, c’est au pouvoir politique de rectifier le
tir, mais pour l‘actuel président, énarque de base de l’espèce la plus
conformiste, les propositions de la sphère technocratique semblent
infaillibles.
Y a-t-il autre
chose ? Quand on ne comprend pas, dit-on, c’est qu’il y a un loup.
Comment, devant tant d’irrationalité, empêcher le public d’imaginer que les
intérêts de laboratoires pharmaceutiques désireux de développer des médicaments
plus chers que la chloroquine, sont, comme on disait, « déterminants en
dernière instance » ?
Légitime révolte
Le conflit est
loin d’être terminé. Sa renommée internationale protège le professeur
marseillais qui, sans elle, aurait été déjà impitoyablement broyé par la
machine. Il reste que si vous ressentez les premiers symptômes du virus
couronné, dans la majorité des hôpitaux français, vous ne serez à ce jour ni
testé immédiatement ni même traité sauf à avoir moins de 70 ans et être à la
dernière extrémité.
La révolte contre
les apparatchiks est toujours légitime ; elle l’est plus que
jamais face à la pandémie que nous connaissons.
*Roland Hureaux est un essayiste et haut fonctionnaire français