Par
Paul KLOBOUKOFF
En octobre 2016, François Fillon avait indiqué qu’il
n’était pas défavorable à un régime de retraite par points et avait expliqué,
notamment, que celui-ci permettait de baisser chaque année la valeur des points
et de diminuer ainsi les pensions. Il était en dessous de la vérité. Il n’est
pas indispensable de regarder au loin, en Suède, pour observer des avantages,
des prouesses, ainsi que des faiblesses ou des contreperformances d’un régime à
points. Nous en avons deux sous nos yeux, franco-français, ceux des retraites
complémentaires des salariés du privé Agirc et Arrco.
Un document de
décembre 2016 du Conseil d’orientation des retraites (COR) consacré aux effets
des réformes des retraites (1), commençait par ce constat : « Afin de maintenir l’équilibre des régimes
complémentaires Agirc et Arrco, les partenaires sociaux ont signé 10 accords
depuis 20 ans. Ces accords ont organisé une baisse de leur rendement
instantané : un salarié acquiert environ 1,5 fois moins de droits en
2015 qu’en 1993 avec le même euro de cotisation. Cette baisse a été
en partie compensée par l’augmentation des taux de cotisation ».
« Œuvres » des partenaires sociaux, qui en assurent le
« pilotage », ces régimes ont fait le choix de la répartition. Pour
les cadres, l’Agirc a été créée en mars 1947, et pour les non-cadres, l’Arrco
est née en décembre 1961. Ces deux régimes sont devenus obligatoires en 1972.
L’unification des paramètres de fonctionnement de la quarantaine de caisses de
retraite de l’Arrco n’est intervenue qu’au 1er janvier 1999. Par
Accord interprofessionnel du 17 novembre 2017, les deux régimes ont été
fusionnés en un régime unique Agirc-Arrco au 1er janvier 2019.
A leurs débuts, il
leur fallait se montrer attractifs pour se « faire accepter » et
constituer des clientèles étoffées. Leurs nombres de retraités étant
considérablement plus faibles que ceux de leurs cotisants et les points
accumulés par ces derniers étant modestes, il leur a été loisible de se montrer
« généreux » et d’afficher des taux de rendements (valeur de service
du point de retraite / prix d’acquisition du point de retraite) élevés. En
1973, en pleine crise pétrolière, ils étaient de 13,6% à l’Agirc et de 10,9% à
l’Arrco.
Jusqu’au milieu des années
1980, les deux régimes ont pu vivre confortablement, dégager des excédents et
constituer des réserves aisément. Les rapports démographiques (nombre de
cotisants / nombre de retraités), fabuleux à leurs débuts, avaient alors baissé
et s’étaient rapprochés, se chiffrant à 2,87 à l’Agirc et 2,59 à l’Arrco. Et
les nombres de cotisants, de retraités et de points à rémunérer n’avaient plus
les mêmes dimensions.
Dès lors, un mot d’ordre a dominé : recherche de l’équilibre à
moyen terme, à un horizon de 15 ans. Et, au cours des 35 ans suivants, le
système à points, taillé sur mesure pour y répondre, a fait appel à nombre de ses
ressources.
En effet, les « leviers » permettant d’agir sur l’équilibre de
ces systèmes de retraites par points ne sont pas limités au blocage ou à la
sous-indexation de la valeur du point de service des retraites. Ils comprennent
aussi le renchérissement, par divers procédés, de la valeur d’acquisition de ce
point par les salariés et leurs employeurs, tels : - les majorations des
taux des cotisations retraites ; - la revalorisation du « salaire de
référence » qui détermine le prix d’acquisition du point de
retraite ; - l’application d’un « taux d’appel » qui va majorer
la cotisation et ce prix d’acquisition sans donner de points supplémentaires au
cotisants ; - l’application de « contributions » à usage
déterminé ou simplement pour « équilibrer » le régime, qui ne
donneront pas droit à des points de retraite.
« Normalement », des règles sont censées fixer de façon
durable ces différents « paramètres », mais comme pour notre
fiscalité, l’instabilité a régné. Ces paramètres ont constamment changé au gré
des décisions des « pilotes » des régimes, elles
mêmes soumises à de nombreux aléas.
Elles n’ont pas exclu
les possibilités, de relever l’âge de l’accès au taux plein ou d’instituer un
« âge pivot » en durcissant les conditions d’attribution, à l’aide de
malus pénalisant les retraites jugées trop « précoces », et
d’accorder des bonus aux retraités acceptant de retarder la liquidation de leurs
droits.
A cet égard, deux
périodes, celle de 1993 à 2000 et celle de 2010 à 2019 ont montré la richesse
et le mode d’emploi de la boite à outils de ces régimes à points.
De 1993 à 2000, à l’aide 3 accords : - pour une hausse des prix de +13,2%, le salaire
de référence a été majoré de + 37,2% à l’Agirc et de + 40,6% à l’Arrco ;
- la valeur du point de l’Agirc a été
bloquée de 1993 à 1995, puis de 1997 à 1998, et elle n’a progressé que de +
5,2% pendant la période, perdant – 6,7% en termes réels ; - revalorisée de
l’ordre de + 8%, la valeur du point Arrco a perdu - 4% ; - le taux
d’appel, déjà monté à 117%, a été porté à 125% à l’Arrco, rejoignant celui de
l’Agirc ; - l’Agirc a haussé son taux de cotisation, égal à 8% jusqu’en 1993, à 10% en 1994, puis à 16%
en 1999, et l’Arrco a relevé le
sien de 4% à 6% en 1999. En 2000, le
régime a porté ce taux à 10% sur les revenus
de la tranche T2 (de 1 à 3 plafonds de la Sécurité sociale). Résultats :
le rendement Agirc a baissé de – 28,2% entre 1993 et 2000, descendant à 7,151%,
et celui de l’Arrco, a perdu – 22,4%, descendant à 7, 040%.
Agirc et Arrco ont
aussi transposé dans leurs règles des mesures de la réforme Balladur de 1993,
et, notamment, l’allongement progressif de 37,5 années à 40 années de la durée
d’assurance nécessaire à l’obtention d’une retraite à taux plein dans le régime
général des salariés du privé.
Durant la période de 2010 à 2019, les deux régimes ont pu
profiter des effets de la Réforme Fillon de 2003, qui a allongé à partir
de 2009 la durée de cotisation pour tous afin d’atteindre 41 ans en 2012, ainsi
que de la réforme Woerth de 2010, qui a prévu : - le relèvement progressif
de l’âge minimum légal de départ à la retraite pour atteindre 62 ans en
2018 ; - l’allongement de la durée d’assurance nécessaire pour obtenir une
retraite à taux plein, qui est passée à 41,5 ans pour la génération 1956 (2).
L’Agirc et l’Arrco ont recouru à la sous-indexation ainsi qu’au blocage
de la valeur des points de retraite. D’avril 2010 à fin octobre 2018, compte
tenu d’une hausse de l’indice des prix (IPC) sans tabac de + 8,6%, la valeur du
point Agirc a baissé de – 5,2% en termes réels et celle du point Arrco de -
3,1%. En même temps, le salaire de référence a renchéri de + 15,6% à l’Agirc et
de + 16,1% à l’Arrco.
Au 1er janvier 2019, le salaire de
référence commun Agirc-Arrco a été fixé à 17,0571 €. Au 1er novembre
2019, il a été majoré de + 2% et porté à 17,3982 €. Le taux d’appel a été
relevé de 125% à 127% au 1er janvier 2019. Les taux des « contributions »
ont aussi cru. Finalement, le rendement, qui était de 6,70% à l’Agirc et
de 6,58% à l’Arrco en 2010, est descendu à 5,81%
en 2019 dans le régime fusionné (3) et n’y dépassera sans doute pas 5,7% en
2020.
Dans le rapport
Delevoye de juillet 2019, le rendement affiché du nouveau régime universel de
retraite par points est de 5,50% ou, plutôt de 4,95% après rectification pour
tenir compte de la fraction de 10% des cotisations n’ouvrant pas de droits à
des points de retraite. Le rendement attendu est donc notablement plus faible
que celui actuel des complémentaires des salariés du privé. Décidément, on
n’arrête pas le progrès !
La partie
« utile » ou « efficace » de la cotisation Agirc-Arrco, qui
procure des points de retraite, est inférieure à 77% du montant de la
cotisation. Plus de 23% de la
cotisation n’ouvrent pas de droits à points et servent principalement à équilibrer
le régime. C’est plus du double des 10% prévus pour le futur système
« universel ». 10% essentiellement destinés à financer des
prestations de caractère social et/ou redistributif. Qu’implique cet
« engagement » de limiter ce prélèvement à 10%, une baisse inavouée
des pensions ? Surtout, sachant que les partenaires sociaux semblent
s’être entendus pour qu’environ 20%
des cotisations soient réservés au financement de la solidarité.
Les syndicats,
progressistes ou non, se disent opposés à l’introduction d’un « âge pivot
de 64 ans. Pourtant, l’Agirc-Arrco, qu’ils pilotent, a institué un âge pivot de 67 ans, auquel « il vous est possible de
bénéficier du taux plein sans condition de durée d’activité si vous êtes né en 1955 ou
avant » (et avez 65 ans ou plus en 2020). Les Français en sont-ils conscients ?
Comment les syndicats expliquent-ils leurs positions, « apparemment »
contradictoires ?
Observation : pas d’illusion !
Une règle
d’or interdisant le déficit à moyen et long terme du régime universel par
points est incompatible avec une autre règle d’or qui voudrait garantir la
préservation du niveau des retraites.
Recommandation :
quand le projet de
réforme du gouvernement sera à maturité, il me parait indispensable qu’il soit
soumis « au banc d’essai » du COR afin qu’il en dresse les
perspectives (chiffrées) à un horizon de 15 ans à partir de 2025, d’abord, puis
à l’horizon auquel ce système « évolutif » sera
« stabilisé » dans sa configuration définitive. Le COR pourra en
vérifier l’équilibre financier et en évaluer les impacts sur les niveaux
projetés des retraites et leur part dans le PIB, sur les contributions au
financement du système et sur les coûts pour l’Etat, notamment.
Outre des
informations complémentaires et des précisions, les pages suivantes de cet
article révèlent l’opacité autorisée
par ce type de régimes par points. Une raison de plus pour s’en méfier et les
refuser pour les uns, qui les connaissent suffisamment. Une qualité
inestimable, sans doute, pour d’autres qui insistent pour le promouvoir et
l’étendre à l’ensemble de notre système de retraites.
Historique et évolution financière des régimes :
quelques rappels et infos
Agirc-Arrco : une organisation paritaire pilotée par les
partenaires sociaux
Les partenaires
sociaux qui représentent les employeurs et les salariés dans les instances de
la fédération et des caisses de retraite sont les organisations d’employeurs
MEDEF, CPME et U2P, d’un côté, et les organisations syndicales CFDT, CFE-CGC,
CFTC, CGT, CGT-FO, de l’autre (4).
Désormais, dans le cadre d’une Commission paritaire, les partenaires
sociaux pilotent le régime. Ils négocient les grandes orientations. Ils
arrêtent des mesures pour assurer l’équilibre du régime sur le long terme et
améliorer la gestion. Tous les 4 ans « la trajectoire d’équilibre du
régime Agirc-Arrco » doit être examinée et des négociations doivent avoir
lieu. Le conseil d’administration est chargé d’ajuster chaque année « les paramètres de fonctionnement (la valeur
du point de retraite, le salaire de référence ou prix d’achat du point…) ».
« Il doit, le cas échéant alerter les
partenaires sociaux lorsque la trajectoire n’est pas respectée sur un horizon
de 15 ans ».
Etroite attention à
l’équilibre financier durable du régime et grande « souplesse » pour
adapter ses paramètres aux besoins du moment doivent ainsi caractériser
le pilotage du nouveau régime fusionné.
Jusqu’à 2018,
l’organisation et les préoccupations n’étaient pas différentes à l’Agirc et à
l’Arrco. La recherche de l’équilibre à court et moyen terme (à défaut de
pouvoir le garantir à long terme) a donné lieu à une multitude de changements,
de durcissements des paramètres, au fur et à mesure que le ratio cotisants / retraités
se dégradait et lorsque la conjoncture économique « perturbait », parfois
durablement, la croissance des recettes des régimes.
D’une gestion confortable à une rigueur dictée par les évènements
L’Agirc et l’Arrco
sont des régimes par répartition. Mais pour tous deux, après leur création, le
montant des retraites à verser est resté longtemps inférieur à celui des
cotisations prélevées. Cela leur a permis de dégager des excédents et de
constituer des réserves, dont la fructification a ensuite pu rendre plus
confortable leur gestion et servir à améliorer leurs résultats financiers
annuels.
A l’Agirc, le rapport de
charge (ratio
retraites / cotisations) est resté inférieur à 100% pendant plus de
30 ans. De 1956 à 1984, il est remonté (avec des à-coups) de 83% à 95% et est
passé au dessus de 100% en 1987 (5). La principale
raison de cette hausse est la baisse au fil des ans du rapport démographique nombre de
cotisants / nombre de retraités du régime, très élevé à ses débuts.
En 1950, ce rapport était de 7,5, tandis que le nombre de retraités se comptait
en dizaines. Il est ensuite descendu à 4,0 en 1960, et à 3,3 en 1973. Il était
encore de 2,9 en 1985 (6) avec des effectifs plus étoffés : 2,268 millions
de cotisants pour 0,791 Mi de retraités. Pendant cette période le même rapport
du régime général a été nettement plus faible, et seulement de 2,2 en 1985 (7).
Le rapport de charge
(RDC) a connu une forte hausse au début des années 1990, s’élevant jusqu’à plus
de 110%. Une assez longue embellie a suivi de 1999 à 2008. La forte croissance
du PIB et le gonflement de la masse salariale (assiette des cotisations) ont
contribué à ce sursaut. Mais, les accords de 1993, 1994 et 1996, comportant une
batterie de mesures touchant les principaux paramètres du régime ont eu pour
effet, notamment, de faire baisser le taux de rendement brut du régime de
10,21% en 1993 à 6,78% en 2008 (8). Avec la crise de 2008- 2010, le RDC s’est
détérioré, montant à 112% de 2013 à 2015… nécessitant de nouveaux accords
affectant encore les paramètres.
En 2017, l’Agirc comptait 4,21 Mi de cotisants pour 3,073 Mi de
retraités.
Pour l’année 2018,
les comptes de l’Agirc montrent un montant de cotisations de 21,614 Mds €,
inférieur aux 24,664 Mds € de retraites versées (9).
A l’Arrco, très faible aux
débuts du régime, le rapport de charge est monté de 55% en 1962 à 87% en 1969.
Il a ensuite baissé un peu avant de remonter en restant inférieur à 100%
jusqu’en 1985, permettant au régime de capitaliser des excédents pendant plus
20 ans (5). De même que pour l’Agirc, le ratio nombre de cotisants / nombre de
retraités est resté longtemps favorable, diminuant de 7,2 en 1962 à 4,5 en 1973
et à 2,6 en 1985.
De 1985 à 1997, le
RDC a fluctué autour de 100% avant de connaître une embellie de 1997 à 2008,
plongeant jusqu’à près de 85% en 2002. Pour de raisons analogues à celles de l’Agirc,
et avec des effets comparables sur le taux de rendement du régime Arrco, qui
est descendu de 8,87% en 1993 à 6,67% en 2008 (8). Ensuite, avec la crise, le
RDC est durablement passé dans le rouge à partir de 2009, montant jusque 107%
de 2013 à 2015.
En 2017 l’Arrco comptait 18,21 Mi de cotisants pour 12,63 Mi de
retraités.
Pour l’année 2018, les comptes de l’Arrco présentent un montant de
cotisations de 45,201 Mds €, inférieur aux 47,835 Mds € de retraites versées
(10).
D’enviables et très utiles réserves
financières
Au début de 2008,
l’Agirc et l’Arrco avaient pu accumuler des réserves qui, grossies des produits
financiers et des plus-values latentes, avaient atteint 60 Mds € (8). Ces réserves et les produits financiers qu’elles ont
procurés par la suite ont été d’un précieux concours pour l’équilibre de leurs
comptes.
D’après un communiqué
de presse de juin 2019, intitulé « L’Agirc-Arrco
sur la voie de l’équilibre financier » (11), les réserves de financement disponibles détenues par l’ensemble Agirc-Arrco
s’élèvent à 60,6 Mds € [sans les 9,5
Mds € de réserves de fonds de roulements indiqués dans les présentations des
bilans 2018 de l’Agirc et de l’Arrco ?] Près de 0,5 Md € de produits
financiers ont été dégagés en 2018. Les opérations exceptionnelles ont rapporté
0,1 Md €. Grâce à ces gains, le déficit technique des opérations de retraite
a pu être réduit de - 2 Mds € à – 1,4 Md €. [Le montant des produits
financiers était plus élevé en 2017 (1,3 Md€), et plus encore les années
antérieures, avant la mise en œuvre de la « géniale » politique
d’écrasement des taux d’intérêt].
Agirc et Arrco : des performances loin des espérances
Pour sa séance plénière du 14 décembre 2016, le COR avait produit un
document intitulé « Evolution
des conditions des droits dans les régimes complémentaires depuis 1993 »
(1). Il commençait par ce constat : « Afin de maintenir l’équilibre des régimes complémentaires Agirc et
Arrco, les partenaires sociaux ont signé 10 accords depuis 20 ans. Ces
accords ont organisé une baisse de leur rendement instantané : un salarié acquiert environ 1,5 fois moins
de droits en 2015 qu’en 1993 avec le même euro de cotisation. Cette baisse
a été en partie compensée par l’augmentation des taux de cotisation ».
Une condamnation de l’instabilité et de l’inefficacité des régimes. En réalité,
les difficultés et les « ajustements » successifs ont commencé
bien avant 1993, comme le montrent les tableaux des évolutions des paramètres
de fonctionnement des deux régimes Agirc et Arrco de 1973 à 2015.
Une chute spectaculaire des rendements des régimes de 1973 à 2000
Laissant derrière
elle les « trente glorieuses », la période 1973-1993 a débuté
par la première grande crise pétrolière et un bond géant des prix des
hydrocarbures qui a entravé la croissance des économies occidentales. Pendant
ces 20 ans, à l’Agirc :
- le salaire de référence a été revalorisé de + 17% de plus que la valeur du
point de retraite ; - le taux d’appel a été relevé cinq fois, de 100% en
1973 à 117% en 1993. A l’Arrco :
- le salaire de référence a été revalorisé de + 5% de plus que la valeur du
point de retraite ; - en 6 paliers, le taux d’appel a été relevé de 107,5%
en 1973 à 125% en 1993. Le rendement instantané du régime Agirc
est descendu de 13,64% en 1973 à 9,97% en 1993. Celui de l’Arrco a
reculé de 10,875 % à 9,075%.
Durant la courte
période 1993-2000, des mesures drastiques ont été décidées par les « pilotes »
de l’Agirc et de l’Arrco avec les accords de 1993, 1994 et 1996. Cette période,
commencée avec un rapport démographique affaibli et une croissance à la peine,
a vu celle-ci s’envoler en 1997 et le PIB atteindre des sommets lors de
« la bulle Internet de l’an 2000 ». Malgré le « coup de
pouce » donné par la réforme Balladur de 1993, un vent de panique semble
avoir soufflé sur les deux régimes complémentaires. En 8 ans, alors que l’IPC a
augmenté de + 12,3%, le salaire de référence a été majoré de + 37,2% à l’Agirc
et de + 40,6% à l’Arrco. Ceci, pendant que la pression était mise sur les
valeurs des points de retraites. Celle du point de l’Agirc n’a progressé que de
+ 5,2% pendant la période. A l’Arrco, les valeurs des points de retraite des
caisses ont été revalorisées de l’ordre de 8%, en moyenne. Ainsi, en termes réels, la valeur du point
Agirc a perdu – 6,7% et celle du point Arrco, – 4%. Le taux d’appel de l’Arrco
a rejoint celui de l’Agirc à 125%. Le rendement de l’Agirc a
encore perdu – 28,2% entre 1993 et
2000, descendant à 7,151% cette dernière année, tandis que le rendement de l’Arrco
a baissé de – 22,4% et s’est établi
à 7, 040% en 2000.
Les deux régimes ont également commencé à « toucher » aux taux
des cotisations retraite. Et pas marginalement ! Par « touches »
successives, l’Agirc a fait monter son taux, qui était de 8% jusqu’en 1993, à
10% en 1994, puis jusqu’à 16% en 1999. De son côté, l’Arrco a fait passer son
taux, jusque là de 4%, à 6% en 1999. Puis, en 2000,
le régime a porté ce taux à 10% sur les revenus de la tranche T2.
Ces « mesures », qui s’apparentent à une fuite en avant, ont affecté les revenus nets des cotisants et
des retraités. Elles semblent cependant être « passées comme des lettres à
la poste ». Pour sauver les régimes
complémentaires en souffrance, elles en ont alourdi leurs poids et ont
ainsi contribué à majorer celui des prélèvements obligatoires. Les taux de
cotisation de l’Agirc ont ensuite augmenté de fractions de % à partir de 2005.
Le taux de la tranche 2 de l’Arrco a été haussé par paliers pour atteindre 16%
en 2005 et monter de quelques fractions de % 9 ans plus tard.
Dérégulation, contreperformances et
convergence de 2000 à 2019 :
De 2000 à 2010, les « paramétrages »
ont été coordonnés. Dans les deux régimes, le taux d’appel n’a pas été changé
et les valeurs des points de retraite ont, à très peu de choses près, augmenté
au rythme de l’inflation, soit de + 17% environ. A l’Agirc comme à l’Arrco, le
salaire de référence a été revalorisé de + 24,9%. En 10 ans, l’écart entre le
prix d’acquisition du point et sa valeur de service s’est ainsi creusé de plus
de 6%. Les rendements des deux régimes ont décru dans les mêmes
proportions pour atteindre 6,70% à l’Agirc et 6,58% à l’Arrco en 2010.
En 2003 et en 2010,
les réformes Fillon et Woerth ont donné d’appréciables coups de pouce aux
complémentaires.
Mais, depuis les
années 2005, la grande vague [peut-être mal anticipée] des
« baby-boomers » de l’après guerre de 1939-1945
a déferlé venant grossir les rangs des retraités. Et la crise économique et
financière, à son apogée en France en 2010, a provoqué le désarroi et suscité
le dérèglement (et/ou la dérégulation) des paramétrages du régime de base
et des régimes de retraites complémentaires des salariés du secteur privé.
De 2010 à
2018, l’Agirc et
l’Arrco ont abandonné le principe de revalorisation de la valeur des points
de retraite en fonction de l’inflation dès 2010 :
Agirc : du 1er
avril 2010 au 1er avril 2013, la valeur du point de retraite a été
revalorisée de 0,4216 € à 0,4352 €, soit de + 3,2%. Ensuite, elle a été gelée
à ce niveau jusqu’à fin octobre 2018. Pendant ce temps, d’avril 2010 à
octobre 2018, l’IPC sans tabac a augmenté de + 8,6%. En termes réels, la valeur du point à
baissé de – 5,2%... les retraités
ayant aussi perdu du pouvoir d’achat pendant 8 ans.
Arrco : Même combat, la
valeur du point de retraite est montée de 1,1884 € en avril 2010 à 1,2513 € en
avril 2013, soit de + 5,3%, puis a
été gelée pendant plus de 5 ans. Sa
valeur réelle a ainsi perdu – 3,1% entre
2010 et 2018.
Ensuite : mêmes
revalorisations pour l’Agirc et l’Arrco : + 0,60% au 1er novembre 2018, et
+ 1% au 1er novembre 2019, soit +
1,6% au total, pour arriver à une valeur commune du point Agirc-Arrco de 1,2714 € (supérieure de + 7% à celle de
l’Arrco en avril 2010) qui ne
bougera pas jusqu’à fin octobre 2020. Du côté de l’inflation, l’IPC a crû de + 0,8% pendant les 11 mois de novembre
2018 à octobre 2019. D’ici octobre 2020, il est peu probable qu’il augmente de
moins de + 1%. Ainsi, la
revalorisation du point d’indice Agirc-Arrco serait voisine du taux de
l’inflation.
Le renchérissement du salaire de référence s’est poursuivi :
Agirc : Au 1er
avril 2010, le salaire de référence était de 5,0249 €. Au 1er
novembre 2018, après 6 revalorisations, son montant a atteint 5,8166 €, soit + 15,6% de plus qu’en avril 2010.
Ainsi, l’écart entre la « revalorisation » du salaire de référence et
celle du point de retraite a été de +
12%.
Arrco : Au 1er
avril 2010, le salaire de référence était de 14,4047 €. Au 1er
novembre 2018, il était monté à 16,7229 €, soit à + 16,1% de plus qu’en avril 2010. Par rapport à la revalorisation
du point de retraite, l’écart est de +
10,2%
Agirc-Arrco : fixé à 17,0571 € en 2019, le salaire de
référence Agirc-Arrco a été porté à 17,382 € au 1er novembre 2019. Il est supérieur de + 20,7% à celui de l’Arrco fixé au 1er
avril 2010… et de + 20,2% à celui de
l’Agirc à la même date. Par rapport à la revalorisation des points de retraite
les écarts sont respectivement de +
12,8% et + 12,2%.
Un point de service de retraite nettement plus cher qu’il n’y parait
Non, le prix
d’acquisition du point de service de retraite n’est pas le salaire de
référence, et le nombre de points de retraite acquis n’est pas le montant
cotisé chaque mois divisé par ce salaire de référence. Ce serait trop simple et clair, transparent ! En
réalité, la cotisation retraite comprend une partie « utile » (ou
« efficace) permettant d’acquérir des points de retraite + des suppléments qui n’ouvrent pas de
droits au cotisant.
Sur le site Internet
de SPAC Actuaires (3), société de Conseil en actuariat aux entreprises et aux
institutions, en particulier dans les domaines de la retraite, se trouvent des
explications précises sur les cotisations Agirc-Arrco, sur les salaires de
référence et sur les valeurs des points, avec leur historique, ainsi que
l’évaluation des rendements des deux régimes de 2000 à 2018, ainsi que du régime
après fusion en 2019.
En 2019, dans le
régime fusionné, comme dans les régimes avant la fusion, les taux de
cotisations « contractuels »
ouvrent des droits à des points de retraite. Ils sont de 6,20% sur la tranche 1 du salaire brut
(SB), qui va de 0 jusqu’à 1 plafond de la Sécurité sociale (PASS), de
3 377 € mensuels. Ils sont de 17%
sur la tranche 2 du SB, qui va de 1 PASS à 8 PASS, soit à 27 016 €
mensuels. Ce taux de 17% est un peu
supérieur à celui de 2018.
A la cotisation contractuelle est appliqué un « taux d’appel »
de 127% qui porte les taux
précédents à 7,87% sur la tranche 1
et à 21,59% sur la tranche 2… Sans
acquisition de points de retraite.
Egalement sans donner de points de retraite, s’ajoutent encore : -
une Contribution d’Equilibre Technique (CET) de 0,35% du SB supérieur ou égal au PASS ; - une Contribution
d’Equilibre Général (CEG) de 2,35%
sur la Tranche 1 du SB et de 2,70%
sur la tranche 2.
Ainsi, au total, la
cotisation effective atteint : - pour les salaires inférieurs au PASS :
10,02% sur la tranche 1 et 24,29% sur la tranche 2 ; - pour
les salaires supérieurs ou égaux au PASS : 10,37% sur la tranche 1 et 24,54%
sur la tranche 2. Ces cotisations sont partagées à raison de 60% à la charge de
l’employeur et de 40% à celle du salarié.
La partie de
la cotisation qui n’ouvre pas de droits à des points de retraite est donc supérieure à 23% du montant de la
cotisation. On notera que c’est nettement plus que les 10% [réalistes ???] prévus pour le futur système
« universel » dans le rapport Delevoye.
Ses constituants sont
également des « leviers » utilisés par ce type de régimes à points
pour majorer les cotisations sans accorder de points supplémentaires. De la
sorte, le taux d’appel (qui
était de 100% en 1973) est monté de 125%
en 2018 à 127% en 2019.
Pour sa part, la CEG a été relevée de 2,00% à 2,15% sur la tranche 1 du SB et
de 2,20% à 2,70% sur la tranche B. Il n’y a pas de petites
« rapines », ni de plus grandes. Décidément, ce régime à points
comprend une boite à outils très « étudiée » pour l’équilibrer
financièrement, « en toute discrétion ».
Rendement en forte baisse et perte de pouvoir d’achat des retraités
Calculés avec une valeur d’acquisition du point de retraite égale à la
valeur d’appel (3), les taux de rendement du régime Agirc et de l’Arrco sont
descendus tous deux à 5,99% en 2018. En 2019, le rendement du régime fusionné a
encore été abaissé, puisqu’il est de 5,81%,
réduit de – 18%
par rapport à 2000. Un calcul tenant compte des majorations des cotisations à
l’aide des CET et CEG, révèlerait un rendement du régime encore plus faible en
2019.
Associée à la perte de pouvoir
d’achat des retraités, cette baisse est un des réponses principales de ces
régimes à points à la détérioration des ratios cotisants / retraités, ainsi
qu’à la faible croissance de l’économie. Ceci pour défendre l’équilibre et
maintenir en vie les régimes. Le prix parait élevé.
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Annexe
Retraite à taux plein Agirc-Arrco à partir du 1er
janvier 2019 : un âge pivot de 67 ans
Dans le régime de retraite de base des salariés du
privé, l’âge légal
de la retraite est 62 ans. A partir de cet âge, pour bénéficier d’une retraite
à taux plein, les personnes nées de 1958 à 1960 (qui auront ou approcheront
l’âge de 62 ans en 2020) devront avoir cotisé au moins 167 trimestres (soit 41
ans et trois trimestres). Pour celles nées de 1961 à 1963, le nombre de trimestres
cotisés requis pour le taux plein sera de 168 (42 ans). Pour celles nées à
partir de 1973, il faudra 43 ans de cotisations.
Dans le régime de retraite complémentaire
Agirc-Arrco, il vous est possible de
bénéficier du taux plein sans condition de durée d’activité
à l’âge de 67 ans si vous êtes né en
1955 ou avant (et avez 65 ans ou plus en 2020).
Vous pouvez aussi bénéficier de la retraite complémentaire à taux plein
si vous avez atteint l’âge légal de 62 ans et si vous avez acquis le nombre
de trimestres nécessaires pour obtenir la retraite de base à taux plein
(cf. ci-dessus). MAIS, depuis le 1er
janvier 2019, le régime Agirc-Arrco comporte « un dispositif de
majoration/minoration temporaire
qui complète les conditions de départ existantes » (12). Trois
situations sont prévues :
. si vous demandez votre retraite
complémentaire (RC) à la date d’obtention du taux plein au régime de base,
votre pension complémentaire sera minorée de - 10% pendant 3 ans ou jusqu’à ce
que vous ayez atteint l’âge de 67 ans ;
. si vous demandez votre RC un an après la date
d’obtention du TP au régime de base, votre pension ne subira pas de minoration ;
. une majoration de votre pension de + 10%, de
+ 20% ou de + 30% vous sera accordée si vous décalez la liquidation de votre
retraite complémentaire de 2 ans, 3 ans ou 4 ans.
Des aménagements et
des exonérations de la « minoration » sont prévus pour les retraités
exonérés de la CSG ou bénéficiant de taux réduits, pour les retraités
handicapés, au titre de l’inaptitude, pour les retraités ayant une incapacité
permanente suite à un accident du travail ou une maladie professionnelle, pour
les aidants familiaux, etc.
Il est possible
d’accéder à une retraite complémentaire à taux minoré à partir de 57
ans. Une minoration définitive
(pour toute la durée de la retraite), fonction de l’âge, est alors appliquée.
Elle est nulle pour une personne de 67 ans ou plus. Elle est de – 43% du
montant de la pension pour une personne ayant 57 ans.
Sources et références