Réunion du CNR et de l'Académie du gaullisme au Palais Bourbon, 128
rue de l'Université 75007 Paris
Présidée par Jacques Myard
En présence de Mme Claude Revel
« LA
FRANCE FACE AUX ENJEUX DE L'INTELLIGENCE ECONOMIQUE »
Par
Christine Alfarge,
La maîtrise de
l’information est avant tout un enjeu de pouvoir, sans
une politique stratégique et économique, il n’y a pas de souveraineté. A ce
titre, le traitement de l’information revêt une importance capitale tant au
niveau de l’entreprise que celui de l’Etat pour la protection de nos intérêts,
privés ou publics étant liés.
De quoi s’agit-il ?
Au niveau opérationnel, il s’agit de mener des actions pour
l’information amie et contre l’information de l’adversaire, en mettant en œuvre
des procédés de lutte par l’information, la veille stratégique, l’anticipation,
la sécurité, l’influence.
Le traitement de l’information ou des informations s’apparente au
renseignement basé sur la collecte, la validation, le tri, l’exploitation. Le
benchmark, concurrence ou compétition, est au cœur du dispositif, il ne faut pas
résonner seul, travailler en amont le plus possible, anticiper et prévoir le
bon positionnement à s’adapter face aux intentions d’autres acteurs partenaires
ou adversaires. Il y a surtout la sécurité des informations, comment les
protéger ou à l’inverse les utiliser ? L’information est une arme décisive
dans la compétition économique, une méthode d’analyses, un lien entre pensée et
discipline.
Les quatre grands enjeux de l’Intelligence économique.
Selon Claude Revel : « Les enjeux de l’Intelligence
économique sont juridiques, numériques, industriels et d’influence. Malgré ce
que l’on vit, des règles se font tous les jours, il faut savoir les identifier
et aussi ceux qui les font. Les américains utilisent notamment le droit extraterritorial
et la norme pour asseoir leur pouvoir, le soft power n’inspire pas la méfiance. Ce n’est pas l’extraterritorialité qui me choque mais
les embargos ou sanctions sur des entreprises pour les seuls intérêts
américains. Ce n’est pas un sujet nouveau mais qui existe toujours, les
entreprises font de plus en plus attention sur les règles et les sanctions. Les
Britanniques sont aussi très forts avec une vraie force d’influence. » Le
droit extraterritorial apparaît donc comme un instrument de soft power et
d’influence en politique étrangère.
La question juridique des investissements étrangers.
Que préconisait le décret Montebourg en 2014 ? Ce décret
prévoyait d’élargir les secteurs d’activité soumis à une autorisation préalable
du gouvernement avant toute cession partielle ou totale à un investisseur
étranger. Avant ce décret, seuls les secteurs de la défense et de la sécurité
étaient concernés.
Les enjeux numériques et la protection des actifs stratégiques
français.
Le décret Montebourg prévoit désormais l’extension au numérique des secteurs
économiques indispensables à la garantie des intérêts du pays en matière
d’ordre public, de sécurité publique ou de défense nationale.
Selon Claude Revel : « L’Intelligence économique est
nécessairement présente dans les laboratoires de recherche, il est facile
d’utiliser des chercheurs pour ses propres recherches, ailleurs. »
A partir du décret du 29 novembre 2018, sécurité des systèmes
d’information, cybersécurité, intelligence artificielle, recherche et
développement sur la défense, sécurité et continuité d’exploitation des
systèmes électroniques et informatiques notamment pour des missions de sécurité
publique, sont entre autres les nouveaux secteurs concernés par une
autorisation préalable gouvernementale avant prise de participation d’un
investisseur étranger.
Les enjeux industriels.
On perd peu à peu des fleurons industriels, on devrait soutenir nos
nationaux, agir en amont. En ce qui concerne l’orientation de la politique
industrielle, l’Etat à un rôle primordial à jouer sur la connaissance de l’environnement
concurrentiel des secteurs stratégiques au niveau mondial, la capacité
d’anticipation, le respect des normes avec la certification. Selon Claude Revel
qui précise, « Dans le normatif, ce n’est pas forcément la norme mais
le classement qui devient une norme, la mise en place d’objectifs peut
permettre d’être bien placé. Le lobbying n’est pas de la corruption, il faut
développer la notion d’intérêt stratégique, je suis contre la notion de secteur
stratégique, il y a des stratégies, ce qui implique une politique publique et
une réorganisation de l’Etat. Nous avons de vrais atouts comme le
supercalculateur ou encore Atos. » Face à la pression exercée par tous
ceux qui veulent augmenter leur part du marché sur le plan mondial, la solution
passe obligatoirement par une mise en œuvre de règles du jeu claires et
applicables dans tous les pays sans exception. Où en sommes-nous
aujourd’hui ? De nombreux pays pensent qu’ils peuvent contourner
facilement les règles et les normes, ce qui rend les choses difficiles pour
faire respecter les accords internationaux. Il faut pourtant arriver à
convaincre que le non-respect des normes et la reproduction des brevets peuvent
coûter le prix fort pour les entreprises comme pour les économies. La
reconnaissance ainsi que la surveillance des normes sont avant tout au cœur de
l’action de l’intelligence économique. Chaque pays applique ses propres règles,
Etats-Unis, Japon, Chine, Europe, etc… Il faut nécessairement plus de respect
et de concertations, sur le plan de la compétitivité, c’est loin d’être gagné.
L’Etat avait-il les moyens de s’opposer à la prise de contrôle par
Général Electric des activités énergétiques d’Alstom ?« Qui
gouverne, qui contrôle ? Le problème est le contrôle, c’est l’indépendance
politique ! Il faut rétablir un ministère de l’Industrie de plein exercice »
souligne Jacques Myard. La société Alstom n’est pas la seule entreprise
stratégique française à avoir été rachetée par un concurrent ou une puissance
étrangère, l’entreprise Alcatel-Lucent a été cédée au finlandais Nokia par
exemple. « Si l’entreprise Orange a choisi les Européens Ericsson et
Nokia pour le déploiement du réseau 5G, il ne faut pas se laisser influencer
par l’antichinois, face au déploiement de la 5G dans plusieurs pays d’Europe,
l‘Union européenne fait le choix d’ouvrir au groupe chinois Huawei. Cependant
pour que la 5G ne tombe pas totalement aux mains des Chinois, les Américains
devraient entrer au capital. », précise Claude Revel.
Il faut rester vigilants, si des sociétés étrangères peuvent racheter
nos entreprises les plus performantes ou prendre leur contrôle, un certain
nombre de technologies nous échapperont définitivement. Il faut aider les entreprises
à se défendre contre toute menace étrangère ou lorsqu’elles négocient des
contrats.
Dans la compétition mondiale actuelle, l’enjeu majeur réside justement
dans la maîtrise de nouvelles technologies, identifier ce qui se fait ailleurs,
investir dans la recherche, être à la pointe de l’innovation.
La question des influences.
Selon Claude Revel : « Les influences sont d’ordre
idéologique, près de la pensée néolibérale américaine, la repentance ou le
communautarisme. L’intelligence économique établit des liens au regard de
différents aspects, il faut être attentif aux informations, faire remonter des
opinions, un vrai travail entreprise/état. Elle ajoute : « La
discipline de l’information se fait au niveau de l’état et un retour à une
politique industrielle. »
Quoi qu’il en soit, on ne peut pas reprocher aux acteurs économiques d’autres
pays de défendre leurs intérêts ! Dans un contexte international troublé
par de nombreux conflits, une concurrence accrue économiquement et
militairement, l’idée de souveraineté incarne à la fois la protection des
personnes, la sécurité du territoire, l’indépendance énergétique du pays face
aux idéologies ou à des intérêts extérieurs puissants. « Le combat se
poursuit ! » conclut Claude Revel.
Christine ALFARGE Secrétaire générale de l'Académie du Gaullisme.
© 07.03.2020 |