2005 - 2025, de quoi s’agit-il ?
« Oui, c’est l’Europe, depuis l’Atlantique jusqu’à l’Oural, c’est l’Europe, c’est toute l’Europe, qui décidera du destin du monde ! »
(Charles De Gaulle)
par Christine Alfarge,
Le 29 mai 2005, l’épine de l’Europe ?
Vingt ans après, on mesure à quel point ce jour fut historique. La majorité des Français avait déjà pressenti un risque pour l’Etat-nation de se dissoudre dans une structure européenne dont on ignorait l’architecture susceptible de façonner le 21ème siècle. Sans l’objectif de la défense des souverainetés nationales face à un fédéralisme forcené, que deviendraient les idéaux de la résistance enracinés dans l’histoire française, la France combattante du général De Gaulle à Londres ou sur le territoire national inspirant les grandes réformes de la Libération ?
Que s’est-il passé ?
Le 29 mai 2005, le peuple français a rejeté massivement à près de 55% des voix, non pas l’idée européenne, mais la manière dont l’Europe a été faite dans le dos des peuples. Il a fait éclater l’hypocrisie des classes dirigeantes qui ont entendu, à chaque phase, le placer devant le fait accompli, sans lui indiquer l’objectif vers lequel elles voulaient le conduire. Le problème des institutions européennes est qu’on ne sait pas devant qui elles sont responsables et qu’elles-mêmes l’ignorent sauf devant une certaine idée de l’Europe qu’elles ont produite.
Aujourd’hui comme hier, l’idée d’une Constitution européenne n’a pas de sens du point de vue de la démocratie, elle correspond à l’idée d’un peuple européen unique qui n’a pas de réalité, dans l’état actuel des choses, la volonté de ne faire qu’un seul peuple n’existe pas dans une Europe dont on ne connaît même pas les contours. Il n’y a pas une nation européenne, il y a des nations européennes qui sont toujours là !
Une démocratie détachée des nations n’a aucun sens.
Le 29 mai a posé avec force le problème de la démocratie et de la République. Il faut non pas nier les nations, espace de démocratie et de solidarité, mais les associer dans une vision commune. Les Français s’exprimant démocratiquement par référendum sur la constitution européenne, ce 29 mai sonnait le glas d’une politique ne s’appuyant sur aucun vrai projet politique réaliste. Malgré le vote massif du « non », rien à bouger, le Président de la République lui-même est resté autiste alors que l’on attendait de lui un acte significatif, un changement de cap. Il n’en fut rien. Vingt ans après, la France n’a pas retrouvé un nouveau souffle, elle ne doit pas être condamnée à la pensée unique incarnée par un libéralisme économique forcené.
Se gouverner soi-même passe par la constitution des unités nationales.
La forme politique de l’Europe est l’Etat-nation où les hommes politiques doivent être responsables devant les citoyens à l’intérieur d’une unité délimitée. Pour cette raison essentielle et vitale pour notre pays, tournons-nous vers ceux des hommes politiques qui ont le courage, la détermination et la persévérance de dire « non ». Ceux qui veulent offrir le choix d’une société plus juste et plus équitable basée sur le respect des valeurs républicaines. Alors, partageons cette réflexion d’un vrai changement, d’une révolution des esprits. Sur fond d’unité nationale, la construction d’un projet gaulliste pourrait naître de cette réflexion. Ce projet devrait répondre à l’espérance des citoyens et provoquer un sursaut, qu’on le veuille ou non, le 29 mai 2005 continue d’incarner un symbole fort avec le devoir de prendre notre destin en main, combattre pour les libertés et l’avenir des futures générations. La France souffre, le peuple est épuisé ! Nous vous lançons un appel à mener ensemble ce combat afin de permettre à chacun de trouver sa place, de ne pas se sentir exclu, de croire à l’avenir. Parce que la France est ambitieuse ! Parce que la France a toujours résisté dans son histoire ! La France mérite des hommes et des femmes à la hauteur de ses espérances ! « Le 6 juin 2006, lors d’un entretien avec madame Angela Merkel à Rheinsberg, le président Chirac avait déclaré que le gouvernement de Berlin avait toute sa confiance pour présenter, durant la présidence allemande de l’Union des propositions permettant de relancer le processus de réforme des Institutions, réforme indispensable si l’on veut une Europe plus forte et mieux organisée. En somme, reprendre le traité constitutionnel rejeté par les Français et les Hollandais et y ajouter de nouveaux éléments. Effectivement, on peut s’en remettre à l’Allemagne pour réussir à organiser l’Europe comme elle l’entend. Détruire la France, voici plus de trente ans que ses dirigeants s’y emploient. Ce sera tout naturellement à l’Allemagne de lui porter le coup de grâce. La présidence française l’y engage en lui faisant toute confiance pour y parvenir. » écrivait très lucidement le général Pierre-Marie Gallois.
La personnalité très gaullienne du général Gallois était toute empreinte« d’une certaine idée de la France » léguée par le général De Gaulle. À son retour aux affaires en 1958, ce dernier avait pris conscience que l’avenir de notre pays ne dépendait plus de la conservation de l’Algérie et de son empire colonial mais de la place qu’il occuperait dans le monde.
Aujourd’hui comme hier, il faut se donner des priorités d’action, une plus grande ouverture internationale est indispensable si l’on veut évoluer et mettre en place les changements nécessaires. Les peuples européens aspirent à la paix, mais l’Europe est une construction hybride où l’existence même d’un conseil européen n’empêche pas la fuite en avant des institutions et les difficultés à se mettre d’accord entre pays. Dans un monde en évolution permanente, il ne faut pas se renfermer dans des raisonnements tout fait où l’on confond bien souvent planification avec anticipation.
En 2025, le monde, c’est quoi ?
C’est d’abord un certain nombre de mutations en cours qui s’effectuent dans le cadre d’une modernisation globalisée mais non maîtrisée et qui perturbe les équilibres anciens. La première chose à faire est d’apprécier cette situation, en particulier en ce qui concerne la France et son environnement, de la connaître, de la comprendre et de s’y adapter pour pouvoir agir. Ce n’est qu’ainsi qu’on peut espérer déboucher un jour sur un projet politique. C’est d’une certaine façon répondre à la célèbre question posée par le maréchal Foch en 1918 quand il a eu à faire face à l’offensive allemande : « De quoi s’agit-il ? ». Le monde n’est pas ce qu’on nous dit, ce que l’on veut nous faire croire par l’intermédiaire des médias. Il s’en suit que notre vision du monde est fausse. Contrairement à ce qu’on nous raconte, rien ne va plus dans la globalisation.
Avant la deuxième guerre mondiale, les grandes puissances qui géraient le monde n’en ont plus les moyens. La gouvernance leur échappe alors que se multiplient des petits États sans consistance ni capacité d’agir qui ajoutent au désordre ambiant. Ils sont maintenant 200 à l’ONU, c’est-à-dire trois fois plus qu’à sa création. En même temps, d’autres acteurs sont apparus, l’ONU et ses filiales, politiquement illégitimes dotés de gros moyens d’intervention les rendant irremplaçables pour la survie des populations dans certaines régions du monde que précisément la mondialisation enfonce dans la plus grande misère, les ONG qui interviennent dans les mêmes domaines mais qui peuvent participer à la déstabilisation des États, les multinationales motivées par la recherche prioritaire du profit et qui privilégient le court terme aux dépens de l’avenir, le crime organisé enfin, sous toutes ses formes et dont le chiffres d’affaires annuel représente presque 5 % du PIB mondial. Il est difficile dans ces conditions de prétendre que les États sont encore les maîtres du jeu, ce qui pose, pour tous, petits et grands, le problème de leur légitimité. Des « zones grises » s’instaurent un peu partout qui ne sont plus contrôlées par personne. Face à ce désordre, pour ne pas dire ce chaos, à quoi peut bien servir une armée ? Il ne faut pas croire qu’une telle absence de gouvernance mondiale s’installera durablement. La nature a horreur du vide et elle a déjà commencé à organiser sa réplique.
La réorganisation du monde se fera par effet de taille.
Cette notion est aujourd’hui fondamentale. Les élus, on le voit tout de suite, ne seront pas nombreux, car les conditions à remplir sont loin d’être à la portée de tout le monde. Il faut avoir atteint un certain nombre de seuils dans tous les domaines qui comptent pour être capable d’agir, seuil démographique (entre 300 et 500 millions d’habitants), seuil de territoire, seuil économique (en dessous de 2 000 milliards de dollars de PIB, on n’est pas crédible), seuil technologique. Aujourd’hui, deux États seulement peuvent prétendre à ce leadership mondial, les États-Unis d’Amérique et la Chine.
Les États-Unis d’Amérique sont pour l’instant les seuls à pouvoir y prétendre. Ils disposent de toute la puissance nécessaire dans tous les domaines, notamment dans les domaines militaire et technologique, souvent ils en abusent, au point d’irriter l’ensemble de la planète, y compris leurs partenaires. Leur histoire et la géopolitique sont à l’origine de leur comportement, celui d’insulaires, portés naturellement à l’isolationnisme et de plus certains d’un destin messianique national. Ils sont les croisés du Bien face à l’empire du Mal.
Le challenger économique des États-Unis, on le connaît, c’est la Chine. Les courbes depuis 2006 montrent que la parité sera atteinte en 2025. La Chine s’est fixé (discours de Deng Xiaoping en 1978) un projet politique qui tient en une phrase : retrouver en 2030 la position qu’elle avait en 1820 (20 % de la population mondiale, 20 % du PIB mondial), ce qui n’est jamais, à ses yeux, que demander à retrouver ce qui lui paraît légitime. Le problème est que la Chine, pour réaliser ses objectifs et d’autre part satisfaire les besoins de consommation de ses classes moyennes (300 à 400 millions de consommateurs, soit déjà le plus grand marché du monde), est en train de pomper littéralement les ressources énergétiques et minérales de la planète, gaspillant beaucoup et désorganisant profondément les mécanismes sophistiqués qui régulaient le marché. En fait, elle ne connaît pas le monde dans lequel elle entre et c’est sans doute là que réside le plus grand danger d’un affrontement, en particulier avec les États-Unis qu’elle peut rendre assez rapidement dépendants sur le plan économique. Un conflit paraît quasi certain à l’horizon 2025-2030. Nous y sommes mais les Chinois ont horreur de la guerre telle que la conçoivent et la pratiquent les Américains, l’affrontement direct à la prussienne. Ils lui préfèrent la stratégie indirecte, celle de l’araignée qui tend sa toile, non parce qu’ils rejettent la violence mais parce qu’ils se méfient des risques de perdre que la guerre fait nécessairement courir. C’est ainsi que pour eux l’installation de bases préfigure leur enlisement dans un second piège taïwanais qu’ils sauront exploiter le moment venu. Si la Chine, son potentiel et son projet politique fascinent de nombreux sinophiles, il y a plus de réserves sur la part que peuvent prendre dans la recomposition du monde les trois autres puissances émergentes du BRIC, à savoir, le Brésil, la Russie et l’Inde. Cette dernière a des problèmes internes à résoudre, une démographie galopante voire un manque d’infrastructures pour rattraper rapidement les États-Unis et la Chine. La Russie a de l’argent, du pétrole et l’arme nucléaire, mais cela demeure insuffisant au regard d’un conflit russo-ukrainien qui risque de s’enliser sans dialogue avec les Européens. Quant au Brésil, il est encore plus loin derrière. Se trouvent donc seuls face à face les États-Unis et la Chine, ce qui crée une problématique inquiétante pouvant aboutir à un affrontement mortel pour l’humanité.
Y-a-t-il une solution ?
Les Chinois le pensent et, pour la présenter, ils ont recours à la métaphore du tabouret et de ses trois pieds. Le monde est comme le tabouret, il n’existe que s’il a trois pieds. S’il n’en avait que deux, il se couperait en deux. De même pour le monde qui se couperait alors en deux blocs. La solution, c’est qu’en 2025-2030, il y ait un troisième pied au tabouret mondial. On ne voit que l’Europe pour jouer le rôle du troisième pied. Pour cela, il faudrait qu’elle devienne un médiateur valable en se donnant les moyens d’être une puissance, politiquement crédible, de même que stratégiquement, économiquement, démographiquement, techniquement innovante et intellectuellement créative.
Cela implique qu’elle prenne ses distances d’une certaine façon avec les États-Unis. À l’évidence, l’Europe telle qu’elle existe et se construit aujourd’hui ne remplit pas ces six conditions. Elle ne fait pas le poids. Il n’y a guère que la France et l’Allemagne pour avoir, à elles deux, la capacité, la surface nécessaire pour bâtir une telle puissance. Elles ont fini par surmonter leurs différents et leur réconciliation est à l’origine du projet européen. C’est à elles de convaincre leurs partenaires que l’Europe est aujourd’hui placée devant une responsabilité historique à l’égard de l’humanité tout entière parce qu’elle est la seule à pouvoir éviter le pire en se faisant le troisième pied du tabouret mondial.
Il revient à la France, de par son statut de puissance nucléaire et de membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, de concevoir et mettre en œuvre, de concert avec l’Allemagne, une politique européenne débarrassée des complexes de subordination nés des traités européens et atlantiques, et qui vise à donner à l’Europe les moyens de jouer effectivement le rôle mondial qui lui incombe. Cela suppose que les partis de gouvernement français s’accordent sur une politique extérieure nationale et européenne qui ait l’ambition de faire jouer à l’Europe ce rôle mondial tout en garantissant la défense des intérêts vitaux de notre pays, ce qui n’est pas le cas actuellement, et qui, d’autre part, véritable condition sine qua non, ne soit pas remise en cause à chaque alternance de majorité. C’est seulement dans un tel environnement politique que pourront être redéfinies les capacités militaires à réunir pour constituer l’outil à mettre au service de la diplomatie et de la défense des intérêts nationaux et européens. Les quatre fonctions classiques (dissuasion, prévention, projection et protection) qui sont à remplir aujourd’hui par l’armée française (contractuellement pourrait-on dire) resteront sans doute les mêmes, encore que les priorités pourront évoluer, l’enjeu changeant de nature et d’échelle.
La prévention en particulier, indispensable dans le rôle du médiateur, implique une capacité d’analyse des risques, des menaces futures qui est très insuffisante aujourd’hui en Europe et doit être autonome. Ces risques et menaces identifiés, les armées des pays constituant la nouvelle Europe devront être dotées des capacités militaires pour y faire face de manière optimale avec le meilleur coût budgétairement supportable. La conception ainsi que la réalisation de systèmes de forces communs feront l’objet de grands marchés confiés exclusivement aux industries européennes d’armement afin de ne pas dépendre de fournisseurs extérieurs. La France et l’Allemagne n’ont pas le choix, leur intérêt commun commande qu’elles unissent leurs efforts pour sortir l’Europe de l’ornière dans laquelle un projet exclusivement technocratique l’a embourbée et lui redonner la liberté d’action si chère aux stratèges.
Soyons vigilants que des événements dramatiques, tel le conflit russo-ukrainien actuel, ne modifient pas de fond en comble ces données et poussent l’Europe à l’intégration. L’expansionnisme de la Chine voulant dominer le monde pourrait bien avoir des velléités d’absorber l’Europe au détriment de l’État-nation et des souverainetés nationales !
*Christine ALFARGE Secrétaire générale de l'Académie du Gaullisme.
© 01.05.2025