par paul KLOBOUKOFF,
Pour l’essentiel
A l’arrivée du coronavirus, les
situations économiques et financières des pays d’Europe doivent beaucoup à la
crise débutée en 2008, aux réponses qui lui ont été apportées, particulièrement
à l’aide des politiques budgétaires et monétaires pratiquées pendant la crise
aigüe, jusqu’en 2012, puis à celles poursuivies et peaufinées pendant les sept années
suivantes pour assainir le système bancaire et les marchés financiers,
stabiliser les prix, redresser les comptes publics, relancer et soutenir la
croissance. Depuis 2007, la politique monétaire et la Banque centrale
européenne ont changé de dimensions et pris une importance prépondérante. En
même temps, encouragé, stimulé, l’endettement n’a cessé de croître pour
atteindre des proportions inquiétantes dans plusieurs pays, dont le nôtre.
Avec la pandémie du Covid-19, le
recours à l’endettement à grande échelle, indispensable dans un premier temps
(jusque quand ?) fait un grand bond en avant pour financer d’urgence des
dépenses sanitaires et sociales, aider les personnes en perte totale ou
partielle d’emploi et/ou de revenus, soutenir des entreprises, des grandes aux
plus petites, aux trésoreries exsangues et/ou menacées de faillite… La BCE est
encore appelée à rouvrir en grand les vannes du crédit, tandis que l’UE doit
renoncer à juguler les déficits budgétaires… et le gonflement des dettes publiques.
Le Pacte budgétaire signé en 2012 a fait long feu.
Avant de regarder les premiers
pas européens et français face à la pandémie, une rétrospective m’a paru utile
pour mieux les comprendre et en apprécier la portée ainsi que les éventuelles
conséquences.
En 2008, la Commission de l’UE a
relâché la pression sur la restriction à 3% du PIB des déficits publics des
Etats et a accepté de sacrifier l’autre critère de stabilité limitant la dette
publique à 60% du PIB. Les excédents budgétaires ont fondu, les déficits se
sont accrus. Les dettes publiques ont explosé. Celles des agents privés aussi.
La dette publique de la zone euro (ZE) a bondi de 65% du PIB en 2007 à 89,9% en
2012, puis sur la lancée, à 92% en 2014.
Pour remédier aux dérapages avec plus
de fermeté, un Pacte budgétaire a été signé en mars 2012, comprenant une « règle
d’or » d’équilibre budgétaire et prévoyant des sanctions pour les
contrevenants. Pendant les 7 ans qui ont suivi, dans la plupart des pays, une
politique budgétaire plus rigoureuse à permis
d’améliorer les soldes des comptes publics et de diminuer les taux
d’endettement ou à d’en ralentir la hausse. Mais les efforts et les succès ont
été inégaux. Aussi, au fil des années des écarts conséquents se sont creusés
entre pays et groupes de pays, entre les pays de l’est
(pour partie hors de la zone euro), réservés et prudents, les pays du nord,
disciplinés et rigoureux et les pays du sud, auxquels se sont joints la
Belgique et la France, dont les taux d’endettement public sont supérieurs à
ceux des autres… et qui se trouvent dans les situations les plus difficiles
aujourd’hui, aux plans social, économique et financier ainsi qu’à celui des
impacts sanitaires de la propagation du virus.
Dés
octobre 2008, les taux directeurs de la BCE ont été très fortement abaissés. De
4,25% en octobre 2008, le taux de refinancement des banques (le refi) était déjà descendu à 1% en mai 2009. En septembre
2014, il n’était plus que de 0,05%. Depuis mars 2013, il est de 0,00%. Et
depuis juin 2014, les banques doivent payer pour déposer de l’argent à la BCE…
au taux de 0,5% depuis novembre 2019. On ne pourra sans doute pas attendre
beaucoup plus de cette politique ultra « accommodante » pour alléger
le coût du crédit. Les décisions de mars et avril 2020 le confirment.
Il a rapidement été nécessaire d’imaginer
des mécanismes permettant de satisfaire les besoins des pays en détresse qui
n’arrivaient pas à se financer sur les marchés. De 2010 à 2012, nous avons
beaucoup entendu parler de la Troïka, associant le FMI, la Commission et la
BCE, chargée de décider des aides et de les contrôler, de ses
« relations » souvent conflictuelles avec la Grèce, l’Italie, le
Portugal ou l’Espagne, qui refusaient ou peinaient à remplir les
conditionnalités (rigoureuses et réformatrices) associées aux plans de
sauvetage. Des instruments destinés à aider, sous conditions, les pays les plus
en difficultés ont été créés. Toujours en usage, le Mécanisme européen de stabilité
(MES) vient de connaître une « adaptation » remarquée en avril 2020.
Les bénéficiaires potentiels (les mêmes pays qu’avant, entre autres) n’auront
plus à remplir de conditionnalités pour accéder aux aides adoucies.
Presque depuis le début de la
crise, des opérations dites « non conventionnelles » ont été mises
sur pieds par la BCE, et en particulier des opérations de refinancement à plus
long terme, les LTRO. Depuis, elles se sont renouvelées sans discontinuer, avec
des montants plus élevés et des durées de maturité allongées. En 2014, afin
d’éviter la déflation qui menaçait, et aussi pour soutenir la croissance, mollassonne après une
rechute en 2012 et en 2013, la BCE a décidé l’Assouplissement quantitatif,
ou QE (pour « Quantitative easing »). A
partir de mars 2015, elle a lancé les APP, des programmes d’achat d’actifs d’envergure
qui ouvraient aussi des voies supplémentaires ou nouvelles plus
« souples » de refinancement des crédits aux Etats et aux
entreprises. Ces programmes ont été renouvelés d’année en année jusqu’à la fin
2018. Pendant ces 46 mois, 2 600 Mds € de liquidités ont ainsi été mis à
la disposition des banques et des marchés financiers. Avec des montants plus
modestes, ces injections ont repris en novembre 2019… et apportent aujourd’hui
une petite contribution à la réponse monétaire à la crise.
Corrélativement, de fin 2014 à
fin 2019, le montant total du bilan de la BCE a plus que doublé, passant de 2 228
Mds € à 4 673 Mds€. Le rôle ainsi que le poids de la BCE et des banques
nationales dans le financement et la conduite de l’économie dans la zone euro
ont considérablement augmenté.
Le système bancaire, courroie de
transmission de la politique monétaire dirigée par la BCE, était en très
mauvais état avec les subprimes en 2008, chargé
d’actifs « toxiques » et paralysé par la défiance et des déficits. Il
a fallu l’assainir, le redresser et le remettre en service efficacement. En
2013, pour assurer la supervision des banques, dans le cadre d’une Union
bancaire, une mission de surveillance prudentielle des établissements de crédit
a été confiée à la BCE au sein d’un Mécanisme de supervision unique (MSU).
Celui-ci est entré en fonction en novembre 2014.
Malgré toutes les attentions dont
les banques ont fait l’objet, leurs situations n’étaient en général pas
florissantes à la fin 2019, notamment en France, la faiblesse très prolongée
des taux d’intérêt ayant laminé leurs marges. Il sera sans doute difficile à
certaines d’entre elles (nombreuses ?) de remplir la mission qui leur est
maintenant confiée en faveur des entreprises, surtout des petites et des
moyennes, ainsi que des ménages. Même avec les « assouplissements »
des conditions de refinancement décidés en avril par la BCE en matière de
garanties, allant jusqu’à la possibilité de présenter de « junk bonds » (obligations dégradées en catégorie
« pourrie »).
Au niveau européen, après
quelques hésitations, des décisions d’importance ont été prises face au
coronavirus. Le 23 mars, la BCE a lancé un plan d’urgence d’achats de titres
des secteurs publics et privés de 750 Mds € baptisé PEPP. Il inclura toutes les
catégories d’actifs éligibles de l’APP (qui se poursuit) et sera encore plus
flexible et ouvert. En avril, plusieurs décisions ont considérablement assoupli
les conditions de refinancement des titres par la BCE, notamment en matière de
garantie et de décote des titres présentés par les banques.
Recourant à la « clause
dérogatoire » du Pacte de stabilité budgétaire signé en 2012, les 27
ministres de l’UE ont décidé le 23 mars 2020 d’autoriser les Etats à ne pas
respecter le plafond de déficit public de 3% du PIB jusque
là imposé sous peine de sanctions. L’autre critère de stabilité, la
limitation de la dette publique des Etats à 60% du PIB n’est plus qu’un
lointain souvenir. Aussi, effectivement, « Le coronavirus a eu la peau du
Pacte de stabilité ».
Il faut citer aussi, avec des
réserves sur la portée qu’il pourra avoir, le plan d’aide de 500 Mds € décidé par l’UE, qui
fera intervenir la BCE, le MES et la Banque européenne d’investissement (BEI).
Il a plusieurs cibles, les Etats les plus en difficultés, les PME et le
financement du chômage partiel. Il est resté à « solidarité limitée ».
La proposition soutenue par la France de « mutualisation de la
dette » pour financer un plan de relance commune à plus long terme a été
repoussée. La proposition sera réétudiée prochainement.
En France, le coronavirus
s’est installé dans des conditions économiques et financières déjà dégradées.
Il a frappé plus fort que l’exécutif n’avait d’abord présumé et fait beaucoup
de victimes. Vu l’insuffisance de masques et les possibilités limitées du système
de santé, l’exécutif est poussé à improviser ainsi qu’à faire un usage extensif
et prolongé du confinement. Selon l’Insee, chaque quinzaine de confinement
coûte à la France - 1,5% de croissance annuelle. La baisse des activités
entraîne une lourde baisse des recettes fiscales. Le gouvernement prévoit une
chute du PIB de - 8% en 2020, un déficit public de - 9,1% du PIB et une montée
de la dette publique à 115% du PIB à la fin de 2020. Ces prévisions (ou
hypothèses) sont susceptibles d’être encore révisées dans les mois à venir.
Les décisions européennes donnent
à la France la possibilité de recourir à un fort déficit public et, en même
temps, de s’endetter davantage dans des conditions adoucies et assouplies sur
les marchés financiers. Cela lui permet de porter à 110 Mds € le plan d’urgence
économique. D’après le rapport du Sénat sur la loi de finances rectificative
pour 2020, le plan prévoit 42 Mds € pour financer des dépenses à caractère définitif
qui majorent le déficit public et 69,5 Mds € de reports d’impôts et de
cotisations, de remboursements anticipés de crédits d’impôts, de prêts ou de
participations au capital d’entreprises, qui ne figurent pas dans les dépenses
publiques et n’accroissent pas le déficit.
Au plan d’urgence s’ajouteront
300 Mds € de garanties de l’Etat pour faciliter les prêts par les banques. Celles-ci
sont ainsi encore appelées par la BCE et par nos Autorités à jouer un rôle
décisif. Or, elles se trouvent dans des situations pour le moins difficiles. Le
4 mai, les valeurs boursières de « nos » trois plus grands groupes
bancaires avaient perdu de - 47% à - 56% depuis le début de l’année. Les
derniers assouplissements de la BCE peuvent aussi leur rappeler l’épisode
funeste des subprimes et les inciter à la prudence.
L’accès au crédit risque donc de rester compliqué pour les entreprises de
toutes tailles et les ménages. Pas seulement en France.
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1ère partie :
L’héritage de la crise de 2007 et de la relance qui a suivi
De 2008 à 2012, en pleine crise, la
BCE déjà au premier rang, mais pas seule
Une réponse massive de
la BCE un peu tardive à la crise financière de 2008
Venant des Etats-Unis, la crise
des subprimes de 2007-2008 s’est rapidement
« mondialisée » et propagée dans le système financier européen
provoquant la méfiance et la panique sur les marchés, la dévalorisation brutale
des actifs financiers, des faillites et un quasi blocage des échanges
interbancaires. La croissance de la zone euro (et de l’UE) a été torpillée et réduite
à + 0,4% en 2008, puis le PIB de la zone a chuté de - 4,4% en 2009. Un sursaut et
un fort soutien des gouvernements lui ont permis de regagner environ + 2,1% en
2010 et + 1,7% en 2011. Mais, les Etats ayant été appelés à dépenser énormément
pour sauver les banques et soutenir les activités économiques se sont lourdement
endettés. Une crise de la dette s’est développée, plaçant dans des situations
très délicates l’Irlande, le Portugal, la Grèce, l’Espagne, l’Italie, forcés de
recourir à des aides d’urgence de l’UE et du FMI. La France et d’autres pays
ont aussi été sévèrement affectés. Ils n’ont pu empêcher le retour de la récession
en 2012 et en 2013. Le PIB de la ZE a alors reculé de - 0,9%, puis de - 0,3%.
Une première urgence était d’assainir les marchés financiers et le
système bancaire, de remettre ce dernier en état de marche et lui donner les
moyens adéquats pour jouer efficacement son rôle dans le financement des
besoins importants de l’économie. Aussi, en octobre 2008, la fourniture
illimitée de liquidités aux banques a été décidée et plus de 500 Mds € ont été
injectés dans le système financier. Enregistrant cet apport de liquidités, le
bilan consolidé de l’Eurosystème (BCE et Banques nationales des Etats membres) est
monté de 1 508 Mds € au 31 décembre 2007 à 2 075 Mds € à la fin 2008.
Emboitant le pas à la BCE, la
Commission a fait approuver par le Conseil européen en décembre 2008 un plan de
soutien à l’économie de 200 Mds €.
Après ces premières réponses, un
calme assez plat a pu être observé en 2009 et en 2010 dans l’évolution du
montant total du bilan de la BCE, qui a oscillé à proximité de 2 000 Mds €
jusqu’au début 2011. Ces deux années ont cependant été ponctuées par des opérations « non
conventionnelles » novatrices : - l’engagement de trois opérations de
refinancement à plus long terme (LTRO) à maturité de 1 an en juin, en
septembre et en décembre (1) ; - le lancement en mai 2010 d’un 1er
programme (SMP) de rachat sur le marché secondaire d’obligations souveraines d’Etats de la ZE,
qui rencontraient la défiance des investisseurs. Jusqu’à sa clôture en 2012,
220 Mds € ont été consacrés au rachat d’obligations de l’Irlande, du
Portugal, de la Grèce, de l’Espagne et de l’Italie. Le SMP devait être relayé
par un programme de rachat illimité de dettes des pays en grande difficulté…
qui n’a pas vu le jour.
Il a fallu attendre la fin de
l’année 2011 et le début de l’année 2012 pour que la BCE ouvre le grand jeu, en
usant abondamment de refinancement à plus long terme, les LTRO. La maturité des prêts est passée de 6 mois à 1
an, puis à 3 ans, la liste des garanties acceptées « en collatéral »
a été élargie, des taux attractifs ont été proposés. Une LTRO de 50 Mds € à
maturité de 6 mois a été lancée le 10 août 2011, puis une autre, de 57 Mds €, à
maturité de 12 mois a suivi le 26 octobre (2). Mais surtout : - une
LTRO de 489 Mds € a été lancée
le 21 décembre 2011, à maturité de 36 mois, avec une option à 1 an. 523 banques
européennes en ont bénéficié ; - une LTRO similaire de 529 Mds € a été lancée le 29 février
2012. 800 banques y ont recouru. Ces injections de liquidités ont été
nécessaires pour passer les échéances de 2012 et 2013 (3).
Conformément à l’objectif
poursuivi, le bilan de la BCE a alors grimpé jusqu’à un plafond de 3 000 Mds
€ au cours de l’année 2012. A la fin de cette année, il était
encore à une hauteur de 2 963 Mds €,
soit de + 1 455 Mds € supérieur à son niveau de
fin 2007, avant le déclenchement de la crise. La moitié de cet accroissement,
soit + 767 Mds €, était dû à l’usage
extensif du refinancement à plus long terme.
Explosion des dettes
publiques et privées de 2007 à 2014
De leurs côtés, les dettes publiques des pays de l’UE
avaient explosé. Le ratio dette publique / PIB de l’UE a bondi de 57,5% en 2007 à 84,0% en 2012, et celui de la zone euro de 65,0% à 89,9%. Sur la lancée, ces
ratios ont atteint respectivement 86,6%
et 92% en 2014 avant de
commencer à décliner lentement. Parmi les plus « mauvais élèves » de
la zone, malgré les soins intensifs qui lui ont été prodigués, la Grèce a vu
son coefficient monter de 103,1% en 2007 à 178,9% en 2014. La France n’a
pas fait mieux que la moyenne de la ZE, son taux d’endettement public ayant
grimpé de 64,5% en
2007 à 94,9% en 2014. Il a ensuite poursuivi
son ascension presque sans discontinuer jusqu’à 98,1% du PIB à la fin 2019.
Dans de nombreux pays et au niveau de l’ensemble de la ZE, le taux d’endettement des agents privés non
financiers (APNF), ménages et sociétés non financières, a aussi beaucoup
augmenté depuis 2007, atteignant 119,4%
du PIB dans la ZE et 135,4%
en France au 3ème trimestre 2019 (4).
En 2019, à lui seul, le taux d’endettement
des entreprises non financières a été chiffré à 61,6% du PIB pour la ZE, 41,3% pour l’Allemagne, 63,1% pour l’Espagne, 64,5% pour l’Italie
et 74,3% pour la France
(contre 53,1% en 2007).
En France, le taux d’endettement des ménages est
monté de 45,8% en 2007 à 61,1% du
PIB.
Baisse drastique taux directeurs de la BCE en
2008 et 2009
Un tel attrait pour l’endettement
s’explique aussi par la politique des taux d’intérêt plus « qu’accommodante » conduite
par la BCE… apparemment en désaccord avec ses intentions
initiales, puisqu’en juillet 2008, elle avait décidé de monter son principal
taux directeur, le taux de refinancement des banques (ou « refi ») de 4% à 4,25%. Revirement à 180 degrés, le 15 octobre le refi était abaissé à 3,75%. Puis en six étapes et six mois,
une chute vertigineuse faisait tomber ce taux à 1% le 13 mai 2009. Deux ans plus tard, le refi était remonté à 1,25% en avril 2011 et 1,5% en juillet
pour quatre mois. En novembre, il entamait un déclin prolongé, touchant les 0,05% le 10 septembre 2014.
Depuis le 16 mars 2016, le refi est resté à 0%.
Appliqué aux prêts d’urgence accordés par la BCE à des établissements
financiers à court de liquidités, le « taux marginal » a suivi
une trajectoire analogue à celle du refi. De 2,25% du
13 juillet au 8 novembre 2011, il a été abaissé par étapes à 0,25% depuis le 16 mars 2016.
Les établissements financiers
doivent maintenant payer le placement de leurs excédents de liquidités auprès
de la Banque centrale. En effet, le « taux de dépôt », qui
rémunère ces dépôts, qui était de 0,75% du 13 juillet au 8 novembre 2011 est
descendu à 0% dès le 11 juillet
2012. Il est devenu négatif, - 0,1%,
le 11 juin 2014. Depuis le 18 septembre 2019, il est de - 0,5%.
La Troïka au secours
des pays les plus en difficulté
Sollicité, le FMI s’est associé à
la BCE et à la Commission européenne pour répondre aux appels désespérés des
pays les plus en difficulté. Pour accéder aux aides, instruites, allouées et
contrôlées par cette « Troïka », ces Etats ont été contraints
d’accepter dans la douleur de procéder à des coupes sombres dans les dépenses
publiques et à des réformes structurelles n’excluant pas des réductions
d’effectifs publics et/ou des retraites, ainsi que des privatisations.
Un document de février 2013, « Chronologie : La crise en
Europe (2008-2013) » (5), rappelle le calendrier et des montants de ces
« plans de sauvetage ». En mai 2010, un accord de prêt de 110 Mds € a été conclu avec la Grèce.
En juillet, c’était au tour de l’Italie d’annoncer un Plan d’austérité
et, en novembre, de se voir accorder 85
Mds € de prêts (dont 35 pour des banques). En mai 2011, contre un Plan d’austérité, le
Portugal recevait une « aide » de 78 Mds €. Le 21 février 2012, un second
plan de sauvetage avec la participation de créanciers privés de 130 Mds € était signé avec la Grèce.
La Troïka est aussi venue au secours de l’Espagne en 2012 et de Chypre en 2013.
Jouant un rôle protecteur face aux attaques sur les marchés financiers
contre l’Italie et l’Espagne en août 2011, la BCE était
intervenue en rachetant des obligations publiques de ces pays. La France
avait également été touchée.
2012 à 2014, 2
années charnières déterminantes pour les 6 années suivantes
En 2012, supervision bancaire renforcée et Union bancaire
Le rapport d’information du Sénat
du 18 juin 2015 sur le rôle de la Banque centrale européenne face à la crise (2)
indique un état inquiétant du système
bancaire confronté à de nouveaux risques. Parmi eux, il souligne : -
« le manque de profitabilité actuel des banques dans un contexte de taux
bas » ; - la part importante des crédits
accordés jugés toxiques, 12%, au total, et davantage en Espagne, en Grèce,
en Italie, au Portugal et en Slovénie. 40 banques installées dans 10 pays de la
zone présentaient de sérieuses difficultés.
En juin 2012, le Conseil européen a décidé de
renforcer la supervision des banques au
sein de la ZE dans le cadre d’une Union
bancaire. Le 15 octobre 2013, un rôle clé a été confié à la BCE en matière
de surveillance prudentielle des établissements de crédit au sein d’un Mécanisme
de supervision unique (MSU), qui est entré en fonction le 4 novembre
2014. Les pouvoirs de régulation, de contrôle et de sanction ont été éclaircis.
Dans la répartition des responsabilités entre la BCE et les Autorités de
contrôle nationales (ACN), la BCE a eu la charge directe des établissements
importants [123 groupes représentant environ 1 200 unités et 21 000
Mds € d’actifs détenus - à l’époque], tandis que les ACN devaient se consacrer aux 3 520 établissements
« moins importants »… présents principalement dans des pays d’Europe
du nord, dont 1 688 en Allemagne.
Succès prolongé de l’exigence
de rigueur budgétaire imposée aux Etats à partir de 2012
Le 2 mars 2012, 25 Etats de l’UE
ont signé le Pacte budgétaire.
Le Royaume-Uni et la République Tchèque ont fait exception. Alors que l’UE a fait
preuve d’un certain « laxisme » en ce qui concerne la limitation de
la dette publique, elle a désiré le respect de plus de rigueur budgétaire et la
limitation effective du déficit public à 3% du PIB, sous peine de
sanctions. Une « règle d’or
d’équilibre budgétaire » a été introduite à cette fin dans le nouveau
pacte.
Elle a été un des marqueurs des 8
années qui ont suivi le plus profond de la crise. Nombre de pays de l’UE ont
essayé, avec des tensions et des difficultés, de répondre à cette exigence
« renforcée ». Certains en ont fait une priorité « quoi qu’il en
coûte ». Non sans restrictions, dans le domaine
de la santé, par exemple.
Le déficit public global de l’UE n’était que de - 0,8% du PIB en 2007, et celui de la ZE, de - 0,6%. Après cinq années de crise et une
montée difficile à « maîtriser », ce déficit avait atteint - 4,3% du PIB au niveau de l’ensemble
de l’UE en 2012 et - 3,7% à celui de
la ZE. Celui de la Grèce était de - 7,2%. Devant elle, l’Espagne était à -
5,1%, le Portugal et le Royaume-Uni à - 4,4%, la France à - 3,5%.
Sept ans plus tard, d’après un
communiqué d’Eurostat du 22 avril 2020 (6), le déficit public de l’UE et celui
de la ZE avaient été ramenés à 0,6% en
2019. L’amélioration est générale.
16 des 28 pays de l’UE dégagent des excédents budgétaires allant jusque + 3,7%
du PIB au Danemark, + 2,1% en Bulgarie, + 1,7% à Chypre et aux Pays-Bas, + 1,5%
en Grèce, + 1,4% en Allemagne… 10 autres
pays respectent aussi le critère des - 3%, avec des déficits compris entre -
0,3% et - 2,1% de leur PIB. La France est à -3,0%, la Roumanie, à - 4,3%.
Tous les pays ne se trouvent ainsi
pas au même niveau de confort budgétaire pour faire face aux fortes dépenses publiques additionnelles que va requérir la crise du
coronavirus.
Les restrictions budgétaires ont
sans doute contribué à la récession en Europe en 2012 et en 2013. Le PIB a
alors reculé de - 0,9% puis de - 0,% dans l’UE et dans
ZE. Puis, dans l’ensemble, la
croissance a été soutenue en moyenne pendant les six années de 2014
à 2019. Le taux annuel moyen de croissance a été de + 2% pour l’UE à 28, et de +
1,8% pour la ZE. Pour la France,
ce taux a été de + 1,4%.
De 2014 à 2019, la
discipline budgétaire a permis d’alléger l’endettement public
A la fin de l’année 2014, la
dette publique totale était à un sommet : 92,0% du PIB pour la ZE et 86,6%
pour l’UE. D’après les dernières données d’Eurostat, au 31 décembre 2019, elle
est redescendue à 84,1% du PIB pour la ZE, à 40,2% pour
les pays de l’UE hors ZE et à 77,8%
pour l’ensemble des pays de l’UE. Mais de fortes différences s’observent entre groupes de pays, et plus
encore entre pays. Visiblement, la
plupart des pays de l’est n’ont pas été contaminés par le virus de
l’endettement. Leurs dettes publiques vont de 8,4% du PIB en Estonie, 20,4% en
Bulgarie, 30,8% en Tchéquie à 46% en Pologne, 48% en Slovaquie et, exception,
66,3% en Hongrie. Les pays scandinaves et les Pays-Bas ont développé des
anticorps et, sauf pour la Finlande, à 59,4%, leurs dettes sont très en dessous
du seuil (fatidique ?) de 60% du PIB. L’Allemagne est aussi passée
sous la barre, à 59,8%. L’Autriche est à 70%. Avec la Belgique, à 98,6% et
la France à 98,1%, ce sont les
sudistes qui se trouvent dans les situations les plus difficiles, voire
précaires. L’Espagne et Chypre sont à 95,5%, le Portugal est à 117,7%,
l’Italie à 134,8%
et la Grèce, à 176,6%.
Il est évident que le combat
contre la pandémie et ses effets, qui recourra [qui recourt déjà] largement à
l’endettement, ne se fera pas dans les mêmes conditions par les différents
Etats. Or, il se trouve que, par rapport à leurs populations, à la date du 26
avril, la Belgique, l’Espagne, l’Italie, le Portugal et la France sont parmi
les pays où les pourcentages de cas de Covid-19 confirmés et de décès sont les
plus élevés (7).
L’endettement privé
s’est alourdi aussi chez des « grands » de la ZE
D’après des données affichées en
février 2020 sur le site de la Banque de France (8), l’endettement des sociétés
non financières au 3ème trimestre 2019 est assez élevé. Son taux (dette/PIB) est de 61,6% pour l’ensemble de la ZE.
Il est de 41,3%
en Allemagne, de 63,1% en Espagne et de 64,5% en Italie. En France, il est de 74,3%,
alors qu’il était de 53,1% en 2007.
« Nos » sociétés (en partie multinationales) sont ainsi plus
vulnérables, moins bien armées pour résister et pour investir face à la crise
du coronavirus qu’elles l’étaient au début de la crise précédente. En outre, ce
taux de 74,3% est un taux moyen. Certaines sociétés, nettement plus endettées,
sont, de ce seul fait, véritablement en danger… leur personnel aussi.
Au niveau de la ZE, l’endettement des ménages est de 57,8%
du PIB au 3ème trimestre 2019. Ce taux est nettement plus faible en Italie,
41,3%. Il est de 54,4%
en Allemagne et de 57,4% en Espagne. En France, il est de 61,1%...
contre 45,8% en 2007. Beaucoup de
nos concitoyens, lourdement endettés, sont exposés à des risques financiers élevés
en cas de baisse plus ou moins prolongée de leurs revenus.
L’impossible
stabilisation des prix dans la zone euro… ainsi que des cours pétroliers
La maîtrise de l’évolution des
prix et leur stabilisation à proximité de + 2%, une mission majeure confiée
à la BCE, est difficile en raison de la diversité des facteurs déterminants. Et,
depuis le début de la crise, l’évolution des prix a été chaotique en Europe. En pourcentages de
variations annuelles, l’indice des prix à la consommation de la ZE a bondi
jusqu’à + 4% en 2008 avant de
s’effondrer et de plonger à - 0,6%
en milieu d’année 2009. Il est ensuite remonté jusqu’à + 3% en 2012 avant d’amorcer une descente prolongée qui l’a conduit
à - 0,6% à nouveau à la fin de 2014.
Il est ensuite resté hésitant au cours de 2015 et au début de l’année 2016
avant de remonter à + 2% au début de 2017 puis de fluctuer entre 2% et 1%
jusqu’en janvier 2020 (9).
L’instabilité des prix est en partie imputable à celle des cours du pétrole qui ont suivi une
trajectoire heurtée, avec : - une période de prix élevés (entre 110 $ et
130 $ le baril de Brent) d’avril 2011 à juin 2014 ; - une chute à moins de
50 $ le baril à fin 2014, puis jusqu’en dessous de 30 $ en novembre 2016 ; - une remontée
à des niveaux de prix compris entre 60 et 80 $ en 2018 et 2019. Puis, presque
comme 14, la surproduction et la mésentente (ou la concurrence) entre de grands
producteurs, la Russie et l’Arabie saoudite, ont déclenché une nouvelle chute à 55 $ le baril en février 2020. Le 6 mars celui-ci était à 33 % et, la
panique provoquée par le Covid-19 s’étant emparée des marchés, il perdait -
30% le 9 mars. Avec la menace d’une récession mondiale, le prix du baril de Brent était de 20 $ le 27 avril à la mi-journée
(10). C’est donc avec un coût très faible des hydrocarbures que la crise du
coronavirus débute. Pour combien de temps ?
A partir de 2015, « assouplissement »
et injections massives de liquidités
C’est principalement dans le but
de juguler la déflation et de
relancer la croissance que la BCE a décidé de recourir à l’assouplissement quantitatif (QE). A cette fin, a été lancé
le 22 janvier 2015 un ambitieux Programme d’achat d’actifs, au nom moins connu
d’APP
(pour « Asset purchase
programme »). Pour faciliter davantage l’accès au crédit par les
Etats, il a introduit la possibilité d’achats de dette souveraine. Des
conditions ont été précisées : - les rachats ne pourraient couvrir que le
tiers de la dette des émetteurs ; - les émetteurs devraient disposer d’une
notation financière entre AAA et BBB, ce qui n’était pas le cas de la
Grèce ; - 80% des rachats se feraient via les Banques centrales nationales
en fonction de la clé de répartition des participations des Etats au capital de
la BCE. Celle de France est de 20%.
L’APP devait permettre à la BCE de racheter pour 1 100 Mds € nets de titres de dette publique ou de créances
privées de mars 2015 à septembre 2016. Les injections de liquidités dans
le système bancaire devaient se faire au rythme de 60 Mds € par mois.
Cela a été réalisé de mars 2015 à mars 2016.
A partir d’avril 2016, l’allocation a été portée à 80 Mds €, avec la possibilité d’achats
d’obligations d’entreprises.
A compter d’avril 2017, elle a été ramenée à 60 Mds €. L’instrument « non
conventionnel » est devenu de tradition.
En janvier 2018, ce montant mensuel a été fixé à 30 Mds €.
En octobre 2018, il a été
abaissé à 15 Mds € durant 3 mois,
puisque le Programme a été arrêté à la fin 2018.
Ainsi, pendant les 46 mois de
mars 2015 à fin décembre 2018, ce sont 2
600 Mds € de liquidités qui ont été mises à la disposition des marchés
avec le QE pour financer de l’endettement. On retrouve un montant
du même ordre de grandeur dans
l’augmentation du montant total du bilan de la BCE. Celui-ci est passé de 2 228 Mds €
au 31 décembre 2014 à 4 673,2 Mds
€ au 31 décembre 2019. Comme le poids de la politique monétaire de la BCE, son
montant a changé de dimension depuis la crise de 2008.
Pour soutenir la croissance
économique en berne dans la ZE, la BCE a relancé le QE pour une durée
indéterminée à compter du 1er novembre 2019 à un rythme de 20 Mds € par mois. C’est une « ressource »,
modeste, qui restera mobilisable pour faire face à la crise du Covid-19.
Les avis sur les performances
attribuables au QE sont partagés. Force est de constater son impuissance à
réguler (au sens premier du terme) les prix dans la ZE. Des doutes peuvent
aussi être émis sur son efficacité en matière de soutien de la croissance.
Cependant, l’injection massive de liquidités en même temps que la recherche de
la réduction des déficits publics peuvent-elles donner le cocktail le plus
tonifiant ? Dans le rapport précité le Sénat souligne que l’efficacité des
dispositifs mis en place dépend beaucoup de la volonté des états membres
d’améliorer leur gouvernance. Et « l’afflux
de liquidités, via les programmes de rachat de titres, les prêts de longue
durée aux banques ou la baisse continue des taux anesthésie toute velléité
réformatrice » ou « la
tempère ».